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16921er janvier 2018 – Parlons de l’exemple qui a suscité l’idée du propos général. Il s’agit d’une interview très récente de Ron Paul au Washington Examiner, quotidien qui n’est certainement ni dissident ni antiSystème, le 26 décembre 2017 ; et Paul de dire sans ambages, répondant à une question sur l’état de la nation, des USA : « Nous sommes tout proches de quelque chose qui ressemble à ce qui est arrivé en 1989 lorsque le système soviétique s’est effondré. J’espère seulement que notre système se désintégrera avec aussi peu de dégâts que le système soviétique. »
Réponse aimable (“gracefuly” pour “aussi peu de dégâts”, ce qui vous a un petit air effectivement gracieux) ; mais réponse sans aucun doute tranchante et catastrophiste, qui mérite une attention disons métahistorique. Par ailleurs, l’avis de Ron Paul se retrouve chez nombre de commentateurs de qualité, dans le camp antiSystème veux-je dire, souvent par des voies différentes et selon des logiques spécifiques. Malgré sa répétition, cet avis garde son aspect sensationnel et dramatique, – peut-être même, à cause de la répétition... Au contraire d’une répétition par imitation et goût du sensationnalisme et de la dramatisation gratuites, on la perçoit d’une façon radicalement différente, comme un sentiment commun, voire une intuition partagée ; la répétition devient alors comme une marée qui monte, comme une évidence qui grandit irrésistiblement...
Mais revenons à l’interview cité, qui se poursuit sans vraiment s’attarder à l’affaire de l’effondrement proche des USA comme s’il s’agissait d’une anecdote exotique, d’une digression aimable.... L’on passe à des questions de prévisions politiques, notamment électorales, par rapport au GOP (les républicains du Great Old Party) et aux présidentielles de 2020. Ron Paul répond d’une façon classique, en avançant d’ailleurs une prévision qu’on pourrait juger politiquement intéressante : « Trump sera vulnérable lors des primaires [de désignation du candidat républicain] de 2020 ». Justement, cette phrase est exactement celle du titre de l’article, comme s’il s’agissait du plus important dans l’entretien : “Ron Paul : Trump may be vulnerable to 2020 GOP primary challenge”. Ainsi apparaît notre-schizophrénie, non pas comme maladie de la psychologie mais comme nécessité où se trouvent les esprits disons moins obscurs et plus ouverts que le courant de vivre en même temps dans deux mondes différents, une oreille aux aguets du moindre signe de la catastrophes proche de venir, l’autre épuisée mais vaillante de devoir suivre les vanités aveuglées d’un monde dépassée qui choisit de faire l’autruche avec la vivacité d’une taupe.
Car, si l’on prend Ron Paul au sérieux, comme c’est le cas dans cet article où on l’interviewe, comment se peut-il faire que l’on se concentre et qu’on juge comme la plus importante de ses déclarations la prévision de possibles difficultés de Trump en 2020 d’être à nouveau le candidat républicain, alors que le même Ron Paul prévoit, avec presque plus d’assurance que sa prévision sur les primaires républicaines de 2020, que les USA vont s’effondrer assez rapidement (“tout proches”) de la même façon que l’URSS s’est effondrée en 1989 ? Serons-nous encore là, je veux dire dans l’état actuel des structures branlantes et croulantes, pour voir le président Donald J. Trump éventuellement mis en difficultés durant les primaires de l’hiver et du printemps 2020 ? Voyez-vous l’incroyable disparité des évènements en prospective selon Ron Paul, et comment l’intervieweur choisit le plus insignifiant, le plus passe-partout, le plus racoleur pour le conformisme parmi les déclarations disponibles ?
Je ne vais pas épiloguer sur l’attitude du Washington Examiner ni même parler de complot et de censure, puisqu’il y a eu tout de même la question et sa réponse sur l’effondrement du Système. Je crois qu’il y a là comme une sorte de réflexe-pavlovien du parti des conformistes-Système, de se conduire vraiment en zombies-Système, de ne rien voir comme une taupe qui jouerait à faire l’autruche, bien que le matériel essentiel mais qui leur fait horreur existe tout de même pour qui sait lire.
(C’est de la “source ouverte”... Les “sources ouvertes”, – OSINT, – valent tous les complots et les documents classified du monde et nous en savons plus, dans nos petites officines, que toutes les “vaches sacrées” et expertes du Système, celles qui ne cessent d’aligner leurs prospectives et leurs graphiques sur la reprise, sur la narrative, sur les publicistes du Corporate Power, sur les monstruosités de Poutine et la suite.)
Non, la chose sur laquelle je veux insister, c’est bien notre-schizophrénie, “comme nécessité où se trouvent les esprits disons moins obscurs et plus ouverts que le courant de vivre en même temps dans deux mondes différents, une oreille aux aguets du moindre signe de la catastrophes proche de venir, l’autre épuisée mais vaillante de devoir suivre les vanités aveuglées d’un monde dépassée...”. Nous vivons chaque jour cette curieuse ambiguïté psychologique, où d’une part il nous faut nous conduire “normalement”, y compris dans notre discours lorsque le sujet abordé y invite, c’est-à-dire nous conduire à nos propres yeux comme si effectivement nous étions atteint d’une pathologie qui nous amène à faire une sorte de simulation, à accepter le simulacre que nous proposent les autruches-taupes ; où d’autre part, à la première occasion venu, nous nous replongeons comme l'on s'élève dans la réflexion mi-stupéfaite mi-angoissée mais de toutes les façons sublime à partir de signes nouveaux de ce que nous prévoyons comme inéluctable, catastrophique et sans-retour, fondant sur nous comme la foudre des dieux de l’Olympe.
Cette pensée (cette intuition de la catastrophe) paraîtrait à première vue assez lourde, très difficile à porter, assurément effrayante, voire paralysante, entreteneuse d’angoisse sinon par instants d’une certaine panique ; ainsi devrait-on en juger selon la raison qui veut tenir égale la balance du jugement. Mais nous ne sommes pas au tribunal et je ne suis pas un témoin de l’histoire courante, mais une sentinelle d’une métahistoire dont la grandeur et la puissance m’élèvent et m’inspirent autant qu’elles pourraient m’effrayer en pénétrant par les fissures de moi-même que sont mes instants d’abandon, à la fine pointe du lever ou bien dans un éclair sombre de la lumière du crépuscule. Je ne sais qu’une chose d’assuré : une fois qu’elle vous a touché comme un Dieu le fait de sa grâce, – cette intuition haute pour dire son véritable nom, – elle ne vous quitte plus. Ainsi cette lourdeur est-elle bien relative, une lourdeur incroyable mais légère comme une plume, une semeuse de frayeurs terribles que vous ne pouvez vous empêcher de juger sublimes ; ainsi ce côté-ci de notre-schizophrénie est-il le plus glorieux, le plus superbe, le plus incroyablement grandiose. Nous attendons la chute de notre contre-civilisation, l’effondrement du Système, comme l’on guette une révélation qui ne peut pas ne pas se manifester.
Le reste, c’est le tout-venant, le fait anodin qui nous fait rentrer dans le rang par nécessité temporaire, quand je me vois coincé dans une conversation courante (par Dieu bienveillant, c’est assez rare jusqu’au rarissime), confronté à des platitudes qui sont à des année-lumières du sentiment dont je vous parlais à l’instant ; que faire, mon Dieu, sinon marmonner une approbation prudente ou une réserve amicale, sans en dire un mot en vérité. Dans cette sorte de circonstances, certains diraient “dans les dîners en ville“, à Paris s’il vous plait, je me ratatine, je me rapetisse comme la tête d’un de leurs ennemis promptement traitée par les Jivaros. Il existe ainsi un océan d’une multitude, remarquable par sa médiocrité et son refus de l’énorme puissance de la vérité catastrophique du monde, et pour survivre je dois parfois tremper le petit bout de mon plus petit doigt de pied dans cette eau tiédasse, saumâtre, putride et puante, et sans vie, etc. (Par Dieu compatissant, cela devient vraiment de plus en plus rare.) A ce moment-là, ce côté-là de ma schizophrénie m’est absolument insupportable, sa légèreté, son ignorance de l’essence et son absence de substance me sont un poids insupportable ; l’insupportable légèreté du vide, si vous voulez... Ou, dit autrement mais dit superbement, « l’énorme poids du rien ».
(Joseph de Maistre, dans une lettre de 1805 à son frère Nicolas, évoquant la vie à Chambéry en 1785, lui-même le comte Joseph, dans ce temps-là dans l’attente des évènements considérables qu’il devinait intuitivement : « Je me rappelle ces temps où, dans une petite ville de ta connaissance […] et ne voyant autour de notre cercle étroit […] que de petits hommes et de petites choses, je me disais : “Suis-je donc condamné à vivre et à mourir ici comme une huitre attachée à son rocher ?” Alors je souffrais beaucoup : j’avais la tête chargée, fatiguée, aplatie par l’énorme poids du rien… »)
Contrairement à ce que pensent les esprits policiers encore en nombre assez élevé, et que ne pensent pas un nombre croissant d’esprits débarrassés de tous ces embarras, la conscience chargée de la vision de la catastrophe qui nous guette est aussi saine, aussi forte, aussi superbe que l’air glacé des plus hauts sommets. « Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie ! »... Citer cette phrase à mon âge représente une certaine audace, à moins que René ait voulu parler “d’une autre vie” d’outre-tombe, d’où l’on écrit ses mémoires sans craindre les importuns et où l’on fréquente des esprits plus habités par le goût de la liberté que par l’essorage démocratico-postmoderne qui blanchit la pensée aussi bien que l’argent sale.