Nous aussi, nous sommes “passionnément” à Boston

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Nous aussi, nous sommes “passionnément” à Boston

27 juillet 2004 — C’est donc le Boston Globe, repris par l’International Herald Tribune, qui l’annonce: l’Europe a passionnément besoin de John Kerry, elle a passionnément besoin que John Kerry soit élu. L’Europe se trouve à Boston, derrière John Kerry, passionnément… Il est vrai que le Globe utilise ce terme dans son titre et dans son texte, et que c’est exactement le terme qui convient: «In Europe, passionate cheering for Kerry».

«Most European historians and political pundits agree that it has been a long time, at least a generation, since the world has felt so consumed with passion about an American election, and since so many have been so hopeful of regime change in Washington. This year, they say, there is one place where the choice between John Kerry and George W. Bush will indeed have a profound impact, and interestingly it is not the Middle East. It is Europe.

»Timothy Garton Ash, director of the European Studies Center at Oxford, argues that the “wrenching confrontation” between Europe and America over the war in Iraq has plunged the world into crisis and made this “a formative election for the world.” If Bush is re-elected, Garton Ash said, his perceived unilateral approach to the international community and willingness to flout international law will cause Europe “to define ourselves against America.” He added: “You will become ‘the other,’ for Europeans.”»

Les arguments pour Kerry, du point de vue européen, tout le monde les connaît. Encore est-il intéressant de lire ce qu’en dit un diplomate européen en poste à Washington, anonyme bien entendu, car il fixe bien les limites de ce que peuvent attendre les Européens de Kerry, et de ce qu’ils en attendent effectivement. «There will be a sense of relief in Europe if Kerry is elected. He has a very different style than Bush, and a very different instinct as an internationalist. And in diplomacy, style is substance. The foreign policy establishment in the Democratic Party is not substantively different from that of the Republicans, certainly not in the Middle East. But with Kerry the feeling is that there will at least be a dialogue, an attempt at understanding. »

Résumons ce que nous dit notre homme: en gros, avec Kerry il n’y aura pas de changements mais on pourra parler, on pourra “dialoguer”, le feeling sera différent, on sera entre gens “sympas”, etc. Les diplomates seront donc contents, et le nôtre par conséquent, et les Européens pousseront un “ouf !” de soulagement. Comprenons-nous bien : ce soulagement sera de pure forme et si certains veulent parler d’un “lâche soulagement”, on avouera que la formule a sa place.

Kerry l’homme des Européens? Même pas, — l’homme d’un répit très court dans le calvaire que l’évolution de l’Amérique constitue pour l’Amérique. Très vite, Kerry deviendra aussi intenable que GW Bush, même s’il “dialogue”, parce que Kerry est, comme GW Bush, l’homme d’une machine qui marche sans lui et qu’il a intérêt à suivre en faisant semblant de la diriger, un peu comme nous le dit l’expression du bon sens populaire qui recommande d’embrasser celui que l’on ne peut étouffer. Et Richard Holbrooke, son probable secrétaire d’État vaudra, comme on l’a déjà dit, largement Donald Rumsfeld en brutalité.

En fait, ce qui est finalement le plus inquiétant dans l’attitude des Européens, c’est la façon dont ils sont en train de “diaboliser”, par simple réaction indirecte, l’autre option, qui est la réélection de GW Bush (laquelle reste, à notre sens, une option extrêmement forte, peut-être plus que celle de l’élection de Kerry). Ils font de Kerry, par “lâche soulagement”, une solution si forte aux tourments de leurs relations avec les USA, alors qu’elle ne l’est pas, qu’ils font apparaître par contraste la situation de GW, et, par conséquent, sa réélection, comme une catastrophe menant inévitablement à la rupture. C’est bien ce que dit Garton Ash, dans la citation ci-dessous : « If Bush is re-elected, his perceived unilateral approach to the international community and willingness to flout international law will cause Europe to define ourselves against America. [America] will become “the other”, for Europeans. »

Demain, si GW est réélu, l’Europe aura l’impression que la guerre est déclarée…