Nous accusons encore

Les Carnets de Badia Benjelloun

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Nous accusons encore

A ce jour, 132 591 cas de COVID-19 ont été  recensés en France où  333 807 tests ont été pratiqués. La Turquie décomptait 61 049 cas contre 422 200 tests réalisés. En Espagne et en Italie où le nombre de cas déclarés est équivalent à celui de la France, 1 046 910 et 600 000 tests ont été effectués. Ces chiffres indiquent que la 19èmepuissance mondiale, en terme de PIB, se place devant la septième en matière de diagnostic d’une maladie virale qui concerne une bonne moitié de l’humanité. L’homme à la poudre de perlimpinpin devrait s’en sentir un peu gêné. 

Se méfier des leurres

A ce jour, aucun médicament n’a montré sa réelle efficacité pour traiter la maladie.

Les veilleurs de tout genre peuvent changer la cible de leurs critiques. Les molécules actuellement testées ont été élaborées dans le cadre du traitement d’autres maladies, elles sont tombées dans le domaine public, et donc sont susceptibles d’être commercialisées en tant que génériques à très bas coût. L’argument ne peut se rapporter au prix de vente, il est à l’efficacité. Il ne peut se prévaloir non plus de l’autorité reconnue à certains dans la matière. En raison de l’impact sur des milliards d’humains, la mise en évidence de leur effet ne peut se contenter d’être anecdotique, mais fondée sur des bases solides, reproductibles. L’urgence ne peut justifier des recommandations reposant sur de simples convictions ou des croyances. 

Les dissonances cognitives auxquelles sont exposés les 7 milliards d’hommes ont conduit à des pertes de faculté de jugement. En particulier le doute permanent introduit des distorsions interprétatives de type paranoïaque pour simplement protéger le psychisme délabré par la propagande et le régime des mensonges sans fin. La situation inédite d’emprisonnement en a fait basculer un bon nombre dans une pensée magique qui esquive inconsciemment l’examen de faits objectifs trop évidents. 

En l’absence d’un tel médicament et d’un vaccin, la politique du confinement des populations est prescrite et étendue à de plus en plus de pays, parfois avec un retard très préjudiciable. Cette mise à l’arrêt des activités, rarement totale, permet de ralentir la circulation du virus et de réduire le nombre de patients souffrant d’une forme qui mérite une prise en charge hospitalière. Il importe de garder à l’esprit que près de 80% des personnes infectées font des formes asymptomatiques ou légères. 

La gravité du SARS-CoV-19 tient à sa très haute transmission malgré sa relative faible létalité de 5% comparée à celle du Mers-CoV par exemple qui est  de 30%. Le nombre de victimes attendues pour l’actuelle pandémie sera élevé en raison des caractéristiques de ce nouvel agent qui le rendent très aisément transmissible. Sa très forte affinité pour les récepteurs des cellules qu’il va parasiter, plus de dix fois celle des précédents coronavirus, fait qu’il suffit d’un petit nombre de particules virales pour envahir effectivement un organisme. Sa capacité à ‘survivre’ de nombreux jours sur des surfaces inertes permet la contamination de personnes sans transmission interhumaine directe. 

 De tout cela, il résulte qu’il faut des tests appliqués au plus grand nombre pour isoler les porteurs, tous potentiellement transmetteurs, voire les traiter si besoin et des masques à faire porter de manière généralisée. Les deux conjugués, masques et tests pourront rompre les chaînes de transmission aussi efficacement qu’un confinement absolu assorti de la mesure d’isolement, c’est-à-dire la prise en charge sociale, la mise en quarantaine des transmetteurs.

Un calcul économique grossier indiquera que le confinement est beaucoup plus coûteux que les trois mesures complémentaires qui sont l’autre option de contention de l’épidémie à l’échelle d’un Etat.

L’allocution du président français de ce jour donne lieu à l’annonce que les tests et les masques seront plus amplement distribués à partir de la mi-mai. Cela vaut deux mois de retard à convertir en nombre de patients hospitalisés, décédés et, dans une langue que peut entendre la classe sacerdotale du capitalisme, de points de PIB perdus. 

Ce gouvernement est pleinement coupable. Certes, la gestion d’une épidémie de cette nature n’est pas aisée car la situation est inédite. Mais il a commis des fautes difficiles à réparer.

Problèmes inchangés

Très vite, on a connu la très haute contagiosité de ce virus et la forme foudroyante de certaines pneumonies qu’il induit pour lesquelles la médecine est quasi-démunie. Dès le 9 mars, un journal chinois de grande audience en ligne mettait en garde contre la présence du virus dans des aérosols à capacité infectante à plus de 4 mètres de l’émetteur infecté et plus de trente minutes après l’émission des gouttelettes microscopiques propulsées par un éternuement ou exhalées par une respiration normale. Une étude d’épidémiologistes a tracé l’infection de passagers 30 mn après qu’un bus ait été vidé de ses précédents voyageurs dont l’un était le patient-source. Il revenait aux responsables sanitaires de valider ou d’infirmer ces données livrées à un public mondial par une vérification simple car ceci implique des mesures de décontamination des transports en commun et d’une distanciation ‘sociale’ de bien plus d’un mètre. Un travail posté en  prépublication le 9 mars également, mais  vite paru dans le  New England Journal of Medicine, signalait la longévité du virus sur les surfaces inertes de plusieurs heures à plusieurs jours selon la température et l’hygrométrie ambiantes et la nature métallique, plastique, tissée ou en papier du support. 

Quant aux formes foudroyantes peu inaccessibles aux traitements, elles sont connues par-delà les détresses respiratoires aigües dues aux coronavirus à tropisme pulmonaire. Elles ont été  rencontrées par les rhumatologues qui dispensent souvent des traitements à base d’anticorps monoclonaux dirigés contre des interleukines. La chronologie de leur survenue dans le COVID-19 suggère que la réaction immunitaire spécifique au virus cellulaire, certains lymphocytes T et sérologique, les anticorps, – cette réaction spécifique censée protéger l’organisme de l’infection en est à l’origine. Toutes ces dates ne sont pas anecdotiques car la lutte contre la pandémie est une course contre le temps et c’est pourquoi l’auteur de ces lignes, ainsi que d’autres, a entrepris une veille de la presse scientifique qui a ouvert un accès non payant à cette occasion. Comment les informations parvenues à un simple acteur de santé ne sont-elles pas parvenues aux responsables ?  Le virus n’est pas interrompu dans sa folle équipée, traversant les océans et les larges espaces de bureaux ouverts, les ‘open space’ faits pour surveiller les fourmis sur leurs écrans ; mais les informations le concernant semblent rencontrer des frontières étanches. 

La vigie assoupie

Des scientifiques de bonne foi ont alerté. On sait que le Professeur Anthony Fauci, en tant qu’immunologiste  responsable du  National Institute of Allergy and Infectious Diseases, avait prévenu Trump dès la mi-février de la gravité du problème. Ses recommandations ont été balayées d’un revers de main par les grands Prêtres de Wall Street. Unen  petite grippe sans doute saisonnière  prédisaientbcertains en France à la même date, ceux-là même qui étaient en charge de  conseiller le gouvernement. Dans cet éminent aréopage figurent un épidémiologiste, Arnaud Fontanet, un immunologiste, Jean-François Delfraissy et un infectiologue, Didier Raoul ; aucun n’a semblé avoir pris connaissance de données actualisées sur cette menace épidémique. 

La Corée du Sud, 51,64 millions d’habitants, classée au 14ème rang pour son PIB, a limité chez elle l’expansion de l’épidémie en mettant à contribution les laboratoires biologiques qui ont mis au point des tests virologiques fiables en peu de jours et en faisant porter des masques à tous en plus de la distanciation sociale et de la mise en quarantaine des patients porteurs. L’ensemble de ces mesures a été appliqué sans attendre de sorte que le nombre de décès est limité à 217 sur 10 537 cas parmi lesquels on compte 7 447 guérisons. A ce compte, la France doit être rétrogradée bien loin derrière elle en matière de prévention des risques. Les termites ont en effet bien progressé dans leur entreprise de la destruction de l’ensemble des structures de l’Etat français sous la double impulsion de la victoire des idéologues de moins de protection sociale mais davantage de répression et du mode de recrutement des décideurs, et ce dans tous les domaines. Le compartiment scientifique n’a pas été à l’abri du modèle de l’ascension à la me-tooni du recrutement par copinage. 

Ce machin est vermoulu et ça se voit.

Autogestion

Les hôpitaux, une fois que les premières vagues de malades ont commencé à dévaler sur eux, ont pris en mains la gestion de la catastrophe. Les équipes de soignants, médecins, infirmiers, aides-soignants, brancardiers, personnel du nettoyage se sont organisées pour transformer les services ‘froids’ en salles de réanimation. Blocs opératoires, salles de réveil et nombre de lits normaux ont été dédiés à la réanimation. Elles l’ont fait en mode autogestionnaire, indépendamment et en passant outre une administration parasite dont le seul rôle était de comptabiliser la pertinence comptable des soins. Elles sont allées rechercher de vieux ventilateurs dans des caves, ont bousculé tous les modes de fonctionnement dans une énergie et un dévouement remarquables. Elles donnaient la mesure d’elles-mêmes, et elles se sont organisées pour prodiguer ce pourquoi elles se sont destinées, le soin.

C’est à ce compte que l’afflux des patients a été absorbé jusqu’à présent en région parisienne. Le pendant péjoratif d’une telle mobilisation pour COVID-19 est la relative indisponibilité pour des pathologies qui ne souffrent pas l’attente, les accidents vasculaires, les urgences médicales et chirurgicales moins bien orientées en amont.

Ces ‘dégâts’ collatéraux seront à imputer aux décideurs incapables de prendre à temps les bonnes décisions.

Ces remarquables initiatives des soignants ont bousculé les inerties habituelles des gestionnaires administratifs, ils l’ont annulée. Le besoin en personnel est le plus pressant en infirmiers. L’APHP a fini par organiser une formation pour les étudiants en médecine et une actualisation pour les médecins volontaires en soins infirmiers. Une fois le diagnostic radiologique et/ou virologique faits, c’est l’ajustement en traitements symptomatiques qui exige le plus de mains. Une meilleure connaissance de la maladie se fait au lit du malade, tout le monde apprend et les échanges se font avec horizontalité. 

Les déficits en personnel soignant sont flagrants dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées. Les EHPAD sont un nom un peu trop gracieux pour des usines à fric où sont parquées des vieux. Ils ont été investis par les assurances, les banques et les fonds mutualisés. En août 2019, les maisons de retraite ont été déclarées  un abri contre la récession par les conseillers en finance. Ce marché est performant et la rentabilité importante en raison de rapport entre les prestations servies et le coût d’une résidence. 

Les personnes âgées ont un système immunitaire par définition sénescent mais leur concentration avec un manque de moyens depuis longtemps dénoncé facilite la circulation du virus. Une société qui parque ses vieux dans des lieux de transit où la maltraitance est commune en attendant leur fin devrait s’interroger sur le sens qu’elle donne à la vie, à elle-même.

Elargir l’autonomie

Les secteurs de l’activité publique peuvent prendre exemple sur leur autonomisation vis-à-vis de leur administration défaillante, parasitaire le plus souvent, incompétente en situation de crise et parfois absente. Les cadres ont fugué en masse avec leur famille dans leur résidence secondaire. Les postiers comme les enseignants ou les agents de la SNCF et des transports urbains devraient pouvoir imposer leur organisation du travail, réfléchie et économe en travail non essentiel et présence non indispensable.

Au sein des entreprises privées dont le fonctionnement est essentiel, les salariés pourraient en prendre le contrôle sur le même mode de répartition des taches indispensables. Les  ouvriers de Luxfer, l’une des dernières entreprises françaises à fabriquer des bouteilles d’oxygène, pourraient rouvrir sans attendre le bon vouloir d’un gouvernement englué dans son inertie.

Les dégager

La prolongation jusqu’à la mi-mai du confinement répond aux erreurs accumulées au début d’une épidémie traitée par la négligence. Le nombre de décès va peut-être se stabiliser sans pour autant chuter significativement en raison du décalage entre le début de l’infection et ses manifestations ultimes. Le sauvetage des secteurs dévastés se ferait avec l’aide du Mécanisme européen de stabilité avec octroi d’un prêt sans condition d’affectation par la BCE à hauteur de 2% du PIB pour chacun des 27 pays. L’emprunt ira au renflouement des sociétés et de leurs actionnaires, pas aux travailleurs qui sont la charpente de l’économie.

Ce gouvernement continuera son œuvre de forfaiture tant qu’il est au pouvoir, ce qu’aucune opposition ne lui conteste. 

Il n’y en effet que deux domaines où se voit sa poigne, celle de la répression policière et judicaire. Accabler d’une amende de plus de 100 euros de malheureux citoyens, en tuer quelques-uns par placage ventral ou au décours d’un  contrôle dans un commissariat, cela fait partie de ses compétences affirmées. Aucun pays, y compris du tiers-monde réputés sauvages, ne s’est aventuré dans de telles violences pour contraindre sa population. En pleine crise sanitaire, le Ministère de l’Intérieur  recrute. Une annonce pour l’acquisition de  micro-drones de surveillance de jour comme de nuit a été diffusée le 29 mars 2020. 

 Affliger d’impôts les travailleurs et épargner les institutions bancaires ou les entreprises du CAC 40 non financières qui se sont spécialisées dans l’évasion fiscale et la prédation des ressources de l’Etat en est la deuxième.

Pour le reste, l’Etat est vacant. Dans l’éducation, santé et nombre de services publics vendus à l’encan, il est remarquablement absent. Au lieu d’adapter toutes ses capacités industrielles pour la production de masques et de tests pour le diagnostic, la France est toujours dépendantes des livraisons de Chine. L’armée est actuellement chargée de  convoyer les précieuses cargaisons qui arrivent à l’aéroport de Roissy.

Les confinés et ceux qui vont travailler la peur au ventre car ils mettent leur vie en danger n’en veulent plus. Alors, l’insurrection qui vient ? L’économie telle qu’elle était configurée avant le COVID-19 ne se relèvera pas de cet arrêt d’activité massif même si non total de plus de deux mois. Sans circulation et même sans accélération de circulation de la marchandise et de la monnaie électronique, elle est morte. Inutile de la pleurer, elle nous tuait.