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1228On sait que l’un des axes principaux de la pensée stratégique de Barack Obama, c’est la réduction des arsenaux nucléaires, avec comme but théorique (utopique, diront certains), la disparition de la chose nucléaire. Il semble même que ce soit cette intention qui soit l’une des causes de l’étrange Prix Nobel de la Paix qu’il a reçu en 2009. Jusqu’ici, on avait fort peu d’échos précis des réactions du Pentagone et du Complexe Militaro-Industriel (CMI) à cette intention. C’est désormais chose faite, avec cet article fourni du Los Angeles Times du 4 janvier 2010.
L’article nous dit bien entendu qu’il y a de très fortes résistances, et qu’elles ont déjà fortement interféré sur les projets immédiats d’Obama.
«President Obama's ambitious plan to begin phasing out nuclear weapons has run up against powerful resistance from officials in the Pentagon and other U.S. agencies, posing a threat to one of his most important foreign policy initiatives.
»Obama laid out his vision of a nuclear-free world in a speech in Prague, Czech Republic, last April, pledging that the U.S. would take dramatic steps to lead the way. Nine months later, the administration is locked in internal debate over a top-secret policy blueprint for shrinking the U.S. nuclear arsenal and reducing the role of such weapons in America's military strategy and foreign policy.
»Officials in the Pentagon and elsewhere have pushed back against Obama administration proposals to cut the number of weapons and narrow their mission, according to U.S. officials and outsiders who have been briefed on the process. In turn, White House officials, unhappy with early Pentagon-led drafts of the blueprint known as the Nuclear Posture Review, have stepped up their involvement in the deliberations and ordered that the document reflect Obama's preference for sweeping change, according to the U.S. officials and others, who described discussions on condition of anonymity because of their sensitivity and secrecy.»
Cette résistance s’est concrétisée dans plusieurs domaines, où des positions bureaucratiques concrètes se manifestent et où des débats sont en cours à Washington. Le Pentagone cherche et trouve des soutiens actifs de sa position au Congrès.
• La question de l’“usage en premier” (“no first use”) du nucléaire, y compris en mode préventif comme l’administration Bush l’a institué en 2002. L’administration Obama voudrait au moins introduire des restrictions majeures (“usage en premier” seulement si l’existence des USA est en jeu).
• La question du déploiement d’un certain nombre de têtes nucléaires tactiques en Europe (autour de 200), dont le retrait est envisagé par l’administration Obama et contre lequel s’oppose une fraction importante de la bureaucratie du Pentagone. C’est une question importante à cause des implications politiques (l’Allemagne réclame le retrait des têtes nucléaires US entreposées sur son territoire). On en reparlera sans doute, et dans un mode transatlantique peu amène.
• La question des négociations stratégiques (SALT-II) avec la Russie, lesquelles négociations se sont heurtées ces dernières semaines à des obstacles nouveaux. Jusqu’ici on analysait cette situation comme celle d’un désaccord entre Russes et Américains. Il semble désormais qu’il faille envisager l’hypothèse que la cause principale de ces difficultés se trouve dans les désaccords existant à Washington même, entre le Pentagone et Obama. Cette nouvelle appréciation de la situation fait penser que la question de la ratification de cet éventuel traité SALT-II par le Sénat serait peut-être plus difficile encore que les négociations avec la Russie, avec possibilité d’une crise de plus pour l’administration Obama.
On observera combien ces nouvelles renforcent l’analogie BHO-Nixon dont nous parlions le 28 décembre 2009. Cette analogie portait sur les rapports de Nixon avec le CMI, avec d’un côté le “président de guerre” et sa guerre au Vietnam que soutenaient les militaires, de l’autre le président cherchant des arrangements stratégiques de limitation des armements nucléaires avec l’URSS, que n'aimaient guère les militaires. La situation avait conduit à une attaque bureaucratique contre Nixon (selon la thèse largement acceptable du livre The Silent Coup), de la part des chefs militaires, le complot bureaucratique aboutissant au Watergate et à la chute de Nixon.
La position d’Obama est de plus en plus similaire à celle de Nixon. Le mécontentement des militaires et du CMI vis-à-vis de sa politique nucléaire semble grandir, jusqu’à devenir l’élément central de l’attitude de ce même CMI vis-à-vis du président, comme ce fut le cas avec Nixon. Les engagements d’Obama en Afghanistan, voire au Yémen, ne changeraient pas grand’chose à cette évolution, comme l’engagement de Nixon au Vietnam. C’est la position habituelle du CMI, avec toute sa puissance, aujourd’hui plus que jamais avec cette puissance qui n’a jamais été plus grande mais qui n’a jamais non plus été autant menacée par l’incompétence exceptionnelle qui marque sa gestion et son usage. Lorsque le président rencontre les vœux du CMI dans un domaine (Afghanistan, Yémen), le CMI est simplement conduit à renchérir sur d’autres exigences et nullement à accepter de céder en contrepartie dans d’autres domaines (le stratégique/le nucléaire). En toute logique de la situation ainsi exposée, cette opposition du CMI à Obama devrait se durcir, et les difficultés du président, par ailleurs embourbé dans les guerres qu’ils lancent ou qu’ils relancent, rendant d’autant plus difficile une activité efficace contre ce même CMI.
Cette documentation précise de la résistance du Pentagone et du CMI à la politique nucléaire d’Obama est une importante nouvelle. Elle nous indique que l’administration Obama est désormais entrée dans une zone de confrontation directe avec la plus grande puissance centrale du système de l’américanisme. La question est de savoir quelle est la capacité de résistance d’Obama à tenir une position dont on affirme par ailleurs qu’elle est essentielle dans sa pensée politique – qu’elle est même la seule conviction profonde qu’on y trouve. Si Obama résiste et veut effectivement imposer des mesures significatives, l’affrontement peut devenir effectivement une crise importante et significative, peut-être la crise centrale de son gouvernement. L’on comprend aussitôt combien, dans ce cas, l’analogie entre lui et Nixon est plus que jamais valable, et, bien entendu, répétons-le avec force, dans des conditions infiniment plus graves qu’en 1972-1974, avec les USA dans une position stratégique et une situation interne extrêmement tendues. Dans cette perspective, une épreuve de force directe – et non plus par manœuvres et complots bureaucratiques interposés comme dans le cas du Watergate – devient une réelle possibilité.
Mis en ligne le 5 janvier 2010 à 05H25