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2054Certes, depuis trois jours, il nous apparaissait qu’un événement inattendu surgissait soudain à Washington, au Congrès. (Voir successivement le 23 juillet 2013, avec « La NSA commence à agacer Washington» [“Congrès” eut été préférable à “Washington”], le 24 juillet 2013, avec «La NSA panique, comme vous et moi» et le 25 juillet 2013, avec «Une défaite éclatante comme une victoire».) Certes, depuis trois jours, nous qui n’avions rien vu venir n’avons pas plus vu venir ce qui s’est produit mercredi après-midi aux USA. La seule chose rassurante pour notre longue-vue fixée sur la crise d’effondrement du Système, c’est que ni la présidence, ni la direction du Congrès n’ont rien vu venir, – ni peut-être les parlementaires eux-mêmes (y compris sont qui ont voté pour l’amendement).
La défaite de l’amendement Amash qui attaquait au cœur la toute-puissance de la NSA à exercer une surveillance arbitraire et sans contrôle des citoyens US en général est si faible (217 voix contre 205), elle est si complètement une “victoire à la Pyrrhus” du Système, qu’on peut réellement parler de la possibilité de l’ouverture d’une nouvelle époque à Washington. La crise Snowden/NSA a son front intérieur, et il est sévère.
Le Congrès part en vacances. Il se retrouve en septembre. D’ores et déjà, le “clan Amash” fourbit ses armes. Comme on dit, “l’automne sera chaud”, et BHO a intérêt à chercher à déclencher une guerre ou l’autre en août pour tenter de détourner l’attention. En Syrie, par exemple, le cas le plus tentant ? Là aussi, il est bloqué, car la déposition du général Dempsey le 22 juillet 2013 (Guardian) représente «the most explicit uniformed opposition to deeper involvement in another war in the Middle East». D’ailleurs, il (BHO) n’en a ni les moyens, ni les tripes. (Voir le 23 juillet 2013.)
Nous avons fortement insisté sur notre absence complète de prévision de l’événement. L’explication est assez simple : cet événement-là était imprévisible par rapport aux normes, aux us et coutumes du Congrès. C’est tout ce qui fait la valeur qualitative du vote de mercredi, et qui en fait un événement antiSystème, une défaite majeure du Système.
Cette “surprise” qui vaut pour tout le monde, les commentateurs éloignés comme ceux qui sont à Washington, est justement expliquée par Jason Ditz, dans Antiwar.com, ce 25 juillet 2013. Ditz met en évidence combien toutes les règles mises en place pour permettre aux directions-Système de contrôler les processus de décision ont été tournées, sans manœuvre d’ailleurs, sans habileté particulière, simplement par la force de la chose. Nous soulignons de gras les commentaires qui importent.
«The administration got its first taste of the growing American opposition to NSA surveillance and its impact on Congress today, when despite overwhelming opposition from both parties leadership, the White House and heavy lobbying by the NSA, Rep. Justin Amash (R – MI) brought the matter of telephone surveillance to a vote. The amendment failed, unfortunately, but the 205-217 vote showed that many in the House were willing to buck party leadership in favor of the American public’s demands to see the NSA powers curbed.
»Public opponent is overwhelmingly against the NSA’s surveillance, but it takes a long time for it to trickle into the halls of Congress, and even longer to find its way into the Senate. That the Amash Amendment managed not only to get a hearing but to come within a hair’s breadth of passing is an encouraging sign that public sentiment is starting to get noticed on this issue.»
La défaite de justesse de l’amendement, piètre “victoire à la Pyrrhus” du Système, n’est nullement interprétée comme un coup d’épée dans l’eau, une tentative pour rien, mais bien au contraire comme un “avant-goût” de ce qui attend les directions-Système, à Washington, à la rentrée de septembre. «The vote is a defeat for privacy today, but it is a battle that will continue on...»
Il y a deux aspects dans le vote du 24 juillet et les perspectives qu’il suggère, et bien entendu par rapport à ces perspectives. Le point de vue classique est d’observer d’abord que le vote est né d’un rythme qui s’est brusquement imposé, en quelques jours, d’un mouvement puissant mais temporaire de contestation au Congrès, principalement à la Chambre des Représentants traditionnellement la moins contrôlable des deux chambres du Congrès. C’est de poursuivre ensuite qu’avec l’interruption des vacances, tous les processus du Système aux USA vont se mettre en route pour étouffer ce rythme et neutraliser la contestation, impliquant que cette bouffée de contestation restera en l’état et ne résistera pas l’étouffoir du Système.
Le deuxième point de vue est exactement contraire, et il est à notre sens redoutablement (pour le Système) d’actualité. Il consiste à observer qu’à partir de cette défaite qui serait presque une victoire, l’opposition qui s’est révélée si puissante va profiter de l’interruption pour se renforcer et déclencher une offensive très efficace à la rentrée de septembre. Cette hypothèse implique que, contrairement aux conditions traditionnelles du système, les procédures d’étouffement du Système n’ont plus l’efficacité qu’elles avaient auparavant. Bien des faits, comme la lenteur, la lourdeur et le vide de la surpuissance du Système avant le vote, militent en faveur de cette thèse. On pourrait même avancer que certains des parlementaires qui ont cédé aux pressions du Système pour voter contre Amash, pourraient bien revenir sur leur position. Cela signifie que le front de la crise Snowden ouvert à Washington sera rouvert en septembre.
L’événement du 24 juillet constitue un changement formel important, mais ce n’est pourtant pas un changement nouveau, – si l’on nous permet ce demi-oxymore. Ce qui apparaît aujourd’hui, dans l’humeur, dans l’attitude, s’est déjà signalé à l’une ou l’autre reprise, par des poussées brutales d’incontrôlabilité du Congrès (surtout de la Chambre) ; et le point important à souligner est que ces à-coups se sont traduits en général par quelque chose de durable. On parle ici de ce qui pourrait apparaître comme un feu de paille, qui semble l’être parce qu’on est habitué aux us et coutumes et à l’espèce de prégnance de l’envasement du vieux fromage moisi que sont le Congrès traditionnel et le pouvoir washingtonien, mais qui en vérité, justement parce que le fromage est vieux et moisi, donne des effets qui bouleversent la structure de la situation washingtonienne.
Les prémisses de la chose sont apparues avec Tea Party, avec l’un ou l’autre événement comme l’élection partielle de janvier 2010 dans le Massachussetts, l’activisme de Ron Paul, etc. Mais le premier événement de taille fut certainement l’échec nucléaire de la négociation Congrès-présidence sur la dette qui se réalisa, en juillet-août 2011, à cause de cette incontrôlabilité d’une part grandissante de jeunes élus, surtout à la Chambre. (A cette occasion de ces négociations où les élus Tea Party tinrent un rôle antiSystème fondamental, le vice-président Joe Biden qualifia ces parlementaires de “terroristes”, ce qui était une sorte de prémonition du vote de la Chambre sur la NSA, sur la législation prétendument anti-terrorisme. [Voir le 3 août 2011.]) Finalement, l'échec fut camouflé en compromis-succès qui entérina bientôt le blocage du pouvoir et aboutit à la séquestration. Tout le monde croyait que cette affaire (la séquestration) serait résolue in extremis et rétablirait le train-train du Système distribuant de l’argent à tous les postes déstructurants du pouvoir, mais il n’en fut rien. Aujourd’hui, la séquestration dévore silencieusement, notamment, la puissance militaire des USA déjà mal en point.
Ainsi les “feux de paille” constituent en réalité une succession d’avancées antiSystème qui s’ancrent dans la situation du pouvoir paralysé du Système et le dissout peu à peu... On dit “peu à peu” ? Finalement, en deux-trois ans, ce n’est pas si mal comme résultat antiSystème, si l’on y ajoute cette perspective anti-NSA, et si l’on se réfère à la surpuissance du Système et à la fascination que le Système exerce sur tant et tant, et parmi eux des opposants classiques qui se croient un peu vite antiSystème.
Rentré précipitamment d’une petite semaine de vacances bien mérité, Glenn Greenwald fait un magnifique article, le 25 juillet 2013 dans le Guardian. Il faut le lire, cet homme qui doit être aujourd’hui jugé comme un “joyau de l’antiSystème”, quoiqu’on puisse lui trouver par ailleurs, – car seule compte l’action antiSystème dans ce cas, et la sienne est totalement dévastatrice.
Greenwald saisit la substance de l’événement, qu’il apprécie justement comme “un événement extraordinaire”, “un changement gigantesque en courts”... Il s’agit d’une redistribution des cartes et des positions des uns et des autres, avec une apparition de facto d’une faction antiSystème, mais aussi d’une attaque directe contre l’establishment de sécurité nationale et de ses pratiques, qui montrent que le Système doit être considéré comme une entité et que cette entité est devenue folle dans ses manifestations et ses réactions.
Greenwald juge donc que le débat au Congrès sur la NSA n’en est qu’à ses débuts, et que tous ceux qui sont apparus dans l’opposition sont parfaitement de ce point de vue. Ces “opposants” sont loin d’être tous des extrémistes, même si ce sont les deux ailes extrémistes, à droite et à gauche, qui ont suscité la révolte. Désormais, cette révolte attire des “centristes”, des élus qui semblaient assurés de prendre leurs places dans les rangs du Système, comme cette élue démocrate, ancienne combattante d’Irak et fière de l’avoir été, – ce qui ne la mettrait pas à première vue dans le camp antiSystème :
«Newly elected Democrat Tulsi Gabbard of Hawaii, an Iraq War combat veteran considered a rising star in her party, said that she could not in good conscience take a single dollar from taxpayers to fund programs that infringe on exactly those constitutional rights our troops (such as herself) have risked their lives for; she told me after the vote, by Twitter direct message, that the “battle [was] lost today but war not over. We will continue to press on this issue.”»
Ainsi Greenwald saisit-il la substance de l’événement, comme nous disions plus haut, – “‘a major sea change’ in the making”, et qui va bien profiter du mois d’août pour se peaufiner.
« The amendment yesterday was defeated. But it lost by only 12 votes: 205-217. Given that the amendment sought to de-fund a major domestic surveillance program of the NSA, the very close vote was nothing short of shocking. In fact, in the post-9/11 world, amendments like this, which directly challenge the Surveillance and National Security States, almost never get votes at all. That the GOP House Leadership was forced to allow it to reach the floor was a sign of how much things have changed over the last seven weeks... [...]
»To say that there is a major sea change underway – not just in terms of surveillance policy but broader issues of secrecy, trust in national security institutions, and civil liberties – is to state the obvious. But perhaps the most significant and enduring change will be the erosion of the trite, tired prism of partisan simplicity through which American politics has been understood over the last decade. What one sees in this debate is not Democrat v. Republican or left v. right. One sees authoritarianism v. individualism, fealty to The National Security State v. a belief in the need to constrain and check it, insider Washington loyalty v. outsider independence.»
... Sans la moindre surprise, puisque c’est ainsi rejoindre le cœur d’un de nos axes de réflexion (voir immédiatement ci-dessous), la dernière phrase de Greenwald (libéral-progressiste d’une gauche extrême “à l’américaine”) résonne en écho dans la première phrase du commentaire de Justin Raimondo (conservateur libertarien à l’extrême-droite “à l’américaine”), sur Antiwar.com, le 26 juillet 2013 : «In the aftermath of the Amash Rebellion, there are two new parties in Congress: the authoritarians and the Americans. The vote on Rep. Justin Amash’s LIBERT-E Act, which would have gutted the National Security Agency’s phone records dragnet, drew a clear line of demarcation that will only widen in the coming months as civil libertarians continue their push to roll back the Surveillance State.»
On l’a déjà évoqué en parlant de Greenwald : ce qui s’est passé à la Chambre, à Washington, le 24 juillet, est une fantastique redistribution des cartes. («What one sees in this debate is not Democrat v. Republican or left v. right. One sees authoritarianism v. individualism, fealty to The National Security State v. a belief in the need to constrain and check it, insider Washington loyalty v. outsider independence.») Ainsi a-t-on vu un amendement déposé par Justin Amash, jeune libertarien, pro-Ron Paul, donc républicain classé à l’extrême-droite (classification US), être essentiellement présenté par un vieux démocrate libéral-progressiste (Conyers) et recevoir 111 voix démocrates, contre 96 républicaines lors du vote. Ainsi Greenwald peut-il piétiner sans pitié ce pauvre Obama, totalement inexistant dans ce qu’il a prétendu être, bien plus extrémiste que Bush, s’appuyant sur ce que le parti républicain a de plus ossifié dans sa vindicte belliciste, tout cela au son de la ballade du Système faisant danser ses marionnettes.
(Il y a un passage du texte de Greenwald où l’auteur décortique les déclarations orwelliennes absolument stupéfiantes de contradiction de l’administration Obama, et d’Obama lui-même, pour défendre cette tentative à la fois sénile et gérontocratique de la NSA [du Système] pour établir un autoritarisme compulsif sur la population des USA... Nous disons bien sénile et gérontocratique, tant cette “menace dictatoriale” est conduite par un Système épuisé, vidé de toute sa créativité dynamique et avec sa surpuissance vide de sens, écrasé par le poids des subventions en monnaie de singe et accumulant erreurs grossières sur erreurs grossières, – dito et pour faire bref, toute la politique d’agression depuis 9/11, avec cette apothéose de l’exposé de la puissance écrasante et vide d’une NSA qui rêve d’éternité et qui rate régulièrement l’essentiel... Comment la NSA, qui écoute tout le monde et qui surveille le monde entier comme une Stasi cosmique, et qui écoute notamment les parlementaires du Congrès, n’a-t-elle rien vu venir de la préparation de l’amendement Amash, qui s’est préparé d’une façon très discrète mais n’a pu manquer de faire fonctionner de nombreux échanges téléphoniques et électroniques ; et la NSA d’être prise complètement par surprise... [Voir le 24 juillet 2013].)
Il n’empêche, un Français de bon sens doit pouvoir comprendre que ce qui s’est passé à la Chambre des Représentants du Congrès US le 24 juillet présente la seule formule institutionnelle intra-Système, – et l’on sait que le Système ne peut se détruire qu’à l’intérieur de lui-même, en mode d’autodestruction, – de l’alliance des deux extrêmes, formés ou devenus extrêmes par la force des choses. Il est, dans l’esprit de la chose, un modèle pour ce que nous observons du possible des événements à venir en France. (Voir le 12 juillet 2013, en nous épargnant les gémissements consternés et les anathèmes hérités d’un XXème siècle faussaire qui devrait paraitre aujourd’hui aussi éloigné de nous qu’est le Moyen Âge, mais en moins rassurant.)
Le paysage de Washington a indiscutablement changé. Cela était palpable avant et après le vote, le résultat du vote ayant évidemment conforté les esprits des “dissidents” que la pénible victoire à la Pyrrhus du Système constitue en réalité une ouverture tonitruante d’une saison pleine de surprise, – à partir de septembre. Les parlementaires partis à l’assaut de la NSA et, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en soient conscients ou pas, à l’assaut du Système, sont et seront confortés, renforcés, portés par une nuée de lobbies et de groupes de pression allant dans leur sens, qui ont la sensation d’être dans la situation de “saisir l’occasion”. Enfin, au-delà, il y a le public, la population elle-même, qui ne cesse d’évoluer dans le sens des “dissidents”, contre les pratiques de la NSA.
Avant le vote, Spencer Ackerman écrivait, dans le
»Even if Amash's push to limit the NSA program fails, civil libertarian groups are preparing for a long battle, fueled by the belief that public opinion is finally tipping their way. On Thursday, a court in New York was due to hear preliminary legal arguments on a case brought by the ACLU that challenges the constitutionality of the NSA's mass collection of phone records. It is the first court challenge since the Snowden revelations, and the ACLU believes it has a strong case because of the publication by the Guardian of a secret court order authorising the bulk collection of Verizon records, and because it is a Verizon customer. [...]
»“Whether the amendment succeeds or fails, the support and attention it has garnered sends a clear message to the intelligence community,” said Elizabeth Goitein of the Brennan Center for Justice at New York University Law School. “Members of both parties are picking up on the sentiment of the American people that there are limits to what the government should be permitted to do in the name of national security. We all want to be kept safe from terrorism, but that is not a license to engage in indiscriminate collection of Americans' personal information.”»
Après le vote, Ewen MacAskill (Guardian, le 25 juillet 2013) écrivait : «[Senator] Wyden mentioned this on Tuesday in speech in Washington, saying Americans were stunned by the scale of the surveillance. “And, boy, are they angry. You hear it in the lunchrooms, town hall meetings and senior citizen centres,” Wyden said. And the public will almost certainly be still engaged in that debate when Congress returns in September. A Washington Post/ABC News poll published Wednesday showed concerns about personal privacy have grown. The poll suggested about three-quarters of Americans see the NSA programmes as infringing on their rights to privacy. In the aftermath of 9/11, when there was overwhelming concern over security, the balance has gradually shifted, with the poll finding 57% in favour of unfettered investigations and 39% seeing protection of privacy as the more important.
»There will likely be more disclosures in the media that will keep the debate alive. And legal actions are pending. A preliminary court hearing is scheduled for Thursday in New York at which the American Civil Liberties Union is challenging the constitutionality of the NSA's mass collection of phone records. The ACLU said it will be the first time that the government has been forced to address NSA surveillance in court. All this puts pressure on the White House to act. The Obama administration responds that it has already made gestures but these are so minor and modest they have made little impact on public consciousness. Big concessions will be required to allay public concerns...»
Ce nouveau climat aux USA, dans la naissance duquel Snowden et son compère Greenwald ont une responsabilité majeure, sinon exclusive, ne laissent pas les théoriciens indifférents. Kevin Baron, du nouveau site DefenseOne.com, publie, le 20 juillet 2013, une analyse qui sous le titre de «Goodbye Anti-War, Hello Anti-Secrecy», suggère que l’étonnante indifférence (sauf les puissantes manifestations contre la guerre en Irak, de février 2003) du public US pour une opposition à la guerre, contrastant si fortement avec les années 1960, s’explique par un changement de préoccupation qui n’est pas sans fondement, l’opposition s’exprimant désormais non plus contre les actes d’agression géopolitiques mais contre les actes d’agression de communication au sens large du mot.
Cette idée, lorsque l’expression “anti-secret” est élargie dans toute sa signification, répond parfaitement à notre conception du passage déjà accomplie depuis 2003-2006 de l’ère géopolitique à l’ère psychopolitique. Dans ce cas, c’est moins l’agression brutale de la guerre qui importe que l’agression brutale contre la liberté intérieure, et, au-delà (on le voit dans un des commentaires ci-dessous), l’acte contre l’identité qui soulèverait une protestation qu’on identifierait alors comme étant à finalité antiSystème. (Au reste, les guerres elles-mêmes, postmodernistes comme on les fait, sont aussi bien à finalité de dissolution identitaire, que de l’agression brutale, pure et simple. Le cas est semblable et rejoint l'aspect le plus fondamental de l'agression du Système.) Cela impliquerait justement que la bataille n’est plus au niveau géopolitique du technologisme de guerre, mais au niveau psychologique de la communication. Ce n’est que justice pour l’appréciation de l’ennemi principal, qui est désormais la recherche de la déstructuration sociale et de la dissolution des esprits et des consciences. On voit combien le fait d'avoir affaire à la NSA, à ses programmes et à ses projets parfois étranges, nous projette brusquement dans le domaine de la bataille principielle, autour de l'identité et de l'essence même de l'esprit.
«“In [the public’ eyes,] the hoarding and acquisition of information and a whole variety of forms of surveillance is an encroachment upon a fundamental liberty. It’s what [British King] George III would be doing if he were kicking today,” said [Todd Gitlin, long-ago the president of the new left’s Students for a Democratic Society, now a sociologist and chair of Columbia Journalism School’s Ph.D. program]. “For the anti-secrecy people…it’s the Stamp Act and the suppression of speech and a whole deal of grievances against King George put together. This is an infringement upon our core being.”
»“When we have a robust debate, and government insiders speak out and there’s healthy dissent, that’s good for democracy, that’s what we want,” [ Barbara Wien, a professor in the International Peace and Conflict Resolution graduate program at American University,] added. “Lincoln surrounded himself with dissenters.” She insists the peace movement, in any form, is not dead. Instead, it has seeped into less visible but far more pervasive veins of society, and is now seen in everything from anti-bullying campaigns to small town alternative justice organizations to her university’s rapidly overflowing stack of applications for the conflict resolution graduate program.
»Maybe Wien is right, and we’re seeing the beginning of – something. “Information is citizenship,” Gitlin said. “But even more, information is identity. Information is currency. Information is cultural capital and even more than that. Somehow, identity is of the essence. And so I think people can feel that something’s at stake – their being is at stake in a way that isn’t true with the war. The war, no matter how rotten you think it is, I think it doesn’t cut you to the quick unless you have some blood in the game, some skin in the game, which most people don’t.”»
Il s’agit alors, en conclusion, d’abord de “désaméricaniser” tout cela, de le sortir du contexte à la fois américain (les “dissidents”) et américaniste (le Système). Il s’agit d’écarter les particularismes, les spécificités, d’oublier que les libertariens sont contre un gouvernement et un État structurés qui représentent souvent, pour les Européens et surtout pour les Français, le fondement de la souveraineté et de la légitimité. Il s’agit d’écarter les références sans nombre aux valeurs américanistes, à l’histoire des USA et à la tradition individualiste, pour ne retirer que l’idée brillante de la NSA transformée en machine à broyer les structures identitaires des individus, et ainsi faisant de l’opposition en train de s’affirmer contre elle une réaction fondamentale transcendant les nations, les continents, les histoires pour n’être plus qu’antiSystème. Après cet acte d’“inconnaissance offensive”, tout cela doit nous permettre de clarifier le débat et de le réduire, ou plutôt non bien sûr, de le transcender en l’identifiant dans sa substantifique moelle. Ainsi en arrive-t-on à une classification évidente et incontestable, d’une révolte antiSystème, par conséquent mais directement dans ce cas, contre le Système.
Que nous importent les étiquettes, les réflexes idéologiques et totalement pavloviens des temps faussaires qui, au XXème siècle notamment, ont préparé les temps d’infamie que nous connaissons ? Il faut en venir à l’essentiel. Dans la saison actuelle de la crise d’effondrement du Système, la NSA est devenue, qu’on le veuille ou non et que cela ait été prémédité ou pas (nous reviendrons sur le débat qu’impliquent ces alternatives), l’instrument central du Système dans sa poussée de surpuissance visant à la dévastation du monde (déstructuration, dissolution & entropisation [dd&e]). Dans ce développement sont apparus, volontairement ou non (même remarque que précédemment), des projets d’agression et de transmutation radicale des sociétés et des sapiens eux-mêmes, en connexion avec certains ambitions-Système du corporate power type-Google.
Aujourd’hui et pour un temps donné, la NSA est l’“ennemi principal”, l’arme actuelle du Système pour ses projets les plus radicaux. La réaction contre elle est nécessairement une réaction antiSystème radicale, que la chose soit réalisée ou non (toujours les mêmes remarques). Ce qui nous importe est bien le fait lui-même, et nullement les intentions, les acteurs, la dialectique autour et ainsi de suite ; et qu’il s’agisse de la branche libertarienne du Tea Party, des progressistes US qui s’éveillent à l’infamie d’Obama, tout cela n’importe pas davantage. Seul reste le fait d’une réaction qui ne peut être définie que comme antiSystème, – et l’événement, le vote du 24 juillet, avec ses conséquences et ses perspectives, devient une événement historique pour une date historique.
Pour le reste, la confirmation est donnée de l’importance fondamentale de la crise Snowden, “crise première” aux conséquences inimaginables. Cette crise a tous les ingrédients pour alimenter la surpuissance du Système et la transmuter, pour ce domaine (la NSA et le reste), en autodestruction, – alors qu’il apparaît que ce domaine est fondamental. Ce n’est certes pas la première fois que nous disons cela d’une crise, car, à chaque occasion d'une crise apparaît la possibilité de son aspect effectivement fondamental et rupturiel. Cela n’a pas été le cas jusqu’ici, c’est peut-être le cas avec la crise Snowden. Ce qu’il faut comprendre est que tous ces épisodes contribuent à la fois à l’essoufflement du Système à cause de sa surpuissance, à son épuisement à cause de sa tendance autodestructrice. Il viendra un temps, une circonstance, une crise, qui introduira l’élément décisif. La crise Snowden est, aujourd’hui, sur les rangs, pour tenir ce rôle. Il faut admettre qu’elle est puissamment armée pour cela. On verra ce qu’il en adviendra.
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