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476110 novembre 2019 – Il s’agit donc de “commémorer” cet événement du 9 novembre 1989. Nous devrions le faire avec d’autant plus d’allant que nous avons vécu avec une très grande intensité cette époque, notamment depuis le 9 mars 1985 et l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev, – dans le chef de notre ancêtre dans les arcanes de ce site, Philippe Grasset, alors fermement installé à Bruxelles. (Voir notamment notre série improbable sur les “journalistes Made in CIA”, le 20 octobre 2014, le 22 octobre 2014, etc., où PhG tint son rôle.)
Nous avions choisi en novembre 2014 (vingt-cinquième anniversaire de la chute du Mur), et la proposons à nouveau aujourd’hui, une méthodologie spécifique pour donner à l’événement l’ampleur qui importe, c’est-à-dire en établissant son lien avec notre époque. Plus encore, nous avions choisi et conservons ce choix de baser cette méthodologie sur un texte archétypique des distorsions de l’historiographie-Système de la période. Le texte est assez clair, quoique d’une brièveté également élégante, pour qu’on y trouve les principaux éléments faussaires qui permettent d’articuler notre propos, – lequel sera bien entendu critique. Il n’est de meilleure assise pour se faire bien comprendre que de prendre appui sur l’argument de l’adversaire, lorsque cet adversaire possède la puissance dominante (le Système) qu’il entend justifier, légitimer et pérenniser par une réécriture de l’histoire qui conduit à cette position.
(Et, sans aucun doute, nous parlons de “réécriture automatique”, presque dans le sens d’“écriture automatique”, c’est-à-dire venue naturellement d’un esprit nullement contraint, presque spontanément et sans direction autoritaire de la raison, tant cet esprit est devenu totalement esprit-Système sous l’empire d’une psychologie corrompue dans ce sens. Donc, le faussaire est involontaire, la narrative règne comme si elle était aussi légitime qu’une famille régnante depuis des siècles, – et quasiment de droit divin.)
Le texte, portant ce titre (Annus Mirabilis: The Road to 1989, and Its Legacy), publié par le German Marshall Fund (GMF), par Ivan Vejvoda, vice-président du GMF et qu’on peut caractériser pour son orientation par sa position de Directeur de la Fondation Soros à Belgrade de 1998 à 2002, est re-publié en Ouverture libre ce 10 novembre 2019.
Nous avons rajouté à ce texte nos interventions habituelles pour marquer les passages qui nous intéressent, par des soulignés en gras de certains mots, groupes de mots, voire paragraphes entiers (c’est rare), comme c’est le cas ici. Nous allons nous attacher à ces passages du texte avec souligné en gras.
Laissons les deux premiers paragraphes. Ils présentent l’événement d’il y a vingt-cinq ans de la chute du Mur, puis reprennent les événements de désordre, contestations et révoltes qui marquèrent l’histoire tumultueuse de l’Europe de l’Est sous domination soviétique de 1953 (révolte de Berlin-Est deux mois après la mort de Staline, brutalement réprimée et étouffée) jusqu’à la révolte polonaise de Solidarnosc de 1980-1981 qui ne fut jamais complètement réduite jusqu’au processus de 1988-1989 faisant passer par étapes successives la Pologne du statut communiste au statut libéral. Attachons-nous au troisième paragraphe, qui reprend l’action de l’URSS, dans le chef de Gorbatchev à partir de sa désignation comme Premier Secrétaire du PC de l’URSS le 9 mars 1985.
« L'apparition de Mikhaïl Gorbatchev à la tête de l'Union soviétique en 1985 a conduit aux modestes ouvertures politiques de la glasnost (publicité de l’information) et de la perestroïka (mouvement réformateur économique). Gorbatchev est arrivé avec sa doctrine “My Way” qui consista à laisser les pays satellites soviétiques suivre leur propre voie,renonçant ainsi à l'emprise de Moscou sur l'Europe centrale et orientale. Cela a conduit à des ouvertures en cascade, – la disparition des structures autoritaires, l'adoption progressive des institutions politiques démocratiques et l'évolution progressive des économies de marché fondées sur l'État de droit, – en Pologne, Hongrie, Allemagne de l'Est, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie et Albanie. »
Il y a deux remarques principales à faire, qui sont historiquement fondamentales pour comprendre non pas seulement le 9 novembre 1989 (chute du Mur) mais le 9 novembre 1989 dans la dynamique qui y conduisit et par rapport à cette dynamique qui le dépassa et conduisit à la situation se développant dans les années 1990, accouchant de domaines fondamentaux de cette époque qui, au moins depuis 9/11, est la nôtre.
Ce membre de phrase, – les « modestes ouvertures politiques de la glasnost (publicité de l’information) et de la perestroïka (mouvement réformateur économique) » – est, avec un seul mot, une monstruosité historique dans le sens d’être un faussaire de l’histoire, un faux-monnayeur de la mémoire. Ce mot (“modeste”) suffit effectivement à ce verdict. Il nous paraît tout simplement d’une impudence extraordinaire d’écrire une telle phrase, non pas par rapport à un débat d’idées mais par rapport à une “vérité de situation” que nombre de personnes ont vécu au jour le jour (dont PhG, comme signalé plus haut).
Nous avons déjà signalé l’importance de l’action de Gorbatchev, dans plusieurs articles (voir, par exemple, le texte du 12 mai 2008, qui reprend un article de PhG du début de 1986, à partir d’un témoignage d’une Soviétique, montrant les effets instantanés et colossaux de la glasnost en URSS, dès novembre 1985). Bien plus que la perestroïka, qui vint après et fut d’effets très contradictoire, avec le vice terrible de préparer la mise à l’encan de la Russie par le capitalisme sauvage dans les années 1990, la glasnost fut un événement psychopolitique colossal, une révolution psychologique sans aucun précédent dans l’histoire par sa forme et son efficacité. Cet événement déchaîna aussitôt une libération de l’esprit, et, fondamentalement, en URSS même avant de toucher les satellites de l’Europe de l’Est.
Bien plus encore, les effets de la glasnost affolèrent et paniquèrent l’Occident, les USA, l’Europe, l’OTAN, bien plus que Gorbatchev lui-même et ses conseillers. L’Occident se trouvait devant un effondrement structurel accéléré, non pas du monde communiste dont il ne devinait pas une seconde le destin, mais de tout ce qui structurait et maintenait une certaine stabilité stratégique et politique en Europe, entre les deux blocs. A partir de 1985, les Occidentaux freinèrent constamment la révolution de la glasnost, sans aucun succès, absolument paniqués par l’audace du comportement de Gorbatchev et ses effets. Les mesures unilatérales de désarmement de Gorbatchev (retrait des forces soviétiques de divers pays d’Europe de l’Est) plongeaient les stratèges occidentaux dans l’angoisse et une incompréhension totale (assorties de rumeurs de complots du KGB mettant en scène un effondrement de l’Empire pour mieux piéger l’Occident, – comprenne qui pourra mais cette thèse a encore des adeptes). Le jour même de l’effondrement du Mur fut vécu par la hiérarchie militaire occidentale comme un jour d’alerte maximale pour les forces qu'elle commandait, devant quelque chose de complètement inconnu et d'incompréhensible.
(Témoignage du temps d’alors, dans La Lettre d’Analyse dedefensa & eurostratégie du 10 novembre 1989 : « “Il existait deux points intangibles dans nos analyses de l’évolution en Allemagne de l’Est, dont l’éventuelle réforme se ferait très lentement [par rapport aux autres pays tels la Hongrie et la Pologne], à cause du cadre stalinien et policier où elle se trouvait, de l’autodiscipline allemande et du relatif succès économique. L’autre était que l’URSS permettrait l’évolution au-delà de laquelle elle imposerait un coup d’arrêt. Eh bien, en quelques semaines ces deux points ont été totalement démentis”. Ces quelques mots, dits par une source à l’OTAN, font mesurer le désarroi où se trouvent les experts occidentaux devant l’évolution de la situation en Europe Centrale et de l’Est, mais essentiellement en Allemagne de l’Est.
» La plus grande source d’étonnement des experts de l’OTAN est certainement la “passivité soviétique”, et encore plus si l’on considère le rôle actif que jouent les Soviétiques dans le processus en Europe Centrale et de ‘Est. Selon leurs analyses, le point qui était jugé insupportable pour l’URSS est largement dépassé en Allemagne de l’Est. Cela ne modifie en rien l’attitude des Soviétiques. Ceux-ci suscitent et attisent les réformes, faisant montre d’un activisme très réel, puis ils se font totalement passifs devant les effets de ces réformes et leur caractère incontrôlable. Quelle analyse peut-on faire de cette attitude ? s’interrogent les experts. Devant le déroulement des événements, il semble qu’il faille admettre la dernière attitude plausible : “L’URSS est tellement absorbée et préoccupée par ses problèmes internes que plus rien d’autre ne compte pour elle”... »)
Les Occidentaux furent constamment à la remorque de la “modeste” révolution colossale lancée par Gorbatchev et, en septembre 1989, ne voyaient la réunification de l’Allemagne au mieux que pour après 2000. (Sauf la fameuse exception de l’ambassadeur US à Bonn, Vernon Walters, ancien interprète d’Eisenhower et ancien n°2 de la CIA, qui prévoyait justement cette réunification pour les deux ou trois années à venir, – mais personne ne prêta la moindre attention à son évaluation, jugée comme absolument farfelue...)
L’emploi du mot “modeste” dans le texte cité constitue un tribut fameux rendu au succès du Système à imposer sa réécriture absolument invertie de l’histoire récente.
Un deuxième aspect de ce passage est choquant, dans l’enchaînement des deux affirmations soulignés par nous, qui donne une impression absolument fausse du sens et du contenu de l’évolution des événement : « L'apparition de Mikhaïl Gorbatchev à la tête de l'Union soviétique en 1985 a conduit aux modestes ouvertures politiques de la glasnost (publicité de l’information) et de la perestroïka (mouvement réformateur économique). Gorbatchev est arrivé avec sa doctrine “My Way” qui consista à laisser les pays satellites soviétiques suivre leur propre voie... »
L’impression que laisse ce passage, avec ce qui suit où sont exaltées la grande sagesse des Occidentaux épuisant l’URSS par une nouvelle course aux armements (argument totalement faux) et le combat pour leur libération des peuples d’Europe de l’Est à ce moment précis (faux également, – s’ils se battirent effectivement ce ne fut pas à ce moment), peut être résumée comme ceci : 1) d’abord la “modeste” glasnost de Gorbatchev qui joua un rôle mineur ; 2) ensuite la doctrine dite-My Way de Gorbatchev, dont on comprend à demi-mot ou entre les lignes qu’elle fut imposée par la pression des peuples voulant se libérer ; 3) tout cela menant à la libération de l’Europe de l’Est quasiment couronnée par l'événement de “la Chute du Mur”. La chronologie implicite est évidemment faussaire. Comme on l’a rappelé pour faire une analogie dans le texte du 25 octobre 2014, la “doctrine” dite-My Way, énoncée (au printemps 1990) sur un mode léger et très showbiz par Chevardnadze et non par Gorbatchev, était simplement la prise en compte d’un mouvement irréversible et sans la moindre organisation, qui suivait la chute du Mur, alors qu'on se trouvait déjà dans le processus de réunification de l'Allemagne intégrant de facto l'ex-RDA dans l'OTAN. C’était une doctrine showbiz du désordre et non une doctrine stratégique organisée : « En 1990, le ministre des affaires étrangères de Gorbatchev, Edouard Chevardnadze, avait qualifié le désir manifesté par les satellites est-européens de l’URSS en processus accéléré d’émancipation de sortir du Pacte de Varsovie qui se dissolvait à une très grande vitesse, de “doctrine Sinatra”. Il faisait allusion à la chanson “My Way’, adaptation par Sinatra du “Comme d’habitude” de Claude François, exprimant dans la version US le constat et la volonté de suivre sa propre voie pour faire sa propre vie.»
En d’autres mots, rien ne fut organisé, et le désordre régnait partout. Le maître de ce désordre était Gorbatchev, qui l’avait déchaîné parce qu’il jugeait, – selon une intuition historique fondamentale, – que c’était la seule manière de briser le carcan formidable de la bureaucratie soviétique. Lui, au moins, avait compris ce que peut être le “désordre créateur”, qui est la seule manière (antiSystème) de s’attaquer à une structure massive du Système. Il faut comprendre ce point fondamental que c'était complètement, absolument, une affaire intérieure à l’URSS et rien d’autre ; le reste, l’Occident, les pays d’Europe de l’Est, dirigeants et populations, suivaient comme ils pouvaient... On devrait se rappeler la réponse fameuse de Gorbatchev aux dirigeants est-allemands affolés à la fin de l’été 1989, lorsque ces sympathiques apparatchiks lui demandaient quoi faire devant le désordre qui menaçait de s’étendre : « Eh bien, laissez-les faire ! »
Tous ces points sur le rôle de Gorbatchev, le désordre, l’absence d’organisation, etc., impliquent effectivement le rôle central, fondamental sinon exclusif d’un événement politique intérieur à l’URSS, et venu de Gorbatchev seul (la glasnost et le reste). Cela est complètement contredit par un autre passage du texte cité, qui reprend l’antienne des neocons, des bellicistes et “exceptionnalistes” US, et des partisans de la production d’armements du complexe militaro-industriel : l’effort de réarmement des USA sous Reagan, notamment à partir de 1982-1983 avec la SDI, sont une des causes centrales de l’effondrement de l’URSS, – au contraire de la si modeste glasnost de Gorbatchev. Nous vivons depuis sur cette légende pour justifier le surarmement US et la politique belliciste et interventionniste de déstructuration et de dissolution des USA.
Ce point est mis en évidence par ce passage du texte de Vejvoda, qui fait intervenir l’Occident, comme s’il y avait une stratégie élaborée, comme facteur “significatif” des événements de 1985-1989 : « La pression politique, économique et militaire exercée par les États-Unis et les États d'Europe occidentale dans les années 1980 a également contribué de manière significative à la dynamique géopolitique le long de la ligne de faille de la guerre froide. »
Il n’y a rien de plus faussaire, d’une fausseté tellement pure que c’est exactement le contraire qui se produisit ... La vérité-de-situationest que les groupes dirigeants les plus avancées de l’URSS savaient depuis la fin des années 1970 qu’ils ne pouvaient plus faire progresser la puissance de ce pays parce que ce processus était bloqué par l’apparition des technologies de l’électronique, de l’informatique et de tous les moyens de diffusion de la communication que cela impliquait. Le problème n’avait rien à voir avec la course aux armements, mais avec la situation politique intérieure de l’URSS qui restreignait toutes les communications dans sa structure policière et bureaucratique ossifiée, et donc interdisait le développement des capacités technologiques désormais inscrite dans la révolution de l’informatique avec son corolaire de la nécessité d’une communication ouverte.
Nous avons publié de nombreux textes développant ce thème. Nous citerons deux extraits de deux de ces textes, le premier montrant cette réalisation de la nécessité d’une “révolution politique“ en URSS par la plus haute autorité militaire, et son antériorité de facto aux effets supposés des pressions occidentales spécifiques sur l’économie soviétique, notamment par une nouvelle “course aux armements” lancée par l’initiative de la SDI (Strategic Defense Initiative, ou défense anti-missiles stratégiques).
• Le 11 août 2005, un extrait à propos d’un événement de mars 1983 ... La “révolution politique” dont le maréchal Ogarkov avance la nécessité, ce sera la glasnost qui, en libérant la parole et les communications, permettra l’introduction massive des technologies de l’informatique et de la communication en URSS. A cette époque, Gorbatchev travaille, avec une équipe d’économistes et de conseillers politiques, sur un programme de réforme politique et économique fondamental de l’URSS. Il agit avec le soutien actif d’Andropov, président du KGB puis Premier Secrétaire du PC de l’URSS de novembre 1982 jusqu’à sa mort début 1984.
«En mars 1983, quelques jours après [le discours (23 mars)] de Ronald Reagan annonçant la SDI (Star War), le maréchal Ogarkov, chef d’état-major de l’Armée Rouge, fait une promenade avec le journaliste américain Leslie Gelb, ancien haut fonctionnaire du département d’État durant la présidence Carter. La scène se passe à Genève, où se poursuivaient, sans grand espoir de réussite alors, les négociations sur la limitation des engins à portée intermédiaire et à capacités nucléaires, — ceux-là que les Américains appelèrent successivement LRTNF, puis TNF (Theater Nuclear Forces) tout court, qui étaient surnommés les euromissiles, — SS-20 du côté soviétique, Pershing II et Glicom (missiles de croisière terrestre) du côté américain. Gelb garda secret le contenu de cet entretien pendant près de 10 ans, avant d’en publier la substance dans un article, dans le New York Times le 20 août 1992, sous le titre “Foreign Affairs: Who Won the Cold War?”. On est frappé par la franchise du maréchal Ogarkov, exposant les difficultés considérables des Soviétiques. Voici un passage de cet article, nous livrant une confidence du Maréchal (nous soulignons en gras le passage qui est essentiel pour notre propos):
» “Nous ne pouvons pas égaler la qualité des armes américaines pendant une génération ou deux. La puissance militaire moderne est basée sur la technologie, et la technologie est basée sur les ordinateurs. Aux États-Unis, les jeunes enfants jouent avec les ordinateurs...... Ici, nous n'avons même pas d'ordinateurs dans tous les bureaux du ministère de la Défense. Et pour des raisons que vous connaissez bien, nous ne pouvons pas rendre les ordinateurs largement disponibles dans notre société. Nous ne pourrons jamais vous rattraper dans le domaine des armes modernes tant que nous n'aurons pas une révolution économique. Et la question est de savoir si nous pouvons avoir une révolution économique sans révolution politique.” »
• Le 7 juin 2004, nous publiions un article de William Blum, sous le titre de Was Reagan responsible for the Soviet Union's downfall?. Blum est un homme sérieux, et non un de ces polémistes de l’internet que le Système ignore d’un haussement d’épaules ... Ancien haut fonctionnaire du département d’État, Blum avait publié trois livres à l'époque : “Killing Hope: U.S. Military and CIA Interventions Since World War II”, “Rogue State: a guide to the World's Only Super Power” et “West-Bloc Dissident: a Cold War Political Memoir”. Il écrivait ceci (qui peut être renforcé par des documents rendus publics par la National Security Archives, voir le 30 avril 2010) :
« Bien que les dépenses de la course aux armements aient sans aucun doute endommagé le tissu de l'économie civile et de la société soviétique encore plus qu'aux États-Unis, cela durait depuis 40 ans au moment où Mikhaïl Gorbatchev est arrivé au pouvoir sans la moindre trace d’effondrement imminent. Le conseiller proche de Gorbatchev, Alexandre Yakovlev, a répondu à la question de savoir si l'augmentation des dépenses militaires de l'administration Reagan, combinée à sa rhétorique sur l’“Empire du mal”, avait forcé l'Union soviétique à une position plus conciliante : “Ça n'a joué aucun rôle. Aucun. Je peux vous le dire avec la plus grande certitude possible. Gorbatchev et moi étions décidés à modifier notre politique, que le président américain fût Reagan, Kennedy ou quelqu'un de plus libéral encore. Il était clair que nos dépenses militaires étaient énormes et que nous devions les réduire. »
(Témoignage du temps d’alors, dans la Lettre d’Analyse dedefensa & eurostratégie du 25 novembre 1989, concernant l'intérêt des USA pour une coyrse aux armements avec l'URSS de Gorbatchev : « Quatre ans après, [la chute du Mur] est un deuxième tournant essentiel [pour les USA]... [...]
» [Le] premier tournant a eu lieu à la fin de 1985, avec l’attitude du Congrès décidant une réduction des dépenses de défense proposées par l’administration Reagan. La préoccupation budgétaire avait remplacé la préoccupation de sécurité chez les élus. Depuis 1985, aidé par la loi Gramm-Rudman Hollins [acclamée par Reagan comme étant ‘The Law of the Land’parce qu’elle imposait au plafond au déficit budgétaire], la tendance au déclin des dépenses militaires est devenue structurelle au Congrès, et d’ailleurs bien avant que les premiers échos de la perestroïka et de la glasnost soient pris au sérieux... »)
Il faut ici reprendre à nouveau le passage complet dont on a plusieurs fois cité un extrait ci-dessus, pour confirmer un aspect faussaire déjà signalé, suggéré par le simple enchaînement des affirmations... « La pression politique, économique et militaire exercée par les États-Unis et les États d'Europe occidentale dans les années 1980 a également contribué de manière significative à la dynamique géopolitique le long de la ligne de faille de la guerre froide. Mais le principal héritage de 1989, de l'annus mirabilis, est celui de la résilience et du courage des individus et de sociétés entières dans leur quête des libertés et des droits, souvent dans des circonstances difficiles. Leur retour à une Europe entière, libre et pleinement en paix, – et à la démocratie, aux valeurs et aux politiques fondées sur des règles, – a été largement et indéniablement un succès. »
L’impression est donc qu’à la pression occidentale sur l’URSS grâce à la “course aux armements” (faux) s’ajoute celle des peuples de l’Europe l’Est forçant à leur libération par leur résistance héroïque et leur activisme... Ce dernier point est aussi faux que le précédent. Les peuples d’Europe de l’Est soviétisé ont montré sans le moindre doute un héroïsme et un activisme considérables, comme la dissidence soviétique (ou russe) en URSS qu’on n’évoque pas dans ce texte puisque la démonisation de la Russie est la consigne principale et qui fut pourtant au moins aussi considérable en fait d’héroïsme et d’activisme. Mais, à partir de 1985 et de la glasnost, cet héroïsme devint inutile, ainsi que l’activisme, puisque le mouvement formidable lancé par Gorbatchev les dépassait en intensité libératrice... Autant pour la « modeste ouverture politique » de Gorbatchev, dans une élégante démarche faussaire de plus.
Entre alors en scène le héros-philosophe de la pièce, “penseur postmoderne”, Fukuyama et sa “fin de l’histoire” ... Il est mentionné, indirectement, d’une manière désappointée parce que sa consigne n’a finalement pas été suivie. (On observera tout de même que Vejvoda, évoquant tous ces conflits qui démentent que l’histoire est finie, ne s’intéresse guère qu’à la sphère russe, avec une allusion catégorique à la Chine... Pas un mot de la myriade de conflits sanglants, cyniques, déstructurants, etc., déclenchés par les USA, le bloc BAO, le Système, et notamment l’Afghanistan et l’Irak dont l’origine remonte jusqu’à 1979 et à 1991 respectivement, puis le reste, Libye, Syrie, Yémen, etc.).
« Pourtant, malgré les prévisions les plus optimistes,l'histoire a continué. Un quart de siècle plus tard [trente ans plus tard], la géopolitique constitue toujours un élément central des relations internationales. Un certain nombre de conflits gelés créés au début des années 1990 dans des régions comme le Haut-Karabakh, la Transnistrie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ne sont toujours pas réglés à ce jour. Et, également en 1989, à l'autre bout du monde, une Chine montante a violemment réprimé un mouvement étudiant et populaire démocratique sur la place Tiananmen. »
Pour Fukuyama, on rappellera ce qu’on a écrivit à ce propos (voir le 22 octobre 2014), savoir que sa thèse fut en fait une simple action de constitution de narrative au gré des événements, – quoi qu’il ait pu écrire dans ses livres où il tentait d’extraire la doctrine postmoderniste d’événements qu’il n’avait en aucun cas anticipés.
«... Fukuyama n’a pas, à l’origine, voulu parler du monde post-communiste effectivement réalisé. La chronologie en témoigne : il exposa sa thèse pour la première fois en avril 1989, et à ce moment, personne n’envisageait sérieusement une perspective opérationnelle identifiable de la disparition du communisme et de l’URSS, encore moins cela va de soi comme un effondrement, une implosion extrêmement rapide et imminente. La thèse initiale de Fukuyama, qui était une démarche politique active soutenue par le département d’État, avait pour but essentiel sinon exclusif de soutenir le mouvement de globalisation propre au seul “Monde Libre” d’alors (alias-bloc BAO plus tard), qui s’apprêtait à des décisions économiques fondamentales (négociations du GATT, notamment). [...] [...L]a thèse de Fukuyama est devenue opérationnelle pour l’establishment washingtonien après le basculement de 1996, concrétisé par les JO d’Atlanta dont l’importance symbolique et communicationnelle est, pour les USA, absolument considérable, – alors qu’elle est absolument ignorée par l’historiographie officielle. [...]
»... L’“histoire” dont la fin était annoncée [par Fukuyama] était l’histoire classique, développée sur plusieurs siècles avec l’Europe comme centre, où les USA avaient tardé à prendre leur place et n’avaient pas la place à laquelle ils pouvaient prétendre. Désormais, en fait de “fin de histoire” qui valait pour cette histoire développée autour de l’Europe, s'installait en réalité une histoire nouvelle, qui plaçait les USA au centre de tout et comme seul centre possible, qui faisait des USA l’histoire elle-même as a whole : “D'où ce point par rapport à la thèse de Fukuyama transformée par l'évolution américaine qu'on a décrite : s’il s’agit de ‘la fin de l'Histoire’, cela est devenu ‘la fin de l'Histoire’ que la civilisation occidentale, centrée sur l'Europe, avait développée. L'Histoire américaniste doit la remplacer, elle l'a d'ores et déjà remplacée.”»
Et le texte «Annus Mirabilis...» se termine par un paragraphe entièrement souligné de gras par nous et avec [entre braquets] nos corrections fondamentales sur les responsabilités de 2014, qui enchaîne sur la citation concernant la “fin de l’histoire” qui n’est pas du tout finie, en la confirmant de façon dramatique ...
« Aujourd'hui, le monde bipolaire est devenu multipolaire, une configuration que l'on ne peut pas encore qualifier de nouvel ordre du type de celui créé après la Paix de Westphalie en 1648, le Congrès de Vienne en 1815, le Traité de Versailles en 1918-1919 ou la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd'hui, dans de nombreuses sociétés, la désaffection du public pour la politique, la renationalisation croissante, l'accroissement des inégalités et les mouvements en faveur de l'indépendance régionale empêchent la recherche d'une plus grande prévisibilité et dans la vie des gouvernements comme des citoyens. La violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et l'annexion de la Crimée par la Russie [Le coup d’État US-Europe à Kiev en février 2014 et la crise ukrainienne qui s’ensuit]témoignent de la persistance d'un ordre international instable. Le monde résonne encore aujourd'hui[résonne aujourd’hui plus que jamais et jusqu’à la rupture de la séquence] des contrecoups des événements marquants de 1989. »
Cette conclusion ne représente, sans conscience de l’être, rien de moins qu’un aveu d’échec complet de la nouvelle ère philosophique de la postmodernité rayon farces & attrapes, qui a occasionné un tsunami d’analyses également philosophiques extraordinairement complexes, de la “fin de l’histoire” qu’on a vue à divers thèmes variés, des LGTBQ à l’Art Contemporain (AC). (Cette étrange école de pensée philosophique prétend annoncer, exposer et justifier les effets attendus des conceptions qu’elle développe alors que ces “effets” ont précédé les conceptions et la pensée elle-même pour s’emboîter parfaitement dans la dynamique déstructurante et dissolvante du Système dont ils sont constitutifs d'une façon très active.) D’une façon concrète, ce paragraphe de conclusion du texte ainsi décortiqué acte l’installation du monde multipolaire, antithèse de l’artefact globalisé que nous propose la postmodernité ; ce “monde multipolaire” n’est en fait rien d’autre que l’installation de l’hyperdésordre que nous avons défini (Glossaire.dde) en 2015.
Par conséquent, pour nous cette “multipolarité” est mal nommée, et nous lui préférons le concept de “apolarité” ou de “antipolarité” que nous avons développé et tenté d’expliciter dans plusieurs textes de l’époque considérée où cette situation était discutée (voir le 10 novembre 2013, le 16 novembre 2013 et le 11 janvier 2014). Il s’agit d’un concept de “mise en ordre” de ce qui est une situation générale de désordre qui tend effectivement à devenir un concept sous l’expression d’“hyperdésordre”. Il s’agit bien entendu de concept paradoxaux, – nous parlons pour l’“antipolarité” d’une “‘mise en ordre’ du désordre”, – dans la mesure où tous ces concepts sont des réactions de résistance de type antiSystème non organisées ni voulues par les opérateurs-sapiens, à la tentative postmoderniste d’instaurer un ordre globalisant lui-même paradoxal.
(Cet “ordre” globalisant est effectivement paradoxal puisqu’il est d’abord une systématisation de la déstructuration et de la dissolution de toutes les formes et de tous les principes, – donc, pour nous, une tentative absolue d’instauration de pur désordre dont le but ultime est l’entropisation selon la formule-dd&e.)
L’hyperdésordre en train de détruire cette tentative d’“ordre” postmoderne qui est en vérité elle-même pur désordre démoniaque de destruction du sens et de la nature du monde, est donc paradoxalement une poussée dont le sens antiSystème qui pourrait être jugé effectivement à finalité de “remise en ordre”. Même si les moyens sont totalement anarchiques et d’hyperdésordre, le sens, involontairement ou volontairement antiSystème c’est selon, est bien décrit selon cette orientation de la remise en ordre par le simple fait de la destruction du désordre que sème le Système, dans ce cas au travers de sa philosophie postmoderniste dont la pseudo-essence a été précédée par sa pseudo-existence. Au simulacre d’une fausse philosophie s’est ajoutée l’inversion de son opérationnalisation.
Cela nous permet donc de conclure que nous nous retrouvons en complet accord avec la conclusion d’un texte (même si les références opérationnelles comme l’Ukraine sont faussaires) dont tous les éléments de développement sont considérés par nous comme faussaires. Cela permet de mesurer l’avancement considérable du Système de sa dynamique de surpuissance vers la transmutation de cette dynamique en autodestruction. L’année 2014 est, à cet égard, notamment avec la crise ukrainienne et les poussées identitaires et principielle de l’antiSystème en Europe, particulièrement fructueuse : elle a ouvert un nouveau cycle crisique dans le bloc-BAO et alentour (USA depuis 2015-2016, populisme en Europe, contagion des révoltes populaires dans le monde) qui nous conduit vers un épisode décisif de rupture du Système, – dont 2020, avec les élections US, devrait annoncer la séquence ultime.
Il s’agit de l’échec d’établir la postmodernité... Cette philosophie que nous qualifierions dans ses infinies complications inaudibles de “verrou de la modernité”, voudrait, ou plutôt voulait permettre d’établir la modernité sans fin en écartant la contestation de la modernité par la suppressions de ses illusions, de ses “lendemains qui chantent”, et en laissant libre cours au désordre qui n’est comptable d’aucune promesse. Cette école de pensée où le désordre issu de la pensée précède la pensée, – exemple d’école selon la pédagogie moderniste, – constituait un habillage parfait pour le Système, ainsi complètement à l’aise pour prétendre conduire à bien sa Mission-dd&e. C’était 1989 kidnappé au profit d’une envolée définitive vers un “ordre” d'un monde réduit à son entropisation, – soit le désordre jusqu'à l'absolu de sa fixité entropique.
L’on constate donc que cela n’a pas marché, –“pas encore”, disent-ils (« une configuration qui ne peut pas encoreêtre qualifiée de ‘nouvel ordre’ »), puisque leur métier est de suivre les consignes-Système jusqu’au bout. L’on constate, nous constatons, à la lumière du fait qu’implique la conclusion du texte comme de nos propres observations, que le kidnapping de 1989 n’a pas marché, et que nous nous retrouvons avec 1989 sur les bras, en nous demandant, “Que peut-on en faire ?”. Une suggestion : 1989 pourrait servir à nouveau, cette fois pour faire tomber le Système dans son entièreté, comme le premier 1989 avait servi à parachever la chute de la partie soviétique du Système, – Gorbatchev regnante...
(... Lequel Gorbatchev, dessillé par l’affaire ukrainienne après avoir cédé pendant quelques années aux sirènes du libéralisme postmoderne qui lui offrait une interprétation vertueuse-Système de son action, a semblé à partir de cette époque de plus en plus et de mieux en mieux comprendre ce qui se passe, et qu’une nouvelle application de sa méthode s’imposait sans nul doute ... [Voir RT du 8 novembre 2014, sur l’intervention de Gorbatchev à un séminaire de Berlin pour le 25ème anniversaire de la chute du Mur].)
Ce que nous appelions dès 2014-2015 l’“hyperdésordre”, c’est-à-dire un désordre destructeur (autodestruction) de la situation de désordre du Système, est aujourd’hui à son plus haut régime de surpuissance. Paradoxe des paradoxes : la surpuissance engendrant l’autodestruction, l’autodestruction évolue à un régime de surpuissance. Cet “hyperdésordre” est le legs, l’héritage du “désordre créateur” de Gorbatchev, bien plus convaincant que celui que propose le capitalisme et l’exact opposé, puisque détruisant la situation mise en place au nom du Système par le pseudo-“désordre créateur” du capitalisme. Le “désordre créateur” de Gorbatchev (“hyperdésordre” aujourd’hui) détruisait la néantisation créée par le désordre que le Système, qui recherche l’entropisation, tend à mettre en place quasiment et en complète inversion de manière structurée.
Le legs de novembre 1989, considéré 30 ans après bien plus encore que 25 ans après, est bien celui-ci : le 9 novembre 1989 a été raté, tout faux, sordide montage du Système ; alors, recommençons, en dix fois plus grand et cent fois plus fort... L’affaire est en cours.