Notes sur un basculement “géo-communicationnel”

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Notes sur un basculement “géo-communicationnel”

24 février 2019 – Ce pléonasme de “géo-communicationnel” comme raccourci de “géopolitico-communicatiuonnel”, comme d’habitude pléonasme barbare parce que postmoderne, veut simplement amalgamer deux concepts : la géopolitique et la communication, mais en donnant tout l’avantage de puissance et d’orientation à la communication.

Cette idée n’est pas nouvelle chez nous, in fine puisque nous parlons depuis longtemps d’une ère psychopolitique actant la fin de la prédominance de la géopolitique sans pour autant liquider le géopolitique. Il en résulte que s’il y a intégration entre la géopolitique et la communication, nécessairement confrontationnelle pour savoir quel concept dominera l’autre, c’est selon nous la seconde qui prend nécessairement le dessus. La raison se trouve dans cette évidence pour nous que, dans notre époque, la communication domine tout, absolument tout ; il en résulte que, dans tous les cas envisagé d’intégration confrontationnelle entre deux concepts comme ici communication et géopolitique, c’est une (des) narrative de la communication qui remplace(nt) une réalité (la géopolitique dans ce cas) absolument pulvérisée.

(...Donc, une géopolitique absolument pulvérisée, puisque la géopolitique constituait la référence la plus solide de la réalité qui a été pulvérisée. La géopolitique réduite à une/des narrative de géopolitique.)

Nous croyons cette introduction, à notre sens absolument fondamentale, nécessaire pour mieux décrire ces Notes d’Analyse qui présentent l’hypothèse d’un basculement du Moyen-Orient vers l’Amérique centrale et latine en tant qu’“arrière-cour” des USA. On comprendra donc qu’il s’agit d’un basculement pseudo-géopolitique, et en réalité géo-communicationnel selon le pléonasme proposé initialement.

Nous allons présenter et développer plusieurs événements qui nous permettent d’argumenter en faveur de l’hypothèse que nous développons. Nous passons donc en revue, à la fois une actualité faite d’événements épars et sans liens directs apparents entre eux, mais que nous lions entre eux finalement, et la signification métahistorique qui en découle.

Poutine et son Zircon asymétrique

On lit par ailleurs des nouvelles de la Russie, de Poutine, des missiles hypersoniques russes et, particulièrement semble-t-il, du missile de croisière Zircon.Il s’agit d’expliquer comment et pourquoi les Russes seraient, – seront amenés à déployer des plateformes pour des missiles de croisière Zircon notamment, dans les eaux au large des côtes US, par conséquent dans la zone des Amériques qui nous intéresse...

« ...Maintenant, il faut que les USA déploient effectivement de nouveaux missiles à moyenne portée en Europe, pour provoquer la riposte “asymétrique” promise qui rééquilibrerait les forces à cet échelon de la dissuasion nucléaire. En attendant, les Russes sont, selon leur propre point de vue, sous la menace des capacités des Mk41 qu’ils ont fait l’erreur de ne pas assez dénoncer ces dernières années (situation sans changement par rapport à la situation sous les conditions du traité FNI). Mais ils ont, – à nouveau, – la “chance” d’avoir en face d’eux un pouvoir US incontrôlable, qui ne réfléchit guère et manque singulièrement de subtilité, qui n’est guidé que par l’attrait de la “brute force” et les exigences de dépenses et de bénéfices du complexe militaro-industriel. C’est-à-dire qu’il nous paraît fort improbable que les USA sortent du traité FNI pour ne rien faire de cette sortie, du point de vue de la catégorie de missiles interdites. C’est-à-dire qu’il nous paraît très probable par conséquent que les USA déploieront de nouveaux missiles, donnant alors l’argument de la légitimité aux Russes pour déployer une présence navale proche capable d’assurer la menace de “riposte asymétrique”. »

Nous plaçant de ce point de vue “géo-communicationnel” que nous signalons plus haut, nous constatons par conséquent que les événements tendent à conduire à une posture stratégique visible des forces nucléaires russes dans l’hémisphère des Amériques, et par conséquent de l’ensemble de l’Amérique Latine. La question n’est pas : y sont-ils ? Y seront-ils ? Etc. La question n’en est pas une, mais une longue remarque stupéfaite, courroucée, etc. : tout le monde a bien compris qu’il est officiellement dans les plans russes que la Russie soit dans cette position stratégique, au large des USA, dans la zone que contrôlent les USA, symboliquement on ajouterait pour le fun, – à peine : qu’“ils soient dans cette position stratégique” en dépit de la “doctrine de Monroe” !

La course à l’humanitaire

Or, l’on sait qu’il se déroule, au Nord de la partie Sud du continent américain, une grave affaire où les USA estiment avoir tout à dire, de la plus brutale des façons. Écouter Trump parler (lundi dernier en Floride) du nécessaire ralliement des soldats vénézuéliens au nouveau pouvoir démocratiquement désigné par “D.C.-la-folle”, en précisant que s’ils ne le font pas il arrivera des ennuis à leurs familles, c’est comme si l’on entendait un capode la Cosa Nostra, un Mafia don annoncer qu’il y a un “contrat” lancé contre des récalcitrants, comme le remarque justement Finian Cunningham : « Dans son discours de Miami, Trump a envoyé un ultimatum de type-Mafia aux militaires vénézuéliens... [...] Sur le ton d’un boss du crime organisé... »

C’est effectivement l’allure qu’ont les dirigeants américanistes et la perception qu’ils suscitent chez les observateurs indépendants dans cette aventure. En plus, il y a leur “bling-bling” humanitaire chargé jusqu’à la gueule de toutes les connexions-fric et rock’n roll où se côtoient le pire et le meilleur, qu’ils ont eu la brillante idée de déployer pour grimer horriblement, comme l’on fait d’une vieille prostituée qui a tant servi, leurs intentions affichées dans une communication sans aucune retenue d’invasion du Venezuela. Là-dessus, Maduro annonceque la Russie va envoyer une aide humanitaire qui, elle, sera acceptée par le pouvoir légal, au contraire de l’autre.

(On notera des différences, y compris chez les Vénézuéliens, qui tiennent aux impératifs de la communication. Pour Maduro et pour la com’ officielle, les Russes font concurrence aux USA ; pour le ministre vénézuéliens des affaires étrangères, Yvan Gil Pinto, il n’y a pas d’“aide humanitaire russe” puisqu’il n’y a pas de crise humanitaire au Venezuela. Il y a simplement la livraison de marchandises russes selon des contrats signés depuis longtemps.)

Qu’importe pour l’instant de savoir qui l’emportera et comment dans une course assez étrange pour livrer une aide qui n’existe pas sans doute, pour une crise dont on se demande si elle existe et qui se développe dans un désordre considérable et surtout complètement à ciel ouvert... Il reste que les Russes assurent une présence discrète (peut-être même discrètement sécuritaire) mais constante et diverse dans cette crise, essentiellement au niveau de la communication et comme s’ils étaient les concurrents directs des USA... Là aussi et là encore, les Russes se fichent de la “doctrine de Monroe”, n’est-il pas ? 

Menaces et moustaches de Bolton

Il faut dire que Bolton, qui mène le jeu, n’y va pas avec le dos de la moustache. Il menace tous-azimut à propos du Venezuela, y compris les plus lourds et le plus puissants. Il paraît que son tweet d’il y a une grosse semaine n’a pas été du tout apprécié à Delhi, où l’on est plus que jamais décidés à acheter les S-400 russes qui font bouillir de rage Raytheon, le Pentagone et les moustaches de Bolton.

« Le 12 février, John Bolton a partagé sur son compte Twitter un article de l’agence américaine d’informations économiques Bloomberg intitulé “Le Tsar du pétrole du Venezuela courtise l’Inde après une frappe à 20 milliards de dollars”, et l’a accompagné du commentaire : “Le soutien des nations et des entreprises au pillage par Maduro des ressources du Venezuela ne sera pas oublié.” »

Là-dessus, Bolton élargit son champ d’action dans la zone même de l’Amérique Latine. Un de ses plus vieux ennemis est Ortega, actuel président du Nicaragua. Bolton fut impliqué jusqu’au cou, lors de la présidence Reagan, dans les sales coups et les divers scandales autour des diverses interventions US dans la région, notamment en soutenant les Contras contre les sandinistes d’Ortega au Nicaragua, sur fond de l’énorme scandale Irangate.

On comprend ainsi que Bolton ait largement contribué au retour de la vieille crapule Abrams, bourreau notoire en Amérique Latine du temps de Reagan, condamné-gracié du président Bush-père, récemment rappelé au département d’État pour prendre en main la crise vénézuélienne. Wayne Madsen donne un excellent article sur l’Irangate, les rôles divers, ainsi que des précisions inédites sur les actuelles manœuvres en Amérique Centrale, de la bande organisée de Trump.

... Ce qui nous vaut ceci, de Meriem Laribi, sur RT.com, où nous voyons confirmé le rôle de Bolton dans l’aspect nicaraguayen de l’interventionnisme massif des USA en Amérique Centrale et Latine, et les développements apparentant fonctionnellement (mais sans doute aussi opérationnellement) l’action des divers “services”, et sous-traitants des USA, ainsi que divers fonctionnaires de sécurité nationale aux activités du crime organisés, ce qui justifie entièrement, comme s’il y avait une sorte de logique supérieure de la communication, le ton de Trump signalé plus haut : « John Bolton nourrit une rancune tenace envers Daniel Ortega, le président du Nicaragua. Laissant entendre qu'un changement de régime désiré par Washington pourrait être imminent dans ce pays d'Amérique centrale depuis longtemps dans le viseur de l'Oncle Sam, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump a écrit sur son compte Twitter le 20 février :“Le régime d’Ortega a condamné trois dirigeants d’agriculteurs à 550 ans de prison pour leur rôle dans les manifestations en 2018, au cours desquels les forces de police d’Ortega auraient tué 300 militants. Comme le président Trump l’a déclaré lundi, les jours d’Ortega sont comptés et le peuple nicaraguayen sera bientôt libre ", a déclaré mercredi le conseiller à la sécurité nationale du président américain... [...]

» Ce n'est pas la première fois que John Bolton s'en prend à Daniel Ortega, qui a dirigé le Nicaragua de 1979 à 1990, avant de retrouver le pouvoir en 2007, sans toutefois parvenir à le déloger. Déjà, dans les années 1980, le président des États-Unis Ronald Reagan avait dépensé beaucoup d'énergie et d'argent pour soutenir les rebelles de droite, appelés ‘Contras’, provoquant ainsi une guerre civile qui a duré presque toute la décennie et fait des dizaines de milliers de morts. Les Contras, ou “contre-révolutionnaires”, ont ainsi reçu un soutien massif de Washington, soutien fortement médiatisé par le scandale de l'affaire Iran-Contra.

» John Bolton occupait plusieurs responsabilités à la Maison-Blanche sous Ronald Reagan. Il est très régulièrement accusé d'avoir joué un rôle crucial dans ce qui est devenu l'un des scandales politico-militaires les plus retentissants de l'histoire contemporaine des États-Unis. Plusieurs hauts responsables du gouvernement fédéral américain avaient encouragé un trafic d'armes vers l'Iran en autorisant le transfert aux Contras d'une partie des sommes reçues en échange, et ce malgré l'interdiction explicite du Congrès des États-Unis de financer ces combattants armés. L'affaire est toujours obscure à ce jour.

» John Bolton aurait également joué un rôle dans la tentative d'entraver l'enquête du sénateur John Kerry sur les affaires de trafic de drogue dans lesquelles étaient impliqués les Contras. Un rapport de 1989 du comité des Affaires étrangères du Sénat américain sur les activités des Contras dans le trafic de drogue concluait en effet que “des dirigeants politiques des États-Unis n’étaient pas opposés à l’idée que l’argent de la drogue était une solution parfaite pour les problèmes de financement des Contras”.

» Le rapport poursuivait : “Les activités des Contras incluent des paiements aux trafiquants de drogue par le département d'État des États-Unis autorisés par le Congrès en tant qu'aide humanitaire, dans certains cas après l’inculpation de trafiquants par des agences fédérales, dans d’autres alors que les trafiquants étaient sous enquête par ces mêmes agences”. »

On ajoutera en complément, pour mesurer l’élargissement du champ d’action, que les menaces de Bolton s’étendent à Haïti, coupable d’avoir accepté de l’aide vénézuélienne après avoir été complètement déstructuré par les USA, et qui soutient Maduro ; et surtout Cuba, menacé de possibles attaques et accusé d’avoir déployé des forces au Venezuela... Tout cela à l’emporte-pièce, sans le moindre intérêt pour la réalité qui est désintégrée, ou pour des vétilles du type “vérité-de-situation” ; bref, le “monde-according-to-Bolton”.

Noces entre Trump et les néo-neocon

L’affaire vénézuélienne et le contexte exposé rapidement ici montrent que Trump s’arrange très bien d’un Bolton étiqueté neocon notoire pour les méthodes et l’action (moins pour l’esprit, Bolton étant un pur nationaliste unilatéraliste, mais dans toutes ces affaires “l’esprit” importe peu puisque complètement absent). Bolton a manifestement carte blanche pour initier un certain nombre d’action d’agression, – mais, semble-t-il, principalement dans le champ de la communication. Nous ne croyons nullement que les neocon tiennent Trump, mais de façon différente sinon au contraire que Trump se satisfait pleinement de l’effet (à nouveau, “effet de communication) de type-neocon que produit Bolton, entre ses diverses menaces, grossièretés, illégalités, etc., là aussi largement du type “crime organisé”. Trump s’en satisfait psychologiquement et aussi politiquement selon certaines analyses. Ainsi, le président vénézuélien Maduro, interviewé sur une chaîne de télévision locale, explique de cette façon la position de Trump :

« Donald Trump a commencé sa campagne pré-électorale… Il est dans une position politique désespérée. Il a donc vraiment aimé l'idée d'attaquer le Venezuela, Cuba et le Nicaragua. Il pense qu'en utilisant cette rhétorique de la guerre froide, il améliorera [sa position], ce qui en réalité pourrait entraîner son effondrement total. »

De ce point de vue, on pourrait parler d’un “retour des neocon” alors qu’une des perspectives proclamées de l’élection de Trump était leur élimination et la désintégration de leur politique. Mais il faudrait ajouter deux remarques, tout en observant que les “perspectives proclamées” (durant la campagne) de Donald Trump ont la consistance insaisissable et la conception logique absolument inexistante du personnage. On verra plus loin que cette espèce de “rangement” de Trump dans une politique qu’on pourrait dire, qu’on devrait dire néo-neocon à cause de son involontaire nouveauté, débouche sur une perspective stratégique d’un complet désordre où le repli US n’est pas absent au contraire, et perspective productrice, elle aussi comme le reste, de l’accélération de l’effondrement de la puissance effective des USA.

Il se trouve qu’avec le Nicaragua et le reste, le centre d’intérêt de la politiqueSystème suivie par les USA s’est brusquement transporté sur l’“arrière-cour” des USA, le “poulailler” de l’“hyperpuissance”. Bolton en est l’exécutant, au nom de vieilles crapuleries qui ont formé l’essentiel de sa “culture” qu’on baptiserait plus tard neocon, et qui sont géopolitiquement très identifiées à l’Amérique Latine/Centrale. Trump s’en trouve bien, parce qu’il retrouve des pratiques qui s’apparentent au crime organisé transposé (assez aisément) dans le monde des “très-riches” avec des colifichets type The Art of the Deal, se traduisant simplement par “chantage par la force” ; mieux encore, il peut lier tout cela à l’axe principal de sa campagne USA-2016, qui est le danger de l’immigration par le Sud avec le rocambolesque feuilleton du “Mur” mexicain. (Bien entendu l’immigration comme menace ontologique contre l’identité des USA alimentée justement par les pressions de déstructuration des USA contre les divers pays agressés par les USA dans la zone Amérique Centrale/Latine...)

Mais certainement, ce que Trump apprécie le plus chez les neocon devenus avec lui néo-neoconc’est leur goût irrésistible pour la communication de préférence à l’action, – laquelle suit ou ne suit pas c’est selon, avec les innombrables impairs qui la caractérisent. C’est bien entendu une tendance générale de notre époque où la communication domine et la cause que l’on doit passer des “stratèges” bellicistes neocon de l’ère GW Bush aux néo-neocons guerriers communicationnels de l’ère Trump.

Bolton, archétype du néo-neocon, est un maître en la matière (il s’est très rapidement adapté au changement de paradigmes de la subversion) : son offensive en Amérique Centrale/Latine est d’abord un théâtre, un film hollywoodien, avec tous les ingrédients habituels de propagande et d’influence humanitaristes et menaçantes, de réflexions profondes sur la démocratie et le regime change, les concerts rock humanitaire à très grand succès, financés par le vertueux philanthrope patron de Virgin Richard Branson à la belle chevelure d’or désormais argentée, etc. C’est aussi, pour ce théâtre d’opération de l’Amérique Centrale/Latine une grande différence d’avec la période de l’Irangate où l’“appareil de subversion nationale” (plutôt qu’“appareil de sécurité nationale”) intervint comme d’habitude d’une façon secrète (covert operations), selon les standards du genre.

La “reaganisation” de Trump

Il n’empêche, au niveau stratégique on constate une transmutation de l’action de Trump qu’on pourrait désigner comme une sorte de “reaganisation” si l’on considère les champs d’action ; mais certes, une “reaganisation” post-Guerre froide, c’est-à-dire sans les grandes affaires de Guerre froide de la période Reagan. Plusieurs éléments sont à considérer pour justifier ce jugement.

• L’importance nouvelle du théâtre d’opération des Amériques, reprenant les thèmes absolument éculés de l’anticommunisme, surtout contre les régimes non-certifiés conformes-USA de l’Amérique Centrale. Cela correspond à un regain d’“antisocialisme” des populistes aux USA, face au déferlement dans ce sens “socialiste” des nouveaux-venus démocrates qui s’alignent déjà pour 2020.

Outre les sempiternels intérêts économiques (pétrole vénézuélien), l’intérêt immédiat et direct pour Trump, qui n’aime pas les aventures “étrangères”, est donc de lier directement et indirectement cet interventionnisme à un thème fondamental et absolument intérieur, sinon ontologique, de sa narrative, qui est l’immigration. De ce point de vue, Maduro a peut-être raison lorsqu’il dit que Trump a commencé, avec la crise vénézuélienne, sa campagne de réélection.

Il est vrai que l’électorat trumpiste est sensible à la “subversion” socialo-communiste comme il l’était dans les années 1960-1980, pour d’autres présidents. L’absurdité du jugement par rapport à la vérité-de-situation n’est pas un argument, puisqu’il correspond à l’ignorance et à l’inculture aveugles aussi bien des dirigeants que du public US sur ce sujet précisément (l’anti-interventionnisme du public se mue en réflexe défensif de quasi-panique, et l’on retrouve même ce réflexe chez certains commentateurs antiguerre). De même pour l’argument évident que ces incursions extérieures ont toutes les chances justement de générer une immigration massive, plutôt que l’empêcher (voir Libye, Syrie, etc.). Il est inutile d’essayer de faire comprendre cette évidence aux mêmes (dirigeants US et leur électorat), on a affaire à une complète fermeture de l’esprit, et “en même temps” nous avons à notre disposition les explications organisationnelles (“complotistes”) pour nous démontrer que cela fait partie d’un plan mûrement réfléchi. 

• Comme sous Reagan, c’est essentiellement le National Security Council, que dirige Bolton, qui intervient sur ce théâtre. Cela correspond à une tendance nouvelle chez les activistes bellicistes, qui s’y sont infiltrés en masse encore plus sous Trump que sous Reagan : une certaine désaffection des autres théâtres (Europe et Moyen-Orient principalement) au profit d’une “défense rapprochée” qui rencontre les centres d’intérêt électoraux du boss. Du temps de Reagan, l’attentat contre des Marines au Liban qui fit près de 350 morts en 1983 constitua le point de rupture pour un “désengagement” certain du Moyen-Orient. Aujourd’hui, on constate non pas vraiment un “désengagement” du Moyen-Orient puisque le Pentagone reste présent partout, mais une sorte de “démobilisation”, avec le goût amer de l’aventure syrienne et les multiples atermoiements d’un pouvoir divisé (Trump, le Pentagone, etc.). 

• Bien entendu, la comparaison avec Reagan, la “reaganisation” de Trump s’arrête là. Il n’y a rien, chez Trump de comparable aux grandes opérations de la Guerre froide, sinon leur contraire. Au lieu de la recherche d’un arrangement avec l’URSS avec le grand bouleversement amené par Gorbatchev qui reste en soi un événement immense de coopération et de stabilisation (l’événement sera complètement l’objet de la subversion US avec l’équipe Clinton des années 1990), on trouve un maximalisme antirusse complètement déstructurant et destructeur. D’une façon générale, le mouvement entier du trumpisme au niveau des grands axes internationaux est lui-même volontairement déstructurant (guerre commerciale, refus d’une légalité internationale, etc.). Même l’Afghanistan se trouvait dans une orientation complètement différente dans les années 1980 : à partir du choix fait à l’été 1979 par Brzezinski de soutenir la résistance afghane complété par une certaine aide US pour le désengagement de l’URSS, l’Afghanistan, gérée par la CIA de Casey essentiellement, avec l’Égypte et l’Arabie, était une crise avantageuse pour les USA sous Reagan. Aujourd’hui, comme on le comprend aisément, c’est exactement le contraire, avec les USA essayant de s’extraire d’un guêpier insipide, sanglant et coûteux.

• Somme toute, Trump est parvenu à un état de quasi-stabilisation où il se sent parfaitement à son aise. Il agit au mépris des lois, il négocie par chantage, surtout contre les plus faibles, en agitant la menace d’une force brutale et parfaitement illégale, il pille et vole les autres, il fait agir à son maximum d’amplitude, de sons et de violence des couleurs, la communication comme si le monde était une vaste émission de téléréalité, il croit être ainsi populaire et que populaire égale “populiste”, il évolue en chef de gang (capo di tutti capi) avec des porte-flingues (Pompeo, Bolton) totalement étrangers à la subtilité et au sens des nuances, ramenant la diplomatie au niveau des souterrains de l’enfer du Mordor, qui ne reculent devant aucune audace illicite . C’est une réussite catastrophique si l’on veut, par rapport à ce que l’on attendait de lui, mais par bonheur il garde sa principale vertu originelle : il continue à être haï, détesté, dénoncé, par tous les groupes LGTBQistes et “socialistes”, et démocrates, et il reste par conséquent ce grand diviseur, ce “cocktail-Molotov humain” qui entretient involontairement la folie de “D.C.-la-folle”. L’essentiel est sauf, et finalement tout est bien sinon encore mieux quand on mesure combien sa politique de force brutale et malfaisante finit par rassembler contre les USA une coalition grandissante, et à réduire comme une peau de chagrin l’influence et la puissance de l’“Empire”.

Basculement, disons-nous...

Certes, pour l’essentiel nous parlons de communication, dans un monde où les événements semblent figés ou paralysés lorsqu’ils sont sollicités par les dirigeants divers et néanmoins humains. Ils se déroulent pourtant avec une puissance dynamique considérable et bouleversent les situations, mais ils ne surgissent pas de stratégies humaines élaborées ; la puissance de la communication qui est la seule contribution humaine sérieuse à leur déroulement, agit souvent d’une façon inattendue, volatile, ne ménageant pas des effets complètement imprévisibles de son aspect-Janus.

Même la Russie est soumise à ce traitement, dans un sens vertueux certes. Sa présence dans la crise vénézuélienne et dans la zone des Amériques relève de conséquences que les événements extérieurs à elle lui impose (fin du FNI & conséquences) autant que d’une politique (ventes d’armement au Venezuela, exploration de la possibilité d’utilisation de bases dans ce pays) qui précédait largement la séquence crisique actuelle. De ce fait, la puissance de la communication implique la Russie dans la crise vénézuélienne, d’autant que s’est créé, – toujours la communication, – un ensemble de pays qui soutient Maduro et (surtout) s’oppose à la poussée US.

... Quant à ceux qui ont suivi les USA, bon gré mal gré, la question qui se pose à eux, toujours en termes de communication, est celle du jusqu’auboutisme. Ces pays, dont quelques stupides européens bien entendu, dont la France “bien entendu” et “en même temps”, ces pays engagés dans le suivisme passeront-ils au jusqu’auboutisme ? Que feront-ils lorsque les USA attaqueront le Nicaragua, Cuba, Haïti, comme ils attaquent  le Venezuela, dans tous les cas au niveau de la communication ? 

Notre constat est donc de deux ordres.

• Le premier, on l’a vu au début de l’analyse, concerne “l’hypothèse d’un basculement du Moyen-Orient vers l’Amérique centrale et latine en tant qu’“arrière-cour” des USA. On comprendra donc qu’il s’agit d’un basculement pseudo-géopolitique, et en réalité géo-communicationnel selon le pléonasme proposé initialement.” Nous croyons bien entendu que cette hypothèse est confirmée par les événements tels que nous les avons décrits, même et surtout parce que ces événements ne sont pas le produit d’une analyse et d’une action rationnelles, qu’ils sont, par rapport au sapiens d’époque, type Trump-Bolton, complètement inconscients.

• Le second doit explorer la question, – paradoxale en un sens après avoir constaté l’exercice de la toute-puissance de la communication, – de savoir si la toute-puissance de la communication n’a pas atteint son principe de Peter par le biais du développement de sa technologie d’accès et de transmission, par exemple comme le JSF pour les systèmes d’arme. Cela est envisagé du point de vue du Système qui nous importe particulièrement (Delenda Est Systemum) d’autant plus qu’existe son aspect-Janus lui permettant de soutenir l’antiSystème ; cela signifie que la situation serait à ce point où le Système ne pourrait plus utiliser le système de la communication à son avantage, que l’aspect-Janus l’aurait décisivement emporté, de manière directe comme c’était déjà le cas mais aussi de manière indirecte en trahissant le soutien que le Système attendait de lui