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12287• Pauvre Nancy Pelosi, face à l’ouragan des critiques saluant sa visite à Taïwan : ils me critiquent « Because I’m a woman ». • Mais qu’elle se rassure : finalement, son voyage n’a pas été inutile : il a permis aux Chinois de mettre en pratique (en manœuvres réelles) un plan d’encerclement naval qui pourrait servir au cas où viendrait un jour l’idée inattendue d’envahir l’île dont la Speaker de la Chambre est venue annoncer que les États-Unis la défendront tant qu’elle-même sera à son poste. • Tout le monde attendait une réaction brutale de la Chine, une sorte de nouveau “24 février” de l’autre côté de la planète ; on a eu une réaction ferme et souple, bien dans la tradition chinoise, et symbolique également. • Symbole pour symbole : la visite de Pelosi était symbolique d’un engagement passé, la réaction de la Chine est symbolique d’un engagement décisif dans la GrandeCrise, aux côtés des Russes, des BRICS, du Grand-Sud, etc., contre l’hégémonie américaniste occidentaliste. • Pelosi est venue confirmer la prophétie de William Pfaff en 1992 : « To Finish in a Burlesque of an Empire ».
4 août 2022 – On dirait avec une certaine assurance que tous les actes de politique étrangère américanise pour ralentir la tendance actuelle de rupture de l’ordre mondial unipolaire, de multipolarisation et d’effondrement de l’hégémonie des USA donnent le résultat exactement inverse. On pourrait même avouer une surprise certaine de la rapidité de l’avancement de cette détérioration, comme si l’idéologie américaniste de l’hégémonisme avait passé son le pic du “Principe de Peter” et, sur sa descente accélérée, transformait toute initiative de renforcement en son contraire catastrophique.
Par exemple ? Avant même d’observer les résultats sur la situation de Taïwan, de la Chine et des USA notons un effet somme toute inattendu : après la visite à Taïwan, Pelosi s’est rendue en Corée du Sud. Après l’épreuve, ce devait être du gâteau, – eh bien, ce n’en fut pas du tout, et ainsi a-t-on pu assister à un ballet étonnant réalisé, avec le plus grand succès d’ailleurs, par les principaux dirigeants de cet “allié” indéfectible des États-Unis, pour éviter de rencontrer Pelosi et d’ainsi déplaire à Pékin... La Corée du Sud, bastion du système de l’américanisme en Asie !...
Pour l’anecdote donc, l’évolution de la situation sud-coréenne fut exemplaire :
« Nancy Pelosi est arrivée en Corée du Sud, poursuivant sa tournée asiatique, – laissant dans son sillage une situation tendue à Taïwan où les forces de l'APL chinoise encerclent l'île avec des exercices à tir réel – mais le président sud-coréen Yoon Suk-yeol ne la rencontrera pas.
» Bien qu’il s’agisse de “vacances” annoncées à l'avance, les spéculations dans la région vont bon train sur l’hypothèse d’une décision intentionnelle alors qu’on savait déjà que Pelosi voulait aller à Taïwan, afin que Séoul puisse éviter de s'attirer les foudres de la Chine. Il se trouve que même le ministre des affaires étrangères Park Jin n'est pas dans le pays, – il n'y aura donc pas non plus de rencontre entre Pelosi et le principal diplomate du pays. [...]
» Selon le Korea Times, les responsables de Séoul sont très méfiants et nerveux par rapport au timing de la visite de Pelosi.
» “Dans le contexte de l'aggravation de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, la Chine a menacé d'entreprendre des actions militaires et pourrait provoquer une réaction similaire de la part des États-Unis, ce qui pourrait éventuellement affecter la Corée du Sud, en raison de l'alliance de cette dernière avec les Etats-Unis”, a déclaré Kim Heung-kyu, directeur du U.S.-China Policy Institute de l'université Ajou, cité dans la publication. »
D’une façon générale, les commentaires, y compris aux USA, vont, dans un sens plus ou moins accentué dans l’analyse, de considérer la visite de Pelosi à Taïwan comme une remarquable initiative symbolique aux effets remarquablement contraires à ceux qu’on attendait du côté de la Speaker et, plus généralement, et malgré de nombreuses réticences, du côté du système de l’américanisme. Par conséquent, et sans effort trop risqué du côté chinois, on a tendance à en faire une évolution marquée de la Chine qui accepte désormais de tenir une position de confrontation directe avec les USA
Il y a un très intéressant et très documenté article d’Ekaterina Blinova dans ‘Sputnik.News’, qui réunit nombre de réactions et d’analyses allant assez logiquement dans le sens signalé. Les Russes ont évidemment constamment soutenu haut et fort la Chine dans cette affaire.
« “La visite de Nancy Pelosi à Taïwan est un geste symbolique dans le contexte d’une guerre pour l'avantage géopolitique”, déclare Joseph Oliver Boyd-Barrett, professeur émérite à la Bowling Green State University. “Ses détracteurs, non sans raison, la décrivent et la décrient comme un geste qui pourrait avoir des conséquences très douloureuses pour le monde et pour l'espèce humaine”. »
Les premières critiques vont tout de même à la force qui est censée contrôler la politique étrangère, c’est-à-dire l’administration Biden elle-même. Scott Ritter développe une analyse sévère. Pour lui, l’administration Biden a placé effectivement la Chine en position de confrontation en exprimant involontairement son soutien à une politique qu’il prétend écarter (celle de l’indépendance de Taïwan), c’est-à-dire en n’empêchant pas la visite de Pelosi...
« Quoi qu’il en soit, la visite de Pelosi est elle-même un sous-produit d'une tendance politique, tant aux États-Unis qu'à Taïwan, fondée sur la notion d'indépendance de Taïwan. Si cette perception ne peut être modifiée, la Chine est tenue par sa Constitution de prendre des mesures visant à préserver la souveraineté chinoise sur Taïwan. Cela signifierait, bien sûr, la guerre.
» Il ne fait aucun doute que Nancy Pelosi, en débarquant à Taïwan, a déclenché une terrible alarme chez le tigre chinois. C'est maintenant à Joe Biden de la désactiver.
» La question est maintenant de savoir si le tigre va coopérer. »
Le texte d’Ekaterina Blinova cite notamment un journaliste et auteur US, Daniel Lazare, qui s’attache lui aussi à détailler l’absence de responsabilité, ou l’irresponsabilité de l’administration Biden dans la façon qu’elle a eu de se laver les mains de cette visite dont elle ne voulait pas. Le motif invoqué témoignait involontairement de sa complète impuissance, d’une impuissance assumée comme cause de sa paralysie noyée dans la confusion.
« La manière, dont la Maison Blanche a géré la visite controversée de Pelosi, en dit long sur l'incompétence du gouvernement américain de haut en bas”, estime le journaliste d'investigation et auteur américain Daniel Lazare.
» “Biden aurait pu mettre un terme à cette absurdité quand il le voulait”, déclare Lazare. “Il aurait pu lancer un appel public à ne pas y aller, qui, s'il avait été suffisamment fort, aurait essentiellement laissé Pelosi sans autre choix qu’abandonner. Il aurait pu ne pas lui attribuer un avion officiel. Il aurait pu ordonner à l'USS Ronald Reagan de faire demi-tour afin de montrer que la dernière chose qu'il souhaite est une sorte de confrontation. Mais il n'a rien fait de tout cela. Il s'est accroché à la fiction selon laquelle c'était la décision de Pelosi et que, de ce fait, les Chinois n’avaient aucune raison de s’inquiéter, ce qui ne pouvait être plus absurde”. »
Un autre argument qui apparaît à la lumière de la visite de Pelosi, et qui prend en compte les diverses réactions observées ici et là, dans une occurrence où effectivement les efforts de relance de son hégémonie par les USA donnent constamment un effet contraire (“Principe de Peter”), est celui de l’effet qu’a eu cette visite sur l’image des USA. Là encore, il faut que l’événement se fasse pour qu’on puisse en mesurer les effets, et constater ainsi la détérioration de la capacité d’influence des USA. La constance de cette détérioration est un facteur remarquablement stable dans la situation extrêmement instable que nous traversons.
« Le fait que Pelosi et la Maison Blanche aient ignoré les avertissements de la Chine ne renforce aucunement l'image des Etats-Unis, bien au contraire, préviennent les observateurs. Selon Lazare, ce dernier incident va “saper d'autant plus la position [des États-Unis] en (indiquant) à quel point il est un leader mondial peu fiable”.
» “Biden avait cité ses propres militaires, indiquant qu’ils désapprouvaient la visite”, explique Joseph Oliver Boyd-Barrett, professeur emeritus à Bowling Green State University. “Le fait qu’il se présente au monde comme un dirigeant incapable d’imposer son autorité au numéro trois de sa hiérarchie, ou qu’il n’ait pas l’autorité nécessaire pour demander simplement aux commandants des escortes militaires de Pelosi de faire demi-tour, en mettant Pelosi dans une cage si nécessaire, scelle son image de faiblesse désespérée ou de complicité honteuse dans une manœuvre immonde. Il est extrêmement peu probable que l'un ou l'autre de ces cas soit à l’avantage de quiconque aux Etats-Unis, à part les milieux de la cabale neocon qui domine la politique étrangère américaine.”
» “Ne vous y trompez pas, la Chine a perçu le voyage de la présidente de la Chambre à Taïwan comme une pure provocation”, poursuit le professeur, ajoutant que la position de Pékin est “tout à fait compréhensible à la suite de nombreux facteurs.” Ces facteurs comprennent la guerre tarifaire de Trump avec la Chine, l'encerclement militaire américain de la République populaire, les opérations de liberté de navigation de Washington en mer de Chine méridionale, ainsi que l’“hostilité des États-Unis à l’égard des initiatives économiques [la Nouvelle Route de la Soie] de la Chine”, selon le professeur.
» “Il faut maintenant ajouter à ces pommes de discorde les relations de plus en plus étroites de la Chine avec la Russie, son importance en tant qu’alliée de la Russie dans l’opposition à la guerre provoquée par l'OTAN avec la Russie au sujet de l'Ukraine, et son rôle en tant qu'importante consommatrice de pétrole et de gaz russes pour éviter les sanctions”, note-t-il. »
Même les Taïwanais ont perdu beaucoup dans cette affaire, sans renforcer en quoi que ce soit leur position, explique Boyd-Barrett. Ils ont perdu beaucoup parce qu’ils ont des échanges considérables avec la Chine continentale, et que Pékin a aussitôt lancé contre Taïwan une série de sanctions et de mesures de restriction.
« L’élite néolibérale taïwanaise peut trouver un certain réconfort dans ses relations étroites avec les États-Unis et l'aide militaire que cela représente. D'autres seront plus dubitatifs, notamment les nombreux Taïwanais dont la prospérité dépend des affaires et du commerce avec le continent. La Chine continentale est la première destination des exportations de Taïwan. »
Les Chinois eux-mêmes argumentent évidemment en faveur de leur cause, pour renforcer un jugement selon lequel ils sortent renforcés de cet étrange épisode. L’article consulté donne la parole à un chercheur universitaire de Shanghai, qui met notamment en évidence les avantages stratégiques “discrètement” mis en place par la Chine, et notamment l’ensemble d’exercices en conditions réelles de guerre, emboités les uns dans les autres autour de Taïwan.
Ainsi réalise-t-on dans des conditions opérationnelles réelles le schéma d’un encerclement naval et aérien qui serait utilisé lors de l’invasion de l’île, – si invasion il y a, ou devient nécessaire, ce qui sera chose faite avec quelques Pelosi de plus... Voici donc les explications de Huang Zonghao, chercheur au centre de recherche sur Taïwan de l'université Jiao Tong de Shanghai.
« “La Chine a réagi très rapidement et a immédiatement annoncé les exercices militaires. [Ces exercices] diffèrent de tous les exercices précédents par leur ampleur, puisqu'ils ont couvert six zones autour de l'île. Par le passé, la plupart des avions militaires chinois présents dans la zone d'identification de la défense aérienne de Taïwan volaient au nord-est ou au sud-ouest de cette zone, ils évitaient de croiser des avions militaires et contournaient les navires de guerre. Maintenant, nous profitons de cette occasion pour mener des exercices militaires complets hors de toutes ces restrictions, et il est probable que nous utiliserons cette espèce de jurisprudence pour mener ce type d'exercices militaires de manière permanente.”
» Selon Huang, une fois que ce type d'exercices et de manœuvres sera devenu une norme, certains préparatifs militaires pourront être effectués pour la libération de Taïwan à l'avenir. Le chercheur souligne que, plus important encore, les récents exercices de l'Armée populaire de libération symbolisent le fait que la puissance militaire de la Chine s'est très clairement étendue au Pacifique occidental et a même défié la stratégie américaine établie dans la région. “C’est le résultat le plus important", déclare Huang.
» Le chercheur note que certains internautes ont réagi avec beaucoup d'émotion à l'atterrissage de Mme Pelosi à Taipei, se demandant pourquoi Pékin n’avait pas envoyé des avions de chasse pour intercepter et escorter l'avion de la présidente de la Chambre des représentants. “Personnellement, je ne pense pas que c'était nécessaire”, note Huang, ajoutant que cela aurait pu attiser un sentiment antichinois aux États-Unis tout en n'apportant aucun fruit tangible pour Pékin.
» “En fait, la projection de puissance de la Chine s'est étendue bien au-delà du détroit et directement dans le Pacifique occidental”, souligne-t-il. “Pour ce qui est de contenir les efforts d'indépendance de Taïwan, c'est un grand pas en avant. La pression exercée sur le Parti démocratique progressiste de Taïwan va également s'accroître”. »
La lecture de tels articles, tous aussi critiques du geste de Pelosi, peut donner une impression d’unilatéralisme : pourquoi ne pas développer les arguments adverses, sinon par désir de censure dont on sait qu’elle est si grande dans nos pays pour tout ce qui concerne la puissance, la finesse et l’habileté des États-Unis ? Mais non, la réponse est plus simplement qu’il n’y a pas d’arguments adverses.
Il n’y a rien qui puisse sérieusement justifier le voyage de Pelosi dans les conditions dramatisées de communication qu’on sait, et qui ont été par ailleurs créées par elle-même, par ses atermoiements, les fuites dans la presse qu’elle a favorisées, les sous-entendus et ainsi de suite. D’ailleurs, comme on l’a vu hier avec l’article de Thomas Friedman, l’establishment lui-même ne trouve aucune justification positive à ce voyage (« un acte “totalement imprudent, dangereux et irresponsable” »).
Et Pelosi, que nous dit-elle ? C’est-à-dire : quels sont ses arguments ? Aucun, puisqu’elle se contente d’expliquer qu’elle est une victime, que toutes ces critiques s’abattent sur elle « because I’m a woman ». Enfin quelque chose de sérieux...
‘ZeroHedge.com’ ironise durement sur l’intervention de Pelosi en Corée du Sud, – elle avait le temps de développer puisqu’elle n’avait personne d’important à qui parler.
« Maintenant que la Speaker est en sécurité à Séoul, en Corée du Sud, – où ni le président Yoon Suk-yeol ni le ministre des affaires étrangères du pays ne la rencontreront, le premier étant commodément en “vacances” et le second se trouvant au Cambodge voisin, – tout ce qu'elle a offert jusqu'à présent comme “explication” à la montée en flèche des tensions régionales, et alors que Taïwan se trouve désormais dans la ligne de mire directe d'une superpuissance dotée de l'arme nucléaire, c’est que les gens lui en veulent d’être allée à Taïwan parce qu'elle est une femme.
» Oui, elle a effectivement déclaré mercredi matin au côté de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen : “Ils n'ont rien dit quand des hommes [divers sénateurs et députés-hommes du Congrès à Taïwan en avril] y sont allés”.
» Que dire d'autre ?... Elle joue les victimes woke et innocentes (mais au fait, qui peut nous dire aujourd’hui “qu'est-ce qu'une femme ?”), tandis que les Taïwanais s’entraînent aux exercices dans leurs bunkers de défense d'urgence face à la possibilité d'une grave agression militaire chinoise. »
Il est vrai que les seuls et ardents défenseurs du voyage de Pelosi ont été pour la plupart des républicains antichinois radicaux, tous avec en tête la dénonciation qu’ils feront, à la veille des élections de novembre, d’une administration Biden qui a désavoué à demi-mot son déplacement, faisant ainsi entre les lignes cause commune avec Pékin. Bref, deux jours après, la dimension bouffe (tragédie-bouffe, “politiqueSystème-bouffe”) prend irrésistiblement le dessus.
...Et aussitôt nous vient à l’esprit l’article visionnaire de notre vieux compagnon William Pfaff. Il l’écrivit le 12 mars 1992, en commentaire du fameux plan-Wolfowitz de “domination mondiale” des États-Unis par la force, sous le titre de « To Finish in a Burlesque of an Empire ? » :
« Il s'agit d'un plan de leadership mondial américain par l'intimidation. C'est un programme politiquement et moralement informe et stérile, dont l’issue logique serait de faire des États-Unis eux-mêmes cette “menace mondiale résurgente/émergente” que le Pentagone prétend combattre justement grâce à ce plan. Est-ce là ce que veulent les Américains ? Finir dans la caricature burlesque d’un Empire ? »
Wolfowitz et ses divers compères de la bande des neocons avaient mis en musique ce que nous nommons la “politiqueSystème”. Pfaff avait bien compris que tout cela se terminerait en “politiqueSystème-bouffe”. Privée de présidente et de ministre des affaires étrangères sud-coréennes opportunément envolées en “vacances” pour n’être point vus en sa présence, Dame Pelosi en est la digne et solitaire égérie.
Il était donc essentiel, pour parfaire le tableau et ‘canceller’ ses critiques, qu’elle se wokenisât (doux néologisme qui sied à la situation) en victime féminine et féministe du patriarcat stratégique qui est la marque des événements que nous imposent les dieux. Il ne reste plus à Pelosi, avant les élections de novembre, qu’à “canceller” les dieux et tous leurs Olympes masculino-réactionnaires .