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25146 mars 2014 – Le 5 mars 2014, nous donnions une Brèves de crise sur une conversation de plus de dix minutes, parfaitement audible et compréhensible, entre le ministre des affaires étrangères estonien Urmas Paet et la Haute Représentante de l’UE Lady Ashton. (L’Estonie est l’un des pays les plus antirusses de l’UE. A cet égard, son ministre est au-dessus de tout soupçon.) On connaît la partie qui a été la plus mise en évidence dans cette conversation, présentée comme ayant été interceptée par les services de renseignement ukrainiens, le SUB, – qui, soit dit en passant, sont décrits en l’occurrence comme fidèles à Ianoukovitch. Il s’agit de la responsabilité des tirs de snipers sur la foule d’Euromaidan à Kiev, ces incidents qui ont constitué une partie essentielle des événements ayant conduit directement à la chute de Ianoukovitch.
L’importance de la révélation est très justement appréciée par MK Bhadrakumar, sur son site IndianPunchLine), le 6 mars 2014 : «Diplomats may say one thing while facing the camera while knowing fully well that facts do not bear out what they say. Call it propaganda and posturing – or, ‘public diplomacy’ – but at the end of the day, the sensational disclosure to the effect that the violence and bloodshed that Kiev witnessed in the crucial run-up to the fall of President Viktor Yanukovich was not due to ‘repression’ ordered by him but was perpetrated by the ultra-nationalist elements and their hit men completely demolishes the narrative propounded by the United States.
»In sum, the Russian stance is vindicated – there has indeed been a coup and the usurpers in charge of the governmental machinery in Kiev today lack legitimacy. The big question is whether this ‘revelation’ would make a substantial difference at this late stage. After all, President Barack Obama and Secretary of State John Kerry did have the benefit of intelligence inputs and knew precisely what was going on, and yet, they went ahead with their fictional narrative.»
Instruits par l’expérience et considérant l’importance de la chose, nous envisagions, dans une première réaction qui montre combien les événements vont plus vite que notre jugement, que l’effet de communication serait au moins aussi considérable que la conversation entre Victoria Nuland et l’ambassadeur US en Ukraine Pyat (voir le 7 février 2014 et le 10 février 2014). Cette prévision se justifiait, nous semblait-il, tant le sujet, et les affirmations du ministre estonien, étaient d’une très grande importance politique. Il n’en est rien (pour l’instant), – l’effet (de communication, insistons là-dessus) est faible, diffus et amoindri, voire quasiment nul, ou déformé selon les techniques employées.
Nous avons donc fait preuve de naïveté, ou bien est-ce qu’il y a eu un changement considérable entre la vérité de la situation de la communication entre le “moment-Nuland” et le “moment-Paet”. La première explication n’est pas fausse, mais nous nuancerions le mot de “naïveté” de celui d’“inattention”, et inattention due à la rapidité des événements depuis une grosse décade (depuis le 21 février) qui nous emporte et mobilise notre attention sur l’immédiateté des choses aux dépens de leur profondeur. La seconde explication, de loin la plus puissante et la plus intéressante, est certainement juste et mérite des commentaires spécifiques que nous nous promettons de donner, assez rapidement, dans un contexte plus large que le seul cas Paet-Ashton.
En attendant la promesse ci-dessus, nous donnons quelques éléments pour présenter cette affaire. Quelques-uns de ces éléments concernent le fond, largement évident à l’audition du message que tout le monde peut entendre, mais encore plus intéressant lorsqu’on s’attarde aux détails. Les autres éléments, plus nombreux, concerne la forme qu’a prise cette affaire dans les effets qu'elle a déclenchés, ou n'a pas déclenchés, cette forme constituant l’essentiel de notre propos et ce qui nous paraît le plus intéressant.
Sur le fond d’abord, quelques précisions parce qu’il n’est pas seulement question, dans ce coup de téléphone, de la question des snipers. Le site Moon of Alabama a fait un excellent travail : il a résumé en quelques citations (la conversation est extrêmement audible et compréhensible) les principaux points de cette conversation, essentiellement de la part du ministre Paet qui, en quelque sorte, rendait compte à Ashton. (Voir MoA, le 5 février 2014). Les formules résumant tel ou tel passage sont suivies, entre parenthèses et exprimées en minutage sur la conversation qui fait 10 minutes 49 secondes, du moment chronologique de la conversation où se situe ce passage...
«Paet reports from his talks with somewhat neutral people on the Maidan, including some Olga that Ashton also knows, during a recent visit in Kiev:
» • there is no trust of the people in the new government (2:35) ;
» • all of them in the new government have a dirty past (2:50) ;
» • the trust level (towards the new government) is absolutely low (3:20) ;
» • enormous pressure against (party of the region) members of parliament (3:40) ;
» • “uninvited visitors” enter in the night on party members (3:50) ;
» • journalists who were with me saw during the day that one member of parliament was just beaten in front of the parliament (4:00) ;
» • people will not leave the street before real reforms start, it is not enough that there is just change of government (4:20) ;
» • the same Olga (from a civil society group) told me that people killed by snipers on both sides, among policemen and people on the street, that they were the same snipers killing people from both sides, she showed me some photos and said she has a medical doctor and that it is the same handwriting and the same type of bullets and it is disturbing that the new coalition now don't want to investigate (8:25) ;
» • There is now stronger and stronger understanding that behind snipers it was not Yanukovich but it was somebody from the new coalition. (8:55) ;
» • it discredited itself from the very beginning this new coalition (9:20)...»
Un deuxième point important est que Paet a complètement confirmé l’authenticité de la conversation enregistrée. Il a diffusé cette confirmation dans un message tweeté et il a donné une conférence de presse à ce propos. Russia Today (le 5 mars 2014) donne un rapport de la chose, incluant des conversations entre Novosti et Paet. On notera que RT va un peu loin et un peu vite lorsqu’il écrit, en tête de l’article, que «Urmas Paet said that snipers who shot at protesters and police in Kiev were hired by Maidan leaders» (en réalité, selon Paet : «There is now stronger and stronger understanding that behind the snipers, it was not Yanukovich, but it was somebody from the new coalition»).
«Estonian foreign ministry has confirmed the recording of his conversation with EU foreign policy chief is authentic. Urmas Paet said that snipers who shot at protesters and police in Kiev were hired by Maidan leaders. Paet told RIA-Novosti news agency that he talked to Catherine Ashton last week right after retiring from Kiev, but refrained from further comments, saying that he has to “listen to the tape first.” “It’s very disappointing that such surveillance took place altogether. It’s not a coincidence that this conversation was uploaded [to the web] today,” he stressed. “My conversation with Ashton took place last week right after I returned from Kiev. At that time I was already in Estonia,” Paet added.
»Paet also gave a press conference about the leaked tape on Wednesday, saying that the dramatic events in Kiev, which resulted in people being killed, must become the subject of an independent investigation. The Estonian Ministry of Foreign Affairs also issued a statement on its website, saying that the recording of the leaked telephone conversation between Paet and Ashton is “authentic.” [...] “We reject the claim that Paet was giving an assessment of the opposition’s involvement in the violence," the statement stressed, adding that the FM was only providing an overview of what he had heard during his Kiev visit.»
»RT has contacted Ashton’s spokesperson, Maja Kocijancic, who said “we don’t comment on leaked phone conversations.”»
Bien entendu, on note l’extrême prudence du ministre estonien Paet, qui affirme l’authenticité de l’enregistrement mais entend d’abord en écouter le contenu avant d’autres commentaires. (Certains jugeront cette prudence un peu étrange, – il devrait savoir ce qu’il a dit, dès lors qu’il authentifie le document ; pourtant, on comprend qu’il veuille, à une semaine d’intervalle, en avoir le cœur net.)
Bien entendu, on note la réaction du ministère des affaires étrangères qui précise que les propos du ministre sont “une vue d’ensemble” (overview) mais nullement une évaluation (assessment). Sur des sujets aussi précis, dans des termes aussi précis, de la part d’une personnalité qui a normalement accès à toutes les sources qu’il veut et doit consulter, on voit mal la différence entre une “vue d’ensemble” et une “évaluation”. Plus encore, lorsque la “vue d’ensemble” si complète donne un effet si contraire au point de vue officiel en cours, il est évident qu’on se trouve devant une “évaluation” de facto et du plus grand intérêt. On est alors fondé de faire l’hypothèse à multiples composants que la différence proclamée entre la “vue d’ensemble” et l’“évaluation” implique qu’il importe, du côté des services officiels concernés, de nuancer radicalement la “vue d’ensemble” de l’apport du “point de vue officiel en cours” pour obtenir une “évaluation” plus conforme au second ; que Urmas Paet a du convenir, selon des arguments plus impératifs que convaincants, que sa “vue d’ensemble” demandait effectivement à être nuancée ; que ce processus n’a pas été inventé pour la cause (la diffusion publique de la conversation téléphonique) mais qu’il existe réellement dans la bureaucratie de l’UE (du bloc BAO) et des pays-membres, bref qu’il a lieu même lorsqu’il n’y a pas de “fuites”.
On comprendra alors que cette hypothèse n’est avancée nullement pour discréditer un ministre mais pour constater combien les processus internes sont maîtres de l’appréciation de la situation, – de l’“évaluation”, – et qu’il s’agit là de processus quasiment automatiques, issus selon nous de la dynamique interne du Système comme si le Système était un organisme autonome bien plus que d’une démarche spécifique de “consignes” élaborées relevant d’une démarche consciente de transformation de la vérité de la situation. (Nous comptons revenir sur ce point très rapidement, car c’est le facteur essentiel qui retient notre attention.)
Pour confirmer l’atmosphère des réactions autour de cette conversation rendue publique, on ajoutera, sans surprise, que le cabinet d’Ashton a choisi au moins dans sa réaction immédiate comme politique de communication, c’est-à-dire de la transparence de son sentiment opérationnalisée par le biais de l’un ou l’autre commentaire, justement de ne faire aucun commentaire. Le prétexte est net, d’une netteté presque vertueuse, et comme fondé sur un principe qui clôt le dossier (on ne commente pas les conversations téléphoniques interceptées) : «RT has contacted Ashton’s spokesperson, Maja Kocijancic, who said “we don’t comment on leaked phone conversations.”»
«We don’t comment on leaked phone conversations» ? Et la conversation Nuland-Pyatt, no comment ? (On se rappelle tout de même que des officiels européens, dont Merkel; avaient protesté contre le “fucked” destiné à l'UE de la Nuland.) Le ministère des affaires étrangères russe est alors fondé d’observer, sans qu’il soit nécessaire de sortir du tiroir à malices le spectre de la Pravda et du KGB, simplement en se référant pour l'esprit de la chose aux commentaires officiels européens sur la conversation de Nuland (ITAR-Tass, le 5 mars 2014) :
«The Russian Ministry of Foreign Affairs draw attention to the audio recording of a conversation between EU High Representative for Foreign and Security Policy Catherine Ashton and Estonian Foreign Minister Urmas Paet about the situation in Ukraine, which surfaced on the internet. A source in the diplomatic service said this on Wednesday. “We drew attention to the recordings that emerged on the internet,” the source told Itar-Tass. “EU’s refusal to comment them cause surprise since recently high-ranking officials of EU countries actively commented on Victoria Nuland’s wiretapping.”»
Il est évident que l’affaire n’a pas fait long feu au niveau qu’on nommerait “officiel” de la presse-Système. Nombre n’en disent mot, certains autres qui ont une vertu de média sérieux “traitent” la chose comme il convient. Nous serions prêts à donner le prix au Guardian, pour sa manœuvre indigne et symboliquement plus que littéralement “crasseuse” (le mot français avec une référence à l’adjectif anglais crass, pour grossier).
Ewen MacAskill (Guardian, le 5 mars 2014) n’a pas vraiment transformé la nouvelle, il l’a simplement pulvérisé par le titre et le premier paragraphe, – avec une hypocrisie dissimulée derrière une pommade d’ingénuité qui en dit long sur l’esprit de la chose, – “la chose” étant les exécutants des consignes du Système, car aucune autre définition ne sied à celui qui effectue un tel travail de boucherie de l’information. Le titre est «Ukraine crisis: bugged call reveals conspiracy theory about Kiev snipers», et le premier paragraphe : «A leaked phone call between the EU foreign affairs chief Catherine Ashton and Estonian foreign minister Urmas Paet has revealed that the two discussed a conspiracy theory that blamed the killing of civilian protesters in the Ukrainian capital, Kiev, on the opposition rather than the ousted government.»
Ainsi peut-on rapporter toute l’affaire en ayant inscrit implicitement, – comme s’il s’agissait d’une affirmation explicite sinon qui-va-de-soi, – que les deux personnages, Ashton et Paet discute d’une “conspiracy theory”, c’est-à-dire une de ces lubies de dérangé mental dont on sait par avance, avant même d’y prêter une honnête attention de lecteur, qu’elles ne valent pas tripette. Il y a eu effectivement des hypothèses sur des snipers utilisés par les Euromedan, y compris sur l’emploi d’équipes Gladio (voir F. William Engdahl, Information Clearing House, le 28 février 2014), ce qui d’ailleurs renvoie à une conspiracy theory extrêmement opérationnelle et historiquement très active dans les pays occidentaux depuis la fin des années 1940 (voir notamment le 12 février 2005), cela confirmé par les personnages les plus respectables (à commencer par l’Italien Andreotti en 1991). Mais pour le cas, les deux personnages, eux, Paet et Ashton, discutaient d’informations bel et bien recueillies par l’un des deux, ministre des affaires étrangères d’un pays de l’UE en mission à Kiev.
La méthode du Guardian vaut bien celle des chroniqueurs-à-scandales et autres paparazzi fouilleurs de poubelles. Elle est agrémentée bien entendu d’allusion extrêmement british aux auteurs supposés mais évidents du forfait, avec cette nuance d’indignation sous-jacente : “Comment ! Les barbares russes font comme nous, ils écoutent et utilisent leurs écoutes pour la guerre de la communication ? Chocking, pour le moins...” (Tiens, – comme on le lit ci-dessous, – il est tout de même admis que le phonecall est embarrassing ? Une “conspiracy theory”, embarrassante?)
«The leak came a day after the Russian president, Vladimir Putin, said the snipers may have been opposition provocateurs. The Kremlin-funded Russia Today first carried the leaked call online. [...] Asked about the emergence of a second embarrassing phonecall, a spokesperson for the US state department said: “As I said around the last unfortunate case, this is just another example of the kind of Russian tradecraft that we have concerns about.”»
Une autre intervention est celle du Telegraph, moins vicieuse certes, mais aussi intéressante à apprécier selon la technique classique du contre-feu aussitôt mis en place. L’information se trouve mentionnée sous une forme ultra-rapide et très anecdotique, avec une sérieuse mise en garde («We cannot independently verify»), dans l’article “live” qui fait défiler les événements de la journée, à 13H45 (Telegraph, 5 mars 2014).
«13.45 – We cannot independently verify, but there are reports in Russia that the snipers who shot at protesters and police in Kiev were hired by Maidan leaders, according to a leaked phone conversation between the EU foreign affairs chief Catherine Ashton and Estonian foreign affairs minister. Russia Today, the Kremlin-funded news channel made the claim. Baroness Ashton had no comment when approached by Bruno Waterfield, our correspondent in Brussels.
»“There is now stronger and stronger understanding that behind the snipers, it was not Yanukovich, but it was somebody from the new coalition,” Urmas Paet said during the conversation. “I think we do want to investigate. I mean, I didn’t pick that up, that’s interesting. Gosh,” Baroness Ashton answered.»
Miracle de rapidité, à 15H17, les gens du Telegraph sur place à Kiev, ont repéré, identifié et interrogé la personne citée dans la conversation Paet-Ashton, la doctoresse Olga Bogomolets. La brave Olga fait une déclaration très prudente que le Telegraph présente presque comme un démenti, et elle-même terminant en précisant qu’elle s’en remet entièrement aux autorités en place à Kiev qui lui ont assuré qu’une enquête avait commencé, qui ferait toute la lumière sur le cas, et que ce serait bon pour le pays sans aucun doute. (Dans la conversation Paet-Ashton, Paet : «So that she then also showed me some photos she said that as a medical doctor she can say that it is the same handwriting, the same type of bullets, and it’s really disturbing that now the new coalition, that they don’t want to investigate what exactly happened...») On conclura que le Telegraph a reçu toute l’aide démocratique qu’il fallait des autorités à Kiev pour trouver Olga, laquelle avait été informé avec exactitude par ces mêmes autorités pour pouvoir répondre dans le sens qu’il faut, en toute ingénuité, selon les règles de la transparence et tutti quanti.
«15.17 – Our correspondent, Damien McElroy, has spoken to the doctor at the centre of the claims that snipers that shot people in Kiev were hired by Maidan leaders:
»Olga Bogomolets said she had not told Mr Paet that policemen and protesters had been killed in the same manner. “Myself I saw only protesters. I do not know the type of wounds suffered by military people,” she told The Telegraph. “I have no access to those people.” But she said she had asked for a full forensic criminal investigation into the deaths that occurred in the Maidan. “No one who just sees the wounds when treating the victims can make a determination about the type of weapons. I hope international experts and Ukrainian investigators will make a determination of what type of weapons, who was involved in the killings and how it was done. I have no data to prove anything.
»“I was a doctor helping to save people on the square. There were 15 people killed on the first day by snipers. They were shot directly to the heart, brain and arteries. There were more than 40 the next day, 12 of them died in my arms.” “Our nation has to ask the question who were the killers, who asked them to come to Ukraine. We need good answers on the basis of expertise.”
»Mr Paet's assertion that an opposition figure was behind the Maidan massacre was not one she could share. “I think you can only say something like this on the basis of fact,“ she said. “Its not correct and its not good to do this. It should be based on fact.” She said the new government in Kiev had assured her a criminal investigation had begun but that she had not direct contact with it so far. “They told me they have begun a criminal process and if they say that I believe them. The police have not given me any information on it.”»
Dans l’édition de ce 6 mars du Telegraph, telle qu’elle est affichée et à notre connaissance, aucun titre sur cette affaire perdue corps et bien. La méthode est claire, franche et sans bavure.
Nous nous sommes arrêtés longuement à cette affaire dans les premières réactions qu’elle a déclenchées, – sans préjuger évidemment de ce qui suivra, sans faire de pronostic à cet égard, – mais en observant ses caractères très spécifiques dans la façon dont on l’a accueillie. Cette affaire nous semble typique, non seulement d’un climat régnant au niveau de la communication mais bien d’un phénomène beaucoup plus ample, beaucoup plus “signifiant”. On pourrait définir ce phénomène très rapidement, selon un rangement standard et certainement trop classique, d’une façon très sommaire à laquelle il est prudent de ne pas s’attacher, comme une mécanique d’influence extrêmement spécifique. Il s’agit donc d’un phénomène qu'il faut développer, étudier, évaluer pour bien le comprendre ; un phénomène à propos duquel nous avons beaucoup à dire, – ce pourquoi nous mentionnons à deux reprises que nous reviendrons sur le cas, en espérant que ce sera, selon nos disponibilités, le plus rapidement possible.
Encore une fois, la différence est saisissante, entre ce que nous avons nommé le “moment-Nuland” qui concerne la conversation entre Victoria Nuland et l’ambassadeur Pyatt, et le “moment-Paet” dont nous parlons ici. L’affaire Nuland était extrêmement embarrassante pour le Système, certes, mais on n’y trouvait pas ce frein extraordinaire qui se manifeste avec l’affaire Paet. Tout se passe comme si nous étions dans une autre époque pour ce qui concerne le traitement et l’exploitation des informations dans le cadre du système de la communication, y compris de la part des officiels eux-mêmes. Le fait est qu’il n’y a pas de réelle unité entre le “moment-Nuland” et le “moment-Paet”... Entre les deux, une chape de plomb est tombée, qui ne correspond à aucune consigne particulière, à aucune nécessité opérationnelle. Il est inutile de partir de “propagande”, de “consignes”, etc., parce que ces concepts sont beaucoup trop sommaires pour la situation que nous connaissons, et qu’ils sont beaucoup plus des outils que des concepts, beaucoup plus des “comment” que des “pourquoi”.
Bien entendu, le courant que nous identifions peut changer et demain nous apporter une vive agitation autour de cette communication téléphonique. Nous en serions bien étonné et serions les premiers à dire cet étonnement. En attendant, nous constatons ce qui s’est passé, qui mérite à notre sens l’attention que nous lui portons.
Il ne s’agit pas seulement d’une affaire de simple information, au niveau de la communication courante, mais évidemment portant sur un sujet essentiel («...the sensational disclosure [...] completely demolishes the narrative propounded by the United States», note Bhadrakumar). Il s’agit de bien plus à notre sens ; il s’agit d’un phénomène qui concerne ce que nous nommons le Système et l’ensemble que ce concept véhicule. Il faut bien comprendre qu’il y a là, selon nous, des effets d’automaticité dus à la surpuissance du processus, qui satisfont ce processus pour ce point spécifique de la surpuissance mais constitue un immense danger pour les serviteurs du Système (ce qui nous conduit à parler d’autodestruction comme pur produit de la surpuissance). En effet, ces “serviteurs du Système”, ministres, journalistes-machins et autres bibelots, se trouvent confrontés à des événements qu’ils ne prévoient pas, qu'ils refusent ou qu’ils déforment inconsciemment, ils se trouvent conduits à des erreurs de jugement considérables, tout cela conduisant à des évolutions qui ne sont pas nécessairement favorables à leur cause. On a déjà vu bien souvent ce phénomène, mais il nous semble qu’il atteint une ampleur extraordinaire avec la crise ukrainienne, et cette affaire spécifique du coup de fil Paet-Ashton en est une édifiante illustration. On a là une confirmation implicite mais extrêmement convaincante de l’importance formidable de cette crise ukrainienne.
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