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392613 avril 2015 – En un tout petit moins de deux mois, l’avion français Rafale de Dassault a enregistré deux commandes à l’exportation (24 de l’Égypte le 12 février, 36 de l’Inde le 10 avril), qui présentent plusieurs caractéristiques les rendant extrêmement singulières et formant un événement hors du commun. On évoque ici quelques points qui justifient le qualificatif de “singulière” et décrivent cet “événement hors du commun”.
• D’abord, il y a l’évidence d’un avion de combat qui est offert à l’exportation depuis quasiment 1986, et formellement depuis 1987-1988 avec la Belgique, qui n’a obtenu jusqu’ici aucune commande, et qui en reçoit deux coup sur coup en un tout petit peu moins de deux mois. Le contraste entre ces “presque 30 ans sans commande” et ces “deux commandes en un tout petit peu moins de deux mois” est sans aucun doute singulier ; il s’agit du même avion de combat et aucun événement extraordinaire, dans tous les cas dans l’apparence de la présentation publique des choses, ne justifie cette soudaine précipitation. La banalité des commentaires convenus qu'on a pu lire dans la presse-Système et la presse spécialisée, comme dans les discours officiels, ne satisfait guère l’esprit.
• Un autre fait significatif est que les deux commandes ont été passées d’une façon précipitée et urgente, par les deux autorités politiques suprêmes des deux pays concernés, – le président égyptien El Sisi et le Premier ministre indien Modi eux-mêmes, chacun passant manifestement au-dessus des processus bureaucratiques. C’en est à ce point que plutôt qu’écrire “la France a vendu en deux mois le Rafale à l’Égypte et à l’Inde...”, il serait plus juste d’écrire qu’“en deux mois, l’Égypte et l’Inde ont commandé le Rafale à la France..”. Il y a manifestement la même démarche politique chez les deux dirigeants, beaucoup plus que des longues négociations techniques accompagnées de démarches de marketing de la part du vendeur-solliciteur ... (A cet égard, il faut donc absolument séparer la commande indienne de 36 avions des négociations qui ont lieu entre la France et l’Inde depuis 2012 pour l’acquisition de 126 Rafale. La décision de Modi rompt cette ligne de négociation et constitue un acte à part. Les négociations commencées en 2012 continuent de leur côté, cette fois sur un chiffre sans doute indéfini, puisqu’on tiendrait sans doute compte de la commande de 36. Cette commande de 36 est effectivement, d’un point de vue politique, un acte complètement différent des négociations engagées depuis 2012 et il faut donc la traiter à part, en parallèle avec la commande égyptienne.)
• Dans les deux cas, les acheteurs veulent des Rafale les plus vite possible, sans complication de coopération, de répartition de charges de travail, etc. C’est un achat typique dit, dans le jargon ,“commande “sur étagère”, réalisé extrêmement rapidement, en quelques petits mois. L’essentiel est l’acquisition et la disposition de l’avion aussi vite que possible. Par exemple, dans le cas égyptien, c’est Sisi lui-même qui a imposé la commande en octobre 2014, en demandant que les premiers exemplaires soient livrés cette année (2015), au point que certains avions devraient être prélevés sur les exemplaires sinon déjà produits dans tous les en voie de l’être, ceux-là destinés primitivement à l’Armée de l’Air française. Il semble que Modi demande des conditions similaires d’urgence, – mais lui ne pourrait recevoir ses premiers Rafale qu’au début 2016.
• Dans les deux cas, des arguments politiques et opérationnels sont avancés. Pour l’Égypte ce n’est pas tant que Sisi a besoin de Rafale pour des opérations aériennes urgentes, notamment contre les foyers hostiles qui se développent en Libye ; le facteur est considéré, mais il est secondaire ... La cause en est l’accélération du changement de politique extérieure de l’Égypte (distance prise avec l'alliance US), qui se concrétise parallèlement par un rapprochement stratégique de la Russie, lui aussi en pleine accélération (voir le 10 février 2015). Le cas indien concerne le vieillissement accéléré de la flotte aérienne militaire du pays qui compromet peut-être décisivement l’équilibre militaire avec les deux voisins les plus importants de l’Inde, le Pakistan et la Chine, alors que l’avion français a été jugé par les militaires indiens comme parfaitement adapté à certaines exigences opérationnelles, à côté des avions russes et des projets de coopération de l’Inde avec la Russie. Mais, finalement, peu importe ces raisons conjoncturelles et ces détails, qui peuvent être sujets à discussion. Ce qui importe, c’est bien l’urgence opérationnelle qui surgit comme un argument majeur dans les deux cas, un argument si important que les deux autorités suprêmes des deux pays ont pris l’affaire en main pour la conclure sans tarder.
C’est dans ce contexte d’urgence et de conditions très particulières de commande qu’il nous fait considérer ces événements, nous semble-t-il. C’est également dans ce contexte qu’il nous faut examiner le cas du Rafale, – car il s’agit bien “d’un cas”. C’est de ce point de vue que “le contraste entre ces ‘presque 30 ans sans commande’ et ces ‘deux commandes en un tout petit moins de deux mois’” fait du Rafale “un cas” très singulier.
C’est de ce point de vue qu’il nous semble utile, et même nécessaire de présenter un historique de l’avion de combat Rafale dans le domaine de l’exportation des armements. Cet historique ne doit être ni industriel, ni militaire, ni même du point de vue national et des rapports entre nations exportatrices d’armements technologiquement très avancés. Le contexte choisi doit être le plus haut, le plus vaste, et le plus significatif possible. Il doit s’inscrire dans l’historique de la crise générale qui affecte ce que nous nommons le Système, où la France, productrice du Rafale, occupe une place très singulière et originale malgré tous les efforts qui ont été faits pour la rendre conforme et similaire en tous points à tous ses coreligionnaires du bloc américaniste-occidentaliste (bloc BAO).
De ce point de vue crisique (de la dynamique des crises, dans le cadre de la crise d’effondrement du Système), le Rafale français constitue à lui seul une illustration fondamentale et remarquable du sort du système du technologisme. D’une façon extrêmement paradoxale, ce système-Rafale né du système du technologisme, marquerait par sa réussite tardive dans l’exportation, comme les commandes égyptienne et indienne pourraient bien en être l’ouverture pressante, la démonstration a contrario de la crise de l’effondrement en cours du système du technologisme, laquelle marquerait alors la fin, entre autres évènements du genre, de cette dynamique du développement de cette sorte d’avions de combat comme production la plus avancée de ce système du technologisme.
De ce point de vue crisique toujours, le Rafale est l’illustration remarquable de la position complètement ambiguë de la France, position conservée malgré les directions politiques extrêmement basses et complètement acquises au Système qui se sont succédées depuis près de dix ans, et même, en étant plus rigoureux, depuis près de trente ans (justement, durée de vie du Rafale). Cette situation ambiguë est celle d’une France agitée par des forces contradictoires qui, même pour les plus vieilles comme sa destinée historique à vocation transcendantale telle qu’on la voit si bien définie par Joseph de Maistre, sont et restent toutes très actives. Il en résulte que, par rapport à la situation née du déchaînement de la Matière de 1776-1825, et dans le cadre de la constitution du Système comme représentation opérationnelle de l’événement 1776-1825, la France est, pourrait-on dire, par rapport au Système, “un pied dedans-un pied dehors”. Ainsi le Rafale est-il à la fois l’illustration de la puissance du Système (dans sa composante système du technologisme), à la fois l’acteur et l’illustration de la puissance grandissante de la résistance antiSystème. (Ce dernier point de son identification ontologique, qui est pour nous le point dominant, est notamment explicité le 21 juillet 2005, dans une analyse où le Rafale est décrit par nous comme un “artefact antimoderne”.)
Ce contexte du Système ayant été tracé, on comprend alors que nous envisagions notre propre description du destin du Rafale uniquement par rapport aux productions du bloc BAO, essentiellement anglo-saxonnes, essentiellement US. Les productions hors-bloc BAO, essentiellement russes, n’ont jamais fait partie intégrante du Système, et elles en font de moins en moins partie. (Comme la France, la Russie est “un pied dedans-un pied dehors” par rapport au Système, mais un “pied-dehors” devenu beaucoup plus considérable, à mesure que le “pied-dedans” de la France grossissait à vue d’œil ces dernières années. Néanmoins, ces divergences tactiques-anatomiques de volume du pied n’entame nullement la pérennité des positions ambigües par rapport au Système, comme celle de la France que nous décrivons ici.) Cela ne signifie pas que ces productions technologiques (françaises, russes) sont moins bonnes ou meilleures, – car là n’est pas notre propos. Cela signifie que la production russe n’entre pas comme acteur majeur dans le cours de la destinée du système du technologisme, même si elle en use et y figure souvent à son avantage ; or, ce qui nous intéresse décidément au travers de ces Notes d’Analyse, c’est bien la destinée du système du technologisme, au-delà de celle du Rafale et incluant celle du Rafale.
Du point de vue historiquement séquentiel, nous allons décrire l’historique du Rafale, et par conséquent l’illustration de cette situation ontologique si particulière, au travers de notre thèse des “trois vies du Rafale” (des “vies” par rapport à la question hautement politique de l’exportation, parce que la question de l’exportation de ces systèmes ne peut être que politique). Cela nécessite un historique de son destin, et une interprétation bien entendu de cet historique.
La première “vie” du Rafale commence en 1985-1986, avec des opportunité exceptionnelles pour l’avion français, notamment de devenir un deuxième “avion de combat européen” à côté de l’Eurofighter/Typhoon, avec l’avantage sur ce dernier d’être un avion qui vole tandis que l’Eurofighter est un hybride qui peinera toujours à se faire prendre pour un avion de combat sérieux. Qui plus est, le Rafale a l’occasion de débuter cette carrière européenne par un contrat de coopération avec la Belgique, impliquant une commande belge acquise, donc une première commande export qui aurait pu être effectivement concrétisée autour de 1988.
Tout cela s’écroule en 1989, essentiellement à cause des maladresses et incohérences françaises que nous situerions à deux tiers de la part des gouvernements français impliqués, et à un tiers de la part du constructeur. En quatre petites années, la France a gâché des chances sans précédent et qui ne se représenteront plus d’accaparer à partir des années 1990 l’essentiel du marché européen des avions de combat post-F-16, y compris en débauchant l’un ou l’autre des participants à l’Eurofighter dans tous les cas pour une partie de leurs commandes. On mesurera l’exceptionnalité de la situation en rappelant qu’en 1985-1986 la Hollande elle-même soutenait un tel projet jusqu’ en être l’initiatrice au sein du GEIP (Groupement européen Indépendant de Programmes) présidé par le secrétaire d’État hollandais à la défense Ouwellingen, – et Dieu sait, et nous avec Lui, la puissance du tropisme pro-américain des Hollandais.
Cette tranche de la première “vie” du Rafale est largement documentée dans un texte du 10 octobre 2009 et de deux autres, plus personnels puisque liés à l’expérience personnelle de Philippe Grasset, les deux du 24 octobre 2014 et du même 24 octobre 2014.
Les années 1990 sont plus “classiques”. Elles montrent un affrontement à l’exportation entre le Rafale et les USA, chaque fois à l’avantage des USA qui imposent dans l’après-Guerre froide une influence politique écrasante. La bataille la plus emblématique de cette décennie fut celle menée aux Émirats arabes Unis, en 1995-1997. Les USA l’emportèrent avec une version spéciale du F-16, reconnue d’ailleurs de qualité exceptionnelle par les Français eux-mêmes, le F-16C Block 60. Mais le point déterminant fut et resta le poids de la puissance militaro-politique des USA.
Quoi qu’il en soit, le Rafale restait encore un concurrent respecté, un avion de combat qui avait ses chances à l’exportation.
Nous datons la deuxième “vie” du Rafale, qui est en fait, du point de vue de l’exportation, un coma assez sévère suivi d’une hibernation, du 11 septembre 2001. Cette date célèbre entre toutes établit une politique US d’hégémonie globale basée sur la brutalité, la pression jusqu’à des actes illégaux et des menaces concrètes jusqu’à l’élimination (voir ce que Retchetnikov dit de la CIA, le 10 avril 2015), l’influence exercée encore plus par le poids des armes que par l’habileté de la diplomatie. Dans un texte datant du 20 décembre 2002, extrait de notre Lettre d’Information Context, nous définition cette stratégie fondamentale du programme JSF qui entra dans sa phase de développement et de marketing coercitif sinon terroriste en 1999-2001...
«9/11 a tout changé. L’événement a suscité une politisation radicale de tous les domaines aux USA. La question des armements y figure au premier rang, particulièrement dans son aspect le plus avancé des technologies. C’est encore plus le cas d’un système aux prétentions globales comme le JSF, qui représente à lui seul une stratégie à l’exportation, voire la seule stratégie à l’exportation possible (concevable) des États-Unis. Il y a un JSF post-9/11, qui diffère fondamentalement du JSF d’avant l’attaque.
»La réaction à 9/11 a été double aux USA : réaffirmation agressive et panique profonde. Le JSF et la stratégie à l’exportation qu’il représente constituent évidemment le relais quasiment automatique de la première réaction, celle de la réaffirmation agressive. Le JSF est devenu une “arme” pour établir un nouvel ordre (américain) que l’attaque 9/11 rend impératif.
»L’approche US est désormais unilatéraliste, globalisatrice, totalement intégrée. Il ne s’agit ni d’une stratégie ni d’un complot mais d’une tendance extrême qui est une fatalité. Plus que d’une “offensive américaine” à l’exportation, nous parlerons d’une vision du monde qu’il importe d’imposer. Le JSF est l’exemple le plus élaboré d’un point de vue structurel et philosophique de cette situation. Électrisés d’une façon contrastée mais additionnée, à la fois par la conviction intime de leur puissance (hubris) et par la perception des relations internationales comme des rapports de force, à la fois par le sentiment de l’urgence, voire de panique à cause de la perception apocalyptique de 9/11, les Américains en viennent à proposer, —mais le terme “décider” serait plus approprié — qu’un système global et totalement intégré soit considéré et appliqué. Pour ce qui nous importe et ce que nous en connaissons, ce système se nommerait : JSF. (Conséquence : ne dites plus Made In USA, dites Made In JSF.)»
On signalera une concrétisation opérationnelle de cette situation, dans le cas du marché hollandais où le Rafale était concurrent mais fut balayé alors qu’il s’était techniquement et économiquement situé très près du JSF, avec l’avantage d’exister et d’être très proches des conditions opérationnelles, au contraire du JSF-papier qui ressemblait à une bande dessiné type-Comics. (Selon les notations des Hollandais eux-mêmes : 6,97 contre 6,95, – voir le 30 janvier 2002 et le 15 février 2002.) L’extrait ci-dessous d’un texte du 18 novembre 2009 met en évidence la perspective historique du cas hollandais de 2002, dans un état d'esprit bien différent de celui de 1985, et les méthodes d’une exceptionnelle brutalité. Le cas du JSF contre le Rafale fait partie de la grande saga des Stay-Behind, alias Gladio...
«En un peu plus de quinze ans, cette situation nouvelle et révolutionnaire s’est établie dans l’exportation des armements, sous l’impulsion des USA et à l’image de leurs arguments idéologiques. La situation commerciale habituelle de conquête des marchés puis de leur défense comme positions acquises est effectivement devenue une situation stratégique actant l’hégémonie militaire et politique sur ces marchés. Il ne suffit plus de parler d’influence, de pressions, etc., même si ces éléments sont de plus en plus présents et actifs. Il est désormais question d’une structure générale où les “clients” sont devenus des “correspondants” choisis par Washington pour à la fois absorber le matériel US et tenir leur place dans une structure militaire globale contrôlée par le Pentagone.
»Cette situation est la conséquence d’une longue maturation. Les USA possédaient, à la fin de la Guerre froide, particulièrement en Europe qui est le modèle le plus convaincant et le plus achevé de cette situation d’hégémonie, une formidable base d’influence. Les différents moyens et relais “ouverts” sont connus, situés à la jonction de l’action légale de lobbying et de l’action d’influence du renseignement. Mais il existe également des moyens tangentiels fondamentaux, dont on ignore en général le poids. Il s’agit essentiellement du tissu de relais d’influence et d’action établi à partir de 1947-1948 sous la direction du MI6 (très vite en perte d’importance) et du renseignement US (CIA et DIA, SR des forces armées), et structurellement à l’intérieur de l’OTAN, au travers des réseaux Stay Behind (SB), plus connus sous le nom générique de leur branche italienne depuis les révélations de 1990, de réseau Gladio.
»L’importance de l’influence des SB sur la pénétration des ventes d’armes US en Europe n’a jamais été explorée parce qu’elle est indirecte et exercée comme une conséquence naturelle. Une des raisons du maintien en activité des SB après 1990 est certainement leurs capacités d’influence sur ce domaine, au travers des cadres européens des SB (armée, renseignement, certains cadres industriels). La structure d’influence US en Europe est une remarquable réussite pour l’exportation des armements. [...] Le résultat de cette implantation fit des marchés européens, à l’exception de la France, un territoire conquis qu’il s’agissait de gérer. L’exemple néerlandais et le choix du JSF illustrent cette gestion.
»En 1998, une réunion secrète entre des chefs militaires néerlandais (sans mandat politique) et leurs correspondants industriels US avait abouti à un accord pour le choix du JSF. En mars 2002, le gouvernement prit une décision dans ce sens, que le Parlement devait ratifier. Le 5 mai 2002, le leader populiste Pym Fortuyn, vainqueur probable aux élections du 16 mai, rencontra une délégation US conduite par l’ambassadeur Clifford Sorel, où l’on trouvait également des généraux hollandais. Fortuyn leur signifia son refus de voter pour le programme JSF, ce qui impliquait une défaite du programme au Parlement. Le lendemain, Fortuyn était assassiné dans des conditions très contestées. Il fut remplacé à la tête des populistes par un inconnu, Mat Herben, dont il s’avéra qu’il avait travaillé pendant 22 ans pour les services d’information de la défense, qui sont une antenne du SR militaire hollandais. Broos Schnez, de la direction du parti populiste, déclara le 28 juin 2002, après que son parti ait été conduit par Herben à voter pour le JSF: “We were flabbergasted. The Netherlands needs to know what kind of person he is and he’s not honest. He is an old ministry of defence official and perhaps his job was to infiltrate the operation to get the party to vote for the fighter, something which we were always against. I’d advise him to go to a good lawyer and clear his name, but nothing is happening, and that’s strange.”
»L’entrée dans le programme JSF acquise, Herben donna sa démission de la direction du parti fondé par Fortuyn et disparut. L’affaire était close. Ce fut une remarquable opération réalisée dans le plus pur style SB, dont l’implantation dans les SR hollandais (dont venait Herben) depuis la fin des années 1940 est largement documentée. S’il s’agit de la manifestation la plus dramatique de l’activité de ce réseau européen/OTAN d’influence US, elle n’en est pas moins exemplaire. On retrouve cette sorte de schéma dans nombre de pays européens. Son efficacité ne s’est jamais démentie.»
... Il y a donc à partir de (9/11) et ensuite cette longue, très longue période, du coma à l’hibernation, où les plans d’investissement du monde par le JSF furent mis à exécution aux niveaux du marketing et de la gestion d’influence, mettant KO tous ceux qui auraient prétendu à concurrencer, et cette période venant jusqu’à nous à peu près. (Le verrouillage eut lieu notamment à partir de 2002, lorsque les huit pays “choisis” pour figurer la base d’investissement du monde par le JSF commencèrent à entrer dans le programme par le biais de divers “contrats” d’“observateur”, de participants par l’achat de l’un ou l’autre “prototype” de présérie, etc.)
Certes, des marchés, des “compétitions” eurent lieu pendant cette période qui dura jusqu’en 2011-2012 (voir plus loin), où le Rafale figura, où il fut même donné favori – pour perdre à chaque fois, – quelques coups d’épée dans l’eau... Bien entendu, la politique joua son rôle dans ces échecs, mais la politique invertie dirait-on, c’est-à-dire l’extraordinaire médiocrité de la direction française depuis le dernier sursaut du discours de Villepin à l’ONU et de l’opposition franco-allemande (plus la Belgique en bandouillère) à la guerre contre l’Irak de 2003. (Mais même ce sursaut ne répondait pas à une stratégie cohérente, dirigée contre la politique-Système déstructurante des USA ; plutôt un sursaut inconscient quoique ne manquant pas de panache de la singularité française, un reste de gaullisme qui traînait dans les soupentes du Quai d’Orsay.) Cette inversion du pouvoir français avec son alignement sur les USA, avec les singularités des divers présidents, fut la cause souterraine de tous ces échecs, tous les interlocuteurs (acheteurs potentiels) ne sentant plus rien de la cohérence et de la puissance souveraine du gaullisme. Le marché brésilien, par exemple, fut exemplaire : la commande de Rafale que voulait le président Lula fut pulvérisée par l’absurde politique extrémiste anti-iranienne de Sarkozy, qui participa au sabotage d’une initiative turco-brésilienne auprès de l’Iran et décida Lula à abandonner ce projet (voir le 24 mai 2011).
Pendant cette période où l’ombre du JSF semblait paralyser “le marché”, l’activité de l’exportation à partir du bloc BAO se résumait aux habituelles manœuvres corruptrices des Britanniques (les marchés saoudiens), au suivi des équipements US (F-15, F-16, F-18) imposés par les USA aux divers vassaux, à l’intrusion épisodique de l’outsider de convenance contrôlé par les Anglo-Saxons (le Gripen pseudo-suédois). Le Rafale, jugeait-on avec bien des arguments, était désormais figé dans les glaces de l’hibernation imposée par le JSF, dont l’éclosion triomphale n’allait pas tarder à faire naître le monde nouveau de l’aviation de combat : le “siècle du JSF”, le XXIème. Mais ce qui se passa alors fut si inattendu pour les esprits habitués à la quasi-divinité US... Ce qui aurait du être l‘installation d’une sorte d’emprisonnement ad vitam aeternam sous la garde du geôlier USA-JSF bascula complètement.
Cette période de coma-hibernation pour le Rafale et de triomphe pour le JSF fut en réalité marqué par un phénomène incroyable, extraordinaire, stupéfiant, – tous ces qualificatifs pour ceux qui croyaient à l’éternelle omnipotence de la puissance US comme on croit à la virginité de Marie ; et ce phénomène étant la dissolution progressive (ne parlons pas de déstructuration, ce programme n’ayant jamais eu la moindre structure) du programme JSF tout au long de la première décennie du siècle. C’est autour de 2010-2011 (voir par exemple le 4 octobre 2010, le , le 15 décembre 2011, etc.) que les observateurs courants des affaires aérospatiales commencèrent à se douter qu’il s’était passé quelque chose de formidable durant la première décennie du siècle, et qu’il devint possible de concevoir que non seulement le JSF était une usine à gaz d’une dimension qu’on n’avait jamais connue, mais encore une usine à gaz postmoderne, qui pourrait très bien ne jamais parvenir à exister, son existence limité à quelques “tchouc-tchouc” de vol avec visibilité parfaite, sous surveillance médicale et avec infusion permanente de cortisone pour éviter l’infection fatale. A partir de là, délais, surcoût, régressions même ne cessèrent d’être mis à jour, de s’accumuler, jusqu’à former une sorte d’immense désordre ou de trou noir c’est selon ; le système de la communication lui-même bascula et le JSF, jusqu’alors divinité magique, devint la risée des éditorialistes avec le bénéfice douteux d’une publicité dévastatrice ; on était passé du JSF-loving au JSF-bashing...
Ainsi attendions-nous Godot-JSF lorsque nous commençâmes à distinguer qu’il s’agissait du JSF-Titanic, à l’image de son concepteur triomphant, les États-Unis d’Amérique ; effondrement par l’intérieur, rongé par les termites, d’un programme gigantesque prisonnier d’un technologisme qui entamait sa propre course vers l’effondrement. On connaît les dernières péripéties de la chose puisque désormais le roi est tellement nu qu’on arrive à distinguer son anatomie de Frankenstein dégénéré promis à l'auto-dissolution dans son trou noir. (Voir par exemple le 2 octobre 2014, le 6 février 2015, le 13 mars 2015.)
Ainsi abordons-nous la “troisième vie” du Rafale, qui serait plus “trente après” que le Vingt ans après de notre cher Alexandre Dumas. Depuis la découverte du pot-aux-roses (2011-2012), les avatars se sont multipliés. Nous avons parlé de ceux du JSF, mais il faut parler aussi et surtout de ceux des USA, – car, comme nous l’avons si souvent dit, le JSF est une représentation monstrueuse et symbolique à la fois, dans la dynamique du technologisme qui s’effondre, du destin des USA, c’est-à-dire du destin du Système. Les crises syrienne et surtout ukrainienne, avec l’incohérente politique de force devenant une caricature de l’idéal de puissance, sont un signe puissant de ce destin dont on commence à s’aviser très précisément. Le désordre monstrueux de la paralysie et de l’impuissance du pouvoir washingtonien qui n’est plus “à prendre” mais qui est dissous en une multitude de “centres” tentant d’annexer l’un ou l’autre de ses restes soumet les psychologies notamment des dirigeants non-US à une terrible tension et pénètre peu à peu les esprits soi-disant “globalisés” au bénéfice des USA (du Système) du caractère catastrophique et inéluctable du destin de l’américanisme. Cette perception presque métahistorique inonde et imprègne tous les jugements aux différents niveaux de la spéculation, dans les différents domaines de la situation générale. Celui de l’armement, et là-dedans celui du domaine maître parce que porteur de souveraineté de l’avion de combat (1), ne sont pas épargnés, au contraire, surtout lorsqu’on dispose d’un guide et d’un révélateur tels que le JSF qui paye si généreusement de sa personne.
C’est de cette évolution psychologique puis intellectuelle que nous voulons parler pour avancer l’explication essentielle de ce que nous nommons la “troisième vie” du Rafale, – celle qui pourrait être perçue comme “la belle vie” de l’avion de combat français, et cela bien qu’elle soit également l’illustration d’une époque de plus en plus, voire absolument crépusculaire. Durant ces 3-4 dernières années, après qu’il fût apparu évident qu’Obama ne changerait rien à la politique-Système et que la crise de l’automne 2008 ne changerait rien au fonctionnement du Système, est né et s’est développé un sentiment nouveau d’antiaméricanisme, à côté de l’antiaméricanisme classique, idéologique sinon “civilisationnel”. On pourrait nommer cela de l’“antiaméricanisme catastrophiste”, c’est-à-dire la perception que les USA sont moins en déclin classique que dans une course décliniste se caractérisant par une sorte de démence, de fureur de détruire, voire une tendance suicidaire (voir “Lincoln-1838”).
Nous ne disons pas que cela est réalisé consciemment, nous faisons l’hypothèse que cela existe de plus en plus fortement dans les psychologies, inconsciemment, avec suffisamment de force pour influencer les esprits de façon radicale. Sans nul doute, la crise ukrainienne, avec le comportement incroyable des représentants d’occasion du pouvoir US (Nuland & Cie), l’emprisonnement de la narrative (le déterminisme-narrativiste), les risques ainsi sollicités d’affrontement avec la Russie, puissance nucléaire stratégique, tout cela a joué un rôle capital durant ces quatorze derniers mois, notamment auprès de dirigeants qui ne dépendent pas pour leur survie (éventuellement leur survie physique) d’un alignement sur la folie USA. D’où leur recherche de plus en plus pressante, dans une agitation générale où les bruits de possibles conflits de grande envergure, voire de guerres généralisées sinon mondiales, ne manquent pas, de sources alternatives d’armements qui ne les coupent pas complètement du bloc BAO tout en prenant nettement leurs distances de la “philosophie” de la démence anglo-saxonne (on peut mettre UK dans le même sac). Notre hypothèse est bien que la décision de Modi, comme celle de Sisi, sont de cet ordre... (Avec, dans le second cas, la volonté de briser le poids presque surhumain de la bureaucratie indienne en train de négocier l’achat des 126 Rafale initiaux et décider une commande de 36 avec livraison accélérée qui est d’abord un acte politique.)
Cela n’empêche pas ces deux pays (Égypte et Inde) d’acheter du matériel russe (surtout l’Inde d’une façon régulière, bientôt l’Égypte à nouveau en piste). Mais un engagement exclusif avec les seuls Russes, outre les objections opérationnelles et industrielles de la source unique, serait considéré comme trop “marqué” du point de vue de l’orientation politique et risquerait de nourrir la perception qu’on passe d’un maître à un autre. Les deux pays se sont donc tournés vers la France, comme ils ont déjà fait à d’autres reprises, et cette fois encore avec l’avantage de disposer d’un système qui est certainement aujourd’hui le meilleur avion de combat polyvalent du monde. (Et sans doute le dernier aussi achevé, si l ‘on en juge par la courbe catastrophique du système du technologisme dévoré par ses propres excès comme le JSF nous en fait gracieusement la démonstration, – mais ceci est certainement un autre débat.)
... C’est en somme une bien étrange aventure. “Les autres” sont venus solliciter la France avec à l’esprit ou dans leur part de mémoire collective le rôle que la France gaulliste, bien mieux préparée qu’on ne croit par la IVème république, reconquit magnifiquement dans les années 1960 ; le rôle d’une différence fondamentale et souveraine, d’une spécificité ancrée dans des siècles d’histoire qui empêche ce pays d’être complètement soumis au Système et aux USA, malgré le travail de trahison et de médiocrité inlassable de ses élites qui est devenu au fil des décennies sinon d’un ou deux siècles leur façon à elles de sacrifier au principe de la Tradition qu’elles détestent tant. En quelque sorte, ces pays obligent la France à tenir le rôle qui lui est imposé par l’histoire («La France exerce sur l’Europe une véritable magistrature, qu’il serait inutile de contester...» écrit notre ami, le comte Joseph [de Maistre]) ; aujourd’hui, nécessité d’époque, ce rôle imposé d'une “véritable magistrature” exercée sur le principe de souveraineté qui est opérationnalisé dans ce domaine général de l’armement de haute technologie par le domaine suprême de l’avion de combat ; et ce rôle-là tenu par la pression des circonstances et d'autres nations, malgré une direction politique absolument catastrophique d’inculture et de bassesse, et totalement ignorante de ce qu’est la souveraineté. Bref, la France se passe de président puisqu’elle a un Sisi ou un Modi pour la rappeler à sa mission.
Ainsi, à notre sens, faut-il voir ses commandes qu'on décrirait selon le goût des jeux de mots facile de l'époque comme “en rafale”, mais plutôt rafale d'un vent nouveau et différent ; ces commandes qui pourraient bien être suivies d'autres du même type, et qui ramèneront pour les USA et le porteur d’eau UK la France à sa fonction normale de faux-“allié” et traître à visage découvert qu’on hait bien plus que l’Ennemi du jour, avec une constance et une rage comme sont coutumiers les Anglo-Saxons. Comme, en plus, les services de renseignement français se permettent d’avoir leur avis sur l’invasion sans fin de l’Ukraine par la Russie... Les salons parisiens, quand ils s’en apercevront, vont pouvoir à nouveau gémir sur le French-bashing qui les attriste tant, eux qui cultivent tant l’affection outre-atlantique.
1) Sur la question des rapports du principe fondamental de la souveraineté et de l’armement de haute technologie (hors nucléaires, certes, qui doit être considéré à part et hors de ce débat), et précisément sinon exclusivement de l’avion de combat, voir divers textes sur ce site : le 29 avril 2004, le 27 mai 2004, le 10 décembre 2007
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