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2 avril 2006 — Ces derniers jours, cette semaine écoulée, il y eut un déluge d’interventions, de déclarations, de conférences et de discours de dirigeants de la Commission européenne. La tonalité est radicale. La cible favorite est la France, mais l’Espagne, la Pologne et le Luxembourg ont leur part. La cause est le Mal absolu qui s’affirme partout, et qui se nomme : protectionnisme (néo-protectionnisme ou “patriotisme économique”). « Cette offensive est sans précédent, observe une source à la Commission. Le contenu de ces attaques est d’un radicalisme à couper le souffle. A les entendre, on se croirait au bord d’un effondrement ou au bord d’une apocalypse. »
On citera ci-après quelques exemples de ces interventions. Parmi les nouveautés à cet égard, citons d’abord un renfort pour cette offensive, venu de la banque centrale européenne, de son directeur, le Français Jean-Claude Trichet : « Une politique monétaire appropriée est une condition nécessaire pour une croissance durable et des créations d'emplois [...] mais cela n'est pas une condition suffisante en soi. Il y a d'autres conditions qui doivent être remplies, et de toute évidence, si la croissance en Europe n'est pas totalement satisfaisante — ce que nous sommes les premiers à dire - c'est parce que ces autres conditions ne sont pas remplies. L'augmentation nécessaire du potentiel de croissance suppose une mise en oeuvre très active des réformes structurelles. Tout le monde est d'accord: il y a un diagnostic sur lequel tout le monde est d'accord, y compris les gouvernements, et le problème est entièrement la mise en œuvre ».
Parmi les interventions, celle du Président de la Commission Barroso, ainsi décrite : « European Commission President Jose Manuel Barroso said that a recent bout of economic protectionism represented a “threat” to the European Union, and vowed Thursday to combat any attempt to favor national interests in the single market. Energy companies have been at the center of disputes among EU nations in recent weeks, sparking accusations of protectionism against France and Spain for seeking to prevent takeovers of national power companies by rivals from Italy and Germany. “My commission will fight all kinds of economic nationalism,” Barroso said. “I believe economic nationalism is a threat to our European values.” Barroso's comments drew applause from a crowd of politicians at a Rome meeting of the European People's Party. “What we need is a real European force to drive our economy in a globalized world,” he said to an audience that included Silvio Berlusconi and Angela Merkel. “The internal market is not just about economy ... It is also a social and political project.” The issue of protectionism in a supposedly integrated bloc of 25 nations has contributed to an identity crisis for the EU, as it struggles to cope with voter rejection of its draft constitution and dwindling public support for plans to add Turkey and Balkan nations as members. »
Un autre exemple éclairant, l’intervention de Joaquim Almunia, Espagnol, diplômé (notamment mais cela nous fixe la chose) de JFK Business School, actuellement Commissaire européen aux Affaires Économiques et Monétaires. Voici un compte-rendu de son intervention, le 28 mars 2006, à l’École des sciences Politiques, à Paris, qui nous vient de nos sources internes. C’est une attaque en règle contre Jean-Baptiste Colbert, plus dangereux que la grippe aviaire jusqu’à s’imposer aujourd’hui comme le principal adversaire de l’avancement du projet européen.
« Protectionism puts EU centuries back, says Almunia Economic nationalism sweeping the European Union is taking the bloc back to the 17th century in terms of business thinking, the EU's Economic and Monetary Affairs Commissioner Joaquin Almunia said on Tuesday, insisting such policies did not work. In the most outspoken attack from Brussels so far on France's declared policy of “economic patriotism”, Almunia told a conference in Paris that protectionism was a dead end. It gave a false sense of security, he said, comparing it to France's ill-fated Maginot Line of anti-tank defences against a German military invasion built before World War Two. “In France, Spain, Italy, Poland and Luxembourg there are waves of astonishing declarations from this or that minister advocating in the name of mysterious higher national interests that the foreign invader be resisted,” Almunia said at Paris' elite Institute of Political Sciences.
« Colbert more dangerous than bird flu Almunia compared current protectionist moves to the policies of Jean-Baptiste Colbert, minister to French King Louis XIV, the main exponent of the doctrine of mercantilism, which put heavy emphasis on state involvement in commerce and protectionism to boost trade balances. “This return to the principles in fashion in the 17th century can hardly be viewed as a step forward,” Almunia said. He was referring in part to a merger between utilities Gaz de France and Suez engineered by Paris to stop Italy's Enel from buying Suez. Almunia said such policies only hindered the flow of capital and technology, and national champions existed only in the eyes of their own governments. “Policies of defending national champions against foreign investors are therefore senseless in practice,” he said. The Commission is investigating whether the French, Spanish and Polish actions breach EU law, and its president, Jose Manuel Barroso, has spoken out increasingly stridently against what he sees as a backlash against the EU's internal market. But Almunia's lecture was the most direct assault to date on the policies espoused by Dominique de Villepin at the college where the Gaullist politician studied and taught. »
La violence de ces attaques est remarquable et, bien entendu, très inhabituelle. Il y a un air de “guerre”, pas moins, dans ces propos (le « My commission will fight all kinds of economic nationalism » de Barroso, parlant de “sa” Commission comme s’il parlait d’une armée en campagne). Les images sont excessives et éculées. L’attaque d’Almunia contre Colbert, dont la vertu se trouve plus dans le système français qu’il symbolise que dans lui-même, relève de l’approximation historique mise au service de l’idéologie économiste et de l’image approximative de la communication. (Cas de la grippe aviaire : s’agissant de l’époque de Colbert, on aurait pu parler de peste noire.) Ces sempiternels arguments anti-colbertistes, qui sont une invention de publicitaires du langage, font système de sortir le cas de son contexte pour pouvoir mieux exprimer la hargne anti-française générale caractérisant cette sorte de critique. L’Europe ne s’est pas encore relevée de la domination des esprits établie par le “siècle de Louis XIV”, Colbert compris.
[Ils devraient se souvenir, — mais ils le savent bien et là se trouve l’impardonnable, — que le système colbertiste contribua dans sa mesure à l’édification d’une puissance dont l’effet fut, malgré les revers militaires, d’exercer un empire sans exemple par la grâce de ses moyens, sur l’essentiel du monde (l’Europe) au XVIIIème siècle. L’Américain (d’origine française) Jacques Barzun, fondateur aux USA (à Harvard) des études dites d’“Humanité-A” (histoire de la littérature), écrit dans son From Dawn to Decadence, 500 Years of Western Cultural Life, en conclusion de son analyse du “siècle de Louis XIV” (dont Colbert fait partie) : « Louis failed in his try at universal monarchy, but without trying he conquered large territories for French culture and the French language. As remarked earlier, the pressure of politics on intellect seems irresistible; it takes effect, as in this case, even between enemy nations. »]
Cette agitation considérable est une bonne mesure de l’angoisse qui ne cesse de marquer l’humeur européenne depuis le 29 mai 2005. Cette angoisse est devenue panique à mesure que se confirmait la poussée néo-protectionniste en Occident, que ce soit en Europe comme aux États-Unis. Les esprits dirigeants européens commencent à envisager avec horreur des cas où la structure, l’architecture européenne telle qu’elle existe pourrait se briser. D’autre part, les événements connexes, — notamment la politique américaniste avec la crainte désormais bien réelle d’une attaque en Iran, l’instabilité du dollar, les difficiles rapports avec la Russie, — accentuent le pessimisme et la détresse de ces dirigeants européens.
Ils se sont naturellement regroupés dans une attaque contre la France. Il n’y a pas de consigne à cet égard, de plan d’attaque coordonné, etc ; certes, il y a une attaque contre le néo-protectionnisme et la fermeture des frontières, et la France vient presque automatiquement à l’esprit. C’est un réflexe malhabile, parce que la France ne mérite pas tant d’honneur (?). Bien des chiffres le disent (comme les faits montrent que la France n’est pas plus protectionniste, tant s’en faut, que les Etats-Unis ou l’Allemagne).
(Exemple récent, recueilli au coin d’un article cité pour autre chose, celui de Evans Pritchard dans The Telegraph du 28 mars: « The [French] body-language is more hostile than the reality. Some 42pc of shares in the CAC40 blue-chip listings of the Paris bourse are foreign-owned, compared with 33pc for the London's FTSE 100. ». Autre exemple, le constat de l’OCDE, de son Factbook 2006: « La section spéciale du Factbook 2006 consacrée à la “globalisation économique” est d'ailleurs instructive puisqu'elle démontre que la France figure parmi les pays les plus engagés dans ce processus, en dépit des craintes exprimées par ses habitants dans les sondages. Quatrième exportateur mondial de services, la France est également bien placée sur les biens de moyenne et haute technologie. Elle arrive au 4ème rang comme pays d'accueil mais aussi d'origine des investissements directs étrangers. »)
Qu’importe, depuis Colbert la perception est la même, et sans doute renforcée récemment par la grippe aviaire. Mais le résultat est piteux. Il est contraire à celui qu’on recherche. D’une certaine façon, dans tous les cas dans l’esprit de la chose, Richard North a raison : la France a assuré, par son poids central au cœur de l’ensemble, la viabilité du projet européen. Elle a beaucoup donné, si elle n’a pas tout donné. Le résultat des attaques portées contre elle est de renforcer sa conviction déjà affirmée que ce même projet européen est devenu dangereux pour elle, c’est-à-dire de la repousser dans une opposition grandissante. Tout le monde se lamente des obstacles que la France mettrait à l’évolution européenne ; ils n’ont rien vu, ces dirigeants européens, s’ils ne voient pas qu’ils font justement, par leurs lamentations, lever ces obstacles ; qu’ils font croître et se développer, par leurs attaques incessantes, une France véritablement anti-européenne. Là encore, le raisonnement de North est à considérer.
Mais la panique ne se raisonne pas. La panique actuelle des dirigeants européens est en vérité un effet direct de la situation générale, pas de la vilenie colbertiste de la France. Le “French-bashing” en est un réflexe de type pavlovien, une illustration confondante de la tyrannie du conformisme. La situation est hors de contrôle. Il n’est pas sûr qu’il faille s’en plaindre.
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