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1620L’expression favorite à Washington est une rengaine: “The system is broken”. On l’entend autant employée chez un Biden ou chez une Clinton, qu’à propos du JSF et du Pentagone. Elle désigne essentiellement ce qu’on nommerait “le système du pouvoir” aux USA (beaucoup plus que le “système de gestion” qui n’est que l’application du “système de pouvoir”).
L’expression désigne une situation qui s’est peu à peu clarifiée dans ses causes fondamentales, notamment depuis la crise du 15 septembre 2010, plus largement depuis le 11 septembre 2001, historiquement et de façon radicale depuis l’origine de la fondation des USA. En effet, “The system is broken” indique aujourd’hui une crise historique des USA, avec des échéances pressantes dans les domaines essentiels, et un cadre formel qui interdit d’espérer de diffuser les effets fondamentaux de cette crise, jusqu’à les réduire en repoussant les effets conjoncturels en cours.
“The system is broken” se résume par deux situations bien précises:
• D’une part, la situation budgétaire du gouvernement fédéral (la dette en général), qui est dramatique. Devant ce constat, les économistes, fort énervés ces temps-ci, sortent leurs calculettes, leurs certitudes et leurs vitupérations, – d’où il ressort que, oui, la situation budgétaire du gouvernement fédéral US est dramatique, mais que ce n’est pas le seul gouvernement au monde dans ce cas, loin de là. (Notez bien que nous prenons un soin jaloux à ne pas employer le mot “Etat” ou le mot “nation”. Cette nuance, on le verra plus loin, est essentielle et de poids.) Les économistes se trompent. La situation du budget US n’est pas une question qu’on doit apprécier en termes budgétaires et en termes économiques. C’est une situation qu’on peut décrire en termes économiques, c’est-à-dire comptables dans ce cas, mais qui n’y peut être réduite sous peine d’un jugement trompeur, et qui, souvent, conduit à des conclusions fausses à cause de ce jugement trompeur; c’est une situation historique, et cela dépasse complètement la compétence des économistes. L’Histoire ne répond pas aux mêmes lois que l’économie, – laquelle, au reste, ne répond que fort rarement à ses propres lois. L’Histoire demande un autre regard, d’une bien plus large ampleur et surtout d'une autre substance, que celui dont use l’économiste. C’est ce regard de l’historien qu’il convient d’adopter.
• D’autre part, la situation politique, dont nous avons très souvent parlé, mais plus précisément depuis l’élection partielle du Massachusetts. Cette situation politique est encadrée par des échéances, dont évidemment l’élection générale de novembre 2010 où il y a de fortes possibilités que le Congrès tel qu’il en sortira bouclera complètement la paralysie et déchaînera tout aussi complètement l’anarchie du pouvoir fédéral aux USA. Elle est caractérisée par un formidable antagonisme, un retranchement sur les extrêmes des deux “ailes”, démocrate et républicaine, du “parti unique”. Elle a été encore mise en évidence par l’échec du “sommet” télévisé démocrates-républicains, sous la présidence du président Obama, sur l’affaire des soins de santé (voir notre Bloc-Notes du 26 février 2010). Cette fiesta soi-disant bipartisane n’a servi qu’à montrer en direct une situation de “guerre civile” washingtonienne.
A cela, on ajoutera le “joker”, qui est plus une inconnue qu’une donnée identifiable et mesurable: le comportement de la population US, qui interviendra dans le processus en novembre prochain, qui intervient dans des processus annexes, qui intervient de sa propre initiative par ailleurs. C’est le phénomène Tea Party et ses mystères, et le reste. C’est aussi le surgissement de Ron Paul comme favori des conservateurs américains, à l’occasion de la convention de la CPAC du 20-21 février.
@PAYANT Ce que les économistes ne parviennent pas à comprendre, – bis repetitat, qu’ils nous pardonnent, – parce que la chose ne se réduit pas à des chiffres, c’est la différence entre un Etat régalien et un “Etat” contractuel. (Cette expression, dont nous n’userons plus, – “Etat contractuel”, – est une contradiction en soi.) Le premier suppose une autorité supérieure dispensée par le concept de “nation”, quelque forme que prenne cette autorité, – royauté de droit divin, “volonté populaire”, etc., – cette autorité étant ainsi établie comme légitime, reconnue sinon perçue comme telle et acceptée. C’est la grande leçon de Talleyrand, comme nous nous sommes permis de la rappeler récemmet. C’est, pour notre cas, la différence entre un concept structurant (la légitimité régalienne) et un concept déstructurant (l’arrangement contractuel).
(Nos lecteurs savent bien que nous avons des positions précises sur ces concepts de “structurant” et de “déstructurant”, que ces concepts forment le fondement de notre analyse politique de la situation de la crise générale. Nous apprécions les forces structurantes comme positives dans cette crise présente comme dans tout ce qui a précédé, les forces déstructurantes comme négatives, prédatrices et nihilistes.)
Notez que ce rangement ne condamne pas nécessairement l’arrangement contractuel. L’arrangement contractuel peut être passé entre des entités structurantes, qui gardent leur légitimité propre. Cette observation conduit nécessairement à constater sa validité quand la situation générale du contrat satisfait toutes les parties contractantes, a contrario son extrême fragilité en cas de tensions mettant en cause les termes du contrat. A ce moment commence l’affrontement entre les entités légitimes du contrat qui s’estiment lésées par l’évolution contractuelle de leurs rapports avec l’entité centrale non légitime.
Nous avons déjà évoqué précisément cette situation, dans notre F&C du 12 février 2010. Le sujet n’avait rien à voir avec la situation de la Grèce ou toute autre circonstance conjoncturelle qui en était le point de départ, mais tout avec la crise du système contractuel de gouvernement dans les circonstances présentes, précisément à cause de la question du déficit public; et cette question du déficit public, dans la situation historique de crise générale, acquiert brusquement une dimension historique que les économistes sont incapables d’appréhender dans toute sa puissance. Déjà, dans cet article, nous liions Allemands et Américains par une conception et un gouvernement d’inspiration assez proches, effectivement “contractuelle” et nullement “régalienne”.
…De même sont-ils proches par une autre conception, qui est plus de notre choix propre, qui est celle de l’“idéal de puissance” de notre inestimable ami Guglielmo Ferrero, qui l’oppose en le condamnant à l’“idéal de perfection” d’origine latine. Cette conception répond d’ailleurs à l’un des manques du gouvernement “contractuel”. Si un gouvernement “contractuel” développe la puissance jusqu’au point où il lui vient des ambitions dominatrices et hégémoniques, il découvre alors l’horrible vérité: lui-même ne représente pas une nation puisqu’il n’a aucune transcendance, et de même il n’a pas d’âme. L’“idéal de puissance” n’est-il pas, après tout, la poursuite dans la coercition exercée sur les autres, jusqu’au mirage du “Reich millénaire” ou de la globalisation américaniste par le “chaos créateur”, pour faire naître, par la pression furieuse de la force, dans une sorte de césarienne cosmique, l’âme qu’on n’a pas?
Mais l’Amérique, qui a pris le relais de l’Allemagne pour porter l’“idéal de puissance”, a, certes, des choses qui lui sont spécifiques. Elle a cultivé de tous temps un mythe puissant issu de ses origines, qui exprime d’une façon très paradoxale, même si certaines caractéristiques puissantes sont communes aux deux, une tendance antagoniste de la poussée hégémonique et belliciste inhérente à la politique de l’“idéal de puissance”. (Cela nous conforte dans l’observation que l’“idéal de puissance” est aussi, et finalement de façon principale, une occurrence métahistorique où ceux qui croient y trouver l’accomplissement de leur destin se trouvent en fait pris au piège d’une explosion de la puissance de la matière, – que nous désignons également comme le technologisme, – et bientôt leur prisonnier.)
Cette spécificité américaine originelle (plutôt qu’“américaniste” dans ce cas), exprimée notamment aujourd’hui dans le localisme paradoxal des libertariens (à la fois ennemis absolus de l’interventionnisme de l’Etat et adeptes du libre-échange complet, mais aussi adversaires farouches de la globalisation, de l’expansionnisme, etc.), tient aux origines de l’Amérique, à sa perception d’être exceptionnelle, à sa position géographique isolée perçue comme une rupture du monde ancien. Elle contient, comme on l’a signalé avec les libertariens, une contradiction qui met gravement en cause la politique de l’“idéal de puissance”: pour les libertariens (et pour d’autres conceptions proches mais plus mal identifiées), le localisme qui est l’archétype de la situation contractuelle avec “le centre”, refuse absolument tous les attributs modernes de la politique de l’“idéal de la puissance” (interventionnisme, bellicisme, expansionnisme). Dans cet état de l’esprit, le localisme, et sa traduction de politique général ennemie de la politique de l’“idéal de la puissance” qu’est l’isolationnisme, ont des dimensions mystiques; “mystique” également, par simple logique d’extension de la perception, la notion de gouvernement “contractuel” attribuée au centre fédéral, donc mysticisme (un peu comme “la main divine” qui dirige le marché libre) dans la nécessité du respect des termes du contrat.
Lorsque Reagan signa pour l’installer dans la législation US la Loi Gramm-Rudman, en décembre 1985, il la nomma avec emphase “The Law of the Land”. (Le terme lui-même est employé dans la Constitution des USA, Article VI, Section 2.) Cela avait un sens, et un sens mystique comme le marque l’emphase de la phrase, – “La Loi de notre Terre”, si l’on veut, ou bien encore, “la Loi fondamentale de notre Amérique”… Bien qu’il fut un être insignifiant et artificiel, Reagan avait de bons automatismes américanistes, particulièrement dans le registre du mysticisme.
Gramm-Rudman, du nom de deux des trois sénateurs qui l’avaient patronnée (le troisième étant Hollings) se nommait officiellement “Balanced Budget Act”. Elle entendait devenir une Loi fondamentale instituant la maîtrise budgétaire fédérale et contrôlant par des limites décisives le déficit du budget du gouvernement. Cela signifiait que la loi Gramm-Rudman représentait un acte fondamental pour la solidité de l’Union, de l’arrangement fédéral (contractuel) de gouvernement (et non d’Etat) que constituent les USA.
Le paradoxe extraordinaire de l’exclamation extasiée de Reagan, pour notre entendement instinctif, est que l’action de Gramm-Rudman attaquait et limitait décisivement le résultat de sa propre action, puisqu’il dirigeait un gouvernement qui avait accumulé un déficit remarquable en développant une politique de l’“idéal de puissance” (notamment les dépenses de défense) et suscité cette réaction du Congrès. Mais ce n’était là qu’illustrer la véritable signification de la phrase fameuse de Reagan («Le gouvernement n’est pas la solution du problème, c’est le problème lui-même»). Le déficit du gouvernement marquait l’impuissance des acteurs de ce gouvernement, y compris le principal d’entre eux, à maîtriser la fringale budgétaire dévorante des bureaucraties washingtoniennes qui mettait en péril le “contrat” originel et mystique.
Ce que faisait Reagan avec son enthousiaste «It’s the Law of the Land», c’était applaudir à une loi qui devrait constituer un coup d’arrêt décisif à une pratique qui menaçait le contrat fondamental de l’Union. Il s’agit bien d’un “contrat”, même s’il est interprété par la mystique de l’esprit pauvre mais enfiévré de religiosité de Reagan; c’est-à-dire que toutes les parties doivent s’y retrouver, alors que le déficit indique que l’une des parties contractantes abuse décisivement de sa position, au détriment des autres.
(Le problème est que l’influence américaniste et notre fascination pour l’American Dream ont transposé cette conception à l’ensemble globalisé, en oubliant que les Etats régaliens ont une vision, une position et la coutume de moyens d’action diamétralement différentes de celles des “gouvernements contractuels”. Les économistes ont cru cela et étendu, avec la face économiste du système, ces conceptions à l’ensemble du monde. Ainsi, pour eux, le déficit budgétaire d’un Etat régalien comme la France a la même signification et la même valeur que le déficit budgétaire d’un gouvernement contractuel comme les USA. Très courte vue, indeed.)
Las, la loi Gramm-Rudman, qui avait effectivement pour objet de couper automatiquement les dépenses du gouvernement fédéral pour ne pas dépasser un certain seuil de déficit, ne dura en l’espèce que quelques mois… Elle fut jugée inconstitutionnelle par la Cour Suprême en 1986, remaniée en 1987, supplantée en 1990 par une nouvelle loi qui laissait ouvertes les vannes du déficit. Cet épisode est peut-être un tournant institutionnel de l’histoire des USA, le moment où la réalité mystique du monde américaniste (“the Land”) se heurta de plein fouet à la dictature du légalisme (la Cour Suprême). Nous aurions dû pourtant nous douter qu’un “gouvernement contractuel” n’est pas un Etat et, notamment par conséquent, entre autres choses, il n’est pas un Etat de Droit.
1985 pour 1985… Le destin propose d’étranges occurrences historiques. En même temps que Reagan signait la dernière tentative fondamentale de sauver le “gouvernement contractuel” de ses propres vices, apparaissait à l’Est le désormais fameux Gorbatchev. Le Russe allait liquider en deux temps trois mouvements l’Ennemi qui assurait encore, en y forçant, une certaine stabilité au système de l’américanisme en contenant les excès de la politique de l’“idéal de la puissance”, ou plutôt en les justifiant au nom d’une Cause présentée comme supérieure, – oserait-on ironiquement la qualifier de “transcendante”? (Notamment, l’existence d’un Ennemi mythique, – la Grande Dépression, l’Allemagne nazie, l’URSS communiste, jouèrent successivement ce rôle, – autorisait de graves entorses faites au contrat originel, sous la forme des déficits précédents qui avaient été acceptés au nom de la sécurité commune.)
La liquidation de l’URSS, alias l’Ennemi mythique, allait effectivement déchaîner cette politique de l’“idéal de la puissance” en lui ôtant son masque d’apparente légitimité soi-disant “transcendante” du temps de la Guerre froide. En même temps, le destin éphémère de Gramm-Rudman privait le système de l’américanisme de ce frein fondamental sur la route vers la situation de déficit monstrueux où il se trouve aujourd’hui après les diverses péripéties que l’on connaît. (Pour nous, les excès financiers aboutissant au 15 septembre 2008 et, indirectement au déficit monstrueux qu’on connaît, les excès de gestion et de gaspillage du Pentagone qui grossissent ce déficit, font autant partie de la politique de l’“idéal de la puissance” que les aventures bellicistes d’après-9/11 et les soi-disant ambitions impériales de l’“empire contractuel”.)
Cette dérive déficitaire, c’est-à-dire l’abandon de tout frein des dépenses du gouvernement contractuel, déchaîné depuis 9/11 par la narrative du complot du monde contre les USA, va de pair avec le déchaînement extraordinaire du système de corruption officiel qu’est l’ensemble de direction washingtonien. La situation s’est en effet extraordinairement modifiée, dans le sens du pire, à partir de 9/11, pour la partie comptable, donc contractuelle, du système.
Là aussi, la politique de l’“idéal de puissance” tourne à plein, également dans les petites têtes des sénateurs et des grands patrons des grands groupes industriels et de Wall Street. Lobbies, corporate power, “achat” en temps réel et argent liquide des parlementaires, tout cela favorisé par la Cour Suprême, – la dictature du Droit au service du système de corruption, – ont fait passer au niveau politique cette rupture des conditions de base du “gouvernement contractuel”. C’est “The system is broken”, parce que “the contract is broken”.
Cette corruption massive existait déjà, comme elle a toujours existé à Washington depuis que Washington est devenu le “centre”. Mais les circonstances avaient dissimulé son illégitimité par rapport à la situation contractuelle qui régit le pays. Pour la dernière période avant la séquence actuelle née en 1989-1991, la représentation quasiment “transcendantale”, “à l’américaine” certes, de l’affrontement de la Guerre froide, avait fait l’affaire.
Depuis 9/11 est intervenu un grand événement, peut-être l’événement central pour nous dire que “the system is broken”. A cause de la dispersion du faux-masque de la soi-disant “transcendance” des affrontements depuis 1941 (et même depuis 1933 avec la Grande Dépression), la guerre qui était jusqu’alors, par ses effets économiques artificiels, la solution du problème que la pratique de la politique de l’“idéal de puissance” faisait peser sur l’arrangement contractuel, la guerre est devenue le problème. (Paraphrase de la formule de Reagan : “la guerre n’est pas la solution, elle est le problème”.)
La chose est évidente. Joseph Stiglitz, notamment, a montré combien les énormes sommes dépensée pour un conflit absurde, l’Irak, constitue la base conjoncturelle de la crise financière et économique qui a éclaté en 2008, – et, au-delà, on dira qu’elle est un des fondements de la crise du déficit du gouvernement. Comme nous l’écrivions le 8 mars 2008, le Complexe militaro-industriel, qui était un des outils permettant la dissimulation de la politique de l’“idéal de puissance” en une paradoxale nécessité de sauvegarde de l’arrangement contractuel américaniste, avait complètement retourné sa veste. Il est devenu traître au système, et l’une de ses charges devenue ainsi insupportable et contre-productrice.
Comme dans le cas identifié plus haut, les causes de cette évolution tiennent à la décadence accélérée, bientôt l’effondrement du Complexe à l’image du système, et la mise à nu, par l’écroulement du montage de la Guerre froide, que la politique de l’“idéal de puissance” est bien ce qu’elle est, l’ennemie du système contractuel voulu originellement par les Américains. Cette décadence accélérée du Complexe se marque par une corruption effrénée, des gaspillages, une inefficacité extraordinaires, jusqu’à des situations de blocage amplifiées par une manne financière indescriptible d’importance, et alimentant comme un torrent irrésistible le déficit.
Bien entendu, l’événement se greffe en même temps qu’il l’accélère sur l’effondrement de Wall Street et l’intervention du gouvernement. Le gouvernement est à nouveau sollicité, dans une mesure monstrueuse, avec le déficit qui éclate. Cette fois, le déficit a pris l’allure fondamentale de la trahison complète du contrat originel, puisqu’il sert à renflouer des actes et des faillites qui sont désormais identifiés comme le cancer du système. Le déficit ne peut plus une seule seconde prétendre à être une défense des intérêts communs sous le couvert de l'artifice de la “sécurité nationale”, ou un investissement sur des promesses à venir qui pourrait s’insérer dans le cadre du contrat, mais trahison pure et simple, immédiate, en pleine lumière, du contrat originel et mythique.
… Tout cela ajouté, la corruption des élites institutionnalisée et la guerre salvatrice devenue un abysse où s’effondre la comptabilité et où le contrat devient un torchon de papier, c’est le système frappé au cœur.
…Tout cela se résume en un mot: illégitimité. C’est là que nous revenons à la dimension mystique, présente effectivement dans la proclamation d’un Reagan jubilant, un jour de décembre 1985 : «It’s the Law of the Land». Et c’est là que repose la contradiction fondamentale, si souvent retrouvée chez les doctrinaires de l’économisme de marché, les idéologues de “la main de Dieu” qui régule le marché libre. S’il y a “accord contractuel” dans les normes terrestres d’un contrat, voilà que cet “accord contractuel” est aussi d’essence divine. Il y a donc prétention, voire nécessité de légitimation au travers d’une formule qui ne légitime rien: un contrat est un accord bien terrestre, basé sur les intérêts de chacun, et cette substance mercantile ne peut se transformer en une substance supérieure, – régalienne, par exemple, – qui donnerait ce qu’on nomme une “légitimité” à ceux qui y souscriraient. Cela, les esprits enfiévrés de mysticisme de pacotille de la religiosité américaniste n’ont jamais voulu l’admettre.
“The Law of the Land” avait l’avantage de mêler le mysticisme à une limitation extrêmement terrestre des folies d’une des parties contractantes. Le règne du Droit de la Cour Suprême a promptement détruit tout cela, au nom des mêmes règles d’absence de régulation que prônaient également ceux qui installaient une loi qui, pourtant, était un acte de régulation arbitraire. Il n’y a nulle part une dimension régalienne qui puisse nous faire sortir de cet imbroglio de contradictions qui voulait marier les extrêmes et les incompatibilités. La mutilation puis la destruction de “the Law of the Land” aboutirent à une situation où plus rien ne contraignait personne, alors que tout le monde se croyait pourtant légitimé par cette avalanche de législation. L’effondrement de la nécessité soi-disant “régalienne” des causes extérieures, au profit d’une narrative de communication de plus en plus poussive et hystérique à la fois, a fait le reste.
Aujourd’hui, l’Amérique flotte dans un éther étrange, déchirée entre des extrêmes extraordinaires. Il y a d’une part un dispositif impérial, de dimension mondiale, qui littéralement pompe l’argent de la République comme une sangsue suce le sang, tout en essuyant échec sur échec. Il y a d’autre part une situation intérieure catastrophique, tant conjoncturelle (économie, chômage) que structurelle (infrastructure, cohésion civique). Il y a une élite à la fois totalement corrompue et, surtout, totalement impuissante, qui se discrédite elle-même et qui se met elle-même en accusation pour se justifier aux yeux du public.
Il y a enfin la montée des diverses réactions publiques propres à un système contractuel, c’est-à-dire moins marquées par la violence de la recherche d’une rupture comme dans un Etat régalien contesté, que par la diffusion de mouvements locaux ou populistes qui réclament par une pression grandissante le respect des termes du contrat originel, notamment contre la représentation la plus spectaculaire de son viol qui est le déficit monstrueux du gouvernement pour des entreprises qui n’ont rien à voir avec le contrat. Si le “centre” ne réagit pas dans le sens réclamé, il y a aura rupture unilatérale du contrat par les contestataires, – et, dans ce cas précis, la rupture sera brutale s’il le faut (hypothèses de fractionnement des USA, de sécession, etc.).
…Mais le “centre” ne peut pas réagir parce qu’il ne peut plus réagir à rien; parce que, comme l’on dit, y compris une Clinton ou un Biden, Washington est brisé, – “the system is broken”…
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