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1622A Moscou s’est tenue (les 3 et 4 mai) la grande conférence sur la question des antimissiles (BMD et BMDE) réunissant à l’invitation du ministère russe de la défense des délégations de très nombreux pays. L’invitation avait été lancée au début d’avril (voir notre article du 9 avril 2012). La conférence permet de mieux apprécier les positions des uns et des autres, en même temps que de découvrir, voir de susciter certaines perspectives intéressantes. On ne sera pas étonné que le conclusion à laquelle nous aboutissons est bien de constater que le désordre qui existait avant la conférence en ressort remarquablement renforcé, tandis que la crise elle-même tend à prendre sa réelle signification.
(Le 4 mai 2012, nous avons présenté l’une des plus intéressantes de ces perspectives, qui est la probable coopération à venir, contre la menace portée par les antimissiles contre leurs forces nucléaires de dissuasion, entre les trois pays du groupe RIC, la Russie, l’Inde et la Chine.)
D’une façon plus concrète, la conférence a permis d’observer un peu plus précisément l’état des relations internationales, voire des équilibres internes entre et dans les divers principaux pays engagés d’une façon ou d’une autre dans cette crise. L’exercice est d’autant plus révélateur que le déploiement des antimissiles ne répond à aucune situation précise de menace, tandis qu’il menace un équilibre central des rapports de force. Selon une remarque de Poutine faite pendant sa campagne électorale, la volonté des USA de développer les antimissiles ressort d’une psychologie recherchant une invulnérabilité absolue dont l’effet stratégique et technique est justement de briser les équilibres en augmentant la vulnérabilité des autres. (On reconnaît là un trait central de la psychologie unilatéraliste de l’américanisme, incapable de prendre en charge la globalité des nécessités de l’équilibre général du monde.)
Il faut pourtant toujours avoir à l’esprit qu’au départ du développement de cette entreprise précise en Europe (le BMDE), on trouve le mercantilisme belliciste, l’idéologie unilatéraliste et l’absence d’autorité régalienne de l’américanisme, par conséquent la soumission au Système. Le lancement du BMDE est le résultat d’une poussée classique du Système (du complexe militaro-Industriel [CMI]), réalisée d’une façon autonome, comme si le CMI (le Système) était dans ce cas un acteur “humain” à part entière. (Le cas du BMDE est une spécificité très particulière par rapport à l’obsession BMD générale des USA, qui touche les directions politiques US depuis les années 1980, avec une constance de l’échec des différentes phases constatées.) Concrètement, il suffit de savoir que cette entreprise (BMDE) fut au départ une initiative de lobbying quasiment privée, sans politique pour la soutenir. (Voir pour des précisions sur cette chronologie, par exemple, le 15 juillet 2004, lorsqu’on découvre quelques éléments de cette réalité, et le 21 septembre 2009, lorsqu’on crut à l’abandon du système BMDE.)
Cette impulsion de départ s’est renforcée des pressions des psychologies terrorisées des dirigeants du Système. Nous nous trouvons dans une situation caractéristique d’une époque où des forces diverses et incontrôlables sont en action, où nombre de ces forces ne sont pas humaines mais sont parfois prépondérantes, où il est impossible de déterminer par conséquent une cause centrale rationnelle, une manipulation explicite, etc., et pas plus une évolution cohérente, une politique ordonnée, etc.
La conférence des 3-4 mai était intitulée “ Missile Defense Factor in Establishing New Security Environment”. Elle réunissait plus de 200 experts venus pour la plupart des ministères de la défense. Une cinquantaine de pays étaient représentés, dont les 28 pays de l’OTAN, et l’OTAN elle-même.
Russia Today, qui a présenté dans un long article (le 3 mai 2012, au soir) la première journée de la conférence, a marqué dans sa présentation l’importance de l’intervention du ministre russe de la défense, dans le passage de son intervention où il constate le blocage de la situation…
«Opening the conference, Russian Defense Minister Anatoly Serdyukov stated that so far no mutually-acceptable solution to the issue of ABM has been found. “The situation is practically heading towards a dead end,” acknowledged Servdyukov…»
La principales affirmation, du côté russe, a été que l’installation en Europe du réseau antimissiles de l’OTAN et des USA, ou disons plus généralement du bloc BAO, si elle se faisait sans restrictions ni aménagements acceptables par la Russie, conduirait cette même Russie à considérer une stratégie incluant comme mode d’action en cas de nécessité des frappes préventives contre les bases et emplacements antimissiles dans des situations données. C’est le chef d’état-major des forces armées russes, le général Makarov, qui a fait cette déclaration lors de la conférence. (Voir Novosti, le 3 mai 2012.)
«Après presque deux années de négociations sur le bouclier antimissile en Europe, la Russie et l'Otan sont pratiquement dans l'impasse, et bien que le “point de non retour” ne soit pas encore franchi, Moscou n'exclut pas une frappe préventive en cas d'aggravation de la situation.
»Le général Nikolaï Makarov, chef d'Etat-major général des Forces armées russes, a déclaré jeudi, lors de la conférence internationale de Moscou sur la défense antimissile que, compte tenu du caractère déstabilisant du bouclier antimissile européen, la Russie pourrait frapper de manière préventive les infrastructures du bouclier en cas d'aggravation de la situation.»
Toute une partie des commentaires allaient dans ce sens, pessimiste voire alarmiste, du côté russe. Par exemple et pour compléter les déclarations du général Makarov, cette déclaration du secrétaire du Conseil de sécurité de Russie Nikolaï Patrouchev (Novosti, le 3 mai 2012), selon qui «le bouclier antimissile européen sera en mesure d'intercepter les missiles balistiques intercontinentaux russes…».
A côté de cela, une autre partie des commentaires russes, y compris parfois de la même personne, mettait au contraire l’accent sur les possibilités de coopération, voire d’entente. Surtout, il est manifeste que l’autorité politique, au Kremlin, entendait donner, à côté de l’évaluation réaliste des militaires, une impression optimiste. (On pourrait supposer qu’il s’agit de Medvedev seul, mais cette supposition est trop parcellaire et peu crédible ; Poutine, lui aussi, entend, ou disons espère obtenir des bons résultats avec Obama… Souhaitons-lui bonne chance.)
Le 3 mai 2012, au matin, avant que la conférence ait vraiment démarré, Novosti donnait des précisions dans ce sens, dont il est évident qu’elles répondaient à ce souci de l’autorité politique :
«La Russie et les Etats-Unis trouveront à coup sûr un accord sur le futur système de défense antimissile, a déclaré à RIA Novosti une source haut placée au Kremlin. “Il faut avoir une vision plus large de l'ABM. Notre position est claire. Nous devons définir ensemble les menaces. Nous remercions le président américain Barack Obama qui a partiellement révisé le programme. Il nous reste encore du temps avant 2018. Je suis persuadé que nous tomberons d'accord. Il y a une possibilité appropriée. Nous trouverons un accord qui n'aura aucun impact négatif, ni sur eux ni sur notre sécurité”, a indiqué le responsable qui a travaillé en tant que conseiller auprès de trois présidents russes.»
D’une façon générale, il nous apparaît comme certain que cette conférence, parce qu’elle a été organisé par le ministère de la défense et qu’il est très vite apparu qu’elle aurait un réel succès, a déplu au ministère russe des affaires étrangères, – pour des raisons évidentes de prépondérance à l’intérieur du gouvernement russe.
Une source à l’OTAN signale que lorsque Lavrov a rencontré le secrétaire général de l’OTAN Rasmussen, à la fin avril, que Rasmussen lui a annoncé que l’OTAN enverrait à Moscou une très haute personnalité (le n°2 de l’OTAN, l’Américain Alexander Vershbaw), la réaction de Lavrov a été particulièrement rude. La source rapporte que Lavrov paraissait «très mécontent, à la limite de la grossièreté», – ce qui a d’abord tout à fait surpris l’équipe du secrétaire général… Mais très vite, la conclusion s’impose : le mécontentement de Lavrov concernait le fait que ce choix de Vershbaw renforçait encore le statut de cette conférence du ministère de la défense, aux dépens de la prépondérance du ministère des affaires étrangères.
Il n’empêche, la conférence a eu lieu, et au plus haut niveau, avec un retentissement considérable. Cela signifie que le ministère de la défense et les militaires y ont imprimé leur marque, et que le ministère des affaires étrangères devra tenir compte de ce qui est un durcissement de facto de la position russe. Cette situation serait d’autant plus renforcée si une personnalité du poids de Rogozine recevait le ministère de la défense dans la nouvelle équipe de Poutine, comme il en est question. (Voir le 14 mars 2012.)
Une attente classique de cette conférence était d’en connaître un peu plus à propos de la position des USA. L’on parlera alors de deux positions, l’une étant celle de l’administration Obama dans la perspective où Obama serait réélu, l’autre étant celle du Pentagone et de la continuité assurée…
Il y a eu des déclarations à la fois vagues et prometteuses de Ellen Tauscher, que Novosti désigne comme “l’envoyée spéciale américaine pour la stabilité stratégique et la défense antimissile”. Il faut noter que Tauscher, adjointe de la Secrétaire et chargée du dossier antimissiles du département d’État, dirigeait la délégation US, impliquant que le département d’État supplantait le Pentagone alors que la conférence s’adressait aux ministères de la défense en général. Les deux choses combinées forment un signal envoyé par Obama à Poutine qu’il se veut “sérieux” dans les promesses contenues dans ses chuchotements “off mice”…
Selon Novosti qui répercutait les déclarations de Tauscher, le 3 mai 2012, «Les Etats-Unis n'excluent pas à l'avenir de donner à la Russie des garanties juridiquement contraignantes concernant la défense antimissile… […] “La Russie voudrait avoir certaines garanties juridiques. Avant de donner de telles garanties, nous estimons nécessaire de parvenir à un accord de coopération et de nous entendre sur la manière de réaliser cette coopération”, a déclaré Mme Tauscher, qui conduit la délégation américaine à la conférence de Moscou sur la défense antimissile.»
Le Pentagone, lui, dit en général “bravo”, à condition qu’on ne touche rien à son dispositif antimissiles («Nous n'accepterons aucune restriction ni sur le nombre ni sur les capacités de ce système»). Les observations de la sous-secrétaire américaine à la Défense Madeleine Kridon (Novosti, le 4 mai 2012) ne mangeait guère de pain, en conservant toute la latitude possible à la position très ferme du Pentagone…
«“La conférence en elle-même a été un succès… Le forum n'a été vraiment pas mauvais, car il a réuni un grand nombre de représentants de différents pays. Toutes les positions ont été entendues et analysées”… […] La sous-secrétaire à la Défense a espéré que la Russie et les Etats-Unis “arriveraient un jour à la conclusion selon laquelle la coopération est indispensable”.»
Il n’y a rien dans tout cela de très exaltant, et l’on peut passer à des spéculations plus originales. Cela nous conduit à revenir à l’avertissement du général Makarov, qu’il faut d’ailleurs prendre plus comme un constat que comme une menace… Si, effectivement, il ne semble pas qu’il faille prendre trop tragique ses remarques sur des “frappes préventives”, cela n’empêche pas d’y prendre garde d’une façon plus approfondie. Konstantin Bogdanov, de Novosti, exprime la chose sur un ton assez enlevé après tout. (Le 4 mai 2012.)
«[L]es militaires russes font sciemment monter la tension de ce qu'on aurait pu appeler une discussion si on y constatait au moins des signes formels de dialogue. Le chef d'état-major de l'armée russe Nikolaï Makarov a rappelé une nouvelle fois qu'en cas d'aggravation de la situation la Russie pourrait utiliser ses armes conventionnelles (et pas seulement) contre les moyens ABM américains déployés près de ses frontières. […]
»Il n'y a rien de choquant dans les recommandations du général aux participants au forum de Moscou: ce n'est pas la première année où l'on parle de la possibilité d'utiliser des moyens offensifs (y compris Iskander) contre les éléments européens de l'ABM américain global. En particulier, en novembre 2011, le président Dmitri Medvedev a ouvertement annoncé cette possibilité. Cependant, cette fois la délégation russe n'a pas menacé gratuitement l'Occident de prendre des “mesures appropriées”, mais a informé de manière très détaillée l'opinion publique des raisons de ses inquiétudes qui ont provoqué une réaction aussi brusque.»
Un autre aspect de l’intervention des militaires russes, toujours selon Konstantin Bogdanov et toujours sur son ton enlevé, élargit l’observation. Le cas est ici développé dans le but de trancher la discussion stratégique, et il est excellemment démontré par les Russes : le système antimissiles US/OTAN n’est pas là pour son efficacité contre des missiles hypothétiques et iraniens ; on en conclura d'abord qu' il est là pour être là, point final. (Le 4 mai 2012.)
«Le général Valeri Guerassimov, chef adjoint d'état-major de l'armée russe, (nommé il y a une semaine commandant de la région militaire Centre) a présenté aux spectateurs présents les résultats visuels de la simulation des lancements de missiles depuis le territoire russe en tenant compte du déploiement par les Américains de nouveaux moyens d'information et d'attaque, et leur interaction avec les éléments de l'ABM national à Fort Greely en Alaska et sur la base aérienne de Vandenberg en Californie. Les conclusions des militaires russes visaient à souligner les dangers du système ABM américain global.
»Les militaires russes ont également fait preuve d'un grand sens de l’humour: ils ont réussi à montrer qu'en cas d'attaque hypothétique de l’Iran contre les Etats-Unis, les missiles iraniens passant au-dessus de l’Europe ne seraient pas interceptés par l’ABM européen. Ou bien ils seraient interceptés avec les missiles russes lancés depuis la partie européenne du pays, ce qui semble contredire les affirmations des Américains. En mettant en place un système commun, les systèmes russes, ayant des caractéristiques similaires aux moyens américains, déployés au sud de la Russie pourraient intercepter de telles menaces venant d'Iran. Mais l'Otan refuse une telle intégration, haussent tristement les épaules les généraux russes.»
…Ils haussent les épaules “tristement”, les militaires russes, mais résolument. Leurs évaluations les renforcent dans leur conviction que le réseau antimissiles du bloc BAO n’a rien à faire avec la prétendue “menace” iranienne ; par conséquent, toutes leurs supputations sur la pression à la fois de la machinerie du CMI et d’autres projets éventuels antirusses ne sont nullement écartées, ni développées pour la convenance et la tactique. Elles reflètent une préoccupation extrêmement précise…
Russia Today, déjà cité, rapporte de nouvelles supputations de l’un ou l’autre expert qui traduisent indirectement quelques-unes des préoccupations des militaires russes et font comprendre qu’au-delà de la confusion et de la partie diplomatique incertaine, il y a des considérations stratégiques très fermes qui peuvent être alarmantes ou alarmistes, c’est selon.
«Political analyst Vladimir Orlov thinks that missile threats against Europe, which the shield is supposedly designed to counter, are “very much exaggerated.” “Missile threats by those countries which Americans and Europeans claim develop long-range missiles, it is just not credible. Europe should not feel vulnerable and the issue is that Russia instead of Europe now feels vulnerable,” he asserted.
»Bruce Gagnon from the 'Global Network Against Weapons and Nuclear Power in Space' think tank told RT the lack of guarantees reflects the US intention “to continue surrounding Russia and China with these so-called missile defense systems.” Saying Iran has no missiles capable of hitting the United States, Gagnon says the system is aimed at Russia because it has “the world’s largest supply of natural gas.” He further argues “the Pentagon’s primary job today is to serve as a resource extraction service on behalf of corporate globalization.”»
C’est dans ce cadre un peu plus préoccupant que nous introduiront quelques extraits d’une déclaration du Polonais Tadeusz Iwinski, vice-président de la commission des affaires extérieures de la Chambre et membre du parti social-démocrate polonais, à Russia Today. C’est à la fois une voix autorisée mais non-officielle, dont les déclarations expriment plus clairement que dans le langage diplomatique les préoccupations de son pays.
«Vice chairman of the Polish foreign affairs committee Tadeusz Iwinski told RT a pre-emptive strike on Poland represented the “worst case scenario.” Speaking as a representative of the Polish opposition, Iwinski, said an agreement between Russia and the United States was vital for his country’s security. He further claimed that US Undersecretary of State Ellen Tauscher “was ready to offer guarantees” that the ABM system“was not going to be against Russia.”»
Il faut prendre ces courtes mais très précises déclarations pour un signe extrêmement sérieux de la part de la Pologne, qui va abriter une base du système BMDE et qui est sous “le feu” de type “frappe préventive” des missiles sol-sol russes Iskander SS-26 déployés à Kaliningrad. De ce point de vue, notamment au regard des déclarations des militaires russes, la conférence aura substantivé les craintes polonaises qui constituent un facteur promis à devenir essentiel. Loin de toute rhétorique, les Polonais savent qu’ils sont les premiers visés si la crise du BMDE devenait “sérieuse” et menaçait de tourner en affrontement militaire. Ils savent aussi qu’ils peuvent être pris en otages de toute autre crise, – européenne et moyenne-orientale (voir plus loin), – impliquant l’Europe, la Russie et l’OTAN, à cause de leur position d’avant-poste du réseau BMDE vis-à-vis de la Russie. Ils savent enfin que le soutien US et otanesque dans toute circonstance de crise “dure” impliquant la Russie sera minimal, sinon dérisoire, sinon du domaine de la trahison.
La Pologne est désormais un facteur d’angoisse au sein (et en bordure) du bloc BAO, et un facteur potentiel de crise à l’intérieur de l’OTAN. Chez eux, la rhétorique antirusse insolente du début des années 2000, lorsqu’on croyait le soutien US assuré, a fait place à une angoisse palpable et une ferveur significative pour un accord entre les USA et la Russie.
Mais il faut encore aller au-delà et observer que cette question de la tension implicite de la Russie avec la Pologne, dépendant d’une crise que ni l’un ni l’autre de ces pays ne veut pourtant, se retrouve dans une autre crise, où les deux pays sont également exempts d’intentions et de responsabilités. Il s’agit de la crise iranienne, qui pourrait impliquer la Russie en cas d’attaque de l’Iran par l’un ou l’autre membre du bloc BAO. Dans ce cas, une extension de la crise à l’Europe serait dans les possibilités envisagées, comme riposte indirecte de la Russie si ce pays était impliqué au côté de l’Iran. C’est ce que nous supputions le 5 mars 2012, en observant que la Russie renforçait son dispositif à Kaliningrad, directement en connexion avec la montée de la tension autour de l’Iran…
«Les Russes renforcent notablement leur dispositif dans l’enclave de Kaliningrad, entre la Pologne et les pays baltes, tous membres de l’OTAN. Il s’agit de moyens offensifs (SS-26 Iskander sol-sol) mais aussi, probablement, d’unités anti-aériennes puissantes, des S-300 et des S-400 qui constituent le meilleur armement anti-aérien disponible aujourd’hui. Ces systèmes menaceront ainsi directement les F-16 polonais et ceux de l’USAF en rotation en Pologne, ainsi que les F-16 des pays de l’OTAN en rotation, qui patrouillent régulièrement dans l’espace aérien des pays baltes. En cas de tension, la présence d’avions de l’OTAN dans ces pays limitrophes de la Russie, hors des armements des seuls pays concernés, sera perçue par la Russie comme une provocation et leur soi-disant “rôle dissuasif” sera renversé et constituera, à l’inverse, une présence aggravante de la crise.»
Dans la panoplie des perspectives ouvertes par les hypothèses de “frappes préventives” est apparue, depuis les premières déclarations dans ce sens (Medvedev) en 2008, la question du secteur sud pour la Russie. Depuis 2008, la Turquie a évolué très vite, d’abord dans le sens d’une indépendance vis-à-vis du bloc BAO, puis, très récemment, avec l’étrange volte-face accompagnant l’affaire syrienne.
Cette volte-face a aussi été marquée par l’accord turc pour l’installation d’un radar OTAN/US du réseau BMDE antimissiles. Les Iraniens s’en sont émus, comme nous le notions le 28 novembre 2011 :
«Pour ajouter à cette simplicité du propos, les Iraniens viennent donc d’annoncer qu’en cas d’attaque du bloc BAO contre l’Iran, le radar qui serait installé en Turquie serait la première cible iranienne. Et cette attaque aurait lieu, en un sens, pour déciller les yeux du peuple turc sur la façon dont il est manipulé par les USA et les “intérêts sionistes”…»
Les Russes peuvent évidemment avoir une vision similaire, mais eux-mêmes aussi bien en fonction d’une crise des antimissiles, activant là aussi un lien entre cette crise et celle de l’Iran. Le fait est que, depuis janvier 2012, il est dit que les Russes renforcent notablement leur potentiel militaire de leur base de Gumri, en Arménie, à 15 kilomètres de la frontière turque.
Les considérations précédentes relèvent largement de la spéculation mais elles ne relèvent plus du tout de la pure fiction, comme c’était le cas jusqu’à récemment, puisqu’il y a effectivement des mesures de renforcement de type militaire, effectives ou envisagées, qui leur sont liées. Le lien entre les crises se met ainsi en place, donnant à la crise des antimissiles sa propre dynamique de globalisation (GBMD) qui caractérise par ailleurs le réseau antimissile… Du réseau Ballistic Missile Defense Europe (BMDE) au réseau Global Ballistic Missile Defense (GBMD), la logique du CMI, du technologisme et du “déchaînement de la Matière” est respectée.
Voilà ce que la grande conférence de Moscou a dévoilé, au travers des confrontations des points de vue, des analyses, etc., même si toutes ces interventions et tous ces échanges se sont passés de la plus urbaine des façons. (Mais c’est une des règles de cette époque étrange où les crises échappent au contrôle humain, de voir des situations potentiellement très graves côtoyer des relations directes amicales des acteurs.)
C’est en effet la voie de l’aggravation systématique et de l’élargissement général que prend la crise des antimissiles, tout cela dans un environnement de désordre grandissant entre les positions des uns et des autres. Le seul frein à cette extension est ce que nous qualifierions d’“accident” ; l’occurrence essentielle dans ce sens serait qu’Obama arrivât à tenir parole, si ses intentions vont dans ce sens, et à imposer à son complexe militaro-industriel des restrictions satisfaisant les Russes ; au vu de l’expérience récente et des us et coutumes du Système, nous n’y croyons pas beaucoup et il ne faut guère y croire. (Un autre “accident” plus sérieux, et beaucoup plus crédible, est que la crise générale du Système se développe et se déchaîne au cœur du Système, faisant de la crise des antimissiles, même en devenir, un événement moins important. Mais, comme l'on dit, “c'est une autre histoire”, et sacrément plus sérieuse.)
Pour cette raison également de “l’aggravation systématique et de l’élargissement général” de la crise des antimissiles, la conférence de Moscou respectait une certaine logique, en imposant une approche militaire et technologique de la question. Cela marque le rôle désormais grandissant des militaires dans la crise, du côté russe, ceux qui invitaient et conduisaient la conférence ; non que le pouvoir civil leur cède en quoi que ce soit, mais simplement parce que le facteur militaire va compter de plus en plus.
Ainsi en a voulu le Système, – le CMI, l’OTAN, le bloc BAO, les USA. (Ne parlons pas de l’Europe en tant que telle, dont l’absence, hormis les angoisses polonaises, est un aspect de cette crise qui ne cesse de époustoufler. A cet égard, il semble que l’Europe, de façon plus générale, ne cessera pas de nous époustouflrt par ses capacités à cultiver l’abaissement, l’irresponsabilité, la servilité au Système, etc.) Aucun doute ne doit subsister : il ne s’arrêtera pas, le Système. Il se trouve sur sa trajectoire favorite, unique, irrésistible, cette formidable surpuissance qui se transforme en autodestruction, et seule les conséquences de sa propre crise peuvent le freiner… (Mais c’est évidemment une hypothèse fondamentale.)
Par ailleurs, tout cela, ces hypothèses, ces possibilités, etc., n’ont aucune signification de prévisibilité, et là n’est d’ailleurs pas leur but. Tout cet appareil spéculatif et dialectique a pour effet de marquer simplement l’extension du domaine de la réflexion, et l’activisme du système de la communication à propos de cette crise des antimissiles… Laquelle ne l’est plus, alors, en tant que telle, car la dynamique du système de la communication en transforme la substance.
La crise des antimissiles tend à s’élargir aux questions fondamentales de la position de la Russie par rapport à l’Europe ; à l’extension de la vision stratégique à l’Inde et à la Chine (“Le RIC face aux antimissiles”) ; aux relations des uns et des autres au sein de l’OTAN, et aux relations des accessoires européens dont certains (la Pologne) se sentent soudain menacés, avec les USA indifférents à cet égard ; elle tend à se fondre avec la crise iranienne, non plus réduite aux élucubrations concernant les missiles iraniens, mais devenue crise majeure du Moyen-Orient à partir des projets d’attaque de l’Iran, avec des liens directs avec la crise syrienne, avec la crise de l’approvisionnements en énergie. Comme la crise iranienne s’était transformée en entrant dans le concept de “crise haute”, nous voyons la crise des antimissiles suivre le même chemin, vers l’intégration dans la même crise haute.
Tout entre donc dans l’ordre et le rangement du désordre général et de la crise du Système. A Moscou, la pêche a été bonne.
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