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1155En quelques jours, plusieurs événements intéressants, sinon importants, ont eu lieu qui peuvent être rassemblés en une seule réflexion, autant qu’ils la nourrissent.
Il s’agit d’événements qui peuvent être classés dans le même sens par une analyse prenant en compte la tendance générale qu’ils indiquent. Cette tendance est aisément identifiable. Il s’agit d’un mouvement politique général qui met en cause la main de fer que le système américaniste impose aux relations internationales, dans des conditions qui sont très spécifiques. Le coup de boutoir qu'a constitué l'effondrement financier du 15 septembre 2008 , après la solide préparation dans ce sens qui a précédé, a très fortement accéléré et renforcé le déséquilibre existant entre les contraintes qu’impose cette main de fer américaniste et l’orientation naturelle de ces relations internationales en fonction de l'érosion catastrophique de la puissance US.
Nous rappelons ici quelques-uns de ces événements que nous plaçons dans la tendance identifiée. Ils se situent tous, ou se signalent, dans la période de temps très courte entre la fin du mois d’août et le début du mois de septembre.
• Il s’agit d’abord de l’attitude nouvelle qu’a montrée l’Amérique du Sud au cours du sommet de l’UNASUR, en Argentine, le 28 août, et par ailleurs le durcissement du président brésilien Lula dans le même sens qu’avait montré le sommet. “Attitude nouvelle” – pas vraiment abruptement révélée puisqu’en développement depuis quelques années, mais “attitude nouvelle” dans le fait que la position politique des pays de l’Amérique du Sud se concrétise dans ce cas d’une façon spectaculaire.
• Il s’agit aussi… Nous ne sommes pas loin de penser que l’affaire de l’intérêt brésilien pour le Rafale, telle que nous la commentons ce 4 septembre 2009, doit être ajoutée à la rubrique précédente. Il est manifeste que l’appréciation de Lula vis-à-vis de la proposition française est politique, et qu’elle ne peut être détachée d’une réelle méfiance du président brésilien pour les USA.
• Il s’agit également des élections au Japon, avec le commentaire de William Pfaff sur la victoire de l'opposition que nous présentions le 2 septembre 2009
• Il s’agit même, encore, de l’interprétation que fait Pfaff de l’élection d’Obama à la lumière des élections japonaises, et d’une façon analogique («The landslide election of Japan’s Democratic Party in last weekend’s parliamentary vote parallels the election of Barack Obama to the American presidency last November.»). Cette interprétation n’est pas nouvelle mais qu’elle soit concrétisée à l’occasion de l’exemple japonais est intéressant – Pfaff avertissant de la difficulté de concrétiser les changements qu’une telle élection annonce («Such changes are easier to talk about than think about, or worse, actually to accomplish, as Barack Obama has already found out….»).
• Il s’agit encore de ce qu’on peut constater au Royaume-Uni, un débat qui est ouvert sur l’état des “relations privilégiées” avec les USA, tel que nous le rapportions le 2 septembre 2009. Avec l’annonce d’une enquête parlementaire sur cette question, qui bénéficie d’une certaine publicité par le biais de l’affaire de la libération d’Abdelbaset Ali al-Megrahi (Lockerbie), se pose la question «to what extent the two countries’ “special Relationship” still exists». (On peut ajouter que l’affaire de l’ex-major Joyce, ce 4 septembre 2009, renforce l’impression évoquée ici.)
• Il s’agit même de la nouvelle attitude de la Russie vis-à-vis de la Pologne, avec un réel effort de rapprochement en cours, qui a été concrétisé par la rencontre entre les deux Premiers ministres Poutine et Tusk le 1er septembre, et l’affirmation par le second que «[l]es relations russo-polonaises se trouvent actuellement au point le plus élevé depuis la chute du rideau de fer». Tout ce qui tend à dénouer la confrontation Russie-Europe de l’Est est un événement anti-système par essence.
Nous répétons chaque fois que nous le pouvons que nous sommes dans une époque – nous la désignons comme l’ère psychopolitique – où la communication joue un rôle essentiel. L’action politique volontaire et élaborée est quasiment paralysée par la crainte des hommes politiques devant cette même communication; par leur soumission, le plus souvent dans les pays du camp occidentaliste et américaniste, au diktat du système qui domine leur champ d’action. Le système est lui-même paralysé par le poids de la bureaucratie, l’influence des centres de pouvoir aux intérêts divergents et la conformation à une doctrine générale, notamment économique, en crise profonde.
L’action de la communication n’est pas objectivement contrôlable. C’est une force d’une puissance inouïe mais qui suit des impulsions souvent imprévisibles, parce qu’il s’agit d’une force qui est devenue désincarnée, dont on n’identifie plus ni la source, ni les facteurs qui la déterminent parce qu’il n’y a plus ni source objective ni facteurs cohérents de détermination. Même si elle a été développée au nom des intérêts dominants, elle ne répond plus de façon systématique à tel ou tel centre d’intérêt; elle possède sa propre dynamique.
Le cas sud-américain est exemplaire. La réaction des pays sud-américain a suivi l’annonce d’un accord militaire en cours d'élaboration entre le Pentagone et la Colombie, portant sur des moyens militaires réduits et répondant à une pression bureaucratique incontrôlable du Pentagone. Les dirigeants d’Amérique du Sud ont été d’autant plus furieux que certains d’entre eux avaient cru comprendre, au cours d’entretiens de couloir lors du sommet de l’Organisation des Etats Américains d’avril où Obama avait exercé tout son charme (y compris sur Chavez), que le président Obama était hostile à tout nouveau déploiement militaire US dans la région. (Cela n’est d’ailleurs en aucun cas incompatible avec l’hypothèse très substantivée que la bureaucratie du Pentagone a agi de sa propre initiative dans les premières négociations pour un accord sur les bases colombiennes. Obama aurait été alors placé devant le fait accompli, et obligé d’assumer. Ce n’est pas la première fois qu’une telle mésaventure a lieu à Washington D.C.)
La réunion du sommet, retransmise en direct à la télévision, a montré de façon publique, plutôt que le désordre déploré par certains (ou malgré ce désordre), un durcissement de ton anti-US de la plupart des dirigeants sud-américains. La retransmission en direct, phénomène de communication, était elle-même un facteur de ce durcissement anti-US, qui a bonne presse en général. Le lendemain, Lula, qui avait été perçu comme modéré et effacé durant les débats – encore un effet de communication – a renchéri pour réaffirmer la position de leadership du Brésil en lançant des affirmations que n’aurait pas démenti un Chavez. Le résultat est la perception d’une Amérique du Sud subitement affirmée dans une position de refus intransigeant de toute pénétration militaire étrangère – c’est-à-dire US, tout le monde le comprend. Dans ce cas, l’événement de communication a constitué un aiguillon qui a permis à une politique générale naturelle de s’affirmer dans toute sa maturité; car, effectivement, la résistance aux pressions US est la politique naturelle du continent sud-américain.
On a déjà développé dans notre F&C du 2 septembre 2009 l’intrusion du sensationnalisme de la communication pour “dramatiser” la question d’une mise à jour des relations UK-USA, et, là aussi, éventuellement accélérer la maturation d’une position politique. L’événement russo-polonais est lui aussi un facteur dépendant de la communication, puisque prenant place à l’occasion des commémorations du 70ème anniversaire du début de la Deuxième Guerre mondiale qui ont eu lieu en Pologne.
Certains cas montrent un effet négatif direct de la communication pour le système, d'une manière encore plus flagrante. C’est notamment le cas de l’élection japonaise.
La première réaction US à l’élection d’une majorité nouvelle avec le parti DPJ a été de féliciter le vainqueur, de souhaiter un travail de coopération chaleureux avec lui, et de rejeter toute idée de renégociation du statut des forces US dans le pays. (Selon The Voice of America du 31 août 2009: «The Obama administration says it looks forward to working closely and maintaining a strong alliance with the next Japanese government, but that it is ruling out any renegotiation of the bases agreement that was finalized earlier this year.»)
Là encore, il s’agit d’une exigence du Pentagone, qui a insisté pour avoir de toute urgence, au début de l’année, un nouvel accord avec le gouvernement japonais en place. Cet accord a été bouclé avant les élections, qui s’annonçaient fort mal pour le gouvernement en place, pour éviter d’avoir à négocier avec cet éventuel nouveau gouvernement du DPJ arrivant avec de nouvelles exigences vis-à-vis des bases US. Le résultat de cette sorte d’ultimatum du Pentagone (“pas de renégociation”) est d’enfermer le nouveau gouvernement japonais dans une position extrême, qui devrait l'obliger effectivement à mettre sur la table des relations avec les USA cette question de la renégociation qui est un des principaux articles de son programme.
La direction US n’aurait-elle pu répondre évasivement, c’est-à-dire diplomatiquement, à cette question (“renégociation ou pas?”) en arguant du fait qu’il s’agit d’un nouveau gouvernement, qu’il faut voir d’abord, consulter, etc. – bref, noyer le poisson? Cela aussi, c’est de la communication, mais bien contrôlée… Mais les pressions de la bureaucratie du Pentagone sont trop fortes et de toutes les façons ancrées dans l’extrémisme. Peut-être personne, dans l’administration Obama, n’a l’esprit de comprendre qu’il faut d’abord faire place à la diplomatie avant de laisser glapir la bureaucratie du système.
Dans nos “événements ‘intéressants’”, nous notions l’observation que fait Pfaff, en comparant les espoirs (de plus en plus déçus) d’Obama et ceux du nouveau gouvernement japonais. Il est vrai qu’Obama s’est vu bloqué, ou ralenti, dans plusieurs initiatives qu’il a lancées, par la machine bureaucratique et les forces puissantes du système. Dans ce cas, la communication devient une arme à double tranchant.
Obama suit une certaine logique, avec les freins, les obstacles, etc., qui la contrecarrent. De ce point de vue, il projette une image de réformiste, dans tous les cas de réformiste de réputation, alimentée par une extraordinaire vindicte de la droite US. Il tente effectivement de lancer certaines initiatives (vis-à-vis de la Russie, vis-à-vis de l’Islam, vis-à-vis de l’Iran, durcissement vis-à-vis d’Israël, etc.) qui renforcent l’appréciation de cette volonté réformiste. Mais il existe des faits objectifs qui accompagnent ces tentatives: l’affaiblissement général de la puissance américaniste, qui est perçue d’une façon globale depuis le 15 septembre 2008, après une intense préparation dans les 3-4 années qui précédèrent.
D’une façon générale, les deux facteurs combinés font naître des attentes, plus, des exigences de compromis, d’évolution de la part de Washington et d’Obama. Les exigences sont d’autant plus fortes que l’administration Bush fut perçue comme insupportable et que l’affaiblissement US est perçu de façon nette et unanime.
Au contraire de cette démarche de BHO et de cet affaiblissement de la puissance US, la bureaucratie US vit toujours à l’heure de l’“hyperpuissance”; ni concessions ni ouvertures, tout continue à l’allure “turbo” de la puissance du Pentagone. On le voit dans les cas colombien et japonais. La contradiction entre les deux situations conduit à une perception extrêmement confuse et alimente l’énervement, voire les passions. La communication projette cette image de confusion, qui conduit à son tour à des réactions brutales et de raidissement qui produisent des effets forts et marquants (l’Amérique du Sud). L’appareil du système américaniste a perdu son unité d’action et ouvert les vannes à la tendance de “révolte” qu’on a identifiée.
Il n’y a rien d’organisé dans cette “révolte”, dans tous les cas à l’origine des mouvements qu’on observe. Mais l’avancement et la soudaineté des événements peuvent par contre pousser aux rassemblements et à l’organisation. Pour ces cas envisagés, l’Amérique du Sud est encore le meilleur exemple. Mais d’autres cas peuvent émerger. On observe une tendance britannique à envisager une alternative “européenne” (française, en réalité) à l’alliance avec les USA.
Nous n’assistons ni à un reclassement, ni à une coalition générale (anti-US) mais à une poussée générale de la dynamique de la communication qui accélère de manière anarchique le desserrement de l’étreinte de la “main de fer” américaniste signalée plus haut. Il s’agit d’un mouvement qui ne suit aucune ligne politique rationnelle, qui force littéralement à l’éclatement des structures américanistes mises en place depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Ce mouvement mine la puissance US (les termites), au lieu de mouvements explosifs d’effondrement brutal comme on en prévoit selon une logique rationnelle, trop rationnelle (le dollar, etc.). Bien entendu, cette action de termite peut, à son tour provoquer des effondrements inattendus. Notre perception générale est que l’effondrement US est un processus plus dissimulé que spectaculaire et explosif, qui se manifeste par des conséquences indirectes éclatant par saccades, comme les “révoltes” dont nous parlons aujourd’hui.
Il s’agit d’une situation caractérisée par l’absence totale de contrôle des événements généraux en cours. La cause en est le collapsus des capacités de contrôle de l’acteur principal, voire exclusif, des relations internationales – dito, le système de l’américanisme. Ce collapsus a été extrêmement accéléré, sinon même créé dans sa substance, par le phénomène des communications, qui s’avère extraordinairement réversible. C’est le plus formidable “blowback” (voir l’expression venue de la CIA, popularisée par Chalmers Johnson) qu’on ait pu imaginer.
Il n’y a aucune alternative à ce système tel qu’il est organisé et dans la forme où il est organisé, aucune prétention dans ce sens d’ailleurs. Toutes les narrative sur la Chine prenant la suite des USA n’ont aucun sens, d’abord parce que la Chine n’est pas intéressée, ensuite parce que les choses vont trop vite, enfin parce que le collapsus du système de l’américanisme a, parmi ses nombreuses utilités, celles de démontrer que cette forme de diktat de la force sur les relations internationales ne produit que des effets négatifs, alimente le désordre et l’affrontement.
La “révolte” à laquelle nous faisions allusion – il y en a eu d’autres, il y en aura d’autres – est une marche de plus dans l’évolution progressive de l’effondrement du système. Sa cohérence et sa cohésion se trouvent dans le fait qu'elle exprime une tendance qui la dépasse. Le principal acteur de l’histoire est, aujourd’hui, l’Histoire elle-même, c’est-à-dire les forces structurantes qui s’opposent par leur propre dynamique aux pressions déstructurantes du système.
Tout le monde se précipite et se précipitera sur la question de savoir ce qui va remplacer l’ordre qui s’effondre. La question est sans intérêt, parce qu’il va falloir d’abord déterminer ce que c’est que “l’ordre” dans nos conceptions, et, pour cela, réviser d'une manière critique nos valeurs modernistes et même nos perceptions qui s’avèrent complètement faussaires. Ce que nous montre le sort du système américaniste aujourd’hui, c’est que la plus grande prétention humaine à établir un ordre global a abouti au développement d’un désordre – désordre postmoderniste frappant autant les psychologies que les événements du monde – comme on imaginait difficilement qu’il fut possible il y a encore vingt ans. En un sens, on pourrait avancer l’hypothèse que n’importe quoi en fait d'arrangement des relations sera mieux que ce qui s’effondre, avec le désordre accompagnant cet effondrement.
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