Notre prison au verrou énorme et fragile

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Notre prison au verrou énorme et fragile

Andre Vltchek, reporteur, auteur et intellectuel US d’origine russe, ami de Noam Chomsky, plutôt de la gauche dissidente US représentée notamment par le site CounterPunch, décollait de Dubaï pour Kiev. Il lui vint à l’esprit quelques réflexions. Il les confia notamment à Russia Today, le 28 mars 2014. (RT est devenu l’un des extrêmement rares médias à grande diffusion qui préservent encore quelques libertés d’expression, – si l’on veut, l’Aljazeera des années 2002 à 2007/2008 avant que l’Emir du Qatar fasse rentrer dans le rang sa station télé. Où donc la liberté va-t-elle se nicher dans notre grande et étrange époque ! Là où on l’accueille encore, répondra-t-on simplement.)

«As my plane left Dubai for Kiev, I began browsing through an endless pile of newspapers and magazines: from the New York Times to the Economist, from the Times to several Gulf-based and Turkish periodicals, as well as Spanish and German ones. The consensus on Putin being a villain was absolute. There were no dissident voices, but also, not surprisingly, no Russian intellectual voices. There were absolutely no editorials written by Russians attacking the Western destabilization of Ukraine and the destruction of its democratically elected government. It was also shocking how the Arabic and Turkish press was translating and reprinting all that appeared in the West.

»There were no clear, simple and logical explanations of what actually happened in Ukraine recently...»

A un moment dans son article, Vltchek cite Noam Chomsky, son ami et son mentor, et un extrait de leur livre commun On Western Terrorism – From Hiroshima to Drone Warfare. Ce passage de Chomsky est instructif, parce qu’il rend bien compte de la situation qui, organiquement, on dirait presque “objectivement” puisqu’il s’agit de la Loi à laquelle nos piètres cerveaux accolent encore le qualificatif “objectif”, exonère les USA de toute responsabilité, – si l’on veut, l’inculpabilité et l’indéfectibilité US inscrites (voir le 26 mars 2014) dans les tables de la Loi Internationale... Tous les cerveaux d’intellectuel-BAO, assortis d’un entregent normal pour distinguer leurs intérêts et leurs privilèges dans les cercles qui comptent, s’en trouvent impressionnés quoi qu’ils en veuillent et, presqu’inconsciemment, mais cela venu du subconscient vraiment du dessous, ils considèrent les USA et tout ce qui fait office de porte-parole, comme investis de cette vertu objective. Chomsky nous rappelle donc comment le règne de la loi fut instauré en 1946-1947, avec des renforcements réguliers depuis, et comment, à l’origine et depuis, à chaque fois, les USA sont dispensés d’être soumis à la moindre enquête qui pourrait déboucher sur les foudres de la loi internationale, – exactement, comme si les USA occupaient une place à part et un peu au-dessus, disons sur un strapontin à la droite de Dieu, par rapport aux autres... Et les autres de s’exécuter, en dévotions diverses.

«Take the invasion of Iraq – nothing can be discussed or potentially regarded as criminal. In fact there is a legal reason for that, which is not too well-known. The United States is self-immunized from any prosecution. When the US joined the World Court in 1946, the US basically initiated the modern International Court of Justice, which it joined but with the reservation that the US cannot be judged by any international treaty – meaning the UN charter, the charter of the Organization of American States, the Geneva Conventions. The US is self-immunized from any trial on those issues. And the Court has accepted that. So, for example, when Nicaragua brought a case against the United States at the World Court for the terrorist attacks against Nicaragua, most of the case was thrown out because it invoked the charter of the Organization of American States, which bars interventions strongly, and the US is not subject to that and the Court accepted it.

»In fact the same happened, interestingly, at the trial where Yugoslavia brought a case against NATO for its being bombed, to the International Court of Justice, I think, and the United States excluded itself from the case and the Tribunal agreed because one of the charges mentioned was that it was a genocide, and when the United States signed the Genocide Convention after 40 years, it had a reservation saying it was ‘inapplicable to the United States’, and so therefore the Court rightly excused the United States from prosecution. There literally are legal barriers established just in case anyone dares to try to bring some charge against the powerful. I am sure you recall when the Rome Treaty was signed, and the International Criminal Court was established, the US refused to participate… but then it was more than that. The Congress passed legislation, which the Bush Administration happily signed, which granted the White House authority to invade The Hague by force, in case any American was brought there. In Europe it is sometimes called the Netherlands Invasion Act. Well, that was passed here enthusiastically, so the self-immunization is at many levels. One is the impossibility to perceive, such as when you deny what happened to the indigenous population in the United States, when you just can’t see it even if it is in front of your eyes. The other is that it’s actually fortified by legislation.»

Cela explique, sans rire, qu’Obama puisse se présenter comme le législateur universel, strapontin à la droite du Père, et donner une époustouflante leçon de respect de la loi internationale devant une assemblée bouche bée de dévotion, la semaine dernière à Bruxelles, – at home pour ainsi dire puisqu’on est partout chez soi au sein du bloc BAO et donc du Système. Stipuler que la Crimée c’est pire que l’Irak puisque l’Irak est dans le cadre international du respect de la Loi qu’on édicte soi-même en en écartant les foudres pour soi-même, et même inventer presqu’en toute ingénuité (certainement aidé par l’inculture chronique et l’indifférence à la situation vraie du monde de l’élite américaniste) un référendum au Kosovo qui justifie a posteriori, en 2014, l’attaque du 23 mars 1999 et les trois mois de bombardements de Belgrade qui ont suivi, témoignent de la solidité conceptuelle de la narrative qui conduit et justifie cette démarche. BHO dit la Loi, comme vous et moi nous disons nos doutes et nos soupçons autant que notre conviction de résistance, l’une et l’autre chose faite avec la même légitimité, – BHO celle du législateur universel installé sur les hauteurs célestes de sa narrative qui ignore les tourments profonds du monde, vous et moi celle du sapiens placé devant la vérité de la “crise haute ultime” et la perspective de l’effondrement du Système.

Il ne fait aucun doute, pour en revenir à notre chère psychologie, que les deux caractères de l’américanisme, piliers de la psychologie-Système, l’inculpabilité et l’indéfectibilité, ont joué leur rôle dans l’élaboration de cette narrative depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et jouent aujourd’hui ce même rôle en mode-turbo, sans la moindre hésitation du moindre doute. Mais cette puissance énorme, formidable, qui semble effectivement constituer une sorte d’“arme absolue” pour les esprits et les convictions, et qui ne l’a jamais été autant qu’à l’occasion de cette crise ukrainienne devenue “crise haute ultime”, avec surtout l’exercice pratique de la démonisation de Poutine et de la Russie, ressort également de l’énergie du désespoir et ainsi l’arme absolue devenant “arme du désespoir”. En effet, cette chape de plomb sur le jugement général des esprits, telle qu’en témoigne Vltchek, est d’autant plus une chape de plomb que le dossier de la démonisation de Poutine et de la Russie est fragile ; le “jugement général des esprits” est d’autant plus contraint absolument par cette chape de plomb qu’il est indistinctement ou inconsciemment perçu comme fragile, avec divers aspects de la vérité de la situation ukrainienne et de la “crise haute ultime” prêts à surgir en pleine lumière, tant cette vérité de la situation exerce une pression également énorme, dans l’autre sens, et peut-être, dans certain cas, une pression d’affirmation pas loin de devenir absolue dans le sens de devenir irrésistible. Pour le Système, il s’agit donc de tenir, retranché sur ces mêmes positions absolues de déni de la vérité du monde, pour empêcher qu’une brèche ou l’autre s’élargisse soudain en une marée inarrêtable. Le véritable enjeu du débat actuel, dans le champ de la communication où se fait l’essentiel de la bataille, c’est l’affrontement entre la puissance de la narrative et la puissance de la vérité de la situation recélant un élément décisif de la vérité du monde comme “arme absolue” contre le Système. L’avantage paradoxale des antiSystème dans cette batailles, c’est que la surpuissance du Système et surtout de ceux qui le servent repose en grande partie sur une sorte d’ignorance ingénue de leur attitude faussaire, ce qui leur donne une fragilité extrême inattendue dans une circonstance où la vérité de la situation se révélerait irrésistiblement. Cette situation générale de ce que nous nommons également la “crise de confrontation mondiale”, qui dépasse bien entendu largement, et le cas ukrainien, et même le cas de démonisation Poutine/Russie, renvoie à l’hypothèse fondamentale de notre équation surpuissance-autodestruction de fonctionnement du Système, où la surpuissance même de l’activité faussaire du Système alimente à mesure, par sa vulnérabilité paradoxale, l’irréfragable dynamique de l’autodestruction.

 

Mis en ligne le 31 mars 2014 à 06H15

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