Notre “modèle”, ou la ballade des éclopés

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Notre “modèle”, ou la ballade des éclopés


12 mai 2006 — Cette rencontre Blair-Villepin du 11 mai est une parfaite scène de la comédie surréaliste que le “modèle occidental” est en train d’interpréter devant le parterre de son domaine habituel, — le reste du monde auquel le “modèle” donne la leçon en représentation permanente et à un prix modique. Le texte de TF1-LCI auquel nous nous référons offre cette sobre et roborative introduction de la rencontre Villepin-Blair : « Le Premier ministre français Dominique de Villepin et son homologue britannique Tony Blair, tous deux soumis à de fortes pressions pour quitter le pouvoir, ont assuré mercredi soir à Londres qu'ils auraient encore l'occasion de se voir à l'avenir dans les mêmes fonctions. “Quand on a à la fois la détermination, le sens du devoir et l'esprit de service, on vient à bout de toutes les difficultés”, a assuré le Français. »

Autre texte de circonstance, celui de The Independent du 11 mai également, qui met en parallèle les cotes de popularité de Tony Blair (26% de satisfaits) et de GW Bush (27%). « On a day when the Iraqi President, Jalal Talabani, called for an end to sectarian violence after figures showed 1,091 people died in Baghdad last month, the problems engulfing Mr Blair were also facing his comrade-in-arms George Bush.

» The US President's popularity has reached a nadir, with a New York Times/CBS opinion poll showing that 31 per cent of Americans approve of his performance — exactly the same level as his father at the low point of his presidency. Only 69 per cent of his own party now supports him. Historically, no president has recovered from such lows.

» Mr Blair, too, is slumping in the polls. Yesterday a YouGov survey showed that only 26 per cent of people are satisfied with his performance, making him the most unpopular Labour prime minister in modern times. It gave the Tories a six-point lead. »

L’universitaire US Charles Kupchan dit un mot de cette situation, sur notre Bloc-Notes en date du 10 mai: « “Il y a une cruelle ironie dans le calendrier. Au moment où les Etats-Unis ont redécouvert les mérites de l'Europe et la nécessité d'avoir un partenaire stratégique, des pays européens sont englués dans de graves crises politiques”, explique Kupchan, faisant notamment référence au scandale Clearstream en France, à l'issue incertaine des élections italiennes ou à la construction d'un gazoduc germano-russe en mer Baltique critiquée par la Pologne. “Nous devons actuellement faire face à de nombreux défis: le prix du baril de pétrole, l'Iran (et son programme nucléaire controversé), les difficultés pour arriver à stabiliser l'Irak. Et, dans le même temps, les gouvernements européens sont confrontés à des difficultés au jour le jour”, note M. Kupchan. “Il est difficile de se souvenir d'une période dans l'Histoire récente ou tous les gouvernements occidentaux, y compris aux Etats-Unis, se sont retrouvés dans une position aussi faible”, dit-il. »

Notre propos ici n’est certainement pas d’analyser politiquement ces situations mais d’illustrer un propos fondamental. Nos lecteurs s’en doutent, nous faisons une différence, également fondamentale, entre une affaire comme “Clearstream” (Villepin) et la crise irakienne (Blair-Bush). Ce qui nous importe ici est l’aspect systémique qui lie entre elles toutes ces situations jusqu’à n’en faire qu’une, et alors nous parlons de “modèle” occidental sans distinguer (Dieu sait s’ils le méritent par ailleurs) les Français des Anglo-Saxons et les Anglo-Saxons entre eux.

L’occurrence est exceptionnelle. Les situations décrites, les constats de Kupchan présentent un tableau saisissant de l’effondrement d’un système imposé comme modèle impératif et indiscutable de la civilisation universelle, — accessoirement, civilisation occidentale, dont le trait intellectuel dominant est une vanité également universelle. Proche du mot “vanité” et celui-ci l’introduisant, on trouve cet autre mot qui définit l’état du système-modèle : “vain”. Notre système est vain, dans toutes les définitions du mot. (Le Grand Robert : « vide, dégarni », « Qui est sans consistance, sans réalité », « Qui est dépourvu d’efficacité, qui reste sans effet ».)


Évitez de tirer sur l’ambulance

Quels que soient les vertus qu’on leur prête ou les travers qu’on dénonce chez eux, dans cette circonstance ces hommes (les divers Premiers ministres et Présidents) sont pathétiques. Il est manifeste qu’ils ne sont en rien responsables de l’effondrement systémique qu’ils illustrent, même s’ils y ont travaillé plus ou moins efficacement. Ni responsables ni coupables, ils sont effectivement les illustrations de l’effondrement, rien de plus. Nous attarder à la rigueur du trait ou aux nuances des couleurs de l’illustration pour y comprendre quelque chose, c’est ne rien entendre à la dimension et à la substance du drame qui se noue.

Nous ne sommes plus dans le domaine de la politique qu’on peut saisir par l’analyse. Il s’agit de l’effondrement d’une structure construite comme un système, et qui prétend que cette géométrie carcérale du genre humain se caractérise essentiellement par l’étalon moral. Qu’elle prenne tel ou tel masque, — dans ce cas, le faux-nez se nomme “démocratie”, — l’effondrement est similaire. Dans tous les cas, cela dépasse les hommes. Le système nous emprisonne jusqu’à gommer l’activité humaine, celle de la politique en l’occurrence, jusqu’à la rendre, elle aussi, vaine.

Mais l’effondrement du système nous apporte une excellente nouvelle, une nouvelle roborative. Tous, de bon ou de mauvais gré, avec plus ou moins de brio, ils ont dû passer par les clefs du système. Celles-ci forment un trousseau qui a pour nom “virtualisme”, qui réunit toutes les techniques de reformatage de l’univers conforme au système. Que ce soient les mensonges, les sondages, le “ spin”, le conformisme des déclarations officielles, le double langage devenu triple, il s’agit bien de virtualisme. La roborative nouvelle, c’est bien entendu que toutes ces clefs pour le formatage de l’univers conforme le sont également pour son effondrement. Voici, avec les cas cités ici, l’exemple des sondages, qui ont permis aux hommes conformés au système de nuancer leur démagogie, leur éloquence, leurs promesses électorales pour renforcer leur pouvoir, et qui montre aujourd’hui l’extraordinaire vanité de ce même pouvoir, — vanité dans le sens de vain, naturellement.

Où tout cela va-t-il nous mener? “A chaque jour suffit sa peine”, répond la sagesse populaire ; aujourd’hui, c’est l’effondrement de la chose, et qui ne se réjouirait de voir les murs de notre prison universelle se lézarder avec tant d’alacrité? Ne vous demandez rien à propos de la suite, il n’y a plus d’oracle possible. Nous sommes dans l’artefact absolu, amarres rompues avec la nature du monde, la réalité de l’univers et ainsi de suite. Laissez-le s’effondrer comme ils font tous, les serviteurs du système, peut-être mus par une sagesse intemporelle qui ferait dire qu’il est préférable d’embrasser ce que l’on ne peut arrêter. Le système est bien assez grand pour s’effondrer tout seul et pour nous expliquer son mode d’emploi. Pour la suite, nous verrons bien ce qu’on peut trouver dans les décombres.

En attendant, prêtez l’oreille et entendez l’éclat de rire universel qui monte, devant notre prétention chaque jour réaffirmée d’être en vérité le modèle du bonheur et de la vertu du monde. Ils en rient déjà comme le Diable en rit encore.