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4198Au même moment où les « autorités compétentes » nous enjoignent de toujours plus performer, sans égard aux risques encourus, l’usage des tranquillisants et autres neuroleptiques explose. Toujours plus et toujours mieux : nul n’a le loisir de reculer face à l’antienne du progrès.
Comme une machination infernale, le progrès est un mécanisme de type « mouvement perpétuel » qui ne s’arrête jamais. La marche inexorable du progrès génère une forme d’entropie qui finit par transformer l’idéal humaniste en dystopie cauchemardesque. Nous avions pris les vessies pour des lanternes et nous avons fini par perdre la mesure de nous-mêmes en forçant les doses. Au délire performatif correspond la fuite en avant de la société de consommation à tout prix. L’évasion est le corollaire obligé de la performance exigée à toutes les étapes de notre existence prise en otage par les lois du marché.
La « société des loisirs » promise par les mages aux manettes s’est avérée n’être qu’un leurre destiné à retarder notre prise de conscience face à l’inéluctable destin qui nous attend. Naître, être programmé, effectuer quelques tours de piste en guise de préparation, performer, s’essouffler, se reprendre en main, prendre un second départ, se dénaturer, reprendre ses esprits, perdurer, s’estomper et finir par disparaître de la mêlée.
L’être performatif est un hamster qui s’active à faire tourner la grande machination du Capital anonyme jusqu’à « épuisement des stocks ». Ici, nous sommes loin de l’analyse stricto sensu des rapports de production qui structurent les assises de la société marchande. Nous abordons la dimension spirituelle de l’aliénation du genre humain. « L’épuisement des stocks » fait allusion à cette disparition graduelle de l’aura de nos cités dévoyée, ce phénomène anthropique qui avait été prédit par le kabbaliste Walter Benjamin.
Le process du grand Capital fait en sorte que la machination du monde marchand finisse par sortir de son orbite, la performativité générant une rétraction de « l’énergie vitale » des acteurs en lice. Parce que les travailleurs sont devenus les acteurs d’une sorte de performance perpétuelle qui les oblige à renoncer à leur identité véritable.
Véritable fuite en avant, la poursuite des objectifs de carrière force les participants de cette course contre la monte à mettre de côté leur essence véritable. En outre, les agents du Capital exigent beaucoup plus qu’une simple performance renouvelée : il faut « vendre son âme au diable » afin de dénaturer cette mémoire collective qui représente la conscience humaine dans toute son acuité. Nous sommes obligés d’oublier ce pourquoi nous avions été créés afin de nous soustraire à nous-mêmes. Nous sommes devenus des nombres, des quantités négligeables et statistiques. Tout est quantifiable et mesurable à l’aune d’un « progrès » qui est véritablement téléologique.
L’homme est découplé de la nature, son rythme cardiaque et les pulsions vitales qui animaient sa « volonté de puissance » s’atténuent au gré d’une aliénation qui ne fait pas de quartier. Privé des moyens de production, incapable, désormais, d’économiser afin de préparer une sortie en douce du « marché de l’emploi », l’esclave moderne s’épuise à force d’être résiliant dans un monde où la machination du Capital ne prend pas de pause.
Les « nouveaux médias » de l’ère numérique agissent comme des passerelles qui relient l’intimité des esclaves de la postmodernité à la sphère des rapports de production. Les « objets intelligents » ont été créés afin de tenir le rôle de « laisses virtuelles » qui nous empêchent de nous soustraire à la comptabilité du monde de la production en « temps réel ». Le « just-in-time » implique la destruction des cycles naturels : le monde de la production est circulaire et ne tolère aucune pause. Voilà pourquoi le septième jour de la semaine a, finalement, été aboli.
Ainsi, il n’y a plus de semaine et il n’y a plus de journée qui compte. L’horloge numérique pulvérise jusqu’à la notion de temps afin de greffer une nouvelle dimension à notre existence aliénée par ce monde marchand qui constitue le véritable totalitarisme à l’œuvre.
« L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », a réalisé à travers le process de la société marchande l’édification d’un totalitarisme hors du temps et de l’espace du monde naturel. On peut donc affirmer, sans exagération, que la société marchande est devenue une machination absolue. La technologie est pratiquement automotrice, n’ayant plus besoin des sciences et des inventeurs. Moyen et but suprême, la technologie est devenue la raison d’être de nos sociétés dévoyées par le Capital apatride. Le transhumanisme est son credo final et ses tables de loi ont remplacé les prescriptions imposées par les grandes « religions du Livre ».
Une pléiade de mégaordinateurs stocke la mémoire collective afin d’en distiller toutes les composantes, tous les affects. Codex universel, cette mémoire artificielle prive l’humanité de tous ses repères et dépouille l’homme de toutes ses facultés créatives. De plus en plus, les seuls talents qui sont mis à contribution ont un lien ténu avec le « langage machine » ou la faculté de dialoguer avec les ordinateurs. Les hommes passent, désormais, par l’entremise des « machines intelligentes » ou « interfaces intelligentes » afin de communiquer entre eux.
La dystopie informatique est en train d’accélérer la construction d’un univers panoptique concentrationnaire. Devenant redevables face à la machination de l’ère numérique, les contribuables deviennent les acteurs de cette « Société du spectacle » prophétisée par Guy Debord il y a une cinquantaine d’années. Nous sommes donc invités à performer dans le cadre d’un « spectacle » qui tient lieu de représentation de l’existence du genre humain. De plus en plus coupé de la nature et de ses proches, l’esclave postmoderne s’active jusqu’à épouser les faits et gestes du personnage qui lui est attribué par les régisseurs de cet univers spectral.
La concentration du grand Capital fait en sorte que toutes les ficelles de la société marchande sont tirées par un nombre de plus en plus réduit d’oligarques qui agissent comme les régisseurs de ce spectacle universel. Le Capital, les médias, les transports, les moyens de production, l’agriculture, le tourisme et le monde de la culture; il n’y a pas une activité humaine qui ne soit pas régentée par les puissantes guildes financières qui ont pratiquement centralisé tout ce pouvoir universel qui nous aliène.
Malgré tout, par un heureux retournement des choses, nous réalisons que cette machination comporte sa part de fragilité. Les puissantes guildes financières et les obédiences spirituelles qui les commandent ont de la difficulté à maîtriser tous les flux d’une gouvernance qui finit par leur échapper en bout de ligne. La machination s’essouffle alors que le complexe militaro-industriel est en passe d’instituer un véritable régime dictatorial qui ambitionne d’abolir jusqu’à cette liberté de conscience qui faisait l’apanage des Lumières. Si le globalisme mène une lutte de tous les instants aux pouvoirs régaliens des états chancelants, c’est le retour aux sociétés claniques qui représente les frontières tangibles de cette Société du spectacle qui s’essouffle à force de vouloir contrôler tous les aspects de notre existence.
Les frontières abolies, la famille et la mémoire collective déconstruites, l’argent liquide disparu, l’endettement devenu permanent et la liberté de conscience interdite, il n’y aura donc plus d’alternatives possibles dans le champ de la joute politique traditionnelle. Il faut, conséquemment, en sortir au plus vite. Parce que les impératifs de la survie, en « temps réel », nous obligeront à bâtir une société parallèle en marge de nos cités dévoyées promises à la désintégration à court terme. Il y a péril en la demeure et nous n’avons pas d’autres recours que d’envisager de mettre sur pied des foyers de résistance qui nous permettront de nous regrouper afin de reprendre en main une part des moyens de production accaparés par les régisseurs de ce « grand cirque ordinaire » qui ne fait plus rire personne.
Il ne s’agit plus de prôner une quelconque révolution qui ne représenterait qu’une suite de coups d’éclat sans conséquence durable puisque ne remettant jamais en cause les tenants et les aboutissants de cette odieuse machination. Nous rejoignons, ici, la vision d’un Dmitry Orlov, théoricien de l’effondrement de l’empire américain dans un contexte où le complexe militaro-industriel, et ses commanditaires financiers sont en train de détruire les vestiges de la société de production qui caractérisait l’ère moderne.
Proche du survivalisme et d’une forme d’anarchie structurée, cette vision s’efforce de proposer des modes d’analyses et de prospectives susceptibles d’aider les lecteurs à se forger un nouvel « index de conscience » résolument « antisystème ». Il ne s’agit plus de renverser le « pouvoir » afin de lui substituer une nouvelle superstructure plus performative et plus équitable. Non. Il est question de se préparer avec efficience à mettre en œuvre les moyens concrets qui nous permettront de bâtir une nouvelle société en marge du grand collapsus anticipé.
Il s’agit, d’abord et avant tout, de subtiliser les capacités de communication mises de l’avant par la société numérique afin d’être en mesure d’esquisser l’architecture tangible d’une société véritablement parallèle. Exit, donc, tous les Facebook de ce monde et l’ensemble de l’appareillage des médias sociaux. Il faut mettre en terme à la critique incessante, et insuffisante, du process de l’effondrement de nos sociétés numériques et du monde politique qui les gouverne en principe. L’idée n’étant pas d’aller chercher refuge du côté des médias sociaux extra-américains afin de pouvoir continuer à pérorer jusqu’à plus soif contre ce système inique qui exclut d’office ses contradicteurs véritables.
Il s’agit de mettre en place une superstructure de communication qui permettra à la dissidence de pouvoir tisser des liens tangibles aptes à faire naître des réseaux d’entraide et de survie effective. Et, la pensée positive doit, graduellement, se substituer à cette approche négativiste qui consiste à lutter de manière ininterrompue contre les mécanismes pervers de la société numérique. La pensée spirituelle, cette faculté qu’ont les hommes libres de se connecter avec les forces vitales à l’œuvre dans le monde naturel, doit renaître de l’acédie et se remettre à circuler à travers les nouveaux réseaux numériques d’une véritable résistance 2.0 ou 3.0.
Et, on ne parle pas de prosélytisme ici ou d’une approche apocalyptique qui tablerait sur l’effondrement du système afin de provoquer des ondes de choc susceptibles d’éveiller les lecteurs potentiels. On parle de remettre en circulation ce dialogue entre l’homme et son créateur qui permettait à des guides spirituels d’émerger le plus simplement du monde. Toutefois, il semblerait que les grandes religions aient échoué sur le chemin de l’édification d’une véritable « culture spirituelle » susceptible d’aider l’humanité à s’affranchir de la pesanteur du matérialisme plurimillénaire qui conditionne son avenir.
Trop préoccupées par la lutte contre un mal pas toujours bien circonscrit, les grandes religions se sont érigées en censeurs actifs au cœur même de l’appareil répressif de nos cités dévoyées. Elles ont oublié ce pourquoi elles avaient vu le jour : proposer des avenues susceptibles d’aider l’humanité à progresser sur la voie de la libération spirituelle et de l’accomplissement du grand œuvre de la naissance de l’être véritable.
Les religions du Livre, plus particulièrement, se sont concentrées sur l’aspect prophylactique du combat spirituel, en oubliant de développer une véritable approche de l’éveil spirituel de l’adepte. Wikipédia nous donne la définition suivante de la prophylaxie : « La PROPHYLAXIE désigne le processus actif ou passif ayant pour but de prévenir l’apparition, la propagation ou l’aggravation d’une maladie ».
Ainsi donc, au lieu de tenir en laisse leurs adeptes, en les culpabilisant à outrance, les grandes religions auraient eu intérêt à leur fournir des armes spirituelles susceptibles de les aider à « renaître à eux-mêmes », histoire d’échapper à la pesanteur du matérialisme ambiant. L’idée n’étant pas de nier qu’il existe un combat entre le bien et le mal, mais plutôt d’insister sur la dimension aliénante de la culpabilisation à outrance des fidèles pratiquée par des « guides spirituels » trop souvent en collusion avec les acteurs stipendiés du grand Capital.
Notre société techniciste et matérialiste a produit un monde dévitalisé qui nous coupe de nos racines fondamentales. Voilà pourquoi il s’agit, d’abord et avant tout, d’assumer le principe de radicalité dans toute sa profondeur. L’être qui nous habite aspire à prendre sa place dans le théâtre d’une nature qui pourrait être comparable à un jardin expérimental. L’être représente la possibilité d’une prise de conscience qui transcende les aléas de la simple survie matérielle.
Curieusement, c’est un autre kabbaliste, Alan Moore, qui s’est penché sur la fonction de l’être au beau milieu d’une existence qui pourrait s’apparenter à une expérience de transformation radicale en bout de ligne. Ce dernier affirmait, lors d’un entretien mis en ligne sur la chaîne YouTube, que « le rôle de l’artiste consiste à offrir à son audience ce dont elle a besoin », ajoutant que son travail d’écrivain s’apparente à celui d’un chamane qui travaille sur les affects et les percepts d’une communauté respective.
« Considérant que l’art et la magie sont des pratiques interchangeables, il semble naturel que la pratique artistique représente un vecteur à travers lequel je suis en mesure d’exprimer des idées magiques », précise Alan Moore. Ainsi, le créateur de la postmodernité serait appelé à tenir le rôle d’un chamane travaillant sur l’esprit de ses contemporains afin de « réenchanter le monde », si l’on se permet de reprendre cette formule du philosophe Martin Heidegger.
Reprochant aux créateurs de la Société du spectacle d’être des illusionnistes qui endorment la conscience du grand public afin que la culture finisse par agir comme un tranquillisant, Alan Moore prône une forme de contre-culture qui agirait comme un révélateur, un accélérateur de transformation psychique et spirituel. Ainsi, il estime que son travail d’écrivain consiste à créer une odyssée qui permettra « de submerger la sensibilité de notre audience, de la faire tomber dans une sorte d’état psychédélique qui nous permettra de transformer leur niveau de conscience et de le diriger vers différents lieux, différents niveaux et, éventuellement, à l’intérieur d’espaces magiques ».
Moore estime que l’ensemble des âmes humaines fait partie d’une seule et même âme universelle, ce qui constituerait un des piliers opératifs de la magie. Le créateur de la bande dessinée V for Vendetta semble pratiquer une approche de la magie qui consiste à manipuler des égrégores spécifiques – ou groupement d’esprits unis par les mêmes aspirations – dans le but de provoquer des résonnances psychiques qui agiront comme des facteurs de changement durable au sein d’une société postmoderne qui n’est plus viable à terme. Reprenant la maxime d’Alester Crowley selon laquelle « lorsque nous accomplissons la volonté de notre MOI véritable, nous mettons inévitablement en pratique la volonté des forces de l’univers », Moore est convaincu qu’il est impossible de commettre le mal tant et aussi longtemps que vous mettez en pratique la « volonté de l’univers ».
C’est ici que nous fermons la boucle du magicien d’Oz – démiurge qui ouvre les portails représentant des univers parallèles – pour nous concentrer sur l’urgence de « réenchanter le monde » afin de nous extraire de la toxicité de nos habitudes serviles.
L’écoute attentive et circonspecte de certains entretiens donnés par Alan Moore nous aura permis de faire un précieux constat. Le principal intéressé prône une pratique de la magie à travers la création artistique afin de pouvoir agir sur les affects et, partant, la conscience des gens. Tout cela afin de provoquer des changements de comportement qui seraient susceptibles d’aider nos contemporains à atteindre d’autres dimensions en devenant eux-mêmes les acteurs d’une sorte de révolution psychédélique destinée à décomposer « l’ordre du monde ».
Ainsi, le film V for Vendetta, inspiré de la bande dessinée créée par Moore, a-t-il généré un culte de la contestation qui aura déteint jusque sur les actions cyberpolitiques du groupe Anonymous. Cette œuvre de fiction pousse son auditoire à identifier l’État comme un appareil répressif qui est responsable de l’asservissement du peuple et qu’il convient, au final, de détruire afin que se réalise l’anarchie perçue comme un mode de gouvernance « réellement » équitable. « Ni pardon, ni oubli », représente un peu la maxime des protagonistes de cette fiction et on peut y déceler une filiation avec certains aspects d’un occultisme qui semble être à la manœuvre actuellement.
Détruire la « société de la consommation » à travers son appareil d’état et ses élites stipendiées afin de recomposer l’« ordre du monde » au gré d’une vision anarchiste qui ambitionne de « libérer » le genre humain. Ordo Ab Chaos, voilà ce qui semble être le modus operandi de ces mages qui ambitionnent de « briser les moules » d’une humanité figée dans la glaise d’un monde mort-né. On rejoint donc le fantasme du golem, cette créature qui, selon la définition qu’en donne Wikipédia, serait « un être artificiel, généralement humanoïde, fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre … »
Et, si les masses manipulées par le travail des magiciens de la culture s’apparentaient à ce fameux golem, créature mi-humaine et mi-automate, pour finir par s’incorporer à la nouvelle mythologie transhumaniste ? D’ailleurs, s’il faut déceler par où s’est infiltrée la théologie transhumaniste afin de parvenir à contaminer les esprits, c’est bien à travers les Marvel Comics et consorts qu’il faut chercher. Le transhumanisme représentant une nouvelle théologie prônant la transformation du genre humain en sorte de démiurge capable de vaincre la mort, ici et maintenant.
Sans nous fermer face aux prédicats mis de l’avant par les magiciens de la contre-culture, nous avons pris le parti de retourner leurs arguments afin d’éclairer la question de la libération du genre humain sous un nouveau jour. Les adeptes de la techno-gnose, pour reprendre l’heureuse expression de Nicolas Bonnal, utilisent les médias numériques afin de mettre en scène une « réalité artificielle » qui fonctionne comme un calque posé sur cette « réalité quotidienne » difficile à circonscrire à cause des conditionnements habituels de la propagande.
La « réalité virtuelle » correspond, selon notre approche critique, à une opération de magie qui consiste à capter les affects et l’esprit d’une humanité qui ne parvient plus à s’extraire de la grande machination de la « société spectaculaire ». La réalité virtuelle est une Soma qui est censée nous procurer l’immortalité, du moins son apparence.
Ainsi, en adoptant des avatars, compensant pour la baisse immunitaire de leur aura, ou émanation énergétique vitale, les consommateurs de jeux vidéo finissent par devenir les protagonistes d’un théâtre d’ombres qui représente la fin de la cité en tant qu’espace relationnel. Non seulement l’ordre traditionnel est-il rejeté, mais les protagonistes de cette « révolution immersive » acceptent de devenir les « citoyens » d’un univers virtuel créé par une poignée de magiciens de la contre-culture qui ont pris les destinées de la création contemporaine en main.
Les jeunes générations – milléniaux et consorts – ne contestent plus vraiment l’ordre établi et ses relais de gouvernance. Ils ont plutôt opté pour une fuite en avant à travers la pratique immersive des jeux de rôle et autres univers virtuels mettant en scène la « nouvelle économie » d’un monde entièrement numérisé. La « matrice » aurait pratiquement réussi ses opérations qui consistent à réaliser le parachèvement d’une « Société du spectacle » qui ne tolère plus aucune facette de la « réalité ».
Bien sûr, on me rétorquera que la « réalité » est toujours fonction de nos percepts et qu’il existe forcément d’autres univers qui sont absents de nos champs de conscience, de notre intellect conditionné. Ce qui n’est pas faux au demeurant. La plupart du temps, c’est en anticipant de nouveaux développements que l’être éveillé parviendra à transcender la « réalité » en laissant ses contemporains loin derrière. Les grands créateurs, les prophètes et autres démiurges ou théurges antiques, les poètes et les bardes, toujours si l’on se réfère aux hypothèses mises de l’avant par Moore, possédaient cette faculté de NOMMER de nouveaux univers, pour que notre monde des apparences se transforme et que la « réalité » soit dans l’obligation de se conformer à cet acte magique de volonté pure.
Feu Dominique Venner, essayiste et penseur autodidacte, n’hésitait pas à affirmer qu’Homère représente, peut-être, le plus grand mage, le plus grand démiurge de tous les temps. Les univers de fiction mis en scène à travers les sagas de l’Illiade et de l’Odyssée condensent à eux seuls tout le substrat des grands mythes universels, lesquels ont été façonnés par des cohortes de poètes afin d’aider l’humanité à se souvenir de sa difficile traversée à travers les âges.
Présentement, à l’« Âge d’homme », telle que prophétisée par Nietzsche, succède l’« Âge de l’homme-machine » ou épopée transhumaniste. C’est dans ce contexte que la puissance d’évocation, et d’invocation, des grandes mythologies immémoriales a été détournée de son lit afin de servir de magie opératoire entre les mains d’une poignée de faux démiurges à la manœuvre. On pourrait dire que des entités suspectes se sont emparées du « scénario primordial » afin d’y insuffler des distorsions, sorte de morphing destiné à agir comme une parallaxe qui déplace l’observateur face à ses percepts.
Le dessinateur et graveur M. C. Escher s’est inspiré des mathématiques afin de brosser des univers picturaux qui remettent en cause nos modes de représentation et, partant, bouleversent notre appréhension de la réalité. Mais, à l’instar des célèbres univers picturaux mis en scène par M. C. Escher, l’odyssée brossée par la réalité virtuelle comporte ses astuces qui finissent par agir comme des agents de distorsions qui enferment le voyeur dans le récit du voyant.
Croyant avoir échappé à la « réalité » prescrite par les historiens et autres propagandistes du pouvoir, les acteurs-spectateurs du monde virtuel ne font que reproduire certains concepts de la magie opérative dans leur inconscient. Manipulés, avec leur total consentement, ils ne se contentent donc pas de fuir une « réalité » devenue invivable, mais ils renoncent à leur liberté intime. Le voyeur du jeu vidéo est devenu un acteur entre les mains du magicien et son libre-arbitre n’est qu’un leurre destiné à lui faire croire qu’il est, temporairement, le « maître du jeu ». Cette illusion d’optique s’apparente à un viol des consciences et des affects des adeptes de la réalité virtuelle, repoussant à des « lendemains radieux » la possibilité d’une réelle prise de conscience des enjeux en lice … derrière le jeu.
L’homme a peur de mourir et vit souvent par procuration au lieu d’assumer le principe de réalité qui permet à l’authentique conscience d’émerger. Par-delà les conditionnements induits par nos legs culturels, et repris de manière plus performative par les épigones de la Société du spectacle, nous sommes livrés à une véritable fuite en avant qui nous empêche de procéder à la juste « alchimie de l’émergence de l’être ». Puisque nous vivons par procuration et que notre place dans la société est conditionnée par notre capacité de résilience et de résignation, nous repoussons aux « lendemains radieux » l’unique chemin par lequel pourra s’opérer la « libération intérieure ». Nous mourrons, donc, à nous-mêmes et tout cela avec notre libre consentement.
L’idée, à travers la révolution psychédélique, de provoquer une onde de choc susceptible de réveiller le « voyeur » afin qu’il s’ouvre à la « voyance » n’est pas mauvaise en soi. C’est plutôt le modus operandi des principaux épigones de cette épopée contre-culturelle qui pose problème selon nous. S’emparant de la matrice médiatique et des nouveaux outils numériques, les protagonistes de cette « conspiration du grand désordre symbolique et lexicologique » appliquent la vision d’un Jean Baudrillard pour qui l’« empire des sens » finirait par avoir raison du réel.
Il s’agit donc d’une « OPA sauvage » sur les affects du consommateur afin de reprogrammer sa VISION DU MONDE et, partant, de lui insuffler la vision des démiurges aux manettes derrière la DOXA du transhumanisme.
La propagande bolchevique a cédé le pas à ce que certains nomment le « marxisme culturel », ou « révolution culturelle », afin d’infiltrer par tous ses pores le « corps mystique » de l’ « homme ancien ». Il s’agit, bel et bien, d’une guerre spirituelle qui ambitionne de reconditionner, recomposer et reformater l’être humain en utilisant ses affects comme autant de canaux immersifs par lesquels il sera possible de lui insuffler la nouvelle vision à l’ordre du jour.
Utiliser la réalité virtuelle afin d’échapper au monde du « spectacle totalitaire » et d’être capable de cocréer des univers parallèles susceptibles de nous libérer de la peur et des conditionnements … pourquoi pas ? Encore faudrait-il que les outils numériques soient détournés par les esclaves de l’ordre marchand afin que l’utopie d’une transformation radicale de l’aura du monde et des énergies vitales ne soit plus l’apanage d’une caste de magiciens acoquinés avec les grands régisseurs de cet ordo marchand.
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