NSA (et GCHQ) : Poitras-Spiegel prennent le relais

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NSA (et GCHQ) : Poitras-Spiegel prennent le relais

Il faut accorder sans aucun doute à l’équipe antiSystème Snowden-Greenwald, maintenant équipe complètement intégrée Snowden-Greenwald-Poitras, – ce qui forme le “réseau antiSystème Snowden” en général, – un sens remarquable de l’adaptation tactique aux circonstances. La dernière fuite directe et “officielle” du fonds Snowden est en effet le fait du Spiegel, de la plume de Laura Poitras, et dirigée sans la moindre ambiguïté contre le GCHQ, appendice britannique de la NSA au point qu’il est assez injustifié de faire une différence.

C’est à la fois une adaptation à des circonstances de transition et à une contre-attaque du Système de cette structure antiSystème qui s’est constituée au cœur de la crise Snowden/NSA. Plusieurs points sont donc à mettre en évidence.

• Il s’agit donc, si l’on ose dire, d’une “fuite officielle” du fonds Snowden, c’est-à-dire d’une fuite “directe” et de “première catégorie”, la plus authentique et la plus authentifiée, du fonds Snowden. L’avalanche diluvienne des fuites Snowden est telle qu’on est conduit à établir cette hiérarchie entre le matériel authentique et directement récupéré du fonds Snowden, que nous identifions joyeusement avec le quasi-oxymore de l’expression “fuite officielle” portant l’estampille Snowden qui fait tout son prestige. En effet, depuis août-septembre a grandi un courant de “fuites secondaires”, soit provenant indirectement du fonds Snowden par des canaux mystérieux, soit suscité indépendamment par la crise Snowden/NSA sur le même sujet d’attaque antiSystème mais effectué par des sources autres que Snowden. Il y a une sorte d'institutionnalisation et de structuration quasi-officielles de l'exploitation du fonds Snowden, qui font du réseau antiSystème Snowden une sorte d'acteur à part entière, presque “officiel” après tout, effectivement institutionnalisé.

• C’est le Spiegel allemand qui assure cette fuite (voir le 11 novembre 2013) et détaille le réseau de pénétration de LinkedIn par le GCHQ britannique. La “fuite” est moins spectaculaire que celles qui ont construit le crédit de communication du réseau antiSystème, mais bien aussi importante parce qu’elle affecte des communications essentiellement du type des échanges du Globalized Business, ou Globalized Corporate Power. Ce sont notamment les communications des pays de l’OPEP qui sont concernées ; cela touche un point sensible et puissant du Globalized Corporate Power et justifie les alarmes qui se multiplient au Royaume-Uni concernant l’effondrement du crédit de réputation, du point de vue sécuritaire privé, de ce pays qui se veut une plaque tournante de la dimension économique et financière du Système. Certains experts jugent que ces révélations (celles du Spiegel et les précédentes) vont coûter très cher à la position britannique dans ce domaine. Russia Today donne, ce 11 novembre 2013, un résumé de cette intervention de l’équipe Poitras-Spiegel.

«The UK’s electronic spying agency has been using spoof version of LinkedIn professional social network's website to target global roaming data exchange companies as well as top management employees in the OPEC oil cartel, according to Der Spiegel report. The Government Communications Headquarters has implemented a technique known as Quantum Insert, placing its servers in strategic spots where they could intercept and redirect target traffic to a fake website faster than the legitimate service could respond.

»A similar technique was used earlier this year to inject malware into the systems of BICS, a subsidiary of Belgian state-owned telecommunications company Belgacom, which is another major GRX provider. In the Belgacom scandal first it was unclear where the attacks were coming from. Then documents from Snowden’s collection revealed that the surveillance attack probably emanated from the British GCHQ – and that British intelligence had palmed off spyware on several Belgacom employees. [...]

»Now it turns out the GCHQ was also targeting networking, maintenance and security personnel of another two companies, Comfone and Mach, according to new leaks published in the German magazine by Laura Poitras, one of few journalists believed to have access to all documents stolen by Snowden from the NSA. Through Quantum Insert method, GCHQ has managed to infiltrate the systems of targeted Mach employees and successfully procured detailed knowledge of the company’s communications infrastructure, business, and personal information of several important figures. A spokesman for ‘Starhome Mach’, a Mach-successor company, said it would launch “a comprehensive safety inspection with immediate effect.”

»The Organisation of Petroleum Exporting Countries was yet another target of the Quantum Insert attack, according to the report. According to a leaked document, it was in 2010 that GCHQ managed to infiltrate the computers of nine OPEC employees. The spying agency reportedly succeeded in penetrating the operating space of the OPEC Secretary-General and also managed to spy the on Saudi Arabian OPEC governor, the report suggests.

• On observe ainsi que cette équipe Poitras-Spiegel, intervient à un moment crucial pour le réseau antiSystème Snowden, – mise en retrait temporaire de Greenwald qui organise son nouveau média (voir le 1er novembre 2013), attaque sérieuse contre le Guardian à Londres (voir le 8 novembre 2013) ; elle apparaît, et ceci expliquant évidemment cela, comme une combinaison de remplacement de la combinaison initiale Greenwald-Guardian. Bien entendu, c’est une circonstance temporaire, notamment pour Greenwald qui va revenir rapidement sur le devant de la scène, mais c’est une circonstance qui montre bien le sens tactique de l’adaptation aux circonstance du réseau antiSystème Snowden. On doit désormais identifier ce réseau antiSystème Snowden, du point de vue de la communication et de la perception qu’il suscite, comme Snowden-Greenwald-Poitras plutôt que Snowden-Greenwald. La cinéaste Laura Poitras est désormais au premier rang avec Greenwald, du point de vue de la perception encore (dans la vérité de l’historique de la crise, Poitras a joué un rôle fondamental, plus important que celui de Greenwald au tout début de l’organisation de la crise Snowden/NSA).

• Qu’on trouve le Spiegel au premier rang n’est pas nouveau (c’est l’un des deux supports, avec le Guardian, du choix initial de diffusion du fonds Snowden), mais c’est un fait nouveau de communication dans ces circonstances et la perception qu’on en a se chargera de l’établir. Le Guardian, et notamment son directeur de la rédaction Alan Rusbridger, sont aujourd’hui plutôt sur la réserve, dans tous les cas sur la défensive même si cette défensive est pugnace, notamment parce qu’il sont l’objet d’attaques très puissantes, voire menaçantes de la part du Système au Royaume-Uni, aussi bien du gouvernement que des parlementaires, que des services de sécurité (MI5, MI6, GCHQ). Le Guardian, qui était incontestablement le “meneur” dans la diffusion du fonds Snowden, devra donc avoir nécessairement une position plus modérée et plus en retrait, d’autant plus bien sûr que Greenwald le quitte. C’est donc le Spiegel qui prend le relais, et qui représente désormais le diffuseur n°1 du fonds Snowden, disons le diffuseur “le plus officiel”... (Les médias US qui suivent le fonds Snowden, notamment le Washington Post et le New York Times, ont eu une attitude plus ambiguë au départ et ne peuvent être considérés comme étant “de première catégorie” parmi les porteurs de fuites. D’autre part, ils se concentrent surtout sur des fuites concernant les USA et le marché intérieur.)

• Ce qui est notable également, depuis quelques temps et spécifiquement avec cette fuite du Spiegel, c’est que le GCHQ britannique devient une cible prioritaire du réseau antiSystème Snowden, presque à égalité avec la NSA. Dans le cas de cette parution du Spiegel, c’est l’évidence. Cela constitue une riposte de ce même réseau après le déploiement du durcissement et de l’activisme très forts du Royaume-Uni et du GCHQ face à la crise Snowden/NSA. On sait que le Royaume-Uni est aujourd’hui un pays complètement happé par une obsession sécuritaire qui est sans équivalent en Europe, et même plus accentuée qu’aux USA où les attaques officielles contre la presse en général sont contenues par un système juridique sérieux ; la contre-offensive du Système dans la crise Snowden/NSA y a donc été très appuyée ces dernières semaines, comme on l’a vu dans le cas du Guardian. Le GCHQ devient ainsi un objectif au moins aussi prioritaire que la NSA, dans le chef du réseau antiSystème Snowden. On doit s’attendre à d’autres révélations, et éventuellement certaines révélations touchant le personnel politique si le choix de la diffusion du fonds Snowden prenait une dimension plus politique et non plus exclusivement technique, à la suite de la forme des attaques britanniques contre le réseau antiSystème.

• Circonstance ironique et révélatrice à la fois ... Après le Royaume-Uni et Greenwald-Guardian qui ont mené l’attaque pendant quatre mois, l’Allemagne avec Poitras-Spiegel, et cela après les révélations concernant les écoutes de Merkel, tend à devenir le centre antiSystème d’accueil et d’asile dans la crise Snowden/NSA, et la base fondamentale antiSystème dans cette affaire. (On a vu [le 7 novembre 2013], à propos du “retour” de la journaliste Sarah Harrison de Moscou à Berlin, cette observation que Berlin tend à devenir la base des “exilés” antiSystème du domaine informatique du système de la communication : «[...L]a Britannique Sarah Harrison, journaliste et collaboratrice de WikiLeaks, qui a accompagné Edward Snowden depuis le 23 juin, a quitté Moscou, jugeant sans doute sa mission remplie. On se serait attendu à ce qu’elle regagne son pays, mais son avocat le lui a déconseillé, jugeant qu’elle n’y serait pas en sécurité. Le Guardian du 7 novembre 2013 signale qu’elle a rejoint d’autres “exilés” à Berlin. L’axe de l’asile politique est donc aujourd’hui Moscou-Berlin, face à l’anglosaxonisme, défenseur de la liberté. “...Harrison joins a growing group of journalists and activists who were involved in the publication of Snowden's files and are now living in the German capital ‘in effective exile’, including Laura Poitras and Jacob Applebaum.”»)

“Circonstance ironique et révélatrice à la fois”, parce que le Royaume-Uni et l’Allemagne sont les deux pays les plus complètement inféodés structurellement aux réseaux US du temps de la Guerre froide (même si la France pédale dur pour rejoindre ce peloton de tête...). A la maxime “avec des amis comme ça” désignant les USA pour les pays européens, répondra celle-ci, fabriquée pour la cause, que “les plus vassalisés sont les plus féroces dès que le maître s’affaiblit”. Ce sont ces deux pays qui constituent donc les bases de l’attaque antiSystème, mais avec l’Allemagne désormais dans une position de maîtrise parce qu’elle est comptable d’un système très décentralisé, avec une structure juridique puissante, une place importante faite au respect des libertés civiques et politiques, et un sens allemand discipliné et insistant de leur respect, – aussi discipliné et insistant pour l'application des lois sur les droits civiques que pour constituer une Wehrmacht, selon l'humeur du temps.

De ce dernier point et de cette nouvelle géographie antiSystème dans la crise Snowden/NSA, ainsi que des diverses remarques précédentes, on tirera deux enseignements importants.

1). La crise est ressentie d’une façon vraiment très importante en Allemagne, et les liens avec les USA en souffrent et en souffriront d’autant. Le courant général, chez les experts qui reflètent le sentiment des directions politiques, est de dire aujourd’hui que les liens entre les USA et l’Allemagne sont substantiellement réduits et corrompus par cette affaire. Quoi qu’il en soit de la réalité de la chose, cette perception est elle-même un facteur non négligeable de dégradation de ces liens entre les USA et l’Allemagne.

2) La crise Snowden/NSA a pris une dimension intra-européenne fort sympathique. Si le Royaume-Uni a eu une attitude antiSystème en pointe avec Greenwald-Guardian, le Système a durement réagi comme on l’a vu. Les contre-attaques du réseau antiSystème ont pris pour cible aussi bien le GCHQ que la NSA, et révélé des incursions d’espionnage directes du GCHQ en Allemagne. Par conséquent, les relations entre l’Allemagne et le Royaume-Uni ne sont pas au meilleur d’elles-mêmes et ne vont pas s’améliorer, par exemple avec les révélations de l’équipe Poitras-Spiegel d’hier. On pourrait avancer que c’est avec un certain plaisir caché que les Merkel & Cie lisent les révélations anti-GCHQ qui fleurissent, notamment dans le Spiegel. Ils n’ont rien à redire à la chose, du point de vue de la sécurité nationale, contrairement à Cameron par rapport au Guardian. Ce sont des circonstances qui, avec tant d’hybris répartis entre ces divers nains mis dans les directions politiques par le Système, alimentent les querelles, les antagonismes, voire les haines à peine rentrées, – surtout entre pays européens, bien entendu, dont le rapprochement au sein de l’UE semble aussi bien un bon moyen d’exprimer ces mésententes, voire de les exacerber, sans prendre trop de risques ni de responsabilité.


Mis en ligne le 12 novembre 2013 à 04H31