Nouvelles de l’“état de siège” de La Nouvelle Orléans

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Cette époque de la communication intensive en tous points, donc de la surinformation, est celle de la “mésinformation” plus que de la désinformation. Il y a un mouvement automatique ordonné par le conformisme qui est la marque principale de l’esprit du temps, qui rassemble la masse d’informations sur quelques sujets et laisse les autres d’autant plus à l’ombre, jusqu’à ne plus paraître exister, qu’ils furent dans le passé, à leur tour, en pleine lumière. Le résultat est une information mécaniquement et systématiquement faussée, qui nous met constamment sous la menace d'un état de “mésinformation”. Dans un article sur le sujet, Information, surinformation, mésinformation, – Quand la surabondance crée la redondance, le 2 avril 2006, François-Bernard Huyghe citait une étude statistique significative montrant cette tendance:

«Un récent travail de l’Université de Columbia “The state of the news media 2006” démontre par exemple qu’en une journée Google News offre aux internautes 14.000 articles, mais qu’ils recouvrent en réalité 24 sujets.»

Nous sommes tous victimes de cet état de la communication, et contre cela il importe simplement de connaître l'existence de ce phénomène, – c’est-à-dire de n’avoir aucune certitude de saisir dans ses mains et dans sa pensée l’état du monde grâce à la communication, – c’est-à-dire être prêt, à tout moment, à une surprise que vous jugiez l'instant d'avant si improbable qu’elle aurait été proche de l’impossibilité. Cette nécessité d’être surpris, nous l’avons éprouvée aujourd’hui à la lecture de cet article d’Associated Presse, du 27 février 2009, sur le départ annoncé, ce week-end, des dernières forces de la Garde Nationale (de Louisiane dans ce cas) de La Nouvelle Orléans. Ce n’est pas ce départ en soi qui nous surprend le plus, mais d’apprendre que La Nouvelle Orléans est, trois ans et demi après Katrina, toujours dans une situation qu’on peut qualifier d’“état de siège” puisque sous le contrôle partiel de forces armées, – et cela, après un premier départ de ces forces en janvier 2006 et un retour précipité, cinq mois plus tard, à cause de l’insécurité. Qui plus est, la Garde Nationale s’en va non parce que la situation y invite, mais pour des raisons budgétaires; elle laisse derrière elle “une ville désespérée et dangereuse”, – trois ans et demi après. («“I don't think the city is ready for us to leave,” said Lt. Ronald Brown, who has been part of Task Force Gator since April 2007. “I'd like to see us stay. I think we make a difference, but I guess it's a money thing.”»)

Notre ignorance de la chose mesure effectivement le phénomène de mésinformation, par défaut simplement, à cause de la mécanique automatique de la communication qui court d’un sujet à l’autre, selon la notoriété, l’effet, la dispersion de l’attention, les lois du marché, le conformisme de l'esprit.

«Three and a half years after Hurricane Katrina, the National Guard is pulling the last of its troops out of La Nouvelle Orléans this weekend, leaving behind a city still desperate and dangerous. Residents long distrustful of the city's police force are worried they will have to fend for themselves. “I don't know if crime will go up after these guys leave. But I know a lot more of us will be packing our own pieces now to make sure we're protected,” said Calvin Stewart, owner of a restaurant and store. […]

»The National Guardsmen were welcomed as liberators when they arrived in force in a big convoy more than four days after Katrina struck New Orleans in August 2005 and plunged the city into anarchy. The force was eventually 15,000 strong. The last of the troops were removed in January 2006 as civil authority returned, but then, after a surge in bloodshed, 360 were sent back in beginning in mid-2006 to help police keep order. As of February, only about 100 troops were left in the city.

»With Louisiana facing a $341 million budget deficit, state lawmakers were reluctant to keep the Guard in place any longer. […]

«The Guardsmen answered lots of calls involving domestic violence, reported to be up in New Orleans since the hurricane, and handled car wrecks, house and business alarms and other problems. “One of the biggest things we did was keep those places safe so people could rebuild,” said Sgt. Wayne Lewis, a New Orleans native who has been patrolling the streets since January 2007. “People would put the things to rebuild in their houses and thieves would come along and take them right out again. We stopped a lot of that.”

»New Orleans had 210 murders in 2007, making it the murder capital of America, with the highest per-capita rate in the country. That number dropped to 179 in 2008. Nevertheless, “crime continues to be this community's No. 1 concern. Even with the lower numbers it is still unacceptably high,” said Rafael Goyeneche, executive director of the Metropolitan Crime Commission.

»Before the hurricane, the police force had more than 1,600 officers. But its ranks were reduced after the storm by more than 30 percent because of desertions, dismissals, retirements and suicides. (New Orleans has only about 70 percent of its pre-Katrina population of 455,000.)»

Après avoir signalé les circonstances de la communication qui font de ce reportage un exemple a contrario de notre “mésinformation”, puisque nous découvrons le destin de La Nouvelle Orléans depuis Katrina après l’avoir complètement oublié, penchons-nous sur ce destin. C’est pour dire aussitôt que la description et le rapide historique de la situation après la catastrophe sont absolument stupéfiants. Cette ville de 455.000 habitants, totalement dévastées, secourue d’une façon anarchique avec un retard extraordinaire, dans des conditions extrêmement douteuses, dont la reconstruction selon la ligne darwinienne du suprématisme américaniste devait être un modèle d’efficacité américaniste après cette rude leçon sur l’incompétence également américaniste devant une catastrophe, se révèle comme un modèle de “laisser-faire” (l’idéologie est partout) également américaniste, par conséquent un naufrage assez long dans l’anarchie d’une zone de non-droit. Ce comportement nous en dit bien plus long que tant d’analyses et d’enquête sur la vertigineuse incompétence et l’impuissance désormais substantielle de ce système. On ne peut tirer d’autre conclusion que celle d’une pourriture entropique comme sa principale caractéristique. Un rapport annonçait, en janvier 2006: «If the future city were limited to the population previously living in zones undamaged by Katrina it would risk losing about 50% of its white residents, but more than 80% of its black population. This is why the continuing question about the hurricane is this: whose city will be rebuilt?» Ces craintes sur la reconstruction de La Nouvelle Orléans comme ville débarrassée d’une partie de sa population noire semblent largement dépassées par le constat qu’on peut faire aujourd’hui. Le système ne paraît même plus capable de mener à bien ses projets de reconstruction selon les principes de nettoyage ethnique qu’on lui avait prêtés.

La situation de La Nouvelle Orléans suggère un élément nouveau aux analyses prévoyant une instabilité globale due à la crise générale, particulièrement dans les pays du Tiers-Monde. (Voir l’excellente analyse de Michael Klare, le 25 février sur TomDispatch.com.) Il faudrait y ajouter les situations d’instabilité chronique qu'on ne parvient pas à contrôler au coeur des pays développés, suite à des circonstances diverses, et cela particulièrement dans le cœur de la lumière de nos pensées, – les USA eux-mêmes. Il faut noter que la situation de La Nouvelle Orléans et ou sera affectée par la crise générale, puisque le retrait de la Garde a comme cause principale l’état des finances de l’Etat de Louisiane, consécutif à cette crise.


Mis en ligne le 28 février 2009 à 12H28