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769919 septembre 2019 – Après un temps assez long d’attente, l’escorte du porte-avions USS Henry S. Truman, formant avec ce navire un Groupe de porte-avions d’attaque (Carrier Strike Group), a finalement appareillé de Norfolk le 12 septembre sans son porte-avions, et rebaptisé pour l’occasion Groupe de surface d’attaque (Surface Strike Group). Le porte-avions, revenu à la grande base navale US sur l’Atlantique de Norfolk le 5 août pour préparer cette nouvelle mission, a rencontré des problèmes sérieux dans son circuit électrique, qui fait qu’il n’est pas opérationnel comme il aurait dû l’être dans ces circonstances tout à fait exceptionnelles de capacités d’emploi puisqu’il s'agit de son troisième déploiement opérationnel en quatre ans.
L’US Navy annonçait fièrement la chose il y a deux mois, selon les termes rapportés par Military.com le 4 juillet 2019, jour de la fête nationale :
« L'exercice en cours permettra de s'assurer que ces navires, – les destroyers USS Ramage et USS Lassen, – sont certifiés pour être déployés avec le Truman et prêts pour les missions que la Navy a prévues pour eux.
» “Cet exercice mettra à l'épreuve notre force intégrée en tant que force multimissions”, a déclaré le contre-amiral Andrew J. Loiselle, commandant du Truman Strike Group. “Les manœuvres complexes de la période d’entraînement sont l’occasion de travailler en équipe, à la fois dans notre capacité à supporter des périodes prolongées en mer et à trouver des domaines où nous pouvons nous améliorer.
» La Navy n’a pas dit publiquement quand le Truman sera déployé, où il ira et combien de temps durera son déploiement. »
... La dernière phrase qui laissait entendre à quelque exaltante expérience l’on allait assister, rend désormais un son malheureux quand l’on apprend que les USS Ramage et USS Lassen, ainsi que deux autres navires de surface de renfort, sont partis sans l’essentiel, c’est-à-dire le USS Harry S. Truman. Ils étaient lassés d’attendre que le circuit électrique du grand porte-avions d’attaque soit effectivement réparé, s’il l’est finalement à temps...Cela est résumé par le site TheDrive.com le 13 septembre 2019, à la suite d’une nouvelle de l’immobilisation du Truman publiée par le site USNI News le 12 septembre.
« Un croiseur de classe Ticonderoga et trois destroyers de classe Arleigh Burke affectés au Truman Carrier Strike Group ont quitté les ports de la côte Est des États-Unis pour un déploiement prévu, mais sans deux éléments clés, le porte-avions de classe Nimitz USS Harry S. Truman et sa force aérienne embarquée.
» Le porte-avions a été mis sur la touche depuis qu'il a subi un dysfonctionnement électrique le mois dernier et l'U.S. Navy ne sait pas encore, ni quand ni s’il pourra rejoindre son escorte. Cette situation a également ajouté à la pénurie actuelle de porte-avions déployables sur la côte Est, ce qui pourrait limiter la capacité du service à réagir en cas de crise. »
Cette triste aventure du USS Harry S. Truman est rapidement présenté par Spoutnik-français du 18 septembre, autour d’une idée-centrale : c’est la première fois qu’un tel incident arrive pour un grand porte-avions d’attaque de l’U.S. Navy. Alors que, depuis le début août, le Truman attendait impatiemment son “‘escorte” de frégates et de croiseurs pour constituer son Groupe d’Attaque, voilà que l’“escorte” du grand porte-avions part sans lui et qu’on ignore s’il sera réparé suffisamment à temps pour “rejoindre son escorte”, celle qui est censée le protéger ! La situation est présentée sur un ton flegmatique, ce qui colore d’un certain ridicule d’un poids de 90 000 tonnes (celui du Truman) cette étrange “première” : “le fait qu’un groupe de porte d’avions d’attaque soit déployé opérationnellement sans porte-avions” est une véritable “première”, un simulacre naval sans précédent, – d’autant que la Navy, habile, a permis en rebaptisant le groupe “Surface Strike Group” d’entretenir le doute : après tout, le Truman, qui est également un bâtiment “de surface”, s’y trouverait peut-être, devenu stealthy et donc bien caché et diablement bien protégé par son “escorte”.
« ...“La réparation du porte-avions est en cours, tout est mis en œuvre pour le renvoyer en service”, a déclaré le commandement de l'US Navy.
» Comme l’ont indiqué à USNI News d’anciens militaires de l’US Navy, le fait qu’un Groupe de porte-avions d’attaque soit déployé opérationnellement sans porte-avions est sans précédent. »
Nous en sommes là de cette odyssée étrange du Harry S. Truman alors qu’il faut savoir, pour bien en embrasser tout le charme, que lorsque son déploiement (le troisième de cette envergue en quatre ans) fut annoncé, nombre de commentaires soupçonneux sinon purement et simplement amers furent publiés. Il y a celui-ci, de Chris “Ox” Harmer, de War Zone, le 18 juillet 2019, qui soupçonnait que cette décision servait essentiellement à dissimuler une faiblesse de l’US Navy, celle du USS Dwight D. Eisenhower, ce qui a eu pour conséquence d’en mettre à jour une autre, celle du Truman... Ainsi parlait l’amer Harmer :
« “Une armée marche avec son estomac”. Ce truisme de la mobilité militaire de l’époque préindustrielle a été attribué à Napoléon Buonaparte et à Frédéric le Grand. Personne n'est sûr si l'un ou l'autre l'a vraiment dit, mais tous deux ont certainement expérimenté la réalité de la maxime. En leur temps, non seulement les vastes armées de l'époque se déplaçaient à pied sur le champ de bataille, mais elles se déplaçaient à pied sur le champ de bataille. Il n'était pas rare que les fantassins marchassent des centaines de kilomètres entre les grandes batailles, et toute cette marche signifiait que les soldats devaient être bien nourris. S'ils ne l'étaient pas, ils mouraient de faim, de maladie ou étaient trop faibles pour combattre efficacement et étaient massacrés, ce qui arriva exactement à la Grande Armée de Napoléon à la suite de son invasion de la Russie avec des ressources insuffisantes.
» J'ai lu récemment que le porte-avions USS Harry S. Truman (CVN-75) de la marine américaine allait partir pour son troisième déploiement en seulement quatre ans, ce qui m'a rappelé ce dicton lapidaire. Bien que la Navy insiste sur le fait que le déploiement avait été planifié à l'avance, le fait qu'il ait été annoncé peu après que l'USS Dwight D. Eisenhower (CVN-69) eut terminé une période de maintenance de 18 mois qui devait initialement durer six mois a suscité des spéculations selon lesquelles la Navy avait déployé le Truman pour dissimuler le fait que l’Eisenhower ne pouvait simplement pas effectuer ce déploiement. »
... Mais nous n’en avons pas fini avec le USS Harry S. Truman, tant s’en faut, et tant cette formidable unité semble résumer à elle seule tous les problèmes de l’US Navy en, train de couler très rapidement, et même, disent certains, pas loin d’être menacée de perdre un jour dans années 2020 sa position de “Première Dame des Mers du Monde”. Il faut savoir qu’en février 2019, l’US Navy annonçait par le biais du détail de son budget pour l’année fiscale 2020 (FY2020) que le Truman prendrait sa retraite en 2024, soit près de dix ans avant la date qui achève le demi-siècle de carrière de ce type d’unités ; et cela, alors que l’US Navy est de plus en plus serrée du point de vue de ses super-porte-avions ; et cela, alors que le Gerald R. Ford qui doit inaugurer la super-classe succédant à la classe USS Nimitz à laquelle appartient le Truman, connaît d’innombrables problèmes techniques comme nul ne peut en ignorer.
La décision de démobilisation du Truman fit tant de bruit, tant au Pentagone qu’au Congrès où personne n’arrive (toujours pas maintenant) à comprendre les raisons qui y ont poussée, que la grogne atteignit l’Olympe de Jupiter lui-même. Le président Trump entra dans l’arène à la fin avril pour proclamer qu’il fallait abandonner cette absurde décision (de démobiliser le Truman) que lui-même avait approuvée sans ciller en signant la proposition budgétaire du Pentagone.
Commentaire de The War Zone du 1ermai 2019 : « Le président Donald Trump a annoncé qu’il avait annulé l’“ordre” de retirer du service le porte-avions USS Harry S. Truman de la classe Nimitz avant la date prévue, un jour après que le vice-président Mike Pence eut révélé pour la première fois que l'administration prenait ses distances de ce plan pendant une visite du navire. Le plan suscite une opposition croissante, en particulier parmi les membres du Congrès, depuis qu’il a été annoncé en février 2019. À l'époque, The War Zone a exposé en détails les raisons pour lesquelles il était peu probable que la proposition soit réalisée, et combien cette décision particulièrement rapide de l’abandonner effectivement ne fait que s’interroger plus encore à propos des raisons qui ont poussé l’administration Trump, le Pentagone et l’US Navy à la présenter à l’origine. »
Nous en sommes donc dans une grande zone navale d’incertitude, et pas encore à la mer pour l’épisode présent, pour ce qui concerne le sort du USS Harry S.Truman. Certes, il y a l’ordre de Trump d’abandonner la décision de démobilisation du porte-avions, mais l’on sait que les “ordres” de Trump sont souvent aussi incertains qu’ils sont proclamés avec la plus grande emphase que permet le tweet. Quoi qu’il en soit, l’opposition contre la décision de la Navy reste extrême, alors que l’incident du Truman en panne vient un peu plus encore brouiller la perspective. La chose ne va-t-elle pas regonfler le camp des partisans de la démobilisation ? Dans tous les cas, elle ne simplifie certainement pas le cas du Truman, et surtout de l’énorme problème qui se pose à l’US Navy lorsque tout son contexte est considéré. C’est ce qui est fait dans un long article de Forbes.com de Craig Hooper, certes du 26 mars 2019 mais qui garde toute sa pertinence et même sa complète actualité.
Hooper détaille l’extrême imbroglio, à la fois kafkaïen et ubuesque où se trouve aujourd’hui l’US Navy. Comme on l’a déjà ressenti à l’une ou l’autre allusion, nul ne sait précisément pourquoi la Navy veut retirer le Truman à peu près une décennie avant sa fin de vie opérationnelle normale. Certains ont laissé entendre que ce pourrait être le signe que la Navy a compris que l’ère des grands porte-avions étaient terminée, avec la perspective de les voir se faire tailler d’horribles croupières du fait des missiles antinavires hypersoniques où Chinois et Russes sont passés maîtres. L’argument peut s’entendre, d’autant que trois autres porte-avions de la classe Nimitz arrivent en fin de vie opérationnelle normale en 2025-2032, le Nimitz lui-même, le Eisenhoweret le Stennis.Mais c’est sans doute mal connaître la Navy, sa bureaucratie, sa certitude de soi, sa programmation et l’hybris qui l’enivre du simple fait de contempler ces mastodontes de 90 000/100 000 tonnes.
100 000 tonnes en effet, c’est le tonnage de la nouvelle classe des “super-super”, la classe Gerald S. Ford, avec dans la foulée deux autres unités dont la construction est déjà lancée après le premier de la classe, le USS John F. Kennedy et le USS Enterprise, pour 2024 et 2028 respectivement, – en principe et en théorie, ajouterons-nous fort prudemment. Dans ce cas, on voit mal comment on peut continuer à accepter l’argument que la Navy abandonne les grands porte-avions... Mais nous sommes d’ores et déjà emportés sur un autre champ de la polémique en cours, car l’arrivée possible/probable de ces nouvelles unités implique à la fois un grand embouteillage et un grand remue-ménage, avec des carambolages divers, et surtout le tout rythmé par les extraordinaires difficultés de mise au point que rencontre le Ford, comme on l’a vu à plusieurs reprises, avec le retard que cela implique et qui se répercutera sur les suivants.
Hooper nous explique donc plusieurs choses :
• Pour ces mastodontes qui demandent des périodes importantes et parfois très longues d’entretien opérationnel et de mise à niveau, il faut des chantiers navals avec leurs cales sèches, et les USA en manquent cruellement. De là la très grande difficulté de programmer la vie courante de tous ces porte-avions, la classe Nimitz en fin de vie et la classe Ford qui arriverait bientôt, à son heure (mais quand ?), à maturité, – si elle y arrive, certes...
• Au reste, les différences technologiques essentielles entre les deux classes, avec le Ford qui est présenté comme une super-merveille complètement nouvelle par rapport à la classe Nimitz, implique que les chantiers navals doivent être eux-mêmes modifiés pour traiter toutes ces choses nouvelles. Cela ajoute diablement à l’embarras, d’autant qu’il n’est pas assuré que ces installations ainsi modifiées soient encore adéquates pour traiter les classe Nimitz encore en service (d’où l’une des hypothèses pour répondre à la question : “pourquoi se débarrasser du Truman ?”).
• Mais comme l’on sait, il y a bien pire : il y a les formidables difficultés du premier de la nouvelle super-classe (voir plus haut : “d’innombrables problèmes techniques comme nul ne peut en ignorer”). Cela signifie 1) que le Ford a déjà pris du retard et qu’il passe énormément de temps dans les chantiers navals ; 2) que toutes les modifications qu’il reçoit, et dont on ne voit pas la fin, vont se répercuter sur les deux suivants qui, non contents (!) de dépasser leur date de mise en service opérationnel, vont à leur tour mobiliser les chantiers navals plus longtemps que prévu pour ces divers travaux...
Hooper : « Il pourrait être embarrassant pour la Marine ou le ministère de la Défense de l'admettre, mais la décision de retirer le Truman pourrait se résumer à une simple question de non-capacité de cale sèche “à l'ancienne”. En sacrifiant les carénage d’entretien de l’USS Harry S. Truman de 2024 à 2028, le Pentagone libérerait suffisamment de disponibilité de cale sèche pour accueillir, au besoin, des travaux de radoub ou de maintenance non planifiés mais importants sur le USS Gerald R. Ford et le USS John F. Kennedy. »
• ... Pendant ce temps, dans cet invraisemblable embouteillage de porte-avions immobilisés pour des travaux et des entretiens prévus et imprévus, sans compter les “imprévus imprévus” (les “unknown-unknowns” du philosophe Donald Rumsfeld) qui ne manqueront pas de survenir, que restera-t-il et combien restera-t-il de coques de l’US Navy encore à la mer ? Que restera-t-il de la maîtrise des mers du globe grâce aux “super” et aux “super-super” grands porte-avions d’attaque de la Navy ?
• “Les Chinois”, suggère Hooper...
En effet, Hooper termine son article sur les perspectives de la marine chinoise par rapport à l’US Navy, tournant autour de l’arrivée de porte-avions chinois, de leurs technologies, et notamment celle des catapultes et des systèmes électromagnétiques de lancement et de récupération des avions, qui paraît l’un des nœuds fondamentaux du formidable bond technologique en avant des nouveaux “super-super” type-Ford. (Hooper précise ainsi que les “experts” supputent et prévoient de quatre à six porte-avions chinois de technologies très avancées déployés dans les années 2020. Importante nouvelle pour notre compte.)
« Le Congrès a besoin de la vérité, aujourd'hui, pour prendre les bonnes décisions. Avec un préavis suffisant, il est possible de modifier les cales sèches ou d'en construire de nouvelles. Un plus grand nombre de travailleurs des chantiers navals peuvent être embauchés et formés. Les calendriers de livraison des porte-avions peuvent être modifiés selon une chronologie nouvelle. Les enjeux sont tout simplement trop élevés pour continuer à se perdre dans d’autres dissimulations [dont la Navy a le secret].
» Dans quelques années, le Pentagone saura avec certitude si le Ford est un fer à repasser sans fiabilité, exigeant un entretien considérable, ou s’il tient ses promesses. Mais le Congrès ne peut pas attendre. Le temps presse. Au plus tard, les systèmes électromagnétiques de lancement et de récupération de l'USS Gerald R. Ford doivent être à la fois opérationnels et fiables avant l’entrée en service des porte-avions chinois de Type-002 en 2023.
» Plus tard, l'Amérique aura de vrais problèmes.
» Le monopole américain sur les super-porte-avions est en train de s'effondrer et, considérant que la transition vers le super-porte-avions de classe Ford commencerait réellement au milieu des années 2020, la marine chinoise deviendrait une force de très-grande importante dans ce domaine des super-porte-avions, déployant de quatre à six porte-avions.
» Si le plan actuel de construction navale de 30 ans est maintenu, les États-Unis n'auront que neuf grands porte-avions d’attaque en 2027, et plusieurs d'entre eux ne seront tout simplement pas prêts pour des opérations de guerre. Avec la diminution de la force de porte-avions des États-Unis, la Chine pourrait bien être tentée de rechercher la parité relative des porte-avions avec les États-Unis.
» Et, en dehors de la course stratégique évidente à la parité du nombre de super-porte-avions, les stratèges économiques de la Chine ont également conçu ce développement quantitatif de porte-avions comme un défi direct lancé à la position de l'Amérique en tant que leader mondial de la technologie et de l'ingénierie. De nombreux observateurs chinois pensent que les porte-avions de Type-002, les premiers grands super-porte-avions chinois de construction “maison”, n’utiliseront pas l'ancienne technologie de la catapulte à vapeur utilisée à bord des vieux porte-avions américains au profit des mêmes systèmes de lancement et de récupération électromagnétiques high-tech utilisés sur le Ford.
» Si les observateurs ont raison et que le nouveau porte-avions de Type-002 devient opérationnel à la mer avec des systèmes de lancement et de récupération électromagnétiques, la course à la parité électromagnétique sera lancée. Et, dans ce genre de concours, la tolérance de la Chine au risque dans les tests de développement, jumelée à la poursuite ciblée d'une seule technologie de pointe, donne à la Chine un avantage distinct. Les États-Unis, par contre, seront peut-être encore aux prises avec une tâche beaucoup plus ardue, celle d'intégrer systématiquement plusieurs technologies de pointe dans une coque unique mais beaucoup plus formidable.
» Il y a beaucoup de choses en jeu. Tandis que le prestige de l’US Navy diminue aux yeux du public en même temps que ses manifestations publiques, les dirigeants chinois comprennent le pouvoir inhérent aux simple affichage public de leur puissance. Même si le Ford est pleinement opérationnel d'ici 2024, les États-Unis pourraient rater une occasion de montrer en public l’incroyable nouvelle puissance technologique qu’apporte cette classe. D'autre part, les progrès en technologie électromagnétique de la Chine, – s'ils sont atteints, – peuvent recevoir une grande publicité dans quelques vidéos triomphantes d’exercice d’opérations aéronavales de grande envergure. Si la Chine gagne la course aux systèmes électromagnétiques fiables, le coup symbolique porté à la Navy sera diablement douloureux.
» Mais ce sera encore bien plus douloureux si la classe Ford ne parvient pas à résoudre toutes ses technologies et se cantonne au rôle de fers à repasser... »
Reste à voir si tout cela se fera, et si “tout cela” ne sera pas pire encore... En effet, “tout cela” semble d’abord identifier une énorme crise ontologique de l’US Navy elle-même face à l’US Navy, entre sa puissance en train de s’effilocher, avec ses nouveaux mastodontes de 100 000 tonnes entre promesse du renouveau et très-possible “JSFisation” de la toute-puissante classe Gerald S. Ford, et ses interrogations au milieu du labyrinthe d’installations navales dépassées ou en nombre insuffisants, avec une classe Nimitz qu’on hésite à liquider ou à prolonger c’est selon... Le sort étrange et incertain du USS Harry S. Truman résume et symbolise bien cette formidable crise de l’US Navy, qui fut l’orgueil et le socle même de l’immense puissance militaire américaniste.
Pendant ce temps, plane la menace de la perception de la réduction à néant de la puissance des porte-avions du fait des armes hypersoniques. Les Chinois sont, avec les Russes, les maîtres de cette nouvelle arme ; mais en même temps, les experts projettent la possibilité d’une puissante flotte de porte-avions chinois qui pourrait supplanter au long des années 2020 la flotte US enfoncée dans ce désarroi labyrinthique qu’on a décrit. Les Chinois développeraient-ils un type de navires d’une puissance si considérable, dont ils savent très bien eux-mêmes l’extrême vulnérabilité face aux armes hypersoniques ? Dans tous cas prendre en compte cette perspective hypothétiique, c’est ajouter encore au désarroi de l’US Navy.
Hooper termine son article par une conclusion plaintive et si incertaine jusqu’au pathétique : « C’est pourquoi l'Amérique mérite des informations valides et véridiques pour gérer activement la transition de la classe de Nimitz en fin de carrière. Le Congrès a besoin de savoir maintenant si la retraite anticipée de l’USS Truman fait partie d'un grand plan stratégique ou s'il s'agit simplement d'un moyen de s'assurer que suffisamment d’espace est disponible dans les chantiers navals pour réparer les porte-avions défectueux de la classe Ford. »
Cette incertitude pathétique vaut certainement pour l’US Navy, pour la puissance navale en général, pour la puissance militaire conventionnelle confrontée aux inconnues et aux surprises de plus en plus catastrophique du technologisme en pleine crise, bref pour tout ce qui constitue le concept de puissance dans une époque si complètement hors du contrôle humain. Le destin du porte-avions et le destin de l’US Navy sont une illustration symbolique d’une très grande force de la Grande Crise d’Effondrement du Système. On comprend que le Congrès soit inquiet et n’y comprenne pas grand’chose. Nous non plus, nous n’y comprenons pas grand’chose, mais sans aucune inquiétude pour autant, – au contraire : c’est bien là le signe de cette Grande Crise.
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