Notes sur une promenade autour de l’effondrement

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Notes sur une promenade autour de l’effondrement

05 octobre 2015 – Commençons par l’aspect stratégique le plus évident. L’un des aspects les plus remarquables de l’intervention russe en Syrie, c’est qu’elle ne se limite justement pas à la Syrie et qu’elle prend aussitôt la forme d’une alliance de coopération extrêmement organisée selon le format 4+1 et, très bientôt semble-t-il si l’on en croit certaines sources, le format 5+1 (soit Irak-Iran-Russie-Syrie + Hezbollah [4+1], puis Chine-Irak-Iran-Syrie-Russie + Hezbollah [5+1]). Il s’agit d’un aspect politique extrêmement important, comme nous l’avons déjà mentionné, et qui devient un élément clairement identifié du véritable débat autour de l’intervention russe, hors des habituelles narrative pour les JT sur les échecs des frappes russes et les massacres innombrables de civils consécutifs à ces échecs, avec  notamment en perspective la possibilité d’une transformation radicale de l’OCS en une véritable alliance militaire.

Ainsi sera-t-on attentif aux observations d’Alastair Crooke, dans son dernier Weekly Comment, le 2 octobre ; il s’en tient encore à la formule (4+1) qui ne comprend pas la Chine, mais n’hésite pas une seconde à apprécier qu’il semble effectivement s’esquisser une sorte de réplique de l’OCS, mais en réelle version militaire, destinée à s’ériger en organisation de contre-mesure pour bloquer la stratégie pathologique de regime change du bloc BAO ...

« But all the hoo-ha probably stems also from the sense that this Russian initiative could mark the coming into birth of something more serious – of the SCO as a putative military alliance.  Admittedly, the '4+1 Alliance' military venture is not branded as SCO (and the coalition partners do not overlap with SCO membership), but the 4+1 Alliance venture might well yet prove to be a ‘pilot’ in ‘non-western’, successful, coalition-operating.  Furthermore, its objective precisely is to pre-empt NATO-style regime change projects. This prospect certainly would ‘nark’ the western security establishment – and would potentially change many an existing NATO calculus. »

Avec DEBKA, on ne s’ennuie jamais

Or, il semble bien qu’il faille envisager effectivement de passer, sur le terrain, en formule 5+1, dans tous les cas selon DEBKAFiles, qui ne cesse pas de nous alimenter en nouvelles affriolantes comme autant de gourmandises. Le site israélien, dont on sait sa proximité affective et plus encore des services de sécurité israéliens, n’en démord pas : le porte-avions chinois Liaoning-CV-16 se trouve bien à Tartus. Plus encore, écrit DEBKA (le 3 octobre), les Chinois auraient fait savoir aux Russes qu’ils vont faire entrer en action une unité d’avions de combat J-15, pour renforcer l’offensive russe.

« Russia’s military intervention in Syria has expanded radically in two directions. DEBKAfile’s military and intelligence sources report that China sent word to Moscow Friday, Oct. 2, that J-15 fighter bombers would shortly join the Russian air campaign that was launched Wednesday, Sept. 30. [...] The J-15 warplanes will take off from the Chinese Liaoning-CV-16 aircraft carrier, which reached Syrian shores on Sept. 26 (as DEBKAfile exclusively reported at the time). This will be a landmark event for Beijing: its first military operation in the Middle East as well the carrier’s first taste of action in conditions of real combat.

» Thursday night, China’s foreign minister Wang Yi, made this comment on the Syrian crisis at a UN Security Council session in New York: “The world cannot afford to stand by and look on with folded arms, but must also not arbitrarily interfere (in the crisis).” »

La “deuxième direction” que DEBKAFiles signale à propos de l’“expansion radicale” de l’intervention russe en Syrie concerne les relations avec l’Irak. Il est manifeste que l’Irak fait de plus en plus partie de la “coalition“ dont il a été question ci-dessus, et paraît de moins en moins sous contrôle US, – étonnant développement et surréalisme stratégique et hégémonique après ce qui s’est passé entre les USA et l’Irak depuis 2003 (pour ne pas parler de 1990-1991).

Ainsi les Irakiens auraient-ils conclu un accord pour donner aux Russes, selon DEBKAFiles, l’accès à une base aérienne en Irak, la base d’Al Taqaddum, à l’Ouest de Bagdad. Cette nouvelle vient après des déclarations irakiennes très favorables à l’intervention russe et l’installation à Bagdad d’un centre de coordination et de renseignement commun aux quatre pays (Iran-Irak-Russie-Syrie). Les Irakiens, aux petits soins pour leurs invités, signalent que les Russes devraient d’autant plus être satisfaits de cette extension de leurs opération qu’il y aurait au moins 2.500 terroristes tchétchènes en action au sein de Daesh en Irak même...

Tout cela se fait au nez et à la barbe des USA, qui ne sont avertis de rien, qui se trouvent placés devant cette montée de l’influence russe comme s’ils étaient paralysés ou bien KO debout, incapables d’activer leurs formidables moyens politiques, leurs capacités d’influence, etc. Détail ironique, ou surréaliste comme on veut : la base d’Al Taqaddum dont l’accès est offert aux Russes, est l’une des bases principales d’où les USA entreprennent leurs opérations en Irak, avec un contingent de 5.000 hommes stationnés. On pourra donc copiner entre alliés-ennemis, bourbon contre vodka...

« A no less significant development occurred at about the same time when Iraqi Prime Minister Haider al-Abadi, speaking to the US PBS NewsHour, said he would welcome a deployment of Russian troops to Iraq to fight ISIS forces in his country too. [...] DEBKAfile’s military sources add that Al-Abadi’s words came against the backdrop of two events closely related to Russia’s expanding role in the war arena:

» 1. A joint Russian-Iranian-Syrian-Iraqi war room has been working since last week out of the Iraqi Defense Ministry and military staff headquarters in Baghdad to coordinate the passage of Russian and Iranian airlifts to Syria and also Russian air raids. This command center is also organizing the transfer of Iranian and pro-Iranian Shiite forces into Syria. 2.  Baghdad and Moscow have just concluded a deal for the Russian air force to start using the Al Taqaddum Air Base at Habbaniyah, 74 km west of Baghdad, both as a way station for the Russian air corridor to Syria and as a launching-pad for bombing missions against ISIS forces and infrastructure in northern Iraq and northern Syria. »

... D’autant que DEBKA met “Bibi” en accusation

... Effectivement, puisque nous sommes avec DEBKAFiles, restons-y pour un a-parte qui permet d’un peu mieux apprécier l’ampleur du désordre avec tous les effets contradictoires de chaque politique et de chaque action, surtout des pays impliqués dans des concepts tortueux et à multiples facettes. Ainsi y a-t-il une recrudescence du terrorisme anti-israélien selon les conceptions israéliennes, notamment à Jérusalem et en Judée-Samarie (Cisjordanie).

Là-dessus DEBKAFiles s’autorise des commentaires à mots couverts pour mettre en cause la direction militaire aussi bien que celle du Premier ministre Netanyahou, pour avoir réduit les forces israéliennes dans ces zones. Le langage employé par DEBKAFiles est très caractéristique et implique de très fortes dissensions au sein de l’appareil de sécurité nationale israélien.  

« Amid a wave of terror that has hit Jerusalem, Judea and Samaria during the holiday of Sukkot, and which has already resulted in the murder of four Israelis, it is necessary to point a finger at  some senior IDF officers and members of the Israeli security establishment as partially responsible.

» Putting all political issues aside, we point to a decision by IDF Chief of Staff Gady Eisenkot to reduce the number of IDF forces in Judea and Samaria so as to detach them for other missions, that we are unable to reveal here. It was a serious error for Prime Minister Benjamin Netanyahu and Defense Minister Moshe Yaalon to approve the troop reduction in the face of warnings regarding a surge in terror attacks, especially in Jerusalem.

» Yaalon and Eisenkot corrected this error on Thursday, October 1, immediately after the murder of Eitam and Na’ama Henkin by killers who appeared to function like professionals. They ordered the immediate redeployment of four battalions to flashpoint areas in Judea and Samaria. There is no way to immediately turn the clock back and restore security to these areas overnight. It will take time and, meanwhile, there more terror attacks are foreseen in the near future.

» The general feeling in some military quarters is that the commanders responsible for security in Judea and Samaria and Jerusalem, down to the heads of regional brigades were not the right choices for dealing with complex and sensitive security situations.  The officials who made those appointments must be held responsible for incorrectly presuming that the situation in those areas would stay calm in the long term and therefore failing to instal officers best able to handle the current threats... »

L’importance stratégique de ces évènements est minime par rapport à la situation générale dans la région, bien entendu, et tout cela semble n’avoir qu’un rapport secondaire avec l’intervention russe ... Sauf, bien entendu, si “les autres missions” dont DEBKAFiles nous dit assez curieusement qu’il est “incapable” d’en parler («...to reduce the number of IDF forces in Judea and Samaria so as to detach them for other missions, that we are unable to reveal here »), – ne serait-ce pas plutôt “non autorisé”, qui ferait plus professionnel, – sauf si ces “autres missions” concernent la situation en Syrie au moment de l’arrivée des Russes... Nous nous permettrons, pour venir en aide à DEBKAFiles, de favoriser cette hypothèse tant elle se présente à nous comme une évidence.

Quoi qu’il en soit, voilà Israël, acteur important du jeu en cours et du désordre favorisé dans la région par ce que nous nommons plus que jamais la politique-Système, pris à ce jeu-là, – à son propre jeu par conséquent. Ce pays qui est un participant actif aux manipulations en Syrie depuis quatre ans et en général dans le tourbillon de la nébuleuse terroriste, s’aperçoit à cette occasion que ce type d’activités peut évidemment se retourner contre sa propre sécurité. On dira que ce que subit Israël en ce moment n’est pas la Fin des Temps comparé au reste, mais avec la narrative hystérique qui fait le quotidien du récit qu’Israël se fait à lui-même de son quotidien, – cela y ressemblerait presque, à la Fin des Temps ... Là aussi, la psychologie est en pleine activité surpuissance-autodestruction, et par là il est à peine nécessaire de trop insister sur le fait qu’on trouve une démonstration de plus de l’absurdité de la politique-Système avec, justement, son équation surpuissance-autodestruction... Mais quoi, il n’est pas indifférent que des évènements comme ceux qui sont en cours en Israël, – aussi dérisoires qu’ils soient par rapport au malheur du monde et parce qu’Israël a élevé sa propre dérision à hauteur du malheur du monde, –il n’est pas indifférent que ces évènements-là le rappellent.

Bref, l’on veut dire que l’agrandissement formidable de la représentation du “réel” par la psychologie-Système, si bénéfique lorsque la fortune vous sourit, nourrit la catastrophe de tous les côtés lorsque la fortune fait place à l’infortune. Le bloc BAO en fait des tonnes dans ce sens, en ce moment.

Les improvisations russophobes de la narrative BAO

La réaction des USA à l’intervention russe, on l’a déjà dit, a été l’habituelle marée narrativiste d’affirmations diffamatoires, tant sur les objectifs poursuivis par les Russes que par la dénonciation de pertes civiles si catastrophiques et inhumaines causées par cette intervention. Quand on lance une telle “guerre de la communication”, d’ailleurs avec des documents dont certains s’avèrent aussitôt des fraudes, ce qui montre bien l’improvisation de la chose, on s’arrange dans tous les cas pour ne pas taper en Afghanistan sur un hôpital tenu par Médecins Sans Frontières, avec avec un nombre respectable de tués et une dévastation à mesure, comme l’ont fait les forces aériennes US le 2 octobre à Kunduz. Les critiques de cet ordre se heurtent à de solides réalités montrant que la planification russe, qui dès le départ implique aussi bien la défense du régime Assad que l’attaque contre les terroristes en général (et Daesh en particulier), est solidement faite et réalisée jusqu’ici sans réelle bavure, avec des résultats semble-t-il excellents. (Sur les objectifs russes dans cette campagne, on peut lire l’article de Patrick Bahzad sur le site Sic Semper Tyrannis, le 2 octobre 2015.)

Certains commentateurs-Système, à cours d’arguments, annoncent tout simplement une grande union en quelque sorte de “tous les rebelles du monde” contre la Russie, puisque la Russie veut défendre Assad. C’est une des thèses en cours et en vogue, qui laisse entendre que l’intervention russe est très mal perçue au Moyen-Orient, alors que c’est aussi bien le contraire qui se dessine. Que dire par exemple de l’attitude des Kurdes de Syrie qui voudraient une intervention des Russes contre des objectifs spécifiques de Daesh et d’al Qaïda, contre lesquels ils se battent, ainsi qu’une coopération et des armes ? Les Kurdes comprennent que les Russes sont des gens sérieux, qui font ce qu’ils annoncent, au contraire des USA soumis aux caprices stratégiques d’un Erdogan, et que l’on peut compter sur leur aide. Le parti des salonards des capitales chics des pays du bloc BAO, qui ont fait des gorges chaudes des dames kurdes, Kalachnikov en bandouillère, résolues à combattre Daesh, devrait ainsi se réjouir de l’intervention russe si bien accueillie par leurs protégées.

Bien entendu, de telles situations apparaissent partout avec l’intervention russe qui met à nu les manipulations et narrative sans nombre qui caractérisent la présence des pays du bloc BAO, bien entendu USA en tête, dans la région du Moyen-Orient. Cette évolution, qui devrait nous conduire à la révélation de nombre de vérités de situation, est complètement ignorée par les milieux de sécurité nationale, aux USA particulièrement.

Des MANPADS pour Daesh, réflexe américaniste

Par exemple, cette observation sur “une grande union en quelque sorte de ‘tous les rebelles du monde’ contre la Russie” conduit les mêmes commentateurs-Système à ébaucher une “stratégie” (?) consistant à envisager que les USA soutiennent une telle “grande union”... C’est le cas de Charles Lister, qui est Visiting Fellow à l’antenne de Doha (Qatar) de la Brookings Institution, qui nous annonce dans un tweet la possible livraison de systèmes sol-air portables MANPADS à l’“opposition modérée” syrienne, c’est-à-dire aux terroristes évidemment djihadistes puisque tout revient toujours à cela avec les manipulations US : « Syria conflict dynamics changing fast. Wouldnt be surprised if we start seeing MANPADS arriving soon. Only US ‘embargo’ prevented till now... »

Il en faut beaucoup pour en arriver à de telles supputations, qui ne s’appuient sur rien de précis dans le cas de Lister mais indiquent quelle sorte de réaction l’on peut attendre de l’establishment washingtonien. On voit d’ici ce qui résulterait d’une telle initiative, si elle était conduite à son terme, ni les MANPADS ni les terroristes qui les serviraient n’étant nécessairement dans l’état d’esprit de chercher à distinguer entre un Su-24, un F-15 (israélien ou de l’USAF), un Tornado ou un Rafale. Mais là n’est pas l’essentiel pour notre propos. L’essentiel, en énonçant cette réaction complètement hypothétique, c’est justement de mettre en évidence l’absence totale de réaction sérieuse et coordonnée des USA devant l’initiative russe ; le premier réflexe de ce foutoir confus qu’est la psychologie américaniste prise par surprise renvoie alors, comme d’habitude, à l’habituel argument de la diplomatie US, basée sur les dollars, les armes et la corruption. Comme tout cela est vain.

Cet aveuglement constant, – et pour n’avoir rien vu venir, et pour être impuissant à organiser une riposte organisée, et pour songer à riposter avec les mêmes causes qui ont conduit à la situation actuelle, – est un des caractères les plus remarquables de la situation washingtonienne actuelle. Le gouvernement US, ou plutôt l’on dirait la “gouvernance US du monde” est dans un état de confusion peu ordinaire, qui commence à constituer le fait majeur de l’intervention russe au Moyen-Orient.

Le “vide du trou noir”

C’est ici que nous pouvons reprendre en la développant l’idée qui a servi d’introduction à cette analyse, en revenant sur l’alliance type-OCS (4+1, ou 5+1) que les Russes sont en train de susciter au Moyen-Orient. Nous insistons grandement sur le fait qu’il faut voir l’importance de cette évolution moins dans le fait de cette coalition, que dans la raison profonde de cette coalition. Les Russes ne viennent pas au Moyen-Orient pour reprendre à leur compte l’hégémonie qu’ont exercée les USA, par simple volonté de concurrence de puissance (“de volonté de puissance” dirait-on pour faire faussement nietzschéen)... Ils viennent d’abord au Moyen-Orient pour combler un vide, qui est celui de la puissance US devenue impotente, paralysée, non plus seulement “l’impuissance de la puissance” comme on l’a vue s’affirmer de plus en plus nettement au long des expéditions des années 2001-2012, mais bien l’“impuissance par la puissance”, c’est-à-dire la puissance US, dans l’état où elle se trouve, devenue productrice systématique et exclusive d’impuissance complète pour elle-même ; ainsi, le “vide” dont nous parlons n’est-il pas celui de l’absence d’être, le vide du désert si l’on veut, mais le “vide du trou noir”, c’est-à-dire de la contraction de l’être en non-être, de la transformation de la forme en l’informe, de l’accélération tourbillonnante vers l’entropisation qui touche le créateur du vide (les USA) désormais en priorité. Il faut écouter The Donald nous raconter cela avec son toupet habituel, et ses vitupérations anti-establishment.

De ce point de vue qui est le plus large possible, l’intervention russe est une intervention de stabilisation, cherchant à rassembler le plus d’acteurs pour composer des accords de sécurité permettant d’établir une sécurité collective qui serait naturellement quitte de monstruosités type-Daesh. Il s’agit alors de lutter contre cette entropisation par des mesures de restructuration, donc de tenter de stopper ce mouvement qui tend à l’implosion de la situation géographique, politique et culturelle, à cette dynamique d’autodestruction que la surpuissance du Système conduite par le pouvoir fragmenté des USA et du bloc BAO a mise en mouvement.

Ces observations s’attachent évidemment à la situation du Moyen-Orient après près de quinze ans, ou après un quart de siècle si l’on remonte jusqu’à la première Guerre du Golfe, de règne direct et sans discernement (auparavant, on était plus mesuré) des conceptions-Système des USA par le biais des dollars, des armes et de la corruption, et des différentes courroies de transmission de cette impulsion mortifère (des différents pays ou États impliquées partiellement dans ce sens jusqu’aux groupes terroristes partiellement formés dans ce but). Bien entendu, une telle intervention (celle de la Russie, additionnée de celle d’autres acteurs, à commencer par l’Iran, avec des pays de la zone qui se sentent eux-mêmes  au bord du gouffre, comme l’Irak, la Syrie, l’Égypte, etc.) ne peut se comprendre par elle seule, non plus que le “vide du trou noir” s’explique seulement par lui-même. Au-delà, il s’agit de la situation générale des USA/du Système...

Le signal déclencheur de l’effondrement

Il ne s’agit bien entendu pas d’une situation générale de type militaire, ou d’une situation stratégique générale, mais bien d’une situation générale tout court touchant tous les aspects de la surpuissance du Système, et particulièrement, précisément, la situation générale de son principal relais que nous nommerons la “gouvernance US”. (On préférerait désormais ce terme plutôt que celui de “gouvernement US” pour bien montrer qu’il s’agit d’une situation structurelle, conceptuelle, etc., qui touche toutes les manifestations prétendues de gouvernement et de “direction des affaires” dans le sens où l’entend le vocabulaire politique traditionnel lorsque l’on parlait du “retour aux affaires”, – ce qui serait plutôt, dans ce cas, l’“abandon des affaires”.) Le problème absolument dramatique de cette situation est que la “gouvernance US” touche toutes les affaires du monde, comme déléguée directe du Système, et qu’elle possède encore de nombreux outils de blocage de ces affaires du monde.

C’est un “problème dramatique” dans les deux sens qu’on peut tirer de l’emploi du qualificatif “dramatique” : le problème est rendu “dramatique” parce qu’il implique une extrême difficulté dans sa résolution, mais il est aussi “dramatique“ dans ses conséquences parce que sa résolution implique des conséquences catastrophiques en cascade à l’échelle du monde. On veut dire par là que la “gouvernance US”, qui s’exerce au nom du Système, est extrêmement difficile à réduire, sinon à abattre, d’une part ; mais que les conséquences de sa réduction, puis de son effondrement qui suit inéluctablement, sont extraordinairement importantes et catastrophiques, d’autre part. Bref, on l’a compris : le sort de la “gouvernance US” du monde, qui représente bien plus qu’un régime, qu’un système au sens commun, voire qu’un “empire” si ce mot a encore un sens dans notre époque postmoderne, implique le sort du Système lui-même, par conséquent de la civilisation telle que nous l’avons connue.

Volens nolens, c’est bien l’enjeu que la dynamique de l’intervention russe au Moyen-Orient met sur la table. Nous prenons bien garde, en proposant cette expression (“dynamique de l’intervention russe”) que nous pourrions réduire à “dynamique de l’intervention”, à ne pas mentionner “de la Russie” ou employer une autre expression comme “l’action de la Russie”, mettant en évidence le nom du pays ou réduisant la chose à des termes géopolitiques, stratégiques, éventuellement (moins probable) idéologique. Nous employons le mot de “dynamique” comme l’on parle d’une soudaine poussée, d’un élan brusque, suscitant un déplacement tectonique massif, comme une formidable force qui se met en branle, dépassant évidemment ceux qui l’ont déclenchée et encore plus ceux qui l’ont causée, c’est-à-dire qui l’ont appelée par l’impuissance totale où ils se trouvaient et la contraction d’eux-mêmes qu’ils avaient déclenchée. Avec cette affaire syrienne parvenue à un nouveau paroxysme après en avoir connu tant d’autres, on n’a jamais été aussi près de cet ébranlement qui pourrait être le point de basculement de l’effondrement du Système.

L’abîme et “Le Système est nu”

Il faut reconnaître qu’il faut du courage et un certain sens de l’abnégation pour qu’un ancien colonel de l’US Army, et ancien chef de cabinet d’un secrétaire d’État (Colin Powell), Lawrence Wilkerson, en vienne à un discours de cette puissance que celui que nous évoquons rapidement, de cette ampleur, de cette vision prophétique sur l’effondrement accéléré de son pays, ce soi-disant-empire que plus rien ne peut sauver. Lisez quelques phrases de l’article de ZeroHedge.com du 4 octobre 2015, qui rend compte de sa plus récente intervention dans le séminaire d’un simple collège, aux États-Unis.

« Former US army colonel and Chief of Staff for Colin Powell, Lawrence Wilkerson unleashed a most prescient speech on the demise of the United States Wilkerson describes the path of empires in decline and shows how the US is following the classic trajectory. He contends that the US needs to make a transition to being one of many powers and focus more on strategies of international cooperation.

» “History tells us we’re probably finished. The rest of of the world is awakening to the fact that the United States is 1) strategically inept and 2) not the power it used to be. And that the trend is to increase that.” Wilkerson includes in his talk not just the way that the US projects power abroad, but internal symptoms of decline, such as concentration of wealth and power, corruption and the disproportionate role of financial interests.

» Wilkerson also says the odds of rapid collapse of the US as an empire is much greater is generally recognized. He also includes the issues of climate change and resource constraints, and points out how perverse it is that the Department of Defense is the agency that is taking climate change most seriously. He says that the worst cases scenario projected by scientists is that the world will have enough arable land to support 400 million people. [... ]

Further key excerpts include: “Empires at the end concentrate on military force as the be all and end all of power… at the end they use more mercenary based forces than citizen based forces” “Empires at the end…go ethically and morally bankrupt… they end up with bankers and financiers running the empire, sound familiar?” [...] “This is what empires in decline do, they can’t even in govern themselves” »

Etcetera, etcetera... Des interventions de cette sorte, aujourd’hui, l’internet en fourmille, venues des sources les plus diverses et les plus respectables, au point que ce climat psychologique se répand comme une traînée de poudre, qu’il affleure même dans l’un ou l’autre article de la presse-Système, qu’il se glisse même dans l’un ou l’autre discours-standard des employés du Système qui nous servent de guide et nous soulèvent le cœur ... L’on sent bien qu’une gigantesque force enlève les psychologies et les oriente vers la réalisation des voies catastrophiques que nous nous décrivons à nous-mêmes, comme si la description du pire engendrait le pire, comme si le discours enfiévré finissait par percer le brouillard des narrative pour nous confronter à la vérité d’une terrible et formidable situation.

« [...D]es forces supérieures dirigent les pensées, les sentiments et les actions des combattants, écrivait Gustave Le Bon parlant des prémisses qui précipitèrent le conflit de la Grande Guerre. La lutte utilise des armes matérielles. Les vrais conducteurs de ces armes sont des forces psychologiques... [...] Des forces immatérielles sont donc les vraies directrices des combats... » Nous ne voulons certainement pas dire, en faisant cette citation, que nous sommes au bord d’une nouvelle “Grande Guerre”, – de même que nous ne voulons pas dire que nous ne le sommes pas, qu’importe. L’avenir ne nous appartient plus depuis que nous avons imprimé à notre futur une voie invertie, subversive par rapport au sens du monde. (« En un mot, le futur est relatif à ce qui va, l’avenir à ce qui vient, et il faut que ce qui va soit ouvert à ce qui vient, sous peine d’une vie qui meurt en se fixant dans un programme », écrit Fabrice Hadjadj)... Ce que nous voulons dire est que la “dynamique de l’intervention (russe)” a ouvert une béance énorme dans le destin du monde, par quoi l’effondrement du Système peut y trouver son compte et voir son compte réglé. Cela se fera ou cela ne se fera pas, mais nous n’en avons jamais été aussi proches, – et si ce n’est cette fois, la fois prochaine, très vite, nous en serons encore plus proches, ou bien déjà, par le terme de notre pensée nourrie par cette psychologie, au fond de l’abysse...

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