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62923 février 2013 – Peut-être parlerait-on de la diplomatie des “coups de téléphone ratés” comme l’on parla de la diplomatie du “téléphone rouge” (JFK-Krouchtchev, après la crise de Cuba d’octobre 1962) pour éviter la guerre nucléaire. Autres temps, autres mœurs et nécessités complètement inversées : il s’agirait plutôt de s’informer d’un affrontement que de s’arranger.
… Ainsi semble-t-il bien, sans le moindre doute désormais, que le secrétaire d’État Kerry, après une première prise de contact formelle à son entrée en fonction avec le ministre russe des affaires étrangères Lavrov, ait voulu parler au ministre des affaires étrangères russe le 11 février. Il ne parvint pas à l’avoir au bout du fil, un peu comme vous et moi, et demanda que Lavrov le rappelât… Ce que Lavrov ne fit pas, du moins pas immédiatement comme on devrait attendre entre personnages de ce niveau, alors qu’ils ont tant d’affaires sérieuses à débattre, alors que Kerry est un nouveau-venu dont on pourrait attendre qu’il ait une attitude moins abrupte sur certaines questions que son prédécesseur Hillary Clinton.
Dans la conférence de presse du 14 février 2013, la porte-parole du département d’État Victoria Nuland (pour quelques jours encore au département d’État) est confrontée à des question sur cette étrange absence de réponse de Lavrov. Nous en avons déjà parlé mais cette fois, nous prenons le cas sous l’angle de ce qu’il nous dit de l’attitude et du sentiment washingtoniens…
Nuland paraît, dans ses réponses plus ou moins substantivée, un peu embarrassée et un peu obscure, un peu moins à l’aise qu’à l’habitude… Qu’est-ce qu’elle nous raconte là, Nuland ? La précision selon laquelle “il n’est pas du tout inhabituel, selon notre expérience, que lorsqu’il est en voyage le ministre Lavrov ne prend pas toujours les appels internationaux concernant d’autres sujets”, – cette précision est pour le moins étrange, comme tirée par les cheveux. Lavrov est-il un robot programmé et impoli, incapable de se détacher un instant du sujet du jour pour échanger quelques avis essentiels sur les crises explosives de l’époque ?… Citons ces sympathiques extraits de la conférence de presse où l’on nous assure que Kerry est complètement relaxed malgré les silences de Lavrov, cela de la meilleure source puisque sur le site du département d’État à la date du 14 février 2013.
Question: «Has the Secretary been in touch at all with Foreign Minister Lavrov on the issue of Syria or any other issue for that matter in the last few days?»
Ms. Nuland: «Well, as you know, the subject of Syria did come up in some detail in their introductory conversation. The Secretary placed a call to Foreign Minister Lavrov a couple of days ago, primarily to talk about the D.P.R.K., but we always talk to our Russian counterparts about Syria when we intersect with them, but the Foreign Minister has not yet chosen to return the call.» […]
Question: «Do they have any explanation for why Mr. Lavrov is unavailable for the Secretary’s of State of the United States for three days?»
Ms. Nuland: «Well, first of all, let me say that we are relaxed. The Secretary is relaxed about this, that he is – can I…»
Question: «Okay. I used the word “frantic” yesterday, and I apologize for using it. Maybe it’s not frantic. But, I mean, have they – do they some kind of explanation or excuse as to why he’s not…»
Ms. Nuland: «Let me just go back to my – from our perspective, the Secretary would like to talk to him. It’s up to him whether he wants to take that opportunity. We are obviously continuing to talk to, and the Secretary’s continuing to talk to many interlocutors around the world on many subjects. I will say also though that it’s not all that unusual in our recent experience that when Foreign Minister Lavrov is traveling he does not always engage in international phone calls on other subjects. So I refer you to the Russians as to why that may be, but we are open to talking when he is.»
Le 18 février 2013, dans une Notes d’analyse, nous faisions part de l’usage assez leste que certains firent de cette correspondance téléphonique ratée, notamment le député et vice-président de la Douma Jirinovski le 15 février. La circonstance introduisait un élément exotique assez sympathique, mais également marqué de l’antagonisme Russie-USA puisque Jirinovski évoquait l’expérimentation d’une “arme secrète” US. Nous écrivions…
«Quoi qu’il en soit des vaticinations de Jirinovski, une au moins a toutes les apparences requises pour être qualifiée de “bien réelle”. Il s’agit de l’étrange tentative sans succès de Kerry de joindre Lavrov par téléphone ; Lavrov, en balade en Afrique, intouchable, impossible pour lui de trouver cinq minutes pour rappeler Kerry, pendant au moins trois jours ; alors que Kerry aurait voulu, après quelques mots sur la Syrie, l’avertir d’une “provocation”, sans doute du Pentagone ou des neocons, dans les superbes cieux sans nuage de l’Oural…»
Le ministère des affaires étrangères russe avait conçu assez vite qu’il fallait réagir en termes diplomatiques à l’affaire du “western téléphonique”. Le département d’État ayant subi l’affront de l’absence de rappel téléphonique de Lavrov, il était temps d’expliquer qu’il n’y avait pas d’affront. Cette réaction s’avérait d’autant plus nécessaire qu’entretemps certains faisaient un usage très personnel et très original de l’incident, comme on l’a vu avec Jirinovski. La réaction fut conçue avec une certaine habileté puisqu’elle consistait finalement à dire : mais qu’attend donc monsieur John Kerry pour nous téléphoner?
Par conséquent, le 16 février 2013 (Novosti) au soir, après deux journées assez folles marquées par l’explosion du météorite et la sortie très remarquée de Jirinovski, un représentant du ministère, Alexander Loukachevitch, déclarait ceci, qui renvoyait la patate chaude au département d’État :
«Malgré le calendrier surchargé de Sergueï Lavrov lors de sa visite la semaine dernière dans les pays de l'Afrique, il y avait eu des possibilités pour l'organisation d'un tel contact. En particulier, nous avons proposé à la partie américaine que les dirigeants de nos ministres des Affaires étrangères parlent le 14 février, durant un intervalle de temps précis. Toutefois, n'ayant pas reçu la confirmation de John Kerry, on a compris qu'il n'était plus question de cela.»
Le 17 février 2013, sur son blog, l’ancien diplomate indien devenu commentateur de qualité, M K Bhadrakumar avait, lui, tiré ses conclusions du western téléphonique. Il y voyait les conséquences d’une certaine tension entre la Russie et les USA. (M K Bhadrakumar s’étend par ailleurs sur cet circonstance des deux Tu-95 faisant un vol de haute visibilité autour de l’île de Guam, hyper-stratégique pour les USA, qu’il considère comme un “message” sérieux envoyé par les Russes à Washington.)
«Again, Washington alleged that the new secretary of state John Kerry repeatedly tried to speak on phone with his Russian counterpart Sergey Lavrov but failed to connect. The Russian side explains that Lavrov was traveling in Africa. Maybe, Lavrov might return the call some day, but Faggy Bottom is showing irritation. And Moscow shrugs it off. […]
»Of course, Moscow was hoping that Obama would pay an early visit to Russia, but that is not to be. Quite obviously, Kerry also is no hurry to schedule a Russia visit. He is instead traveling to the Middle East and Europe this week.»
Le 19 février 2013 (Novosti), enfin le suspens est levé et le soupir de soulagement est de rigueur. On s’est enfin (bis) parlé, le 17 février, et l’on a convenu qu’on se verrait… Mais sur ce dernier point, on reste assez évasif, – où, quand, le rendez-vous, – on verra…
«Le chef de la diplomatie russe Serguei Lavrov a annoncé lundi aux journalistes que lui et le nouveau secrétaire d'Etat américain John Kerry ont convenu de se rencontrer prochainement, informe ITAR-TASS. “Dimanche, au cours d'une conversation téléphonique nous avons convenu d'essayer de nous croiser quelque part prochainement”, a dit le ministre russe.»
Enfin, le 21 février 2013, Robert Bridge, de Russia Today nous rassure et nous éclaire en mettant un point final à la séquence. Le rideau est complètement levé et nous voilà, à première vue, tout à fait rassuré : Lavrov et Kerry se rencontreront le 26 février à Berlin…
Encore que, – cet éclairage brillant est plutôt en clair-obscur… D’abord, il y a cette singularité que la personne citée comme décrivant les détails de cette rencontre dont le principe avait été annoncée par Lavrov, qui fait cette déclaration à la Douma, cette personne est un membre russe de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. Son intervention est très vite expliquée par son annonce que le sujet principal qui sera abordé lors de la rencontre Lavrov-Kerry, telle que la chose est présentée, concerne le sort des enfants russes adoptés par des citoyens US, souvent un sort très malheureux, à propos duquel la Russie a décide récemment de prendre une mesure d’interdiction de telles adoptions aux USA désormais. Il s’agit bien d’un sujet concernant la Commission de l’ONU dont Konstantin Dolgov (c’est son nom) est membre… Enfin, l’intervention à la Douma est explicable parce que ce sujet où la Russie a pris une position très dure vis-à-vis des USA a effectivement été soulevé, puis officialisé par la Douma et le texte dans ce sens qu’elle a voté. Tout se passe comme si la rencontre Lavrov-Kerry semblait d’abord être justifiée par cette affaire. (Par ailleurs, des détails nous sont donnés sur la bonne volonté et la coopération du gouvernement US sur cette affaire, ce qui balance parfaitement le procédé.)
Dans le texte cité, on donne à nouveau des précisions, toujours les mêmes et sans grand intérêt, sur le “western téléphonique”. On mentionne d’autres sujets probablement à l’agenda de la rencontre, comme la Syrie, mais en fin de texte cela, un peu comme si c’était accessoire. On souligne que c’est le premier voyage de Kerry à l’étranger et, sans contredire M K Bhadrakumar puisqu’il s’agit de la visite de Kerry en Europe (Berlin), on fait comprendre que Kerry ne peut tout de même se passer d’une rencontre avec Lavrov.
On voit donc que la construction de cette communication fait passer au premier plan à la fois l’importance de la Russie pour les USA et les sujets de mécontentement russes, fussent-ils d’une importance politique négligeable, même si l’aspect humain compte incontestablement. La volonté transparaît évidemment de mettre avec habileté les USA en position de demandeur et de signifier que les Russes font passer au premier plan, lorsqu’il s’agit des USA, leurs sujets de mécontentement bilatéraux, fussent-ils d’importance politique mineure.
«Russian Human Rights Commissioner Konstantin Dolgov confirmed on Thursday that Foreign Minister Sergey Lavrov would meet with US Secretary of State John Kerry in Berlin, Germany on Feb. 26. The meeting comes after it was reported by the Western media that Kerry failed to reach Lavrov via telephone on two separate occasions last week, causing analysts to speculate on the condition of the Russia-US relationship… […]
»Dolgov, speaking at a meeting of the State Duma committee on the family announced that Lavrov told informed him that the question of the rights of Russian children adopted by American families would be one of the main talking points. The comment came just hours after it was reported that another adoptive Russian child died in the United States.»
A tout cela, on ajoutera nécessairement le compte-rendu d’une rencontre, à l’OTAN, le 18 février, entre Lavrov et le secrétaire général de l’OTAN Rasmussen. (The Voice of Russia, 18 février 2013.) Le compte-rendu, présenté ici par les Russes, montre que Lavrov n’est pas vraiment satisfait et vient demander des comptes à l’OTAN. Il demande à quoi va servir l’OTAN après 2014, lorsqu’elle aura évacué l’Afghanistan ; il demande pourquoi l’OTAN s’intéresse tant aux régions arctiques, si ce n’est pour y introduire ses mœurs bellicistes… En même temps, et par le biais d’une invitation transmise à Rasmussen d’assister à un grand séminaire, est rappelée la préoccupation fondamentale des Russes pour le réseau antimissiles BMDE où l’OTAN est impliquée jusqu’au cou.
Nous croyons qu’il faut lire, notamment mais précisément, ces diverses appréciations à la lumière du Bloc-Notes du 19 février 2013 sur la réalité chiffrée de l’équilibre (ou le déséquilibre in the making) nucléaire entre les USA et la Russie. On y verra notamment que ce “déséquilibre in the making” concerne bien sûr l’OTAN, mais aussi très directement l’Europe, et certainement à un double titre, – le réseau antimissiles bien sûr, et les têtes nucléaires tactiques US stationnées en Europe d’autre part, – et le second domaine, rarement évoqué, est lui, explosif pour les pays européens et leurs relations avec la Russie.
«Russia seeks clarifications concerning the role of NATO after the Alliance’s scheduled pullback from Afghanistan in 2014. Foreign Minister Sergei Lavrov spoke about this in Brussels Monday after emerging from talks with NATO head Anders Fogh Rasmussen. He said that NATO’s plans to hold exercises to practice a joint rebuff to an aggressor in Northeastern Europe are pointless, because NATO is not under threat in this theatre. […]
»NATO Secretary General Anders Fogh Rasmussen has been invited to a planned conference on Euro-Atlantic missile defense that is being organized by the Russian Defense Ministry. The invitation from Russian Defense Minister Sergei Shoigu was passed to Rasmussen by Russian Foreign Minister Sergei Lavrov during a meeting in Brussels on Monday…»
Il nous paraît très, très difficile de ne pas spéculer que Lavrov, par son silence au téléphone, a entendu mettre les choses au point avec le nouveau-venu au département d’État : désormais, c’est de cette façon que cela se passera entre Washington et Moscou, selon la volonté et le sentiment de Moscou, au regard de ses intérêts, lorsqu’il s’agit de parler avec Washington… La présentation de la rencontre du 26 février comme centrée sur le sort des enfants russes adoptés par des citoyens US ne dément sans aucun doute pas cette spéculation, – puisqu’elle la renforce au contraire, dirait monsieur de La Palice. Il s’agit de la signification, au travers de ces divers signaux, de la volonté des Russes de ne plus coopérer sans garantie expresse avec les USA, mais de faire passer d’abord leurs propres intérêts, et notamment leurs propres intérêts en matière bilatérale.
Ainsi voit-on ce paradoxe qui est tout simplement le produit de la politique étrangère erratique des USA, et du comportement en général extrêmement unilatéraliste d’Hillary Clinton, de ses assurances faites à Lavrov (sur l’accord de Genève sur la Syrie, notamment), aussitôt démenties par des déclarations publiques faites dans telle ou telle enceinte, notamment du type “Amis de la Syrie”. L’homme dont on pouvait attendre qu’il apporterait une certaine modération dans cette politique étrangère US, John Kerry, est accueilli par une séquence assez habile, très russe, destinée à montrer que le temps de la volonté de l’arrangement facile, sinon systématique, avec la Russie, est passé. Sur la Syrie par exemple, puisqu’on en parle beaucoup, , John Kerry va devoir apprendre à vivre avec cette réalité mise en évidence par The Independent (voir le 19 février 2013), – savoir, que la résolution de la crise syrienne ne dépend plus tant d’une entente entre les puissances qui s’agitent autour de cette crise, que du comportement et de la bonne volonté d’une seule de ces puissances, – savoir, la Russie…
«Then there is Russia. While Britain, tentatively supported by France, continues to try to hasten a military resolution to the conflict, Moscow has further undermined those efforts by forging ties of its own with some of the Syrian rebel groups, without sacrificing its support for Mr Assad. As a result it is not inconceivable that Moscow will emerge, sooner rather than later, as the only outside power sufficiently trusted by both sides to mediate between them.»
Cette évolution des rapports entre la Russie et les USA, qui répond à une évolution fondamentale de la situation elle-même sous la poussée unilatéraliste du bloc BAO, et finalement à une rupture de ce que nous nommions “le timon du monde” (voir le 4 février 2013), implique un changement important de méthodologie politique du côté russe. La Russie a acté l’échec du (r)établissement de relations de type néo-guerre froide avec les USA, adaptée aux situations nouvelles et qui auraient été soutenues par un condominium réduit à la seule valeur partagée des deux puissances (le nucléaire stratégique) : ce nouvel équilibre stratégique n’a pas pu être établi à cause du développement du réseau antimissiles principalement, et une meilleure coopération avec les USA s’est également heurtée et se heurte à un échec, comme on l’a vu et comme on le voit notamment avec la crise syrienne.
Parallèlement, les Russes ont également acté l’échec de l’établissement de relations spécifiques de la Russie avec l’Europe, à cause du choix européen de s’intégrer en un bloc BAO avec les USA, et cette relation ratée suivant le même sort que la tentative faite avec les USA. D’une façon générale, il s’agit de la confrontation de la Russie avec une politique-Système dont elle a pu mesurer qu’elle affecte aussi bien l’Europe, intégrées dans le bloc BAO, que les USA.
Il est assez logique d’attendre de la Russie une politique plus exigeante, plus agressive, plus affirmative de ses intérêts, comme on la voit faire désormais avec les USA. Ce sera le cas également, avec l’Europe. (Et il s’agit de l’Europe sans réelle exception, ce qui effectivement correspondrait à la nouvelle politique russe : la France a basculé comme l’on sait dans le bloc BAO, et l’Allemagne, malgré ses liens économiques avec la Russie, n’a aucune capacité diplomatique et politique autonome, qui lui permettrait d’accepter et d’établir des relations particulières avec la Russie.) C’est à la lumière de tous ces constats que nous avons attiré l’attention sur la rencontre de Lavrov avec Rasmussen, l’homme de l’OTAN, et la dureté de ton du Russe venant demander des comptes sur la politique de l’OTAN ; faisant cela, Lavrov s’adressait, à notre sens, beaucoup plus aux Européens en tant que membres du bloc BAO (l’OTAN pour ce cas) qu’aux USA.
Cela implique que les Russes vont faire entrer les Européens dans leur querelle stratégique nucléaire avec les USA qui va se développer comme nous l’estimons (en plus du F&C du 4 février 2013 déjà cité, voir celui du 22 janvier 2013 dont le titre annonce la perspective que nous évoquons ici : «Lugubre perspective Poutine-BHO, avec l’Europe au milieu»)
Dans la perspective que nous dessinons, effectivement l’Europe sera impliquée bien plus qu’elle n’imagine. La tactique russe sera nécessairement de diviser le bloc BAO ; elle l’a toujours suivie, notamment pour tenter de se rapprocher de l’Europe aux dépens des USA… Cette fois, ce sera différent, la Russie n’ayant plus guère d’espoir d’un rapprochement de l’Europe dans les conditions actuelles. Ce qu’elle cherche, d’ailleurs pas nécessairement d’une façon consciente et clairement exprimée mais en suivant la logique structurante de la politique souveraine et principielle qui l’inspire, c’est de briser le bloc BAO, donc de contrecarrer la politique-Système jusqu’à la rupture possible. Son but sera, devra être à notre sens, de susciter le désordre à l’intérieur du bloc BAO, en suivant la technique du contrefeu (le désordre imposé à une politique de désordre peut éteindre le désordre principal et faire naître des conditions nouvelles rapprochant d’un ordre nouveau).
Pour cela, il existe un outil diabolique, un quasi-casus belli… Il ne s’agit pas tant le réseau antimissile BMDE, qui, par son intégration dans un réseau mondial, constitue la querelle centrale entre la Russie et les USA et qui défausse d’autant les pays européens de leurs responsabilités vis-à-vis de la Russie. Il s’agit plutôt ders armes nucléaires tactiques (180 têtes) dont le Pentagone s’entête à imposer leur stationnement sur leur sol à plusieurs pays européens. C’est ce que nous caractérisions rapidement, le 19 février 2013 en évaluant les conditions d’une évolution qu’il faut prévoir très rapide des relations stratégiques Russie-USA (dans le cadre des START), de cette façon :
«La position russe actuelle est donc de dire : nous achevons l’alignement de notre arsenal sur le plafond de 1.550 têtes [de l’accord START-3]. Toute nouvelle proposition de réduction sera examinée, mais en fonction de facteurs précis : le développement des BMD principalement, mais aussi d’autres facteurs déstabilisants comme le stationnement d’armes nucléaires tactiques US en Europe qui, compte tenu de la distance pour atteindre la Russie, peuvent avoir un effet stratégique à prendre compte.»
La position actuelle de l’OTAN et des USA est bien entendu de faire le contraire de ce que réclament les Russes (et d’autres) depuis des années : plutôt que les retirer, moderniser ces systèmes pour les rendre plus performants… (Voir le Guardian du 11 mai 2012.) Dans quel but se demandent les Russes ? Menacer la Russie, donc acquérir une dimension stratégique au service des USA à partir des pays européens concernés (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie) ? On a compris dans quelle logique-Système on se trouve.
Dans l’évolution très rapide qui se développe et si elles ne sont pas retirées, comme ce sera le cas effectivement car le Pentagone ne recule jamais, ces armes nucléaires tactiques deviendront des enjeux d’affrontement sévères, sinon rupturiels, non entre la Russie et les USA, mais entre la Russie et les pays européens concernés d’une part, entre les USA et les pays européens concernés d’autre part, – ici pour le retrait, là pour le maintien. Les pays européens nommés (la Turquie est à part), sont parmi les plus atlantistes et les plus couards dans leurs relations avec les USA. Ils seront placés dans le dilemme imposé par l’affrontement Russie-USA à ce sujet. Ils devront choisir, selon un processus où l’équilibre voire l’existence de l’OTAN, leurs liens avec la Russie d’une part, mais surtout leur sécurité face à la Russie qui devient de plus en plus puissante pour eux à mesure que la puissance du bloc BAO s’effondre, sont en cause. Ainsi renaîtront-ils, hors du cocon européen qui a prouvé sa grande efficacité, aux joies des responsabilités stratégiques et politiques.