Notes sur un comploteur “indicible”

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Notes sur un comploteur “indicible”

• Entêté, le vieil Oliver Stone, qui nous revient avec un nouveau film sur l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy : « JFK Revisited : Through the Looking Glass », présenté au Festival de Cannes (comme quoi, le Festival a son utilité). • Stone exploite l’accès à près de deux millions de pages de documents déclassifiés concernant l’assassinat de Kennedy. • Il se trouve renforcé dans sa thèse d’un assassinat exécuté au terme d’une conspiration du DeepState, ou communauté de sécurité nationale, bref une CIA ou l’autre. • La cause de l’élimination de Kennedy, c’est son intention de négocier des accords fondamentaux d’arrangement avec Krouchtchev pour arrêter la Guerre Froide, en même temps que stopper les interventions extérieures et lever le blocus de Cuba. • Kennedy “guerrier de la paix”, résume Stone, confirmant une thèse qu’on laisse aller implicitement sans jamais trop s’y attacher sinon pour vitupérer contre le “complotisme”, tant elle nous révèle d’une façon trop voyante combien le vice déconstructeur est le principal caractère des USA, et comment l’assassinat de JFK conduit directement à notre époque.

15 juillet 2021 – Oliver Stone étant infatigable, il est revenu sur l’assassinat de Kennedy avec un documentaire, « JFK Revisited : Through the Looking Glass », présenté au Festival dans la section ‘Cannes Première’. Même s’il a été accueilli avec faveur à Cannes, on pourrait craindre que ce documentaire rencontre certaines difficultés de distribution à cause du mot d’ordre “complotisme !” qui suscite la méfiance et l’incertitude des bienpensants. (Cela, bien qu’il faille voir, selon notre approche déjà développée et que nous rappelons plus loin, que le véritable “complot” n’était pas du DeepState contre Kennedy mais plutôt, en faisant pivoter la table, de Kennedy contre le DeepState.)

Quant à Stone lui-même, il affiche un optimisme conquérant, notamment de l’accueil fait à Cannes pour un document qui présente un travail réalisé à partir de l’exploitation de nouveaux documents récemment déclassifiés. (‘Figaro-Vox’, 14 juillet 2021)

« En réalité, ce qui m’a permis, à moi et à mon équipe, de réaliser ce documentaire, c’est l’accès aux documents scellés après la troisième série d'investigation en 1976. Près de deux millions de pages ont été déclassifiées, toutes abritées aux archives nationales du Maryland. C'est grâce à ces nouvelles informations que j'ai pu faire ce ‘JFK Revisited’. J’ai engagé des personnes formidables capables de synthétiser toutes les données, car cela reste une affaire compliquée. »  [...]

« L’Atelier d’Images l’a acheté pour la France. Il sortira à l'automne. Il a été refusé par Netflix et National Geographic pour cause de “vérification des faits non approuvée”. Je trouve ça comique. Cannes va lui servir de rampe de lancement. Cette histoire ne va pas disparaître comme ça. Des chaînes de télévision européennes l'ont déjà acquis. Vous me demandiez précédemment si tout était fini. Non ! Je ne pense pas. Le tsunami se poursuit... »

Sur l’attentat lui-même, Stone donne des nouveaux témoignages et ressuscite l’argument matériel le plus criant, exploité au tout début des suites du rapport Warren mais qu’on eut et qu’on a tendance souvent à écarter comme “trop facile”, “trop évident” si l’on veut, et “pas assez scientifique” finalement, au profit de démonstrations considérablement sophistiquées. Il s’agit simplement de la vision du fameux film Zagruber (du nom de ce chaland, de passage sur le passage du cortège présidentiel comme n’importe qui, et qui filma l’épisode) ; vision image par image, montrant Kennedy déjà blessé dans le dos par une balle tirée par l’arrière, et penché en avant de ce fait ; recevant le coup fatal, la tête fracassée et violemment projetée en arrière, et indiquant par sa posture qu’il s’agit d’une balle le frappant par devant alors que la version officielle d’un seul tireur (le super-sniper Oswald) tirant exactement de l’arrière à partir de son poste à l’étage du bâtiment de la bibliothèque municipale...

Cet aspect de l’attentat est essentiel puisqu’il dispose nécessairement qu’il y avait plusieurs tireurs, donc une organisation structurelle dans cette opération, ou “conspiration” selon le terme officiel de justice, – le reste de la perception se déroulant logiquement, selon le complotisme dont on vous accorde qu’il est le plus pervers du monde.

« Par exemple, dit Stone, nous avons retrouvé 50 ans plus tard le médecin personnel de JFK, George Berkley. Je n’avais jamais entendu parler de lui avant la déclassification des dossiers. Il était présent à l'hôpital Parkland. Il a assisté à l’autopsie de Kennedy. Il a tout vu. Il explique simplement qu’il est impossible que Kennedy ait été atteint à la tête par-derrière. Le film d’Abraham Zagruder dévoilé à la télévision douze ans après l'attentat, le montre également clairement. Le tir provient de devant et atteint JFK au front. La déclassification a montré que près de 40 personnes ont vu que la blessure de Kennedy venait par-devant et pas par-derrière. »

Pour cause de liquidation

Stone revient sur l’argument de la liquidation de John Kennedy, dont l’auteur sera sans aucune hésitation désigné, pour la commodité du propos, sous l’expression déjà bien rodée de DeepState. (Qu’il s’agisse de l’establishment ou de la communauté de sécurité national, ou du Complexe Militaro-Industriel [CMI, dénoncé par le prédécesseur de Kennedy, Eisenhower, dans son discours d’adieu de janvier 1961] devenu plus largement Complexe-Médiatico-Technologico-Entertainment-Militaro-Industriel, ou plus simplement, Complexe-Communicationnel-Militaro-Industriel [CCMI].)

Fort justement à notre sens, Stone estime que Kennedy s’était engagé sur une voie de coopération, sinon de “complicité” avec Krouchtchev, suite à la crise des missiles de Cuba, pour mettre fin à la Guerre Froide et à la menace d’annihilation réciproque des deux superpuissances nucléaires. Dans le même esprit, il était nécessaire de bloquer les velléités anti-impérialistes et anti-interventionnistes qui accompagnaient ce projet principal dans le chef de Kennedy

« Dans une interview accordée à l'émission ‘Going Underground’ de RT.com, Stone a suggéré que Kennedy pourrait avoir été tué pour avoir voulu mettre en place une politique anti-interventionniste et cherché à mettre fin à la guerre froide, – défiant ainsi les souhaits des secteurs militaires et de renseignement américains, en pleine croissance et de plus en plus puissants. L’assassinat de JFK a servi d’“avertissement aux autres”, – notamment à tous les présidents qui ont succédé à Kennedy, – de ne pas “franchir une certaine ligne rouge”. S’adressant à l’animateur Afshin Rattansi, Stone a déclaré que l’assassinat de Kennedy a fait comprendre “très clairement au peuple américain, peut-être inconsciemment, que des forces plus grandes qu’un seul homme” étaient impliquées. » [...]

« Largument principal que nous essayons de faire passer dans le documentaire était que John Kennedy était un guerrier de la paix’”, a déclaré Stone, ajoutant que le président démocrate faisait des efforts pour mettre fin à lembargo sur Cuba et avait signé un traité d'interdiction des essais avec l'Union soviétique.

» La guerre froide touchait théoriquement à sa fin en 1963. Vous pouvez imaginer où en serait le monde aujourd'hui si cela sétait produit, a déclaré Stone à Rattansi. »

Face au DeepState

Cette idée d’un Kennedy liquidé par le DeepState nous paraît évidente par sa cohérence et sa logique destructrice conforme à cette phase historique, dans le contexte de ces années du début de la décennie 1960. Effectivement, ce président fut liquidé pour avoir voulu infléchir la politique des USA dans un autre sens que celui de ce qui était d’ores et déjà l’esquisse de la “politiqueSystème”, politique de déstructuration d’une part par le maintien de la tension de la Guerre Froide, d’autre part avec l’interventionnisme encore plus nihiliste-mercantiliste (pour détruire des structures identitaires et imposer des marchés captifs) qu’impérialiste ou colonial. Que ce soit de telle ou telle façon, que ce soit la CIA ou un autre service (mais gardons toute notre tendresse et préférence pour “la Compagnie”), cela importe peu. La démarche est avérée et évidente, il n’est nul besoin d’être complotiste, ni d’imaginer des itinéraires sinistres pour ressentir la cohérence de cette version ; il suffit de voir les images du film de Zagruber, avec la tête de Kennedy fracassée et projetée en arrière, et ce détail de boucherie des morceaux de cerveau se répandant sur la tôle de la malle arrière de la voiture noire (décapotée) présidentielle, avec Jackie Kennedy rampant hagarde sur cet espace sanglant pour les rassembler.

Nous avons suivi, dans des textes précédents, cette piste de l’affrontement entre Kennedy et le DeepState, qui n’est pas une question d’orientation politique (président conservateur, président politique) mais une question métahistorique de l’affrontement d’un individu plus clairvoyant que d’autres, et placé dans des circonstances où cette clairvoyance est sollicitée, et qui en use effectivement. Dans cette lignée, nous placions dans un texte de février 2013, Nixon et Gorbatchev après Kennedy. Avant d’en parcourir l’extrait, il est bon de rappeler ceci, de décembre 2009 et d’un certain intérêt, pour marquer combien Nixon connut des circonstances similaires à celles que connut Kennedy :

« Nous rappellerons cette phrase étonnante, que nous citons souvent, du metteur en scène Oliver Stone dans son film ‘Nixon’; la scène montrant Nixon allant rencontrer, impromptu, avec son chef de cabinet Haldeman et deux gardes du corps, des étudiants contestataires au Mémorial Lincoln, lors d’une soirée en 1971, à Washington D.C.; un cercle d’étudiants incrédules se formant autour du président, le pressant, l’interpellant, et soudain une jeune fille de 19 ans (l’âge est précisé) lui demandant pourquoi il ne fait pas tout de suite la paix au Vietnam, lui qui est président, qui a tous les pouvoirs et qui affirme vouloir faire la paix; Nixon répondant par des généralités qui laissent pourtant entendre une expression de sincérité, disant qu’il essaie, que c’est difficile, parlant d’une voix presque oppressée… La jeune fille s’exclame soudain : “Mais on dirait que vous parlez d’une bête que vous n’arrivez pas à dompter !” Nixon repart, s’installe dans la voiture officielle, reste songeur puis, soudain, à l’intention d’Haldeman: “Bob, c’est incroyable, cette gamine de 19 ans, bon Dieu, elle a tout compris !” »

Pour suivre, l’extrait du 4 février 2013, où nous faisons défiler Kennedy, Nixon et Gorbatchev, dans le déroulement du combat contre le Système. Il est à noter que, dans cette occurrence, et pour parler du Système (le CMI, ou “la Bête” selon la jeune pacifiste), si les dirigeants soviétiques et US pouvaient envisager de s’entendre, c’était contre une coalition qui réunissait objectivement les intérêts du CMI des USA, et de l’autre CMI, celui d’URSS, qui avait les mêmes intérêts à voir se poursuivre la tension et les “sales coups” interventionnistes.

« • Kennedy et Krouchtchev, s'engagèrent après la crise des missiles de Cuba de 1962 sur la voie de la recherche d’un accord radical de désarmement. La tentative était véridique et sans faux-semblant. JFK fut liquidé, on sait comment ou on ne sait comment, – et peu nous importe ici pourquoi et par qui, sinon de constater, que de l’hypothèse-Oswald à l’hypothèse-complot, sa liquidation tombait à pic. (Elle satisfaisait de toutes les façons les parties les plus inquiètes devant les accords USA-URSS qui semblaient s’annoncer, particulièrement des chefs militaires US comme le général LeMay, qui dirigeait l’USAF.) Krouchtchev fut liquidé, plus en douceur, onze mois plus tard, car il y avait également, du côté soviétique, le même parti favorable au gel de la situation d’affrontement “froid”.

» • En plein Watergate (1973-1974), suite directe d’un “coup d’État” bureaucratique des chefs militaires camouflé, dans son issue, en monument à la gloire libérale et médiatique de la Grande Amérique, Nixon se tourna vers Brejnev, qui le soutenait de toutes ses forces de l’extérieur. (Cette interprétation de l’affaire du Watergate lumineuse par son enchaînement, et par conséquent systématiquement ignorée, est signalée dans un texte du 3 février 2010 et analysée dans dde.crisis du 25 janvier 2010.) L’ambassadeur de l’URSS à Washington Dobrynine a témoigné dans ses mémoires que les deux hommes [Nixon et Brejnev] ont travaillé conjointement pour tenter de trouver une solution commune décisive à l’affrontement de la guerre froide ; il fait lui-même allusion à l’action du président du Joint Chiefs of Staff (l’amiral Moorer) contre Nixon, que le KGB avait suivi de près. Dobrynine signale justement qu’une entente entre les deux hommes aurait pu déboucher sur une opération type-glasnost liquidant la puissance de leurs CMI respectifs.

» • …En effet et finalement avec sa glasnost, Gorbatchev fut le seul à réussir la liquidation du complexe militaro-industriel russe en tant que force autonome et indépendante, mais bien entendu pour l’URSS seule. (Nous avons encore récemment rappelé, le 22 janvier 2013, la sagacité et la finesse d’analyse de James Carroll à ce propos, – voir aussi le 20 juillet 2007.) »

L’isolement de JFK le  conspirateur

Il est vrai que l’assassinat de Kennedy, ce n’est pas que l’assassinat de Kennedy. C’est une tragédie aux multiples visages, du temps où la tragédie n’avait encore rien de bouffe. La position de Kennedy, comme on le voit ci-dessous, était sans doute inédite dans l’histoire des États-Unis, notamment dans cette situation de “l’homme le plus puissant du monde” qui ne parvenait pas à se faire obéir dans une mesure étonnante par son importance ; certains, curieusement quand on considère le contraste antagoniste entre les deux hommes, pourrait trouver un parallèle avec la situation de la présidence Trump, – avec toujours le même adversaire, bien entendu.

Nous notions d’ailleurs, dans ce texte du 22 novembre 2013, 50 ans après Dallas-1963, combien le 25e anniversaire de l’assassinat avait soulevé « peu d’intérêt [...] au sein d’une Amérique et d’un establishment encore dans la jubilation de l’ère-Reagan [...]  qui se terminerait par les rodomontades sur la ‘fin de l’Histoire’ (1989) et la victoire totale, et des USA, et du libéralisme, – et de la folie du militarisme bureaucratique, et de la folie de l’hyper-capitalisme. »

... Combien au contraire, ce 50e anniversaire « ressuscit[ait le souvenir de Dallas-1963] dans l’inquiétude hystérique d’un Système aux abois de ses propres excès. » La thèse que nous exposions, autour de ce Kennedy tragiquement isolé, était celle, qui nous paraît plus que jamais actuelle, d’un “complot” qui n’est pas tant le fait (si souvent brocardé par les beaux esprits du “tout-va-très-bien-Madame...”) des ennemis de Kennedy, que de Kennedy lui-même, et lui-même liquidé parce que le Système n’admet pas les “complots” des autres, – seul lui peut s’en gaver.

« La thèse que nous défendons, qui est à la fois en accord avec nos conceptions générales et avec ce que nous percevons du fonctionnement du Système, est qu’il n’y a pas eu de conspiration contre Kennedy, menant à son assassinat, mais exactement le contraire. Cette thèse dit qu’il y eut effectivement conspiration, et conspiration infâme du point de vue du Système, que ce fut celle de Kennedy contre le Système, que cette “conspiration de Kennedy” fut aisément éventée puis suivie à la trace, jusqu’au constat de son intolérabilité, enfin que le conspirateur fut éliminé comme il convient. Le livre ‘JFK et l’Indicible’ de James W. Douglass (éditions Demi-Lune, septembre 2013), nous a puissamment aidé à confirmer cette idée que Kennedy était devenu lui-même une conspiration contre le Système, et tout autant en désignant l'inspirateur impératif de l’élimination nécessaire sous le terme anonyme et ésotérique de “l’Indicible”. (Le livre est déjà cité notre ‘Chronique du 19 courant...’, le 19 novembre 2013.) [...]

» ...Ce qui frappe d’une façon générale dans la description faite par Douglass, c’est l’isolement grandissant de Kennedy au sein de son administration, jusqu’à un isolement total dans les mois précédant l’assassinat. (Le qualificatif “isolé” pour caractériser la position de Kennedy au sein de son administration ne cesse de revenir dans les développements de Douglass.) Kennedy ne pouvait plus “travailler” avec efficacité que par des canaux hors-administration, – quand il y arrivait, ce qui n’était pas évident. Ses rapports avec les chefs militaires, qui proposaient des attaques nucléaires surprise contre l’URSS, étaient épouvantables, avec des insubordinations ouvertes de certains d’entre eux. (Voir l’article, pourtant modéré, de Robert Dallek, dans The Atlantic du 10 septembre 2013 : “Le président Kennedy faisait face à un ennemi autrement impitoyable que Krouchtchev, juste de l’autre côté du Potomac: les chefs d’état-major argumentant belliqueusement pour le déploiement d’armes nucléaires et réclamant de toute urgence l’invasion de Cuba...”) Les interférences étaient nombreuses, et souvent faites avec une complète impudence. Il y a l’exemple tragique de la dernière lettre “secrète” de Krouchtchev à Kennedy, extrêmement audacieuse pour les perspectives d’entente, qui emprunta pour ce cas un canal officiel à cause de l’optimisme trompeur que l’accord sur l’interdiction avait fait naître chez Krouchtchev. Elle fut remise à l’ambassadeur US à Moscou Kohler le 10 octobre 1963 (lors de la cérémonie de signature du traité d’interdiction) ; elle se transforma en un télégramme diplomatique de Kohler au département d’État donnant une version largement caviardée dans le sens qu’on imagine ; elle ne fut jamais connue en tant que telle par Kennedy à cause des interférences illégales de son administration et, finalement, de son assassinat. »

Le premier martyr de la Grande Crise

Nous terminons ce florilège de citations par un extrait qui nous conduit au cœur de l’interprétation du livre, signalé par le titre : JFK affrontant l’“Indicible”. L’interprétation, loin de la chronique des faux et vrais complots, des coups tordus et des témoins éliminés, nous conduit à une hauteur métahistorique. L’intérêt de cette démarche est sans aucun doute d’établir un lien essentiellement métahistorique entre l’assassinat et la période de Grand Trouble qui suivit dans les années 1960 (comme le terrible ‘Smutnoye Vremya’ de la Russie du début du XVIIème siècle), – mais peut-être bien au-delà, c’est-à-dire jusqu’à nous, et nous serions alors dans l’époque du paroxysme de ce Grand Trouble.

... C’est-à-dire que, plus que jamais est grande l’actualité métahistorique de l’assassinat de Kennedy, comme ouverture tragique d’une période d’effondrement, brûlant les repères habituels (1989 pour le “triomphe” du capitalisme face au communisme grimé en Diable terrifiant, 2001 et la Grande Guerre contre la Terreur, 2008 et la super-crise boursière colmatée avec des conteneurs pleins à craquer de billets fraîchement imprimés) pour nous offrir une lecture différente, complémentaire mais allant plus au fond.

« Extrait de la page 28 , dans l’Introduction du récit, où l’auteur pose le fondement de sa thèse, par conséquent la conclusion fondamentale du propos du livre, qui ne sont pas d’essence politique, encore moins d’essence (?) “conspirationniste” au sens où l’on entend ce mot dans notre époque actuelle (depuis 9/11 et la contestation autour) qui a complètement transformé, c’est-à-dire subverti, le fait de l’assassinat de JFK selon le prisme subversif de dissimulation des conditions de son affrontement fondamental entre Système et antiSystème. Le fondement de cette thèse, – si l’on ne tient pas compte d’une manière inutilement polémique de l’état religieux de la personne (Merton) à laquelle se réfère Douglass, – est clairement d’essence métaphysique, ou métahistorique...

» “Ce faisant, il [Kennedy] entrait en conflit mortel avec l’Indicible. L’’Indicible’ ( ‘Unspeakable’) est un terme que Thomas Merton a forgé au cœur des années 1960 après la ‘tragédie de Dallas’, – au moment de l’escalade de la guerre du Vietnam, de la course aux armements nucléaires, des assassinats de Malcolm X, de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Dans chacun de ces événements bouleversants, Merton perçut un mal dont la profondeur et la duplicité semblaient aller au-delà de la capacité des mots à le décrire.

» “Prophétiquement, en 1965, Merton écrivit que ‘l’un des faits les plus effroyables de notre époque est la preuve que [le monde] est atteint en effet au cœur même de son être par la présence de l’Indicible’. La guerre du Vietnam, la course vers une guerre mondiale et les meurtres imbriqués de JFK, de Malcolm X, de Martin Luther King et de Robert Kennedy étaient autant de signes de la présence de l’Indicible, qui demeure terriblement présent dans notre société. Comme Merton l’a dit en nous mettant en garde : “ceux qui sont actuellement si désireux de se réconcilier avec le monde à n’importe quel prix doivent prendre garde de ne pas se réconcilier avec lui en ce qui concerne cet aspect particulier : le monde comme nid de l’Indicible. C’est ce que trop peu d’entre nous sont disposés à croire”. » [...]

« Les circonstances de son très court mandat, l’évolution intellectuelle voire spirituelle qu’il connut, le dessein qu’il poursuivit, d’abord confusément et ensuite plus clairement, certaines prémonitions qu’il eut, etc., en font le premier Président US et chronologiquement la première personnalité politique de cette envergure à avoir affronté directement et incontestablement l’‘Indicible’-le Système, et à en avoir été la victime directe et incontestable. (C’est effectivement la vertu complète du livre de Douglass de montrer cela, après avoir pris la résolution affichée de suivre cette voie pour conduire son “enquête” qui prend ainsi des dimensions complètement différentes.) De ce point de vue par conséquent, Kennedy est chronologiquement le premier martyr de la grande crise du Système et de la modernité dans les prémisses de sa phase ultime (crise d’effondrement du Système) que nous connaissons aujourd’hui. La séquence qui s’ouvre au cœur de la Guerre froide à partir de son assassinat et du tumulte des années 1960, se développera avec notamment trois dates-clef – 1973 et le “choc pétrolier” ouvrant l’aspect “d’intendance” de la dimension eschatologique de la crise, 1985 et l’arrivée de Gorbatchev puis 1991 et la fin de l’URSS laissant le Système face à lui-même et au développement de son équation surpuissance-autodestruction. »