Nouvelle phase

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Nouvelle phase


23 juillet 2002 — Les Américains vont-ils paniquer ? Mais ne paniquent-ils pas déjà ? On parle, bien entendu, de la baisse de Wall Street consécutive à la crise du capitalisme américain. Dans tous les cas, on prend des mesures sérieuses : annonces publicitaires à la télévision, ce week-end, intervention du président du NYSE (New York Stock Exchange), annonçant des temps difficiles et demandant aux Américains de prendre patience et de garder leur calme. Richard Grasso a aussi énoncé quelques banalités, comme la promesse que les “mauvais dirigeants d'entreprise”, tels que les a révélés la crise, doivent être punis.

Tout se passe comme si nous entrions dans une deuxième phase de la crise. Les interventions “providentielles” (GW deux fois, Alan Greenspan), provenant du monde de la direction politico-financières, n'ont donné aucun effet. On passe maintenant aux techniciens, aux gestionnaires et aux commentateurs extérieurs de la crise. C'est un aveu d'échec significatif pour l'establishment, qui s'avère incapable de maîtriser cette grave turbulence, tandis qu'aucune personnalité, au sein de l'administration GW, ne paraît capable de tenir le rôle que Robert Rubin (vice secrétaire puis secrétaire au trésor de l'administration Clinton) tint dans les années 1990, de porte-parole de l'administration face aux difficultés financières et économiques.

Actuellement, dans les commentaires et les orientations vis-à-vis de la crise, on peut observer deux choses :

• D'une part, une tentative de séparer la question du marché boursier de la question de l'économie. C'est-à-dire : si Wall Street va mal, l'économie US va bien. C'est, par exemple, l'argument de Alan S. Blinder, dans le New York Times du 21 juillet. Il faut noter que cet argument, s'il est en partie fondé, était dédaigneusement rejeté à la fin des années 1990, lorsque Wall Street battait des records. Même si cette exubérance était parfois jugée exagérée, elle n'en était pas moins désignée comme le signe évident de la formidable santé de l'économie américaine.

• D'autre part, limiter les dégâts que commence à occasionner cette crise à l'extérieur, notamment pour le statut de superpuissance des États-Unis. On trouve cette idée dans l'article de David E. Sanger, du 21 juillet dans le New York Times, sur « The Global Cost of Crony Capitalism ».

Ce sont les manoeuvres et les arguments habituels. On observera que l'argument de séparer l'économie de la crise boursière fut celui de l'administration Hoover tout au long de la dizaine de mois qui suivit le Black Thursday d'octobre 1929, jusqu'à ce que s'installe la crise économique et sociale, la Grande Dépression elle-même. Cette remarque est moins une prévision que le constat que rien n'a beaucoup changé dans les attitudes des uns et des autres. Si la crise de confiance entraînée par la crise de Wall Street s'avère plus grave que ne l'apprécient les commentateurs, nous aurons la crise économique. Comme en 1929-33, comme dans toutes les autres occasions, c'est effectivement la psychologie qui règle tout, dans le bon ou le mauvais sens, et les explications techniques n'ont guère d'utilité sinon celle, assez douteuse, de rassurer sur le moment ceux qui les développent.

Mais au-dessus de tout cela, il y a ce constat général, qui est le plus inquiétant : le désintérêt de l'administration pour cette crise, après les tentatives avortées de GW. (On voit bien, dans les arguments de défense contre l'interprétation de la crise, cités plus haut, qu'il s'agit d'initiatives non gouvernementales.) La cause du désintérêt de l'administration est double :

• l'obsession pour la guerre contre le terrorisme (et la super-obsession de l'attaque contre l'Irak) conduit à négliger toutes les autres sources de problèmes ;

• la croyance, forte chez beaucoup de dirigeants dans l'administration, dans un complet “laisser-faire”, qui implique que le marché se purgera de lui-même et résoudra de lui-même sa crise (attitude également proche de celle de Hoover en 1929-32).

Cette administration a une très forte tendance non-interventionniste lorsqu'il s'agit de corriger les pratiques économiques (pas pour les aides, certes, qui ne manquent pas, directes et indirectes). Le seul interventionnisme quasiment structurel que conçoit l'équipe GW, c'est l'interventionnisme militaire. On ne sait s'il s'agit d'une crise grave qui est en train de se préparer aux USA avec les remous de Wall Street, mais on constate au moins, et une fois de plus, combien la direction est préoccupée de vivre dans son propre monde qui n'est pas celui qui nous est commun.