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4295Ce texte met en évidence par contraste de l’enthousiasme pour la chute du Mur de novembre 1989, la trahison constante, sans cesse poursuivie pour la suite de l’URSS désintégrée en divers pays, et bien entendu pour la Russie elle-même, – pour des motifs d’abord de simple ignorance, indifférence et inculture (le plus souvent), puis de cynisme, de machiavélisme grossier et d’arrogance. Il y a, depuis la chute du Mur, une “infamie civilisationnelle”, la nôtre, celle de l’Occident, du bloc-BAO, des zombieSystème du “déchaînement de la Matière”, orques et progéniture du diabolisme tout ensemble... Le texte présent poursuit et complète les Notes d’analyse d’hier sur « le kidnapping du Mur »
11 novembre 2019 – Des documents officiels du gouvernement US déclassifiés il y a deux ans (le 12 décembre 2017) et étudiés par deux chercheurs de la Brookings Institution, sont venus apporter une confirmation puissantede l’affirmation des Russes selon laquelle les pays de l’OTAN, et notamment les USA, n’ont pas tenu leur promesse de 1990-1991 de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières de l’Allemagne réunifiée, en échange de l’accord de l’URSS (d'alors) d’accepter cette réunification. (Par traité signé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS avait le droit d’opposer son veto à une telle réunification : son acceptation constituait donc un geste politique d’une force considérable dans le sens de la conciliation.)
Il s’agit d’une importante évolution parce que l’essentiel de l’aspect rationnel de la crise qui oppose aujourd'hui plus que jamais la Russie au bloc-BAO concerne d’abord l’extension de l’OTAN qui se trouve dans l'état actuel de la géographie sur les frontières mêmes de la Russie, dans un mouvement qu’il est difficile de ne pas percevoir comme un encerclement de cette puissance. Le débat est évident puisqu’à l’origine, en 1990-1991, comme l’affirment les Russes et le confirment les documents déclassifiés, une promesse solennelle leur avait été faite que l’OTAN ne dépasserait pas d’un seul “pouce à l’Est” la frontière de l’Allemagne réunifiée… (Notamment ce rappel d’une des formulations parmi d’autres de cette promesse, lorsque « le secrétaire d'État James Baker[affirma] à Gorbatchev que l'OTAN ne s'étendrait pas d’“un pouce à l'est” lors d'une réunion du 9 février 1990 [qui] ne concernait que la réunification allemande... »)
Le site Off Guardian reprit le 15 décembre 2017 un article du même jour de Dave Majumdar dans The National Interest sur ces nouveaux documents déclassifiés.
Nous donnons ici une partie du texte que reprend Off Guardian : « Le leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev avait reçu de nombreuses garanties que l'alliance de l'OTAN ne s'étendrait pas au-delà de ce qui était alors la frontière de l'Allemagne de l'Est en 1990, selon de nouveaux documents déclassifiés.
» Les dirigeants russes se plaignent souvent que l'OTAN ait invité la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie d'alors à rejoindre l'alliance en 1997 au sommet de Madrid en violation des assurances données à l'Union soviétique avant son effondrement de 1991. L'alliance a rejeté la notion que de telles assurances avaient été données [aux Russes] ; cependant, les chercheurs ont continué à débattre de la question pendant des années. Désormais, les documents nouvellement déclassifiés montrent que Gorbatchev a reçu des assurances que l'OTAN ne s'étendrait pas au-delà de l'Allemagne de l'Est.
» “Les documents montrent que plusieurs dirigeants nationaux avaient considéré et rejeté l'adhésion de l'Europe centrale et orientale à l'OTAN au début de 1990 et jusqu'en 1991”, écrivent les chercheurs de l'Université George Washington, Svetlana Savranskaya et Tom Blanton. “Les discussions de l'OTAN dans le contexte des négociations d'unification allemandes en 1990 ne se limitaient pas au statut du territoire de l'Allemagne de l'Est, et les plaintes ultérieures soviétiques et russes d'être trompées sur l'expansion de l'OTAN étaient et sont fondées aux plus hauts niveaux.”
» En effet, les présidents russes Boris Eltsine et Vladimir Poutine se sont plaints amèrement de l'expansion de l'OTAN vers leurs frontières, malgré ce qu'ils croyaient être des assurances contraires. “Qu’est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces déclarations aujourd'hui ?” demandait Poutine lors de la Conférence de Munich sur la politique de sécurité en 2007. “Personne ne s'en souvient. Mais je me permettrai de rappeler à ce public ce qui a été dit. Je voudrais citer le discours du Secrétaire général de l'OTAN, M. Woerner, à Bruxelles le 17 mai 1990. Il a déclaré à l'époque que : ‘le fait que nous sommes prêts à ne pas placer une armée de l'OTAN hors du territoire allemand constitue une ferme garantie de sécurité pour les Soviétiques.’ Où sont ces garanties ?” »
Pour explorer cette question vitale et essentielle dans la crise qui oppose la Russie au bloc-BAO, nous reprenons l’essentiel d’un texte que nous publiâmes le 5 septembre 2008, à l’occasion de la crise géorgienne où il était déjà question de cette affaire de l’expansion de l’OTAN. Nous en modifions la forme selon la formule des Notes d’Analyse, en ajoutant ici et là quelques précisions que nous jugeons utiles et qui ont un intérêt et une importance non négligeables. Pour le principal, l’essentiel de ce que donnait ce texte reste absolument valable aujourd’hui, sinon encore plus pertinent à la lumière des nouveaux documents déclassifiés mais aussi des événements survenus depuis.
Ce texte du septembre 2008 reprenait lui-même des éléments d’un texte alors à paraître d’une rubrique de notre Lettre d’Analyse dde&e, comme nous le signalions alors sous cette forme : « Dans notre prochain numéro de la Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie, Volume 24 n°01 du 10 septembre 2008, nous consacrons la rubrique Analyse à cette question de l’élargissement de l’OTAN en examinant les conditions de son origine et de son lancement, sous le titre “Sur l’origine accessoire de la crise”. »
Il devrait apparaître évident à tout esprit normalement critique et normalement informé que l’OTAN est aujourd'hui une “machine de guerre” américaniste antirusse, destinée à encercler la Russie et à exercer une pression grandissante sur ce pays. Elle l’est principalement au travers de la dynamique d’élargissement, que les Américains aimeraient voir poussée au moins jusqu’à la Géorgie et l’Ukraine.
(Cette remarque déjà valable en 2008 l’est toujours aujourd’hui, sauf qu’elle doit être nuancée par les capacités et la situation US, ainsi que par le désaccord grandissant entre les USA et l’UE. Cet affaiblissement radical, voire cet effondrement notamment de la puissance et de l’influence US, rendent de moins en moins possibles de tels projets, du point de vue “opérationnel”. Mais l’esprit de la chose, qui est l’encerclement agressif de la Russie, subsiste plus que jamais, la tromperie touchant aussi ceux qui la génèrent quant à leurs propres capacités.)
Sans doute, sans aucun doute l’OTAN est aujourd’hui cette “machine de guerre” antirusse, même si elle n’en a aucun moyen militaire acceptable pour cette tâche, – cela fait partie du déséquilibre psychologique complet des américanistes-occidentalistes, de leur présence dans un univers différent du vrai monde. Cette orientation agressive de l’OTAN admise, les esprits logiques, notamment et surtout chez les antiSystème trop influencés par le Système et sa puissance, en tirent la conclusion évidente, sinon rationnelle, qu’il en est ainsi depuis l’origine, que l’élargissement de l’OTAN fut une stratégie minutieusement élaborée pour ce but de l’encerclement de la Russie, qu’il y avait un plan mûrement conçu. Tout cela est logique.
Tout cela est logique mais inexact. (Le “plan” existait certes chez les plus extrémistes qui ont toujours des “plans” d’agression mondiale, les neocons sans aucun doute, mais ils n’avaient alors qu’une très faible influence sur la politique extérieure US comme l’avait montré le rejet brutal par Bush-père du “plan d’hégémonie” mondiale de Wolfowitz au printemps 1992. Les neocons n’avaient pas encore leur appareil de relations publiques qui se développa dans les dernières années 1990 pour donner son plein effet à partir de 9/11 parce qu’à partir de là cette clique et sa pensée extraordinairement agressive convinrent parfaitement au déchaînement de la politiqueSystème.Les neocons ne sont pas les concepteurs de la politiqueSystème mais leurs exécutants.)
Si le fait de l'élargissement de l'OTAN est devenu cette “machine de guerre”, c’est, disons, par enchaînement mécanique qui place le moyen de la chose chronologiquement avant la chose, un peu comme “la fonction crée l’organe”, – et ce serait alors : “la dynamique crée la stratégie”, ou, encore plus platement, “le mouvement crée l’objectif”. Au départ, l’élargissement de l’OTAN n’avait nullement l’objectif de la Russie. La chose est bien plus triviale, bien plus médiocre que cela.
Comme déjà signalé, nous consacrions la rubrique Analyse dans le numéro Volume 24 n°01 du 10 septembre 2008 de la Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie, à cette question de l’élargissement de l’OTAN en examinant les conditions de son origine et de son lancement, sous le titre « Sur l’origine accessoire de la crise ». Nous commencions l'analyse par la question de l’élargissement de l’UE vers les pays de l’Est, dont le processus fut lancé avant celui de l’OTAN et qui fut fortement soutenu par les USA, non pour “encercler” la Russie mais pour empêcher l’UE de se forger une politique trop indépendante des USA, et concurrente des USA. La pénétration de l’influence US dans les pays d’Europe de l’Est eut donc pour but d’abord, pour les USA, d’en faire des “agents des USA” au sein de l’UE, contre la logique éventuellement indépendante et concurrente des USA de l’UE.
Sur le point central de la “décision” de lancer cette politique d’élargissement de l’OTAN, nous apportions quelques précisions sur certaines de nos sources que nous gardions anonymes à l’époque mais qui peuvent aujourd’hui être mieux identifiées. L’une d’entre elles, dans les milieux de sécurité nationale (OTAN) de Bruxelles, avait tissé des liens avec l’un des adjoints du directeur du NSC de l’administration Clinton (le NSC, ou National Security Council, étant le “gouvernement de sécurité nationale” personnel du président). Début 1995, son interlocuteur du NSC disait à notre source ne rien comprendre au changement de politique en faveur de l’élargissement qui venait d’être ordonné, « mais puisqu’il faut l’appliquer, nous commençons à chercher des arguments valables, et surtout en nous gardant bien d’inquiéter la Russie ». Nous avons même souvenir d’un témoignage direct, venu d’un dîner en ville à Bruxelles, auquel participait le nouvel ambassadeur US à l’OTAN Alexander Vershbow (en 1998, peu après sa nomination), et celui-ci affirmant : « Eh oui, c’est la politique officielle de mon pays, l’élargissement. Nous ne savons pas pourquoi elle a été décidée mais nous nous appliquons désormais à la développer. »
Cette description des débuts erratiques et sans finalité antirusse (sans aucune finalité, d’ailleurs) de “la politique de l’élargissement” n’exonère nullement de leur responsabilité les gouvernements concernés (occidentaux, essentiellement américanistes) dans la situation présente. Cette responsabilité se trouve d’abord dans leur irresponsabilité : leur incapacité de prévoir des politiques à long terme, leur incapacité d’envisager les conséquences politiques de leurs actes jusqu’aux plus accessoires, ou ceux qu’on considère alors qu’on les pose comme accessoires, leur incapacité de résister à l’appropriation de la politique par des groupes incontrôlés et douteux. Il ne reste plus ensuite qu’à suivre une “politique” qui s’est imposée par la seule dynamique d’une mécanique incontrôlée, et aux historiens assermentés et bien en cour, et qui jouent le jeu du pouvoir en place (avec lui ou contre lui), qu’à récrire quinze ans ou un quart de siècle plus tard une histoire rationnelle et cohérente qui corresponde aux catastrophes d’aujourd’hui.
La réalité est que rarement une époque de si grands bouleversements et de politiques si extrêmes qu'est la nôtre n’aura été aussi peu préparée, aussi peu conçue, aussi peu embrasséedans ses effets et ses composants. Mais l’on comprendra évidemment, la formule est trop tentante pour l’écarter, que ceci (l’absence de l’esprit) explique sans doute cela (le bouleversement).
Un autre point essentiel à signaler est le complet changement d’esprit qui arriva avec Clinton et son équipe. Son “That’s economic, supid” de sa campagne présidentielle de 1992 avait de très fortes implications, bien plus qu’électorales. Pour cette équipe, nous étions vraiment entrés dans “la fin de l’Histoire” (Ave et thank you, Fukuyama) et les questions de sécurité nationale n’avaient plus du tout l’importance d’antan. Du coup, une question comme l’élargissement de l’OTAN était surtout utilitaire et ne posait à aucun de ces personnages des préoccupations majeures ; quant à la parole donnée ; c’était une sorte de vestige de la préhistoire... (Bien entendu, cet état d’esprit commença à se modifier avec la guerre du Kosovo, à une vitesse en augmentation exponentielle, puis avec 9/11, etc.)
C’est impérativement dans le contexte de l’évolution de l’UE vis-à-vis de l’élargissement qu’il faut placer la question de l’adhésion à l’OTAN des pays d’Europe de l’Est. Cette question est, au départ, secondaire et annexe à la question de l’intégration dans l’Europe, et non le contraire. Au départ, justement, l’engagement occidental et particulièrement US était, comme cela vient d’être confirmé par les nouveaux documents déclassifiés, qu’il n’y aurait pas d’élargissement de l’OTAN vers l’Est.
Comment cette situation change-t-elle ? Bien sûr, il y a la pression commençante des pays concernés, de l’ex-Europe communiste, qui envisagent l’entrée dans l’OTAN parallèlement, voire prioritairement à l’entrée dans l’UE. Mais cette position-là n’a strictement aucune importance ni le moindre poids au départ. Du côté américain, jusqu’en 1993-94, il n’est pas question d’un tel élargissement, dans tous les cas dans les cercles politiques et stratégiques. Ce qui va imposer le cas au premier plan de la réflexion, c’est une circonstance électorale. A la fin 1993, on prépare les élections mid-term aux USA et les démocrates commencent à craindre de solides déboires. (Ceux-ci seront confirmés, par une formidable défaite en novembre 1994, qui plongera Clinton dans une dépression profonde pendant quelques mois.) Toutes les énergies, tous les arguments doivent être rassemblés. Dans la région de Chicago, où les démocrates ont un fort point d’appui électoral avec une minorité d’origine polonaise, un important élu démocrate, qui tient cette région, vient d’être inculpé pour corruption et disparaît du jeu. Il faut à tout prix reprendre l’électorat en main. Sollicitée par le parti, l’administration Clinton propose de lancer l’idée d’une adhésion de la Pologne à l’OTAN. Présenter cette idée comme une promesse de l’administration doit ramener les Polonais-Américains, qui réclament à grands cris cette mesure, du côté du parti démocrate. Cette idée implique évidemment le principe de l’élargissement de l’OTAN, qui devient ainsi, subrepticement, la politique de l’administration Clinton...
Cela est en complète contradiction avec la politique suivie jusqu’alors. Dans notre numéro de notre Lettre d’Analyse dd&e du 10 octobre 1994, nous écrivions : « L’année dernière, à la même époque (le 21 octobre 1993 exactement, à la réunion des ministres de la défense de l’Organisation [l’OTAN]), les États-Unis présentaient l’idée du “Partnership for Peace” (PfP, ou “Partenariat pour la Paix”). Le but [opérationnel] était clair et double : apaiser les pays d’Europe de l’Est qui réclamaient leur entrée dans l’OTAN, sans inquiéter ni isoler la Russie. L’interprétation politique du PfP était également claire : l’initiative renvoyait aux calendes grecques le problème de l’élargissement. »
Mais les événements fondamentaux (!) qu’on a vus concernant l’électorat polonais-américain dans la région de Chicago eurent lieu et la “politique” de l’administration Clinton changea du tout en tout. Lorsque le vice-président Al Gore glisse, dans son discours de Berlin du 9 septembre 1994 (pour la cérémonie de retrait des forces alliées d’occupation accompagnant le retrait russe de l’ex-RDA), « Nous allons commencer des discussions sur l’élargissement de l’OTAN d’ici la fin de l’année », il prend complètement de court et à contre-pied toute la communauté et la bureaucratie stratégiques de Washington. C’est une idée du domaine de la communication (et non stratégique, sinon de stratégie électorale) de la Maison-Blanche. Elle est adoptée et développée sans consultation d’aucun service et département de sécurité nationale, ni de personne d’autre, et c’est une idée directement en connexion avec la situation électorale. Les experts US resteront pendant longtemps sans comprendre la cause stratégique de ce revirement qui contredit la politique officielle établie avec le PfP.
Encore faut-il observer, pour en avoir l’esprit net, que la décision est accompagnée d’une précision importante. Al Gore détaille bien la démarche qu’il propose : recherche d’un élargissement de l’OTAN « sans exclure la Russie ». Dans un superbe article sur la crise de Géorgie le 19 août 2008, William Pfaff rappelle ceci : « Le président Clinton déclara à Boris Eltsine que l’expansion de l’OTAN stopperait avec les pays européens annexés au bloc soviétique par l’armée russe durant et juste après la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, la Hongrie, la république tchèque et la Pologne, victimes spécifiques de la guerre froide [lancée] par l’URSS furent les premiers à être admis dans l’OTAN. » En d’autres mots, jusqu’à ce qu’il soit lancé, en 1995, et même encore à cette époque, le processus d’élargissement n’a aucune finalité stratégique fondamentale et ne contient qu’une seule préoccupation politique : éviter à tout prix que la Russie se sente menacée, encerclée ou isolée. Il n’empêche que l’inverse exactement va se produire. Observé par un esprit rationnel, – il n’en manque pas à Moscou, – l’élargissement de l’OTAN va apparaître de plus en plus comme ayant une finalité stratégique et cela sera exactement celle qu’on voulait empêcher qu’il parût avoir : donner à la Russie l’impression d’être menacée, encerclée et isolée.
Il est essentiel de bien apprécier ce qu’on pourrait, ce qu’on devrait qualifier de mesure psychologique fondamentale de la crise. A ce point de notre exposé, il n’y a aucune hostilité fondamentale de l’Ouest à l’encontre de la Russie, y compris de la part des USA. L’élargissement de l’OTAN, subi dans l’esprit de la chose bien plus qu’initié comme une contrainte des complications de la politique politicienne US, suit la même logique que l’élargissement de l’UE. C’est une mesure de tentative de réarrangement de l’ordre européen selon des intérêts divers plutôt agréables à l’Ouest, après le choc de la fin de la Guerre froide, et mesure qui n’implique en aucune façon d’isoler ou d’encercler la Russie.
Les poussées du capitalisme sauvage en Russie, d’inspiration et de manipulation US, jusqu’à la crise russe de 1998, ne peuvent en aucune façon être interprétés comme un mouvement d’agression contre la Russie, relié alors selon cette interprétation aux élargissements en cours en Europe. Il s’agit simplement de la logique du capitalisme, point final, – telle est la pensée évidente de l’establishment washingtonien, de l’administration Clinton, de Wall Street, etc. Il faut résolument isoler cet aspect des motifs pour bien comprendre l’évolution des événements jusqu’à la situation actuelle. Quoi qu’il en paraisse en réalité, et d’ailleurs au plus juste des propos, l’état d’esprit US n’était au départ de cette aventure nullement antagoniste de la Russie. Il faut accepter ce phénomène.
Certes, la question se pose aussitôt : comment en est-on arrivé à une situation complètement inverse des intentions de départ, sur ce point essentiel du “traitement stratégique” de la Russie ? Mais d’abord s’impose le constat qu’effectivement, malgré les précautions diverses prises pour mettre en évidence qu’il ne fallait en aucun cas que la Russie fût inquiétée par l’élargissement, l’élargissement portait un puissant poids déstabilisant à cet égard. C’est de ce point de vue qu’on peut parler d’une “mécanique”, d’une dynamique qui s’est entretenue d’elle-même, qui a rejoint par ailleurs un courant général de transformation de la politique occidentale en une politique imposée par une mécanique de système.
Deux faits fondamentaux sont intervenus pour orienter la perception de l’élargissement et effectivement transformer l’élargissement en un mouvement d’encerclement de la Russie qui ne pouvait et ne peut être jugé que comme intrinsèquement agressif. Il s’agit d’un fait structurel et d’un évènement conjoncturel.
Le fait structurel est l’accélération, aux USA essentiellement, de la “privatisation” de la politique parallèlement à l’évolution de l’état d’esprit aux USA, et particulièrement avec l’administration Clinton en faveur de l’économie, du libre-échange, de la libéralisation, etc., vers le Graal que constitue la globalisation. L’accélération décisive fut imprimée sous l’administration Clinton, poursuivie et amplifié avec les deux mandats Bush. Cette “privatisation” acheva de transformer la politique américaniste en une créature des “intérêts privés” et des “groupes de pression”. La pénétration de ce phénomène dans la politique extérieure fut considérable et l’activisme US en Europe de l’Est dès la fin des années 1990 était essentiellement le fait de groupes de pression émanant de l’industrie d’armement intéressée par le rééquipement des anciens pays communistes, de l’industrie pétrolière intéressée par toutes les perspectives énergétiques dans la grande région du Caucase, de groupes idéologiques liés à ces industries (les neocons qui sortent ainsi de leur position d’attente et s’allient à l’industrie d’armement), d’instituts et d’ONG avec des intérêts économiques et idéologiques.
Tous ces groupes trouvèrent par tous les moyens habituels des activités d’influence des relais impeccables dans les pays d’Europe de l’Est. Dans ces pays, les nouveaux dirigeants et les bureaucraties venaient souvent des anciennes directions communistes, et parfois des dissidents du communisme, et tous affichaient par opportunisme ou par conviction des idées anticommunistes et antirusses. D’une façon évidemment naturelle, tous ces groupes trouvèrent un pôle d’activité commune dans une hostilité grandissante à la Russie. Très vite, leurs activités de relations publiques se concentrèrent sur des visées politiques, qui ouvraient le champ à leurs intérêts privés. Ce sont ces groupes qui machinèrent aussi bien le soutien des pays d’Europe de l’Est à la guerre en Irak (“les dix de Vilnius”, rassemblés par l’activisme de personnages comme un Bruce P. Jackson, à la fois neocon et vice-président de Lockheed Martin jusqu’en 2001), que les “révolutions de couleur” antirusses, que la promotion, pour divers pays, de l’entrée dans l’OTAN prenant de plus en plus des allures antirusses. La bureaucratie de Washington assura de plus en plus nettement son soutien à ces groupes, dans un réflexe expansionniste à partir de 1995-96 (intervention US en ex-Yougoslavie avec l’accord de Dayton de novembre 1995), et sans plus aucune restriction à partir de la guerre du Kosovo et de l’attaque du 11 septembre 2001.
Deuxième élément, cet “évènement conjoncturel” déjà noté, la guerre du Kosovo fut entreprise à l’Ouest pour des motifs confus, et beaucoup plus avec l’idée de la coopération avec une Russie docile (coopération effective d’ailleurs) que dans un esprit d’hostilité vis-à-vis de ce pays. Première guerre complètement virtualiste au point d’en faire un sujet de roman, la guerre du Kosovo fut menée par l’Ouest, pas encore vraiment bloc-BAO, en toute illégalité et en toute impunité, dans des conditions d’infamie et de lâcheté exceptionnelles, et avec un état d’esprit désormais hyper-humanitaire qui ouvrait la nouvelle ère des “tueries innocentes” de la contre-civilisation occidentale. Il se dit souvent, et c’est très-probablement pure vérité quand on connaît son parcours politique depuis tandis que Bill est limité aux escapades vers la “pedo-island” d’Epstein, qu’Hillary Clinton fut le principal stratège de cette guerre “humanitaire“, poussant sans arrêt le pauvre Bill rescapé des frasques avec Monica Lewinsky dans une surenchère des bombardements. Nul, parmi ces esprits postmodernes-tardifs, n’imaginait une seconde que les Russes ne seraient dans ces conditions pas convaincus dans l’enthousiasme et la reconnaissance, et une fois pour toutes, d’entrer dans le rang des conceptions et des consignes américanistes-occidentalistes.
Tout au contraire bien entendu, parce que les Russes sont les Russes, cette guerre fut ressentie en Russie comme profondément antirusse, pour des raisons évidemment compréhensibles. (Le chroniqueur serbe Nebojsa Malic écrivait le 28 août 2008 : « Le dissident de légende Alexandre Soljenitsyne, décédé récemment, argumentait que la guerre du Kosovo avait complètement pulvérisé les illusions des Russes à propos de l’Ouest. Ce ne peut être une coïncidence si, très peu de temps après qu’Eltsine ait laissé Belgrade à son sort entre les mains de l’OTAN, il abandonnait le pouvoir tandis que Poutine y accédait. ») La Russie nota la complète illégalité du point de vue du droit international du cadre où s’était déroulée cette guerre : ce précédent pouvait faire craindre le pire pour l’avenir. On sait comment s’est achevée l’aventure (indépendance du Kosovo en février 2008) et le choc que cela a causé en Russie. Les Européens comprenaient l’effet désastreux de cette décision d’indépendance mais n’y opposèrent aucune résistance sérieuse. A Washington, la cause des Kosovars disposait d’un réseau serré et efficace de lobbies privés. L’affaire était bouclée.
A partir de la guerre du Kosovo, effectivement, les événements s’enchaînèrent, comme on en a vu quelques-uns. C’est en 2002 que la promotion active pour le déploiement de missiles antimissiles US en Europe de l’Est fut lancée, sous la direction du neocon et obscur fonctionnaire du département d’État sous GW Bush John Bolton, promis comme l’on sait désormais à un destin glorieux mais court. Le phénomène des “révolutions de couleur” fit son apparition. Les derniers pays de l’Est, exsudant un antirussisme d’un radicalisme extrême se pressaient aux portes de l’OTAN. Désormais, l’“ennemi russe” était à nos portes, nous qui avions repoussé nos portes aux portes de la Russie.
Le discours de Poutine à la Wehrkunde de Munich de février 2007 montra que les Russes commençaient à comprendre. L’année suivante, avec la guerre de Géorgie, il apparaissait clairement qu’ils avaient compris. Le reste, jusqu’à aujourd’hui, nous le connaissons, avec cette extraordinaire transformation du bloc-BAO en robot d’un déterminisme-narrativiste identifié avec certitude depuis la crise ukrainienne et qui achève d’emprisonner complètement le bloc dans l’obsession catastrophique de cet antirussisme qui prend en charge tout le poids de la maladie sans remède affectant la psychologie suprémaciste de cette contre-civilisation.
Arrivé à ce point terminal du développement “stratégique” de l’évolution-extension de l’OTAN comme principal legs de la chute du Mur, et évolution stratégique explicable par le dérisoire, l’irresponsabilité, l’accident, la démagogie électorale, la cupidité et l’appât du gain, et éventuellement la vanité sous forme d’un hybris incroyablement bas et prétentieux (le plan de Wolfowitz et la clique-neocon), il est évident qu’il nous faut passer à une explication plus vaste pour expliquer notre évolution jusqu’à ce champ de ruines animé de secousses telluriques de plus en plus fortes vers l’effondrement qu’est notre étrange époque présente. Il s’agit d’une explication passant par l’exacerbation de la psychologie accouchant d’une idéologisation de la stratégie, – ou si l’on veut, un simulacre de stratégie satisfaisant l’exacerbation psychologique. A ce prix, l’on conduit l’aventure de la chute du Mur à son terme catastrophique, c’est-à-dire nous, c’est-à-dire eux devant l’effondrement.
Ainsi peut-on considérer que cette évolution chaotique, sans but stratégique précis au contraire de ce que le jugement rationnel antiSystème affirme aujourd’hui, constituait en fait la formation d’une situation stratégique complètement idéologisée jusque dans ses fonctions sociétales (LGTBQ) qui justifierait, permettrait et structurerait le déchaînement psychologique auquel on assiste depuis 2001 (depuis 9/11, bien entendu). Bien entendu, il s’agit dans notre chef d’une hypothèse qui présuppose que l’action humaine n’est absolument pas rationnellement ni consciemment comptable de tous les événements politiques et stratégiques auxquels on assiste, ce qui est une de nos convictions.
Il s’agit en effet de pouvoir apprécier le socle événementiel qui, à la fois, suscite, anime et justifie la démence de la psychologie qui caractérise actuellement le comportement humain, lorsque ce comportement est observé objectivement, et notamment dans ses effets de déstructuration et de dissolution du cadre civilisationnel, –, ou prétendument civilisationnel, au point où nous en sommes, – où nous évoluons. La période qui a suivi la chute du Mur, qui s’est notamment inscrite dans la façon dont l’OTAN a évolué contre toute raison stratégique, contre toute mesure de l’équilibre et de l’harmonie nécessaires à l’établissement d’un équilibre fécond, ne s’explique par rien de ce qui a précédé, et notamment par rien de l’action essentielle de Gorbatchev ; elle s’explique par contre complètement par tout ce qui a suivi jusqu’à nous, c’est-à-dire par la démence de la psychologie qui suscite et conditionne l’effondrement civilisationnel qui est absolument nécessaire à la marche de l’univers, cette démence ayant besoin d’un cadre dynamique pour s’exprimer et se développer.
C’est donc au regard de notre situation catastrophique présente que la chute du Mur doit être observée et comprise, et nullement selon un raisonnement s’appuyant sur un simulacre stratégique complètement idéologisé et confié à un hybris, – lui-même simulacre d’hybrisdans le chef de la puissance américaniste devenue complètement folle après avoir mesuré son impuissance totale dans les aventures qui ont suivi 9/11. La chute du Mur n’est nullement une “libération” d’un empire soviétique déjà complètement désintégrée, mais la naissance c’un simulacre qui allait permettre à la psychologie civilisationnelle de notre suprémacisme d’exprimer toute sa démence. Nous y sommes.