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5 janvier 2005 — L’élan de solidarité du reste du monde étendu au monde entier (les USA aussi, oui oui oui) est décrit comme extraordinaire. Nous sommes d’accord, — ronchonnant mais d'accord. Il est à la mesure de ce qui est également décrit comme “la plus grande catastrophe des temps modernes”. Nous ne sommes pas d’accord, — mais qui cela préoccupe-t-il? Le tsunami de décembre 2004 n’est pas “la plus grande catastrophe des temps modernes”. Mais, à vrai dire, on s’en fout, — on se fout du fait qu’en 1970, au Bengladesh, un cyclone monstrueux fit plus de 500.000 victimes, qu’en 1976, dans le Tangshan chinois, des inondations firent 272.000 morts. Ces événements ne font pas partie de notre univers et nous en restons, s’il vous plaît, au tsunami, à ses conséquences, à notre formidable réaction, à ses ors et à ses pompes. Les observations à cet égard révèlent une nature extatique caractérisant la pensée postmoderne.
Cela s’appelle, selon le philosophe français et transatlantique (université de Stanford) Michel Serres: « La mondialisation de la solidarité » Le journaliste du Figaro qui l’interroge le 30 décembre, observe dans sa dernière question: « On sent votre jubilation. » Le philosophe ne dément pas. Tout cela est drôlement “festif”, donc jubilatoire.
Le tsunami est “notre” truc, “notre” catastrophe, “notre” théâtre globalisé où nous pouvons étaler avec un zèle, voire une concupiscence extraordinaires toute la charité et la solidarité absolument hyper-nécessaires de l’humanitarisme globalisé. Un fâcheux d’une ONG quelconque observait hier sur une des chaînes d’info que si le saccage des structures sociales, de l’environnement, des infrastructures économiques pour installer l’univers globalisé de l’hyper-capitalisme et du “tourisme exotique” n’avait pas été mené au rythme fou où il fut à cause du/ depuis le cataclysme économique de 1997 (la globalisation venue des US), les densités démographiques et sociales dans les pays touchés eussent été complètement différentes, les structures de résistance également, et les pertes humaines provoquées par le tsunami eussent été « très, très largement en-dessous du dixième de ce qui se passe, si bien qu’on n’en aurait pas parlé ». Cela, on le comprend, eut été bien dommage (on veut dire : de n’en pas parler).
Mais on en parle, et c’est ça qu’c'est bon.
Le pauvre Colin Powell, d’une médiocrité rassurante jusqu’au bout, joue à fond la “politique” (drôle de mot, les gars) de l’“image réparée”. Celle des US, pardi. Non, mieux que celle des US: c’est toute la civilisation occidentale qui est réparée. Le tsunami est notre révision générale, celle des 200.000. Les US vont pouvoir être un Empire en toute vertu. Le rest of the world jubile, comme le philosophe. Un gars de l’ONU dit que les hélicos H-61 Sea Hawk du USS Abraham-Lincoln de l’U.S. Navy « valent plus que leur pesant d’or » dans l’aide qu’ils apportent en Indonésie, — ce qui devrait donner des idées au Pentagone qui, avec $435 milliards cette année, ne parvient plus à joindre les deux bouts. Guillaume Durand, sourcils à peine froncés, mine entendue, voix métallique et regard de stratège napoléonien, remarque : « Et notre porte-hélicoptères Jeanne d’Arc n’est toujours pas sur zone… ».
La querelle transatlantique est pratiquement finie, terminado, expédiée, morte et presque enterrée (“Tsunami aid joins trans-Atlantic squabble”, par Brian Knowlton dans The International Herald Tribune du jour). Encore quelques babioles à régler pour l’enterrement et tout marchera comme sur des roulettes. Knowlton fait ses comptes et observe: « The European Commission has so far donated $45 million from the EU's common budget, and has said $408 million is available. (…) The United States on Friday offered up to $350 million, more than 20 times its initial total, which is second to Japan's promise of $500 million. » Nous, à dedefensa.org, nous n’avons pas encore décidé, avec notre conseil d’administration et notre Band Aid, combien nous allions donner mais nous espérons occuper une place honorable dans le Top 50. En attendant, les stars hollywoodiennes donnent, elles, leur argent, et l’acteur Richard Gere, donne, lui, ses conseils humanistes et thibétains aux populations indonésiennes et sri lankaises absolument subjuguées et fascinées. Avant de taper dans un ballon rond comme une terre globalisée, les footballeurs font silence de une à trois minutes en se serrant les uns les autres solidairement, style-“si tous les gars du monde”. La Commission européenne a bien entendu étendu la mesure (trois minutes, pas une) à tous les citoyens de tous ses États-membres. La mesure (pour ce soir) a été décidée sans coup férir et tout le monde l’approuve dans une ambiance qu'on devine grave et jubilatoire. Le Guardian s’interroge par conséquent sur la valeur curative et rédemptrice de ces trois minutes de silence.
2005 nous la joue grandiose, son ouverture, genre Tannhauser version disco, avec éclairage et spots de Michel Jarre. GW sait désormais que l’Indonésie et le Sri Lanka existent, et que le tsunami, sorte de fourberie à-la-Ben-Laden, pourrait bien figurer dans l’axe du mal, version 2005 révisée. On lui expliquera qu’il faut tout de même prendre des gants parce qu’il ne faut pas risquer de paraître en remettre plus de quinze couches, et à la louche encore ; bon bougre rompant avec ses habitudes sans concession de born-again, GW consultera (Dieu-le-Père), opinera et fera des concessions. Le Magical Mystery Tsunami Tour (MMTT pour le Pentagone) installe l’univers virtualiste plein de paillettes et de sébiles globalisées, richement ornées de motifs postmodernes d'inspiration sri-lankaise et thaï. Clinton, le président qui aimait les paillettes, ne pouvait pas ne pas être de la partie, sinon de la fête. Il en est. Nous aussi, les gars, en ronchonnant-jubilant ou le contraire.
@NOTES =(*) En 1968-69, in illo tempore, dans les temps d’avant-le tsunami, les Beatles enregistrèrent un album, firent un film, etc, sous le titre général de Magical Mystery Tour, avec musique d’orphéon, flons-flons, cris d’annonce de bateleurs de foire ou de cirque et ainsi de suite. Grand Dieu, qu’est-ce qui nous a donné l’idée d’emprunter l’expression?
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