Notes sur le virus du coup d’État

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Notes sur le virus du coup d’État

27 mars 2020 – Comme l’on sait, la situation aux USA s’est particulièrement tendue depuis quelques jours avec un assaut d’une extrême puissance de la pandémie Codiv-19 qui avait jusqu’ici épargné en bonne partie le pays. (Près de 86 000 personnes infectées, – nombre qui dépasse celui de la Chine et place les USA en première position, –  et “autour” de 1 300 décès ce vendredi matin, pour moins de 100 il y a moins de deux semaines.)

Le point central de la pandémie est l’État de New York et l’immense mégalopole et centre financier et culturel, quasiment capitale du “monde-globalisé”,  de New York City. La situation est telle que la Maison-Blanche, pourtant très modérée à l’image de la dernière évolution radicale du président Trump (affirmation d’une reprise du travail, Codiv-19 vaincu, “pour  Pâques”), a annoncé qu’aucune personne ayant séjourné à New York City ou venant de New York City ne serait reçue avant le délai des 14 jours de la quarantaine.

L’impression générale est plutôt celle d’un immense désordre et d’une grande absence de coordination, entre les différents pouvoirs, avec un rôle de plus en plus important joué par les gouverneurs des États (Cuomo pour l’Etat de New York). Pendant ce temps, l’affrontement et les querelle entre républicains et démocrates se poursuivent, notamment pendant plusieurs jours cette semaine autour de la loi autorisant une aide massive de $2 000 milliards pour la situation économique, sociale et sociétale, et finalement votée à l’unanimité par le Sénat... Cette unanimité-là ne doit tromper personne, elle est purement démagogique et le résultat d’un arrangement haineux entre démocrates et républicains, la surprise (mais en est-ce vraiment une ?) étant effectivement que la crise-Covid19 n’interrompt en rien la vigueur haineuse de l’affrontement au sein du pouvoir au sommet : Washington D.C. reste “D.C.-la-folle”, même au cœur de la tempête.

C’est notamment, à notre sens, une des raisons pour lesquelles résonnent sourdement des rumeurs de “coups d’État” du type-soft et déterministe-narrativiste, comme c’est désormais la coutume, qui pourrait être le fait de l’armée. A côté d’un texte de Robert Bridge du  23 mars 2020 très intéressant sur cette question, nous empruntons un extrait d’un article de WSWS.org  du 24 mars 2020 qui détaille plusieurs “fuites” parues ici et là dans la presseSystème et auxquelles il a été fait très peu écho. 

(C’est la doctrine habituelle de la presseSystème : lâcher des informations sensibles par l’un ou l’autre médium pour tenir informées les élites et figurer dans la course à la crédibilité, et ne pas donner d’échos dans les autres médias pour ne pas trop répandre ces nouvelles dans le public.) 

L’armée et ses plans

Dans le texte de WSWS.org, nous prenons l’extrait après un développement sur les nouveaux pouvoirs, estimés comme des pouvoirs de “loi martiale” ou dictatoriaux, demandés par le ministère de la justice (DoJ)

« ...‘Politico’ a cité l'avocat des droits civils Norman L. Reimer, qui a déclaré que selon la proposition du ministère de la Justice, “vous pourriez être arrêté et ne jamais être traduit devant un juge jusqu'à ce qu'il décide que l’urgence et les mesures draconiennes contre la désobéissance civile sont terminées”. Il a poursuivi : “Je trouve cela absolument terrifiant ... C'est quelque chose qui ne devrait pas se produire dans une démocratie”.

» Le rapport de ‘Politico’ affirme que les demandes du ministère de la Justice “ont peu de chances de passer devant une Chambre à majorité démocrate”. Il s'agit toutefois d'un réconfort bien relatif si l’on considère que le parti démocrate avance actuellement des mesures antidémocratiques similaires, telles que la loi EARN IT, un projet de loi bipartite qui abolirait le cryptage de bout en bout. Les démocrates sont d'ailleurs les plus virulents à s’attaquer à la liberté d’expression et à appeler à la censure d'Internet.

» La demande de pouvoirs exécutifs extraordinaires du ministère de la justice intervient alors que deux rapports de Newsweek, rédigés par William Arkin, détaillent la manière dont l'armée américaine se prépare à prendre potentiellement le contrôle de la gestion quotidienne du pays et à déployer des troupes sur le sol américain.

» Le premier rapport de Newsweek, publié le 18 mars, note que “des plans d'urgence ultrasecrets existent déjà pour ce que l'armée est censée faire si tous les membres de la ligne constitutionnelle du pouvoir sont frappés d'incapacité” par le virus, c’est-à-dire si Trump et toutes les personnalités de la ligne de succession présidentielle immédiate tombent malades ou sont mis en quarantaine. “Des ordres de mise en alerte ont été émis il y a plus de trois semaines pour préparer ces plans, non seulement pour protéger Washington mais aussi pour se préparer à l'éventualité d'une forme de loi martiale”, poursuit le rapport.

» Il ajoute : “Selon de nouveaux documents et des experts militaires, les différents plans, – baptisés Octagon, Freejack et Zodiac, – sont des lois officieuses et cachées visant à assurer la continuité du gouvernement. Elles sont si secrètes que dans le cadre de ces plans extraordinaires, la “dévolution”  [transfert du pouvoir]  pourrait contourner les dispositions constitutionnelles normales pour la succession du gouvernement, et les commandants militaires pourraient prendre le pouvoir dans tous les points essentiels de contrôle, partout en Amérique”.

» Newsweek rapporte également que si l'armée intervient pour contourner la Constitution, le chef du Northern Command (NORTHCOM) [créé en octobre 2002 pour couvrir le territoire des USA], le général Terrence O'Shaughnessy, “serait en théorie responsable si Washington était éviscérée” par le virus.

» Le deuxième rapport de Newsweek, publié le 20 mars, indique que l'armée américaine “prépare les forces à assumer un rôle plus important dans la lutte contre le coronavirus, y compris la mission controversée de réprimer les ‘troubles civils’”.

» Les plans se concentrent sur la fédéralisation des gardes nationaux des États, annulant de fait le principe fondamental du ‘posse comitatus’, qui interdit à l'armée de mener des opérations de maintien de l'ordre au niveau national intérieur.

» Newsweek cite “un planificateur militaire de haut niveau travaillant sur la crise du coronavirus mais non autorisé à s'exprimer sur des questions de planification sensibles”, qui “dit que le déploiement de troupes fédérales dans des rôles de soutien est en cours de préparation”, notamment pour effectuer des contrôles routiers, des perquisitions, des saisies à domicile et des arrestations.

» Le rapport poursuit : “Une fois que les forces militaires seront dispersées hors des bases américaines, dit le planificateur principal, elles devront assurer la mission de ‘force de protection’, impliquant des missions délicates de maintien de l'ordre général, en particulier lorsque les abris sur place et autres situations de quarantaine s'intensifieront”.

» Aussi nécessaires que soient les quarantaines et autres mesures de protection du point de vue de la santé publique, la réponse de l'armée consiste essentiellement à se préparer à supprimer les droits démocratiques et à réprimer l’opposition sociale.

» Newsweek fait référence à un plan militaire interne pour les “opérations de troubles civils” appelé CONPLAN 3502. Ce plan concerne les déploiements militaires internes en réponse aux “émeutes, actes de violence, insurrections, obstructions ou rassemblements illégaux, actes de violence collective et troubles préjudiciables à l'ordre public”, selon une étude militaire, qui cite comme précédent historique l'utilisation de l’armée pour écraser les grèves et les manifestations ouvrières.

» Selon un document du département de la sécurité intérieure de 2006, non cité dans le rapport de Newsweek, intitulé ‘Stratégie nationale pour une pandémie de grippe’, le gouvernement a fait des préparatifs spécifiques pour la possibilité de manifestations pendant une pandémie.

» “En raison des pressions exercées sur le système de soins de santé et d'autres fonctions essentielles, des troubles civils et des atteintes à l’ordre public peuvent se produire”, peut-on lire dans ce document de l’ère Bush. Il fait également référence au CONPLAN 3502 et précise : “Les tâches accomplies par les forces militaires peuvent inclure des patrouilles conjointes avec les agents des forces de l'ordre, la sécurisation des bâtiments clés, des monuments commémoratifs, des intersections et des ponts, ainsi que la mise en place d'une force de réaction rapide".

» Le 1er février, le secrétaire à la défense Mark Esper a signé un ensemble secret d’ordres d’alerte (WARNORD) mettant en alerte le NORTHCOM et les unités déployées sur la côte Est, afin qu'ils se “préparent à se déployer”, y compris dans la “région de la capitale nationale”.

» Newsweek rapporte que “désormais, les planificateurs envisagent une réponse militaire à la violence urbaine dans le cas où les gens chercheraient à se protéger et à se battre pour la nourriture et, selon un officier supérieur, dans l’éventualité de l’évacuation complète de Washington... »

Souvenir de 1933

Lorsqu’un sénateur Rubio, qui représente le sommet de la stupidité stipendiée par le complexe militaro-industriel, lâche un tweet pour nous affirmer « S’il vous plaît, arrêtez de répandre des rumeurs sur une loi martiale... COMPLÊTEMENT FAUX... », on peut se dire qu’il y a effectivement anguille sous roche. Cela fait près de 20 ans, – quasiment depuis le 11-septembre, – que le Pentagone peaufine des plans d’intervention intérieure, et la chose est devenue urgente depuis que le pouvoir civil se déchire (“D.C.-la-folle” depuis 2015-2016), et hyper-urgente bien entendu depuis que la crise-Covid19 s’est déclarée. Toutes les rumeurs auxquelles l’improbable Rubio fait allusion, en les moquant allègrement, selon les consignes du Pentagone, font évidemment penser à un “coup de force”, un “pronunciamiento”, un “coup d’Etat”.

On parle de “coup d’Etat” également depuis une période assez longue. On a ressuscité le souvenir perdu du général Butler, du Corps des Marines, notamment en juillet-août 2007, après que la cohésion entre les militaires et le pouvoir civils des années 2001-2005 (à partir du 11-septembre) ait commencé à perdre son rythme et sa validité, et on en parle à nouveau  aujourd’hui. Mais ce rappel n’est pas exemplaire et ne sert à cet égard que d’un point de vue symbolique...

Certes, l’armée n’était pas impliquée dans ce projet de 1933 puisque Butler, à la retraite, avait été contacté par un groupe de banquiers mené par Morgan Jr. (le fils de John Pierpont Morgan, de la banque éponyme), pour monter un coup d’État contre Franklin D. Roosevelt à l’aide d’une mobilisation des anciens combattants de la guerre 1917-1918, plongés dans un état de révolte pour obtenir des primes et des retraites qui leur avaient été promises. Butler avait refusé et avait dénoncé la machination, ce qui conduisit à l’abandon du projet “fasciste” et une noyade générale du poisson dans le labyrinthe des commissions et des auditions du Congrès, tout le monde travaillant à dissimuler les projets un peu fous d’une des forces principales du Système (Wall Street en l’occurrence).

La situation est aujourd’hui fondamentalement différente, ce pourquoi les rumeurs que dénonce Rubio ont, contrairement à ce qu’il tweete, beaucoup de sens.

Logique d’une nécessité 

Il ne fait aucun doute que les USA sont aujourd’hui dans une très mauvaise posture pour affronter le choc sanitaire et les effets économiques et sociaux d’une crise-Covid19 qui prendrait dans ce pays une allure diluvienne. On a suffisamment parlé sur ce site de l’affrontement incroyable haineux qui déchire “D.C.-la-folle” pour n’avoir besoin de nulle démonstration. C’est un cas où pourrait apparaître pour les militaires la nécessité de la prise en mains du pouvoir.

Ce n’est pas une idée ou une conception si extraordinaire. On rappellera  cette confidence  que recueillit PhG d’un ami, l’ambassadeur belge Jan Adriaenssens, concernant l’US Navy (le propos peut être étendu à toutes les forces) et venu d’une longue visite que fit Adriaenssens dans le Pacifique, à la fin des années 1950 (depuis, les circonstances ont évolué, et pas pour le meilleur, on s’en doute) :

« Il  [Adriaenssens] me confia bientôt ce qu’il avait retenu d’essentiel de son voyage, que je vais tenter de restituer en substance. “Il y a vraiment quelque chose à part chez ces amiraux de l’US Navy, qui tient de la culture, de la tradition, et aussi d’une grande connaissance de la politique la plus haute. Ils sont très conscients que leur immense puissance a au moins un but intérieur aussi important que le but extérieur de la sécurité nationale. Ils croient que l’Amérique est intérieurement très fragile et qu’elle a besoin de structures institutionnelles très fortes. Ils pensent que des armées puissantes, et particulièrement la Flotte, avec sa force symbolique et traditionnelle, constituent un ciment qui n’est pas inutile à cet égard. D’une façon générale, ils ne sont pas très optimistes, certes non, pas du tout optimistes sur le sort futur de l’Amérique, particulièrement sa cohésion, son unité…” »

On comprendra aisément que ce sentiment a décuplé depuis la fin des années 1950, depuis le 11-septembre, depuis 2015-2016, et dans toutes les armes des forces armées. Cela est pour avancer l’hypothèse qu’il existe une sorte de tradition, bon an mal an et malgré l’incontestable appauvrissement moral et intellectuel des cadres supérieurs des armées, pour estimer, depuis la Guerre froide, que les forces armées ont une certaine légitimité à tenir un rôle de stabilisation des structures de l’américanisme ; et, selon cette façon de juger, ce rôle peut devenir central sinon exclusif en cas de grave crise.

On admettra que l’on approche du cas où se dessine la possibilité de “la nécessité de la prise en mains du pouvoir”, lorsqu’à la crise du pouvoir depuis 2015-2016 à “D.C.-la-folle” s’ajoute la crise Covid-19 avec toutes ses conséquences. L’extraordinaire rapidité des dégâts sociaux causés par les mesures économiques et le désordre de la stratégie générale de lutte contre la pandémie tendent à créer une situation proche de celle de la Grande Dépression, mais une Grande Dépression où les mesures à prendre seraient très fortement contrariées par l’extraordinaire infection de la perception qu’a installée dans nos psychologies le système de la communication. Enfin, il y a l’élection présidentielle USA-2020, avec les deux candidats probables traînant avec eux le fardeau de faiblesses et de travers innombrables dus autant à l’âge qu’à des caractères incontrôlables, et qui ne sont là que “par défaut”, par impuissance du Système à trouver une autre issue...

Dans ce cas qui est celui d’un “perfect storm” crisique, les conditions semblent réunies pour faire penser à des chefs militaires qu’il est “de leur devoir” d’intervenir dans la vie civile, pour sauvegarder l’Union, – rien de moins, à la manière d’un Lincoln postmoderne !

Un suprémacisme de caste ?

Il est vrai que, ces dernières années, les militaires US ont pu polir et repolir leur méfiance et leur mépris grandissant pour la caste politicienne qui dirige le pays. La préparation à cet égard avait été effective, dans les années 2000, avec l’aventure irakienne puis les tentatives d’attaques contre l’Iran en 2006-2008, habilement et fermement détournées par l’US Navy. Mais depuis 2016, ce n’est plus la même chose : l’élection de Trump, puis l’affrontement absolument fou entre les démocrates hyper-progressistes-sociétaux et le pseudo-populiste Trump, ont poussé le jugement défavorables des chefs militaires sur la caste politique vers les extrêmes.

... Non pas qu’ils soient brillants, loyaux, honnêtes, etc., ces chefs militaires. Ils partagent toutes les tares du Système, y compris les corruptions vénale et psychologique. Mais ils ont nécessairement une partie d’eux-mêmes qui reste obligé au maintien d’un ferme contact avec les réalités les plus rudes, et les  vérités-de-situation hors des simulacres washingtoniens. C’est le cas lorsqu’un chef du commandement stratégique explique comme il évaluera avec l’aide d’un avocat, éventuellement  pour ne pas l’exécuter, l’ordre du président de tirer des armes stratégiques nucléaires.

Surtout, les militaires ont exercé avec Trump les plus hautes fonctions de direction de sécurité nationale d’habitude réservées aux civils, et donc ils ont pu confronter leur sentiment vis-à-vis de la caste politicienne à la réalité du pouvoir politique. On parle ici, certes, des généraux Mattis, McMaster et Kelly, qui furent respectivement en 2017-2018 secrétaire à la défense, conseiller du président pour la sécurité nationale et directeur du NSC, et chef de cabinet du président ; et qui, tous trois, démissionnèrent en même temps qu’il leur fut demandé de démissionner (en 2018), scellant ainsi, après une cohabitation houleuse, la rupture entre les chefs militaires et la caste politicienne.

Les chefs militaires en ont acquis une sorte de “suprémacisme de caste” (la leur, de caste), qui détermine leurs capacités à gouverner, et bien mieux que la pourriture politicienne, ce qu’il reste de l’empire en décomposition. Nous ne disons pas qu’ils ont raison (voir plus haut, la même réserve mais aussi l’inutilité de ce débat dans ce cas), nous disons qu’ils ont expérimenté ce qu’ils estiment être leur capacité dans l’exercice du pouvoir. Dans les conditions d’urgence actuelles, et alors que la caste politicienne  se débat dans des attitudes et des exhortations désespérées devant la progression de l’épidémie, on comprend combien certaines idées doivent progresser dans les esprits des officiers étoilés. Elles ont d’autant plus de poids que les militaires restent, dans l’esprit du public, la seule institution à être populaire et à être parée de vertus diverses (patriotisme, rigueur, absence de corruption), – dont nombre relèvent de l’illusion et du simulacre, – mais qu’importe puisque parlent les enquêtes d’opinion, et encore plus comparé à la détestation où sont tenus le monde politique, le monde financier, etc... 

(Même un Sean Penn, superbe progressiste-sociétal-humanitariste dans l’âme, l’œil mi-clos et la gueule de bois, le verbe claudiquant et mâchouillant sans doute un brin de vitamine à la coke, dresse pour CNN un incroyable panégyrique d’une armée US transformée en une formidablement vertueuse machine “la plus humanitariste du monde”, une machine pleine d’une sorte de compassion évangélique...)

Le cas du USS Theodore Roosevelt

Là-dessus  un cas intéressant  vient bien à propos éclairer notre propos, qui est celui du porte-avions USS Theodore Roosevelt, signalé ce jour même...

Nous nous référons d’abord à  un texte du major (retiré en dissidence du service actif) Danny Sjursen, de l’US Army, devenu un des commentateurs-vedette du site  Antiwar.com, succédant d’une certaine façon à Justin Raimondo. Sjursen envisage les suites de la crise-Covid19 du point de vue des guerres extérieures, contre lesquelles lutte ce site depuis sa création. Il voit une possibilité négative et une possibilité positive... Nous nous attachons ici à la possibilité négative en la synthétisant rapidement :
• le pouvoir a besoin de détourner l’attention de la crise intérieure, donc il va accélérer les guerres extérieures ;
• il peut même aller jusqu’à l’extrême, qui est l’intervention intérieure :

« Tout cela sans parler de l’ultime menace, – et peut-être la plus traîtresse, – dans l’exploitation de la crise du Coronavirus : celle du penchant avéré du gouvernement pour une répression intérieure opportuniste.  Des plans inquiétants existent déjà, qui envisagent d’une façon concrète et opérationnelle immédiatement applicable la prise en main temporaire du pouvoir par l’armée dans une situation de crise de type Corona, tandis que le ministère de la justice  réclame  des pouvoirs de détention arbitraire pour une durée indéterminée dans cette situation d'urgence ou une situation similaire. »

Notre désaccord avec Sjursen porte sur l’identification des événements et l’enchaînement des événements :

• il n’est nullement assuré que ceux qui poussent à des conflits extérieurs pour “détourner l’attention” du public soit confiné soit en chômage, ou les deux à la fois, soient les militaires. Il y a deux semaines, ce sont Pompeo et les extrémistes-neocons (civils)du gouvernement qui poussèrent à une riposte contre les Iraniens après l’attaque de bases US en Irak ; le Pentagone était contre et Trump s’est rallié à cette position ;
• Nous ne mettrions en aucun cas une intervention des militaires aux USA même dans la même logique et dans la même dynamique que les interventions extérieures, tout au contraire...
• ...et c’est là que nous en revenons au cas du USS Theodore Roosevelt.

Ce cas met en pleine lumière ce qui se répandait déjà au gré de certaines rumeurs : le problème que Codiv-19 pose aux forces US en déploiement extérieur. Ces forces n’ont guère de soutien sanitaire dans ce domaine du déploiement extérieur, et elles sont loin des structures de défense contre la pandémie qui sont en train d’être mise en place aux USA même. C’est pourquoi nous évoquons dans le texte sur le USS Theodore Roosevelt la possibilité d’un repli des positions impérialistes US vers le sol national :

« Ce mouvement de retrait pourrait prendre une ampleur intéressante, surtout à la lumière du cas du USS ‘Theodore Roosevelt’ et de ses effets psychologiques. L’on pourrait ainsi imaginer, à partir de cette sorte d’évacuation, la décroissance voire l’abandon des positions et de l’effort de l'impérialisme US, vaincu par l’épidémie et obligé de se retirer sur la formule isolationniste du territoire national. Il s’agirait d’une formule très originale de décadence, voire d’effondrement de la puissance. »

Le reflux après le flux

Ainsi établissons-nous un rapport inverse à celui que propose Sjursen. La crise-Covid19 oblige le Pentagone à envisager un repli partiel, ou un repli important, devant la menace de voir ses structures de force paralysées par la pandémie. En même temps, ce repli partiel augmente l’intérêt des militaires pour la situation intérieure, pour les structures de luttes contre la pandémie, pour un regard toujours plus critique sur la conduite catastrophique de la caste politicienne dans cette crise. Il s’agit d’un reflux vers une sorte d’isolationnisme de “loi martiale” structurelle, une sorte d’“isolationnisme martial” suivant un “flux impérial” présentant désormais plus d’inconvénients dont certains mortels, que d’avantages.

Dans ce cadre et selon cette logique, une intervention des forces armées paraît de plus en plus envisageable, surtout bien sûr si la situation continue à se détériorer comme elle a commencé à la faire à une vitesse extraordinaire depuis à peine une décade. Cet extrait d’un texte de RT.com sur le thème d’une “Grande Dépressioon-2.0” nous donne une indication du climat que nous restituent des experts de la finance : 

« La pandémie Codiv-19 poussera le chômage US vers des pourcentages dépassant ceux de la Grande Dépression si les prévisions alarmistes sont rencontrées, selon, l’économiste de l’université de Warwick Roger Farmer.

» Plus tôt cette semaine, une officiel de la Fed avait prédit que la situation pourrait conduire à un chômage de 30% et une chute de 50% du PIB. Selon James Bullard, président de la branche de St-Louis de la Fed, cela pourrait arriver extrêmement vite, au second trimestre de cette année.

» “Si cela se vérifie, ce seront les chiffres les plus hauts jamais atteints. Le chômage durant la Grande Dépression a atteint 24% à son sommet”, a dit à RT.com le professeur Farmer.

» L’économiste a noté que la baisse pourrait être de courte durée car la situation commencera à s’améliorer dès que l’isolement social prendra fin. Beaucoup dépendra de la bonne stimulation, comme les subventions salariales directes qui peuvent aider l’économie à rebondir. “Si les pertes d'emplois deviennent permanentes et que les relations de travail sont détruites, la reprise prendra plus de temps”, a déclaré l'analyste. » 

Ce type d’appréciation décrivant une situation vertigineuse mais parlant d’“améliorations” et de “reprise” plus ou moins rapides selon l’état de l’“isolement social” (confinement), comme s’il s’agissait d’une simple humeur de passage, sans tenir aucun compte des effets psychologiques et sociaux de ces situations, provoque chez les militaires à la fois une grande inquiétude pour l’ordre public dans le cadre du Système, et devant ce qu’ils jugent être une certaine inconscience chez nombre de responsables et experts civils. On en tire alors le constat que jamais sans doute, et certainement bien plus qu’en 1933, la situation n’a été aussi “propice” à une intervention de l’armée, qu’elle soit favorisée par le pouvoir civil ou imposée au pouvoir civil, et toujours avec le même résultat des militaires détenant la clef du pouvoir. 

Ce début de  texte de WSWS.org concernant l’évolution du monde intellectuel et artistique aux USA vaut pour tout le monde aux USA ; et il vaut, bien entendu, pour les militaires :

« L'actuelle calamité sanitaire et économique mondiale est sans précédent.

» Quelle que soit l’issue à court terme, la vie sociale et la conscience ne reviendront jamais à leur état antérieur. Un Rubicon a été franchi. L'ordre existant, aux yeux de dizaines de millions de personnes, sera désormais considéré comme illégitime et comme une menace immédiate pour leur existence. »

Effectivement, il est question de Rubicon...