Nous et la la référence Tchernobyl

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Dans Ouverture libre, nous rassemblons quelques références (ce 22 juin 2010) de l’interprétation de la crise du Golfe du Mexique comme une sorte de “Tchernobyl américaniste”. C’est, bien entendu, se référer à l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en URSS (aujourd’hui en Ukraine), en avril 1986. Nous avons réuni ces textes pour servir de support à cette réflexion.

@PAYANT L’accident de Tchernobyl a été l’objet de nombreuses interprétations, dès l’époque où il a eu lieu. L’accident lui-même, les réactions des autorités concernées, ont été aussitôt perçus comme une indication de l’état du système. Gorbatchev lui-même a interprété Tchernobyl dans ce sens et s’est appuyé sur l’accident pour lancer des mesures extrêmes de changement, voire de purge dans l’appareil de la bureaucratie. Il n’a jamais été question de voir dans Tchernobyl seulement un accident nucléaire comme il peut en arriver, mais un accident nucléaire, particulièrement dangereux à cause de cette spécificité, qui exposait les tares profondes du système et servait d’argument puissant pour accélérer des réformes déjà en cours. L’accident de Tchernobyl fut donc à la fois un événement statique, l’exposition de l’état du système, et un événement dynamique, exposant à la fois la logique et la nécessité d’un mouvement de réforme un URSS et se plaçant dans son cours. En un sens, on ne peut dire qu’il contraria Gorbatchev parce que, en réalité et au contraire, il constitua un formidable argument en faveur du mouvement de réforme de Gorbatchev, qui était d’ores et déjà lancé.

C’est en cela que Le Tchernobyl d’hier diffère d’abord de la catastrophe de la station Deepwater Horizon. Contrairement à ce qu’écrit Hervé Kempf, les USA ne sont nullement dans une dynamique de réforme où pourrait s’inscrire un événement comme la catastrophe du Golfe pour accélérer cette dynamique. La description que donne Kempf du rôle actuel d’Obama, jusqu’à la catastrophe du Golfe, est loin de correspondre à l’action de Gorbatchev avant Tchernobyl. («…Still less so, given that the country has elected an appealing and modern leader. From the outset, he committed to vigorous reforms (the stimulus and the healthcare law) even as he acknowledged that the United States could no longer run everything in the world». Les votes du “stimulus” et de la loi sur les soins de santé n’ont rien de commun avec les initiatives de réforme que Gorbatchev avait déjà lancées en avril 1986, lorsqu’intervint la catastrophe de Tchernobyl.) Pire encore : Obama n’a rien fait, depuis le 20 avril, qui puisse faire penser qu’il profiterait de cette “occasion” pour accélérer ses prétendues “réformes”. Au contraire, il se concentre sur le pilonnage de l’acteur extérieur placé en position de bouc émissaire (BP), sans rien mettre en cause des méthodes et des pratiques qui ont conduit à la catastrophe, directement et indirectement. Toute son action, au contraire, est conformée à l’action de l’establishment et a pour thème qu’en aucune façon la catastrophe ne met en cause le système de l’américanisme. Il s’agit exactement du contraire de l’action que développa Gorbatchev à l’occasion de Tchernobyl, puis ensuite, comme il l’avait déjà entreprise avant.

Par contre, bien entendu, la catastrophe du Golfe met en évidence toutes les tares du système, celles de l’américanisme bien entendu, mais, d’une façon plus générale, celle du système général de notre civilisation. C’est en est au point où la catastrophe est moins perçue comme un “accident” que comme une étape logique dans la mise en cause et la désintégration du système général. Tchernobyl restait dans un cadre strictement soviétique et n’était perçu que comme la mise en évidence de la paralysie et de la vétusté d’un système soviétique spécifique, et les critiques que l’accident justifiait ne mettait absolument pas en cause le système industriel, ou disons plus classiquement selon notre langage, le système du technologisme dans son ensemble. La catastrophe du Golfe, elle, accomplit cet acte, et elle est largement perçue comme une démonstration de l’état catastrophique du système, tant dans son état et dans son organisation, que dans son fonctionnement, que dans ses effets tragiquement destructeurs du monde, que dans son absence complète de sens.

D’une façon plus générale, il faut constater combien la réflexion autour de cette catastrophe en vient rapidement à l’évocation de l’URSS au moment de sa chute, par différents commentateurs. Cela est sans aucun doute spécifique à l’époque et à l’état de crise profonde du système car aucun accident précédent de ce genre, dont certains furent largement de la gravité de celui du Golfe du Mexique, ne suscita une telle démarche critique. (Comme on l’a vu, même Tchernobyl ne fut guère sorti de son contexte soviétique. L’“accident” fut à peine utilisé par les écologistes pour mettre en accusation l’emploi du nucléaire civil, justement à cause de sa spécificité soviétique. ) Nous sommes habitués nous-mêmes à rechercher des analogies de la situation US avec celle de l’URSS au bord de l’explosion, mais c’est un signe important de voir que cette analogie est elle-même dans le domaine public. Il est tout de même plus rare de voir cette analogie poussée jusqu’à la description du système US, équivalent à celui de l’URSS sur sa fin, non pas spécifiquement mais comme représentation la plus caractéristique du système général.

Cette sorte d’analyse nous confirme également que la seule issue possible pour Obama, pour tenter de rompre le cycle infernal du système, et son propre enfermement, est de tenter l’aventure dite de l’“American Gorbatchev”. Là aussi, de plus en plus de commentateurs semblent envisager cette hypothèse, mais, en général, en se méprenant complètement sur le rôle de Gorbatchev, en ignorant son aspect “dissident”, en envisageant un tel rôle pour Obama à l’intérieur des structures classiques du système. Il y a, chez les commentateurs américanistes, une quasi impuissance intellectuelle à mettre en cause les fondements du système. Pour cette raison, il y a vraiment des raisons de plus en plus fortes et de plus en plus assurées pour qu’il n’y ait pas d’“American Gorbatchev”, que les choses soient laissées à la discrétion du système, avec au bout du compte un effondrement totalement incontrôlé, au contraire de celui de l’URSS, et une impossibilité des USA de se régénérer en tant que tels, même avec des amputations, comme l’URSS devenue Russie a tout de même réussi à le faire.


Mis en ligne le 22 juin 2010 à 13H58

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