Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
95429 avril 2014 – Parlons d’abord d’Asie puisqu’il est question du très fameux “Asian Pivot” de notre-président, le pharamineux BHO, retour de balade dans la région...
Du temps de nos jeunes années, la promesse était avérée : l’arrivée de Richard Nixon, Californien pur jus baigné sur les rivages du Pacifique, qui préférait sa résidence de San Clemente (La Casa Pacifica) à l’austère Camp-David des présidents courants, allait voir l’Amérique se tourner enfin vers l’Asie. D’une façon assez sinistre, on considérait en effet que la guerre du Vietnam n’était pas “une ouverture asiatique” mais plutôt un article parmi d’autres d’une litanie de mesures prises contre le soi-disant déferlement communiste et la théorie des dominos. (Cela est si vrai que l’engagement au Vietnam eut comme principale répercution de stopper le désengagement d’Europe que le président Eisenhower avait commencé à faire étudier par ses stratèges, à commencer par un retrait de 100 000 hommes. La guerre du Vietnam gela ce projet parce qu’il n’était pas temps d’affaiblir un des fronts anticommunistes alors qu’on allait contenir au Vietnam un autre de ces fronts : ainsi le sanglant Vietnam était-il le contraire d’une sanglante “ouverture asiatique”...)
Pour autant, Nixon, que l’on couvre en général d’opprobre pour son action dans l’aventure vietnamienne commencée par les autres, mit un terme à la guerre du Vietnam et, parallèlement, entama son “ouverture asiatique” avec l’établissement de relations avec la Chine communiste. Il y avait donc une politique.
Au reste ce débat de l’“ouverture asiatique” n’était pas nouveau, même du temps de Nixon. On peut même observer qu’il est quasiment consubstantiel aux États-Unis d’Amérique dès que l’expansion de ce pays atteignit les rives du Pacifique, puisqu’alors les USA se considérèrent comme une puissance du Pacifique (plutôt qu’une “puissance pacifique”, pour ne pas nous y tromper), et par conséquent, ou disons par extension, comme une “puissance asiatique”. C’est donc moins un débat qu’une façon d’être et elle influe puissamment et continuellement sur les stratégies fondamentales des USA, comme en témoigne le combat titanesque entre l’US Navy et l’US Army dans les années 1939-1942, pour décider quelle orientation donner à la guerre à venir puis effectivement venue, – là aussi, selon l’idée de savoir si la pseudo-“ouverture asiatique” devait prendre le pas sur le reste. (Les extraits ci-dessous sont empruntés au livre Four Stars, de Mark Perry, auquel un article avait été consacré le 26 juillet 2003.)
«[Admiral] Ernest King — just returned from the North Atlantic — argued for the adoption of what became known as the Pacific First approach, which held that the United States should defeat Japan before dealing with Germany. In addition to showing a traditional mistrust of the British, the strategy had a logic of its own: Japan had launched a direct attack on the United States (that is, the U.S. Navy); it considered America its primary enemy, sought hegemony in the Pacific (the “American lake”), and had conquered the Philippines, an American colony. There was more than a service principle at stake : the Navy believed that the war against Japan was a war between two fleets as well as two nations. Naval officers argued further that the British seemed to be doing quite well against the Germany and could probably hold them off indefinitely, or at least until Japan had been defeated.»
L’idée originale de l’Asian Pivot version-Obama se trouve, pour le système de la communication, dans l’article de la secrétaire d’État Clinton, dans Foreign Policy du 11 octobre 2011, «America's Pacific Century». Observant que près de la moitié de la population mondiale vit dans cette région, Clinton faisait de son développement (de l’Asian Pivot) un élément vital pour les intérêts économiques et stratégiques des USA.
Elle écrivit, ou bien est-ce son porte-plume qui s’en chargea, que «open markets in Asia provide the United States with unprecedented opportunities for investment, trade, and access to cutting-edge technology. Our economic recovery at home will depend on exports and the ability of American firms to tap into the vast and growing consumer base of Asia. Strategically, maintaining peace and security across the Asia-Pacific is increasingly crucial to global progress, whether through defending freedom of navigation in the South China Sea, countering the nuclear proliferation efforts of North Korea, or ensuring transparency in the military activities of the region's key players.»
Il est difficile de trouver une telle addition de lieux communs ; en changeant quelques noms de pays, cet article aurait pu être écrit en 1945 ou en 1969, – sauf qu’en 1945 ou en 1969, sans cet article, l’esprit de la chose fut suivie d’actions diplomatiques et de certains succès du point de vue défendu, qui était la pénétration ou l’hégémonie US en Asie. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les lieux communs sont plus que jamais présents, et on leur accordera moins de gloire qu’en 1945 ou en 1969, par respect d’antériorité. Quant au succès... C’est là que nous en venons au très récent tour de piste du bateleur en chef, le POTUS et commandant en chef Barack Obama, réalisé après deux reports de cette visite qui en disent long sur les capacités de la diplomatie américaniste à suivre les grandes stratégies qu’elles développent à intervalles réguliers et de plus en plus rapprochés. Pour donner la tonalité de la chose, nous nous reporterons à Justin Raimondo, qui consacre au “tour de piste” son commentaire du 28 avril 2014.
«For those of us who wondered “whatever happened to the ‘Asian pivot?’” the answer is now in: it was the diplomatic-strategic equivalent of vaporware, i.e. it was never a Serious Thing in the first place. For those not familiar with the foreign policy wonk-speak, the Asian Pivot was supposed to have been a major turning point in American foreign policy, a pivot away from the Middle East and Europe and toward the rising power of China. It didn’t work out that way.
»First there was the Syrian diversion, in which the President threatened to bomb that country in response to a ginned-up “crisis” – provoked by a false-flag chemical weapons attack staged by Turkey in cooperation with Syria’s Islamist rebels. When that move fell flat on its face, the spotlight moved not to Asia but on to Europe – southeastern Europe, specifically, where an American-sponsored regime-change operation in Ukraine was in progress. The backfiring of this little adventure, ending in the Russian annexation of Crimea, has been an embarrassment for the administration, with an out-of-control “interim government” in Kiev stuffed with dubious characters and a new cold war with Russia dominating the headlines.»
Justin va encore plus loin dans son analyse des interférences, ou comment des crises impromptues dans lesquelles Washington s’engage au nom de la politique-Système entretenue par l’alliance très sexy et extrêmement postmoderne neocons-R2P (voir le 21 avril 2014) font dérailler l’énorme usine à gaz de ses grands desseins stratégiques. Il signale comment l’“impromptu de Kiev”, avec tout ce qui s’ensuit et notamment la superbe indignation du monde civilisée devant l’affreuse violation de la légalité internationale (l’annexion de la Crimée) par l’épouvantable Russie alias-Poutine, a interféré décisivement sur le programme de la visite de notre POTUS à tous.
Il s’agit de Taïwan, qu’il eût été bon d’aller visiter pour signifier à la Chine que les USA, alias-bloc BAO, entendaient, là aussi faire respecter la légalité internationale version-“pivot asiatique”, et ainsi affirmer leur volonté de containment des soi-disant visées hégémoniques de Pékin sur une région notoirement américaniste et évidemment confiée à la protection généreuse des USA ; seulement voilà... Taïwan fit sécession de la Chine devenue communiste en 1949 au nom de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes (ou à peu près), et le monde civilisé (bloc BAO in the making) applaudit à tout rompre. Aujourd’hui, le monde civilisé (bloc BAO) gémit d’indignation depuis six semaines quand on évoque seulement le mot “sécession”, au nom de la légalité internationale. Le rapprochement, firent remarquer les habiles techniciens en communication du POTUS, aurait été fâcheux.
«For all the folderol, the so-called Asian pivot is really just a feint: we have neither the ability nor does the Obama administration have the desire to confront China militarily. Coverage of Obama’s Asian trip generally emphasized the decision to “skip” Beijing, yet the really significant omission on Obama’s itinerary was Taiwan. He didn’t dare show up there, the sore spot of Eastasia, site of yet another “frozen” conflict left over from the cold war era – and with good reason. No Chinese regime could give up its claim to the “renegade” province and survive popular wrath for long: the increasingly shaky gerontocracy in Beijing is acutely sensitive to the potential for nationalist backlash if they are seen as appeasing the West. For Obama to show up in Taiwan would’ve been a provocation too far.
»Aside from Chinese intransigence on this issue, a stopover in Taipei would have complicated the administration’s anti-secessionist stance. After all, if the “Republic of China” can secede from the mainland, then why can’t Crimea get out from under Kiev’s heel? Yet the US is bound by law to defend Taiwan in case of a Chinese incursion – now there’s another cold war holdover that’s taken on new currency.»
Cela conclu, qui ne montre guère, dans nos choix des citations, une très haute considération de la valeur de la diplomatie et des conceptions stratégiques des USA, attachons-nous à deux autres citations. Elles ont ceci de remarquable qu’elles sont remarquablement inverses, parlant de la même chose, des mêmes circonstances, des mêmes événements, etc. On verra très vite laquelle a notre préférence, et l’on s’étonnera peut-être d’observer que ce n’est pas celle de M K Bhadrakumar, que nous citons souvent, et avec intérêt. Le commentateur, ancien ambassadeur indien, est souvent un remarquable observateur des relations internationales, avec ce qu’il faut de défiance fondée des actes du bloc BAO, et il est parfois extraordinairement dans l’erreur, à notre sens, en succombant à un brutal accès d’admiration qu’il voudrait sans doute “objectif” pour ce même bloc, section Washington, et section Obama. Nous soupçonnons le trait de caractère du diplomate, qui regrette l’ordre que nous connûmes entre 1945 et 1991-2001, ce regret conduisant à se montrer un instant admiratif de celui qu’on tient comme principal producteur de cet ordre, – dito, Washington.
Ce penchant de notre commentateur nous semble regrettable, d’abord parce que cet “ordre” entre 1945 et 1991-2001 ne le fut que par défaut, et surtout qu’il ne semble être un ordre aujourd’hui que par comparaison avec la bouillie pour les chats qui règne ; ensuite, qu’il le fut parce que le technologisme régnait et qu’on avait conscience de ce que cela signifiait du point de vue du risque d’affrontement nucléaire, – là aussi, on contraire d’aujourd’hui, où il semble quasiment impossible de faire comprendre à 99,90% des dirigeants politiques, diplomates et commentateurs du bloc BAO qu’en Ukraine l’un des enjeux sérieux de la chose est le risque d’affrontement nucléaire. (Ces 99,90%, dont ne fait pas partie Loren B. Thompson : voir le 28 avril 2014.)
Voici donc ce qu’écrit Bhadrakumar, ce 28 avril 2014, qui nous présente, dans une perspective ukrainienne où il écrivit déjà des choses qui disaient le contraire, un Obama triomphant et un Poutine encagé, auquel on a coupé les ailes...
«On the contrary, there is much to be said to put in perspective commend what Obama is doing to advance American interests abroad and to finesse the US’ global strategies. He is unemotional, deceptively casual, completely free from ideological baggage and is a ruthless practitioner of diplomacy in advancing America’s interests. Obama’s current Asia tour is a telling example. Conventional wisdom would be that with the preoccupations in Eurasia, Obama is under compulsion to mothball his ‘rebalance’ strategy in Asia. On the contrary, as it turns out, Obama’s tour is all about shifting gear in the ‘pivot’ to Asia.
»It takes the breath away that Obama is taking on Russia and China simultaneously. No matter the course of events to come in Ukraine, one thing the US has achieved at minimal cost to itself financially, militarily or politically is that Russia has been compelled to withdraw post-haste to its natural habitat of Eurasia.
»Whereas, just a couple of months ago, Russia was all over the place — in Syria, Egypt, Iraq, Iran, Venezuela, Cuba, Turkey, Vietnam, Japan and so on. No mean achievement, no doubt, with the least bit of drain on the US’s resources. Actually, Russia’s absence from the Middle East, which may turn out to be protracted if the Ukraine crisis explodes, may even give the respite needed for the US to stage a comeback from theatres where it was on retreat lately.
»The visit of the Egyptian Foreign Minister Nabil Fahmy to Washington soon after the partial lifting of the US freeze on arms supplies to Cairo is a significant pointer. It remains to be seen if Obama doesn’t think of a ‘pivot’ to Syria, where President Bashar Al-Assad is hoping to hold an election on June 3 to get himself re-installed for another term.
»If Obama were to do a cost-benefit analysis regarding Ukraine, he has much to be happy about. The US has regained its trans-Atlantic leadership role, galvanized the NATO, eroded drastically the Kremlin’s gains made out of the westpolitik of the past decade, and it is now virtually coaxing Moscow to intervene militarily in Ukraine so that for the foreseeable future Russia will be in the doghouse in the Western courtyard...»
... Et ainsi de suite. Il est difficile d’écrire plus de choses sur le sujet abordé, avec lesquelles nous soyons en si complet désaccord tant elles nous semblent relever d’une pensée type-Fantasyland. Ainsi nous tournons-nous vers un autre commentateur, venu, lui, du Moyen-Orient où, paraît-il, selon Bhadrakumar, la Russie a complètement disparu de l’écran-radar pour laisser le champ libre à un “retour des USA”. (Une sorte de “Middle East Pivot”, non ? Plus on est de fous, plus l’on pivote...).
Voici donc l’analyse que fait Sami Kleib, dans un article d’Al-Akhbar (dans sa version anglaise, le 28 avril 2014). Kleib est un commentateur de haute volée, directeur des informations de la chaîne de TV Al-Mayadeen, ancien commentateur à Aljazeera, diplômé de la Sorbonne en philosophie des médias et en littérature française. Kleib nous dit que les USA (le bloc BAO) ont complètement déserté le Moyen-Orient et que la Russie y est partout présente, et que c’est sa position politique (durcissement à cause de l’Ukraine) qui conditionne tout ; on retrouve même des points bien précis (la visite de l’égyptien Fahmy à Washington) cités par Bhadrakumar, et exactement interprété en sens contraire, et l’avis général au Moyen-Orient est que “même les Européens admettent qu’Obama a laissé tomber tout le monde avec sa politique faible et impuissante” (observation faite par une “figure” de l’opposition syrienne, Michel Kilo : «Whoever meets Kilo these days will hear that “the Europeans themselves admit that Obama let down everyone with his ineffective and weak policies.”»)
«A few days ago, the United Nations (UN) Secretary General Ban Ki Moon requested a meeting for the international quartet on Syria. His goal was to trigger consultations for holding Geneva III. The shocking response from the US Secretary of State John Kerry was: “Now is not a good time, the current priority is Ukraine.” The quartet committee consists of the UN, the US, Russia and the European Union (EU). All these parties seem unable at this point to revive the Geneva Conference or discuss any negotiated solution for the Syrian crisis. This was reinforced by everyone’s belief that Russian President Vladimir Putin has become more rigid on the Syrian issue after the crisis in Ukraine.
»Russian Foreign Affairs Minister Sergei Lavrov now makes several statements a week in support of the official Syrian point of view. One day he criticizes the “West’s duplicity and hypocrisy,” regarding Syrian chemical weapons, and another day he condemns the West’s willingness to recognize the Ukrainian elections without political reforms while rejecting the same conditions for Syria. The tough diplomat makes statements opposing the arming of rebel groups on Syrian soil, alluding to states whose role has become known in that regard.
»There is clear Russian support for the nomination of President Bashar al-Assad for a third term. Moscow gave the same support to General Abdul Fattah al-Sisi in Egypt and to President Abdulaziz Bouteflika in Algeria. Before any of that, Lavrov himself expressed from the center of Baghdad, his country’s support for Iraqi Prime Minister Nouri al-Maliki’s war on terrorism. Moscow went even further. It expanded its oil deals with Tehran. The Russians told whoever would listen that they do not recognize US sanctions but only sanctions by the UN Security Council. Washington was worried. Its treasury secretary said that any deal might fall under US sanctions. The warning was followed by a preliminary agreement between Moscow and Tehran valued at $20 billion stipulating that Moscow supply Tehran with equipment and Russian goods in return for Iranian oil.
»It is not easy for Europe and the US to think of the possibility of Moscow’s success on more than one front. Oil and gas from Iran and Algeria raise concern. These two states do not fall within the scope of NATO. One of them is a strong ally of the Syrian regime and the second defends it diplomatically. It is not an easy matter for the US and the West to accept that Russia, once again, will have a serious foothold in Iraq and Egypt.
»US diplomacy sprang into action. America rushed to support Bouteflika at the height of his electoral campaign. It opened the door for Egypt’s foreign secretary, Nabil Fahmy, who begins this week important political and security meetings in Washington. No doubt that Fahmy, who was a powerful force behind pushing his country towards the Russian alternative, today visits Washington proudly. Sisi succeeded in pushing the US administration to reopen its treasury and forget the phase of toppling the Muslim Brotherhood President Mohammed Mursi. Interests always trump principles...»
.. Ainsi donc, à cause de l’Ukraine qui est devenu le point unique de la diplomatie US aussi bien en Asie (Taïwan) qu’au Moyen-Orient, les élections présidentielles de juin et sans doute la réélection d’Assad passeront comme une lettre à la poste. Il y a deux ans, Assad n’en avait plus que pour quelques semaines, et, d’ailleurs, il “ne méritait pas d’exister”, selon les philosophes Clinton, Barak, Fabius & Cie.
... Et Kleib de conclure : «In brief, the Syrian scene is as follows: gradual US abandonment, giving priority to combating terrorism and dealing with Assad’s re-election as a fait accompli. Based on the above, a visitor to Europe might hear these days from European officials or from Lakhdar Brahimi himself who suggests that there is no need to make a big issue of the Syrian presidential election. It is more important to focus on what is going on the ground. A few days from now, Brahimi will try to intensify efforts in New York to push the Geneva III wheel into motion but he may not get a lot of attention. No one is compelled to change the international priority at this stage, which is Ukraine.»
Une phrase de Kleib éclaire largement le propos général, en lui donnant la spécificité qui importe : «It is not easy for Europe and the US to think of the possibility of Moscow’s success on more than one front.» Cette observation peut en réalité s’élargir à celle de la capacité de “se concentrer sur plus d’un seul front” (plus d’une seule crise, etc.) à la fois. Elle est d’autant plus juste qu’elle renvoie à une spécificité du bloc BAO, et particulièrement des USA, et l’observation devient alors un jugement d’une sorte de mimétisme ; cette incapacité de se préoccuper de plus d’une seule crise, d’un seul problème, d’une seule urgence à la fois, c’est parfaitement la caractéristique de la “diplomatie” du bloc BAO (des USA, encore plus). La réponse, que Kleib juge “choquante” à juste titre, de Kerry à une proposition de réunion du “quartet” sur la Syrie, – «Now is not a good time, the current priority is Ukraine», – illustre bien le propos ... Une “priorité”, dans cette psychologie-là, n’est pas quelque chose qui est plus important que d’autres choses, mais qui n’empêche pas nécessairement qu’on s’occupe de ces “autres choses”, c’est quelque chose qui semble priver de toute existence toutes les “autres choses”. Plus rien n’existe aujourd’hui que l’Ukraine : la psychologie ne perçoit plus que cela, l’esprit se nourrit de cet exclusivisme et le facteur groupthink (voir notre équivalence élargie, virtualisme
On notera que c’est effectivement notre avis, que l’Ukraine est aujourd’hui l’essentiel, sinon l’exclusivement essentiel, mais cet avis est en bonne partie justifié justement par cette attitude du bloc BAO qui fait d’une priorité la liquidatrice de toutes les “autres choses” qui constituent l’activité de la diplomatie. Lorsque nous donnons comme autres raisons de cette importance de l’Ukraine sa complexité, sa capacité d’expansion, la multiplicité des domaines qu’elle touche, etc., c’est-à-dire la propre spécificité de cette crise telle qu’elle est devenue, ce n’est pas même pas fournir une explication à l’exclusivisme total de la “priorité” en question puisque les acteurs du bloc BAO sont eux-mêmes aveugles à nombre de ces aspects que nous développons. (L’exemple le plus frappant, bien entendu, c’est le risque d’affrontement nucléaire qu’ignorent superbement la plupart des personnes qui devraient s’en aviser [les 99,90%, – voir plus haut].) Finalement, l’on comprend aisément que cette importance que la crise ukrainienne présente comme caractère d'elle-même n’est pas la cause fondamentale de la crise, mais bien la conséquence de la façon dont cette crise a été traitée à ses débuts, sinon déclenchée tout simplement, par ces mêmes pays BAO faisant d’une question accessoire, régionale, etc., qui n’était d’ailleurs même pas posée, un baril de poudre formidable au cœur de l’Europe, et d’une poudre qui pourrait bien être nucléaire, et contre laquelle les “pompiers pyromanes” du bloc BAO n’ont guère de réserve d’eau pour tenter de faire leur travail... D’ailleurs, prétendent-ils faire leur travail, et savent-ils ce dont il s’agit ? Ils sont occupés, justifiant qu’on les considère effectivement comme pyromane, à se tromper de liquide et à prendre un carburant hautement combustible pour de l’eau, – selon leur philosophie générale de “jeter de l’huile sur le feu” pour éteindre l’incendie qui gronde.
L’intérêt pour nous est de déterminer la cause de cet “exclusivisme” de la diplomatie du bloc BAO, qui a des conséquences considérables, notamment dans le cas de la tournée asiatique du président Obama dont les résultats ont été médiocres et sans beaucoup d’importance. (En réalité, on verra qu’ils seront même, sur le long terme, complètement contre-productifs, car la visite d’Obama a constitué, telle qu’elle s’est déroulée après les reports dus aux crises syrienne et ukrainienne, une confirmation de l’impuissance de la diplomatie américaniste. Cette marque de l’impuissance diplomatique américaniste à ne pouvoir faire autrement que tenter de réagir à des événements que lui impose la politique-Système s’est marquée notamment dans les conférences de presse d’Obama durant sa tournée, où les questions concernaient en général bien plus l’Ukraine que l’Asie, sans qu’Obama ne s’en troublât outre mesure. Une autre marque de cette impuissance a été l’incapacité US à débloquer l’impasse actuelle entre le Japon et les USA concernant le traité de libre-échange TTP.)
Nommons cela “exclusivisme” dans un sens mécanique et, bien entendu, nullement idéologique, dans le sens où tout autre chose que ce qui se manifeste principalement est exclue... L’explication de cet exclusivisme diplomatique se trouve dans la prédominance, sinon justement l’exclusivisme du système de la communication sur toute autre considération, et notamment sur les considérations de la diplomatie employée comme moyen de traiter les questions de géopolitique. Il n’est effectivement pas étonnant que la communication, qui opérationnalise l’ère psychopolitique, ait pris le pas sur la géopolitique comme moteur de la diplomatie, dans la mesure où l’essentiel de la politique, sinon son exclusivité là encore, se trouve dans la communication. On a largement vérifié le fait avec les crises récentes, – la Libye, la Syrie, et aujourd’hui l’Ukraine. Encore une fois, il ne s’agit pas de juger de l’importance respective de ces crises, puisque justement l’Ukraine est une crise d’importance essentielle ; il s’agit de juger du processus à la fois déclenchant ces crises, les aggravant, conduisant les pays du bloc BAO à s’impliquer dedans sans autre raison que la communication et les arguments qui vont avec (la philosophie neocon-R2P). Les pays du bloc BAO se trouvent ainsi entraînés dans des crises locales et régionales, où leurs interventions constituent un facteur d’aggravation considérable jusqu’à ce qu’ils en soient les prisonniers, sans disposer d’aucune stratégie, ni stratégie victorieuse, ni stratégie de sortie. Parallèlement, toutes leurs activités diplomatiques essentielles sont paralysées par le rassemblement de toutes leurs capacités dans ces crises de circonstance devenues centrales, où surgissent des problèmes fondamentaux pour eux, et qu’ils ne peuvent résoudre.
D’ailleurs, il n’y a pas lieu de s’étonner. On ne fait, là encore, que décrire une situation de désordre général où l’activité humaine, dans le chef de l’inspiration qu’elle pourrait donner aux événements en cours, n’a qu’une importance minime, où plus que jamais des forces extérieures et supérieures à nous se chargent d’orienter les événements, comme si les événements étaient eux-mêmes des forces autonomes, vers l’issue de la crise générale qui touche le Système. Les sapiens-Système sont les figurants qui n’ont même pas l’esprit d’être des observateurs. Ils communiquent, ils communiquent, et il n’en reste rien...
Forum — Charger les commentaires