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180113 juillet 2013 – La crise Snowden continue à accélérer dans sa multiplicité d’effets, touchant des domaines importants mais différents. On a vu hier (le 12 juillet 2013) les révélations du Guardian sur les relations de Microsoft avec la NSA, qui accélèrent un courant de déstructuration de l’“architecture internet-NSA”. Hier soir, Snowden annonçait qu’il demandait l’asile politique à la Russie.
Cette seconde nouvelle très importante met aussitôt la lumière sur un cas désormais fondamental de la crise Snowden : les relations entre les USA et la Russie. Tout semble pour l’instant en effet indiquer que la Russie accepterait la demande de Snowden, à la condition, émise par Poutine, que ses “activités [en Russie] ne portent pas préjudice à nos partenaires américains”, – selon les mots de Poutine. (Le 1er juillet 2013 : «President Vladimir Putin says NSA leaker Edward Snowden may stay in Russia, if he wants to, but only if he stops activities aimed against the United States. “There is one condition if he wants to remain here: he must stop his work aimed at damaging our American partners. As odd as it may sound from me...”»)
Si effectivement, l’asile, même “temporaire”, est accordée, il apparaît très probable que les relations entre les USA et la Russie, du fait des USA, prendront un tour d’une très grande tension. Ce constat, évident à partir des circonstances et déclarations diverses, devra être nuancée plus loin par le développement de l’observation que ces relations sont en vérité et en dépit des apparences de circonstance, d’ores et déjà très mauvaises. L’un des faits principaux qui empêchent une amélioration, – notamment, pour le cas présent, si Moscou cédait aux USA, – tient simplement au comportement d’Obama, mais un Obama prisonnier du Système et de sa politique. Ce comportement peut être qualifié, au choix, par l’un de ces trois mots indiquant des situations et des traits de caractère : impuissance, ou faiblesse, ou irrésolution, ou les trois ensemble.
Ce jeune homme de 30 ans, Edward Snowden, le whistleblower le plus fameux de l’histoire du renseignement, de la sécurité nationale, du Global Security System, – bref, de l’histoire du Système, – a donc annoncé hier soir qu’il demandait l’asile politique à la Russie. Cette demande est justifiée par des considérations qu’on pourrait considérer comme temporaires (notamment l’actuelle et quasi évidente impossibilité de se rendre dans un des trois pays d’Amérique du Sud qui lui accorderaient l’asile politique), qui sembleraient indiquer que la demande d’asile politique est également “temporaire”, – ce qui implique une condition éventuelle pour l’instant imprécise, sinon inexplorée. Snowden a annoncé cette décision, et peut-être même l’a-t-il prise, après une réunion de consultation de quelques interlocuteurs (13 en tout), avocats et dirigeants d’organisations russes et internationaux de défense des droits de l’homme et des droits civiques, et également un membre de la Douma.
Russia Today, qui donne la couverture maximale à l’événement dans des conditions de communication extrêmement élaborées, exposait la décision de Snowden et les conditions où elle avait été prise, le 12 juillet 2013 :
«NSA leaker & former CIA employee Edward Snowden has asked for political asylum in Russia, saying he could not fly to Latin America, according to Human Rights Watch representative who met the whistleblower. According to Tatyana Lokshina of Human Rights Watch, Snowden seeks to stay in Russia as he “can’t fly to Latin America yet.” When asked if the NSA leaker has any more revelations, Lokshina responded: “He says that his job is done.”
»Snowden asked the human rights activists to petition the US and European states not to interfere with his asylum process, she said. The former NSA contractor also asked to intervene with President Putin on his behalf, Lokshina added. Snowden said he is ready to ask Russia for political asylum and that he “does not intend to harm the US in the future,” according to the chairman of the Russian State Duma MP Vyacheslav Nikonov. “No actions I take or plan are meant to harm the US... I want the US to succeed,” Snowden said.
»Snowden said he does not rule out moving to live in a Latin American country. However, the recent incident in which the Bolivian President Evo Morales’ plane was grounded in Austria on suspicion that the NSA leaker was on board discourages Snowden from going there now. “First, he said that he was dissatisfied with European countries after the Bolivian president’s plane was inspected. He wants to seek political asylum, at least temporary shelter, in Russia. But his further actions are unclear,” Nikitin said. According to human rights lawyer Anatoly Kucherena, the request for political asylum has already been written by Snowden. Kucherena said he will provide legal support for the former NSA contractor seeking asylum.
»Thirteen Russian and international human rights advocates and lawyers have gathered at Moscow Sheremetyevo Airport for a meeting with Snowden. The whistleblower said the living conditions were fine at the airport and he felt safe there, but he knows he can't stay there forever, according to Lokshina.»
L’acceptation des conditions posées par Poutine signifierait-elle la fin des divulgations des documents NSA ? Dans un article du 3 juillet 2013, et constatant selon les déclarations de Glenn Greenwald, qu’un certain nombre de personnes, dont Greenwald lui-même, et d’organisations, disposaient de l’entièreté du “fonds Snowden”, nous observions :
«Cette réalité fait s’interroger sur le refus de Snowden de l’offre conditionnelle d’asile politique de la Russie. Il y a l’argument général de la poursuite de sa mission de diffusion des documents NSA, par exemple comme le signale WSWS.org (dans le texte déjà cité) : «Snowden swiftly rejected Putin’s “offer,” which would have made him a political prisoner of the Kremlin oligarchy, and withdrew his asylum application. His action made clear his determination to continue exposing the illegal operations of the US government and at the same time underscored the fraud of the espionage charges brought against him.» Cet argument de la poursuite de la diffusion des documents NSA n’a plus guère de sens, comme on l’a vu plus haut. Dès lors, le jugement selon lequel Snowden deviendrait un “prisonnier politique” en Russie n’est pas plus d’une signification convaincante et nous paraît ressortir pour beaucoup de l’hostilité viscérale des trotskistes pour un gouvernement qu’ils considèrent comme successeur lointain de Staline en même temps que complice “capitaliste” des USA («Whatever the geopolitical conflicts between Moscow and Washington, however, both governments represent rapacious capitalist ruling strata and are united in their fear of state crimes being exposed to their respective working populations.»). On peut même avancer que, selon l’évolution de la situation des relations USA-Russie qu’on peut sans grand risque apprécier comme promises à s’aggraver, un Snowden installé en Russie pourrait retrouver un rôle politique public. Cela est d’autant plus à considérer qu’il dispose dans le pays de nombreux alliés, dans des positions d’influence non négligeables, et que la pression sur Poutine pour une politique plus antiaméricaniste est une constante de la situation russe.»
La seule restriction à ces observations pourraient venir du fait nouveau d’un Snowden demandant à ceux à qui il a fourni son “fonds Snowden” de ne plus rien diffuser. Cela suivrait par exemple des pressions russes, si la Russie voulait s’aligner complètement sur les demandes de Washington. Greenwald est intervenu, en réponse à des questions de Politico.com, d’une façon proche d’être catégorique. (Le 12 juillet 2013.)
«By seeking protection in Russia, NSA leaker Edward Snowden seems to have acknowledged that he is willing to stop leaking U.S. secrets – a precondition for asylum, according to Russian president Vladimir Putin. But Glenn Greenwald, the Guardian journalist who first published reports based on Snowden's leaks, says such an asylum agreement would not stop him from publishing reports on the many confidential documents he has already received from Snowden. “Given everything I know, I'd be very shocked if he ever asked me that,” Greenwald told POLITICO on Friday. “I'd deal with that hypothetical only in the extremely unlikely event that it ever happened, but I can't foresee anything that would or could stop me from further reporting on the NSA documents I have.”»
Rapportant la nouvelle de Politico.com, Russia Today conclut (le 13 juillet 2013) d’une façon encore plus catégorique que le “fonds Snowden” ne dépend plus de Snowden... «Comments by Greenwald to Politico on Friday suggest that the journalist already has a backlog of leaks to work with, and that any agreement Snowden were to make with a foreign government in regards to conditions of political asylum would be independent of Greenwald’s publication of that information.»
La réaction de Washington, de la Maison-Blanche spécifiquement, a été extrêmement dure sur la forme, mais avec quelques nuances qui reflètent comme d’habitude le caractère d’Obama. Il reste qu’on retiendra la dureté de la réaction, qui enferme Obama dans une exigence à mesure. (Russia Today, le 12 juillet 2013.)
«The White House said Friday that Russia granting political asylum to Edward Snowden would be on par with providing the National Security Agency leaker with a “propaganda platform” to further harm the United States. [...] “I would simply say that providing a propaganda platform for Mr. Snowden runs counter to the Russian government’s previous declarations of Russia’s neutrality, and that they have no control over his presence in the airport,” Carney said.
»“It’s also incompatible with Russia’s assurances that they do not want Mr. Snowden to further damage US interests. But having said that, our position also remains that we don’t believe this should — and we don’t want it to — do harm to our important relationship with Russia, and we continue to discuss with Russia our strongly held view that there is absolutely legal justification for him to be expelled, for him to be returned to the United States, to face the charges that have been brought against him for the unauthorized leaking of classified information,” the spokesman said. [...] “What I would say is we don’t believe this issue should do harm to the relation between Russia and the United States, and we are working with the Russians and have made clear to the Russians our views about the fact that Mr. Snowden has been charged with very serious crimes and that he should be returned to the United States,” Carney said.»
Il y a eu un entretien téléphonique entre Poutine et Obama, hier, à la demande du second, sur l’affaire Snowden. Les échos ne sont pas excellents. Selon le Guardian du 12 juillet 2013 : «The US president, Barack Obama, spoke to his Russian counterpart, Vladimir Putin, by telephone on Friday evening but there was no breakthrough on the issue.»
La position d’Obama est toujours constituée de ce mélange, qui se voudrait habile et qui n’aboutit qu’à être paralysant et à l’enfermer finalement dans des positions statiques extrêmes, de dureté formelle (dito dans ce cas, à Poutine : “il faut nous rendre Snowden ou bien vous le neutralisez”, qui va très vite devenir “il faut nous rendre Snowden, point final”) suivie d’une plaidoirie pour la poursuite des relations essentielles entre les USA et la Russie. Obama avait déjà exprimé cette posture complexe et qui reflète son caractère lors de sa première intervention sur l’affaire, mais alors dans un sens beaucoup plus ouvert, qui tendait à rendre l’affaire Snowden négligeable au profit des relations USA-Russie. A notre sens, c’est cette analyse qui a poussé Poutine à prendre publiquement la position qu’il a annoncée le 1er juillet (voir plus haut), qui venait trois jours après l’intervention d’Obama, alors dans son périple africain, lors d’une conférence de presse.
On trouvera cette position d’Obama dans un texte du 28 juin 2013, se référant à sa conférence
«Les réactions à ce passage de la conférence de presse d’Obama ont été notables, notamment parce qu’il s’agissait de la première fois où Obama s’exprimait sur l’entièreté de l’affaire, essentiellement avec ses ramifications internationales. Bien entendu, la phrase “... no, I'm not going to be scrambling jets to get a 29-year-old hacker” a retenu l’attention générale, – et l’on remarquera la forme, nullement sollicité, voulue par Obama lui-même, délibérément : “But one last thing, because you asked a final question – no, I'm not going to be scrambling jets to get a 29-year-old hacker”... [...]
»[...I]l ne fait aucun doute que les explications d’Obama vont dans le sens de l’apaisement, selon la ligne générale qu’il existe une procédure en cours pour réclamer l’extradition, qu’elle aboutira ou pas c’est selon, mais qu’en aucun cas l’affaire Snowden ne doit mettre en cause les relations avec la Chine et avec la Russie. Un commentaire dans le même sens mais plus critique est celui de Antiwar.com, rapportant l’intervention ce 28 juin 2013, en s’arrêtant bien entendu à la phrase sur l’interception d’un avion transportant Snowden et en notant qu’effectivement la chose a été évoquée par l’un ou l’autre “officiel” de l’administration, pour enfin préciser qu’Obama joue de son côté l’apaisement selon une chorégraphie bien réglée : “Obama’s comments typified the administration’s reaction, as he simultaneously tried to downplay the revelations while seeming baffled and somewhat angered that the US government’s hope to punish Snowden for revealing their abusive surveillance wasn’t universally shared.”
»Nous sommes inclinés à ne pas suivre cette interprétation, du moins si elle renvoie à une tactique, car c’est une tactique plutôt lose-lose, selon l’expression consacrée. [...] Devant cette non-tactique, justement, de la part de l’administration, notre interprétation est plutôt celle du désordre d’une part, et surtout, d’autre part, et celle-ci renforçant celle-là, l’existence de très fortes pressions pour que le président US riposte très durement, jusqu’à des menaces du type de celle de l’interception éventuelle d’un avion transportant Snowden...»
Il existe donc la potentialité d’une situation diplomatique nouvelle, d’une grande importance. Le sentiment général concerne l’appréciation que la Russie est dans une position “délicate”. Antiwar.com la définit assez bien, ce 13 juillet 2013, en observant : «Russia is said to be in an awkward situation on the case, with officials saying that Russia doesn’t want Snowden to cast a pall over the September summit talks, but likely can’t afford to appear to be giving in to unreasonable US demands to abide by an extradition treaty that doesn’t exist.»
M K Bhadrakumar, qui tient l’acceptation du droit d’asile en Russie à Snowden pour acquise, se détache du sentiment général en se montrant plus optimiste pour Poutine, et moins pour Obama, donnant une plus juste appréciation de la situation (le 12 juillet 2013). (Bhadrakumar cite dans ce texte des négociations USA-Russie secrètes sur le cas Snowden qui auraient échoué, dont il parlait pourtant avec enthousiasme la veille, le 11 juillet 2013.)
«However, Kremlin’s decision will sit well with the Russian public, given the entrenched enemy image of the US. Conversely, in the US, Obama will draw flak for being a colorless, indecisive wimp in the face of Russian ‘bullying’. Yet, we do not know what led to the breakdown in the negotiations between Washington and Moscow over the Snowden case. There is going to be more than one version.»
Le cas de M K Bhadrakumar, à propos duquel nous avions signalé une certaine surprise de certaines de ses positions (voir le 5 juillet 2013), est intéressant pour mieux approfondir l’analyse de cette situation diplomatique. Depuis que l’affaire Snowden a commencé, M K Bhadrakumar ne cesse d’opposer la position de la Chine, particulièrement prudente vis-à-vis des USA et s’étant “débarrassé” de Snowden avec brio et discrétion, à celle de la Russie plus engagée dans une voie risquée. Manifestement, il juge la politique chinoise plus appropriée et plus sage, comme il le redit encore le 11 juillet 2013, à propos des négociations citées plus haut («Could it be that Moscow is taking the cue, finally, from Beijing’s “realistic philosophic and political approaches” to steering the China-US relations to calmer waters?»). Pourtant, le résultat de l’habile politique chinoise n’est-il pas des attaques US renouvelées, pour sa politique de “cyber-agression” contre les USA (venant de la part du pays de la NSA, on appréciera), et même à propos de Snowden, – deux choses que Bhadrakumar cite, dans ce même article du 12 juillet 2013 ? Où sont les “calmer waters” vers lesquelles doit mener la politique de restriction de la Chine dans l’affaire Snowden ?
On trouve la même attitude de Bhadrakumar, recommandant constamment à la Russie une politique d’apaisement, de concessions raisonnables vis-à-vis des USA, et pourtant pestant au contraire avec fureur et un complet mépris pour son gouvernement lorsque l’Inde cède aux pressions US de cette même façon qu’il recommande pour la Russie (voir par exemple les 24 novembre 2011 et 16 avril 2013). Peut-être l’attitude de M K Bhadrakumar, diplomate dans l’âme, renvoie-t-elle pour le cas russe au souvenir de la guerre froide, où il était de coutume d’admettre que dès lors que l’URSS et les USA s’accordaient, une certaine stabilité diplomatique était acquise ?
(Cette hypothèse est d’ailleurs hautement contestable : la guerre froide n’est pas une période de stabilité mais une période de contrainte, selon le jugement qu’une guerre générale était impossible par crainte d’anéantissement mutuel, et cela poussant à des arrangements inévitables. Pour le reste, les périodes d’entente USA-URSS ont été très courtes et sporadiques, et d’ailleurs tenant souvent à des personnalités dans des situations intérieures délicates, – surtout des président US, tels que Kennedy en 1962-1963 et Nixon en 1972-1974.)
Finalement, il est assez juste de dire que Poutine est dans une “position délicate”. La cause en est qu’il semble placé, ou devoir être placé si la situation continue dans le sens qu’on voit, devant un “choix” à faire. Cela est toujours délicat, dans de telles circonstances. En face, à Washington, il n’y a pas de choix à faire parce qu’il n’y a pas de pouvoir mais une bataille paralysante de différents centres de pouvoir, parce qu’il n’y a pas de direction politique mais simplement un organisme coordinateur des poussées et intérêts divers qui s’expriment, parce qu’il n’y a pas de politique mais simplement une poussée continuelle vers le maximalisme et l’extrémisme, qui est une définition approximative de la politique-Système.
Encore le “choix” éventuel de Poutine serait-il assez limité, parce que la situation qui s’impose à lui est largement déterminée par des dynamiques d’ores et déjà à l’œuvre. L’appréciation théorique de la situation, hors de la possibilité de précisions ou d’éléments essentiels que nous ne connaîtrions pas, se définit principalement par deux facteurs. D’une part, la pression extrémiste continuelle de Washington, qui interdit quasiment la possibilité d’un arrangement par la puissance et l’intangibilité des exigences US. D’autre part, l’engagement théorique de Poutine pris vis-à-vis de Snowden, et désormais soutenu par un puissant mouvement de soutien, comprenant notamment un certain nombre de pays. Si Poutine cédait, – s’il cède, puisque cette possibilité existe quoi qu’il en soit, sa politique extérieure et la sécurité même de la Russie par conséquent seront considérablement compromises .
La question est alors, pour poursuivre l’hypothèse que nous envisageons, de savoir ce que Poutine aurait à perdre en suivant une “politique”, un “choix” qui lui semblent par ailleurs pratiquement imposés, de résistance à Washington en assurant la protection de l’asile politique à Snowden dans les conditions envisagées. (Ces conditions étant, par la force des choses selon ce que nous dit Greenwald, que Snowden n’agit plus contre les USA, mais que les fuites se poursuivent par l’action de ceux qui en ont la charge. Cela suppose l’absence de pressions intolérables de Moscou pour forcer Snowden à exiger qu’on arrête la publication des “fuites”, – ce que Greenwald juge “impensable”.) Une rapide revue des principales crises et situations de tension montre que Poutine n’a rien à perdre par la force des choses, parce qu’il ne dispose aujourd’hui d’aucun avantage particulier dans ses relations avec les USA, et notamment d’aucun avantage particulier dans le fait que l’apparence des relations USA-Russie semble “bonne” alors que ces relations ne le sont pas précisément. (En fait, le reset des relations USA-Russie lancé à grand fracas en 2009 n’a rien donné, hormis un traité de limitation des armements stratégiques qui n’a aucune signification, aucun poids politique aujourd’hui. Pour le reste, les relations USA-Russie ne sont pas meilleures et, dans certains domaines, plus mauvaises qu’à l’époque Bush, surtout dans le deuxième mandat, même en comptant la guerre avec la Géorgie qui fut le fait essentiel de Saakachvili et dont les USA n’ont pas cherché à profiter.)
• Tout le monde fait grand cas du sommet avec Obama en septembre, comme si ce sommet devait tant promettre. On a dit et pensé exactement la même chose du sommet Poutine-Obama en marge du G-8. On a vu ce qu’il a donné : l’un des plus complets échecs enregistrés à cet égard. La fameuse promesse “Dites à Vlad’” faite à Medvedev il y a un peu plus d’un an (voir le 27 mars 2012) ne débouche sur rien, puisqu’Obama est totalement prisonnier de Washington et du Système.
• L’agressivité des USA vis-à-vis de la Russie s’exerce déjà largement et continuellement au travers des pressions de l’OTAN, de la politique d’“agression douce, de l’expansion continuelle du réseau antimissiles avec des bases en Pologne, etc. A part des activités militaires directes que les USA sont bien incapables de conduire, l’agressivité US peut difficilement s’exprimer plus fortement, dans les conditions où justement les moyens militaires sont exclus.
• En Syrie et dans les crises du Moyen-Orient, on voit mal comment la politique US pourrait être pire pour les intérêts russes qu’elle a été jusqu’ici. La recherche sans arrêt des Russes pour trouver un arrangement équitable s’est heurtée à une hostilité constante de la part du bloc BAO, et le si faible rayon de lumière apparu avec la perspective d’une conférence de Genève-II est d’ores et déjà proche des calendes grecques pour les délais, et d’ailleurs promise à tous les avatars possibles où la Russie perdra beaucoup d’énergie pour rien, avec l’arrivée de Susan Rice au NSC et de Samantha Powers à l’ONU. Libérés des réserves qu'ils observent jusqu'ici, les Russes entreprendre des actions telles que l’équipement rapide de la Syrie, et peut-être de l’Iran pourquoi pas, de S-300, avec la satisfaction qu’on imagine en Israël.
• Les USA peuvent évidemment déclencher une guerre commerciale avec des sanctions, comme c’est la coutume à Washington, surtout avec le Congrès. Mais cette perspective se situera dans un cadre unilatéral complètement illégal et conduira à des réactions en chaîne dont certaines peuvent être très intéressantes pour la Russie...
C’est avec ce dernier point que nous entrons dans le domaine des avantages, souvent indirects et paradoxaux, que pourrait susciter une politique d’hostilité déclarée des USA vis-à-vis de la Russie...
En effet, il faut comprendre que cette “politique d’hostilité déclarée des USA vis-à-vis de la Russie” aurait l’avantage de mettre au clair et au net une situation d’ores et déjà existante dans l’esprit de la chose. Mais elle le ferait dans une occurrence où Moscou a largement “le beau rôle”, puisque protecteur d’une personne persécutée par les USA, au nom du principe universel du droit d’asile, dans des conditions où cette personne a révélé au monde la connaissance incontestable et formellement documentée (et non plus le sempiternel “tout le monde sait bien que...” qui n’a aucune force d’évidence et permet d’échapper aux prises de position claires) d’une situation d’oppression intérieure et extérieure (surveillance, espionnage) du Système manipulant la situation américaniste à son avantage.
Les conséquences avec des effets indirects positifs potentiels pour la Russie de cette situation de tension affirmée qui ne ferait qu’entériner les tensions existantes sont au moins de trois ordres, tous intéressants.
• Une riposte affirmée des USA, avec l’appareil des pressions et des sanctions éventuelles, et illégales certes, conduirait à des pressions considérables sur les autres pays du bloc BAO. Cela signifie que Washington exigerait de ses alliés des attitudes d’hostilité similaire, au niveau de la communication et dans divers domaines des échanges, notamment de la part des pays européens (eux-mêmes victimes des actions de la NSA dénoncés par Snowden). On peut imaginer ce que serait la situation de l’Allemagne, qui fait grand commerce avec la Russie ; de la Pologne, désormais sous la menace des SS-26 Iskander basés à Kaliningrad si les bases antimissiles US se développaient sur son territoire ; de la France, dont le président-poire découvrirait qu’il doit donc livrer des BPC Mistral à la Russie, et qui serait soumis aux pressions de Washington pour supprimer ces commandes, avec les effets divers qu’on imagine au niveau intérieur, avec la situation de crise que connaît la France.
• La Russie se tournerait encore plus résolument vers des voies alternatives, type BRICS et OCS, avec la recherche du développement d’équivalents commerciaux et autres, dans une situation où des groupes entiers de pays (l'Amérique du Sud, certes), éclairés notamment par les révélations de Snowden, seraient nécessairement conduits à accélérer leur propre évolution dans ce sens. L’affirmation agressive des USA, qui tendraient comme toujours à étendre leurs exigences aux autres selon le mot d’ordre “qui n’est pas avec nous est contre nous”, pousserait dans le même sens.
• La Russie accélèrerait son propre reclassement social, culturel et spirituel (voir le 8 juillet 2013), cette fois selon un mot d’ordre de mobilisation contre un danger clairement identifié : la puissance de la poussée déstructurante et dissolvante du Système, souvent évoluant à couvert, serait cette fois à visage découvert et identifiée à une situation politique clairement établie. Une mobilisation des esprits et des convictions dans ces conditions constitue sans aucun doute le moteur d’une puissance incontestable, et constituerait un très grand ciment unificateur pour la Russie.
• Un quatrième élément à considérer, qui est hors de cette description de confrontation, est l’état même des USA, avec les crises multiples qui secouent cette puissance. Une situation de confrontation qui ne se traduirait évidemment pas par des hostilités ouvertes et brutales, mais par une offensive de communication principalement, ne supprimerait certainement pas la pauvreté du cas de l’“affaire Snowden” et la division, voire l’hostilité à la position officielle qu’il suscite aux USA. (On peut lire à ce propos un article Glenn Greenwald, le 10 juillet 2013, observant qu’un sondage qui vient d’être réalisé aux USA donne 55% de réponses identifiant Snowden comme un whistleblower vertueux, contre 34% jugeant qu’il est un traître... Greenwald cite le commentaire du sondage : «The massive swing in public opinion about civil liberties and governmental anti-terrorism efforts... [...] The verdict that Snowden is not a traitor goes against almost the unified view of the nation's political establishment.»)
Énoncer tout cela n’est pas plaider pour la politique du pire, puisque nous nous trouvons d’ores et déjà dans le pire qui soit possible, et par conséquent dans la politique qui en émane nécessairement. Ce n’est même pas tant décrire une éventuelle politique russe si les conditions s’en trouvaient réunies, avec d’éventuels avantages pour la Russie, que décrire une situation objective où la direction US est devenue complètement un attribut du Système et suit une dynamique de folie par rapport aux situations des relations internationales, avec, pour tenter de la faire considérer comme honorable, comme simple tâche de “rationaliser cette folie” (voir “la parabole d’Achab”). Une situation de confrontation ouverte n’aurait objectivement d’autre effet que de priver cette direction US du moyen de poursuivre cette “rationalisation de la folie”, – tout en conservant la folie, cela va de soi.
L’intelligence de la situation du monde, à Washington tout entier annexée par le Système, est réduite, à côté des hésitations et des finasseries d’un Obama, aux convulsions du caractère psychologique de l’hybris comme expression de l’“idéal de puissance” exprimant le “déchaînement de la Matière”. L’enchaînement est parfait pour décrire la crise d’une puissance qui est l’expression terrestre la plus convaincante de la crise d’effondrement du Système. On voit qu’il n’est plus guère question, ni de la Russie, ni de ses intérêts, puisque la politique du monde telle que nous l’identifions n’évolue plus dans ces domaines mais a d’ores et déjà atteint le champ métahistorique.
Il est possible, et peut-être souhaitable, qu’un Poutine parvienne à une certaine conscience de cette situation, non plus en des termes géopolitiques et autres, mais bien en fonction de la crise générale qui nous affecte tous. C’est une question d’intuition et de conviction à la fois... Voilà donc à quoi sert aujourd’hui (en plus de ses révélations, certes) ce “jeune homme de 30 ans”, ou ce “29-year-old hacker” comme disait Obama le 28 juin. (Mal informé, le président, puisque Snowden, né le 21 juin 1983, avait déjà fêté son trentième anniversaire dans la zone internationale de l’aéroport de Moscou.)
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