Obama de plus en plus FDR, – a moins que ce ne soit Gorbatchev?

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Le President-elect s’installe comme un président en fonction, au moins en paroles. S’il affirme qu’il n’y a “qu’un seul président à la fois”, Obama agit, au niveau de la communication, comme s’il était effectivement ce “seul président à la fois”. De quel président parle-t-on, d’ailleurs? Obama, estiment certains, agit de plus en plus comme le fit FDR (Roosevelt) immédiatement après sa prise de fonction. Il “communique”…

Effectivement, certains découvrent ce que nous rappelons régulièrement, que l’action de FDR contre la Grande Dépression fut d’abord psychologique, de communication. Cela est si évident pour nous que nous avons tendance à distinguer la période en deux événements différents, ou deux interprétations corrélées et complémentaires du même événement; il s’agit de l’aspect économique de la Grande Dépression et de la tragédie historique que fut la Grande Dépression. (Et c’est dans cette deuxième interprétation que nous plaçons l’action psychologique de FDR.)

Le vénérable commentateur du Times, William Rees-Mogg, qui fêta ses 80 ans récemment et a donc vécu sa prime jeunesse au rythme de la Grande Dépression (mais au Royaume-Uni), consacre sa chronique d’aujourd’hui à cette convergence Obama-FDR. Il rappelle les conditions de l’arrivée au pouvoir de FDR, sa lutte contre la Grande Dépression; il fait la part un peu trop belle au New Deal, en rappelant que le chômage était tombé à 5% en 1936-37 mais en oubliant de rappeler qu’il approchait à nouveau les 15% en 1939 et que le sort de l’Amérique aurait été bien incertain s’il n’y avait eu la guerre; surtout, il rappelle effectivement la bataille psychologique que Roosevelt livra, – et gagna, indubitablement. Rees-Mogg compare l’action présente d’Obama à celle de FDR et lui trouve sans aucun doute des ressemblances. Il nous apporte des précisions intéressantes car il semble bien qu’Obama utilise de façon systématique les moyens électroniques qu’il a à sa disposition, outre ses interventions devant la presse. Obama a d’ores et déjà établi un contact régulier avec le public américain, sur la base d’interventions hebdomadaires, comme Roosevelt lui-même le fit avec ses “causeries au coin du feu”.

«Roosevelt developed the idea of “fireside chats”, when he used the radio to talk to the American public in their homes. On March 12, 1933, shortly after his inauguration, President Roosevelt had an audience of 60 million Americans who listened as he explained his proposed banking Bill and discussed the banking crisis.

»President-elect Obama will not have to rely on radio and he does not call his addresses to the nation “fireside chats” – he calls them webcasts, which sounds a good deal less cosy. But their function is the same; Mr Obama is creating a close personal relationship with the American people which allows him to promote his own policies, and particularly his policies to fight the 2008 depression.

»In last week's webcast, Barack Obama discussed the rise in unemployment with the American people. It turns out that he is not only going to have his own “fireside chats”, but he is going to introduce his own New Deal. He is advocating the largest investment in the American infrastructure since the great road-building programme of the 1950s. He is going to modernise the whole American schools system. He is going to rescue the automobile industry, which desperately needs to be rescued.

»The big figure is reserved for employment. Last week President Obama committed himself to a programme that would create 2.5 million new jobs, divided between the public and the private sector, through investment in the national infrastructure.

»Questions need to be asked. Will this public works programme turn around the recession? Will it come in time? School building, even road and bridge building, take years to plan and years to construct. What will this do for the federal budget? In the last 20 years the record of Japan has not been encouraging. Spending on public works can produce an increase in debt disproportionate to the increase in jobs.

»There are bound to be many disappointments. The world depression has so far resisted most of the efforts that have been made to rebuild optimism. The Bush Administration itself is likely to go down in history as the cause of an unpopular war and even more unpopular depression. President-elect Obama has the record of President Bush to help him to win in 2012.

»The first reaction of many governments to the present global recession was to get out their chequebooks. That may have rescued many of the banks, but it did not prevent the recession getting worse, and it did not stop unemployment rising. President Obama's New Deal is operating against powerful forces of deflation. Yet his fireside webcasts are creating a new relationship between a president and the people. That is his real power.»

La thèse générale de Rees-Mogg est acceptable, avec sa conclusion qu’une “nouvelle relation entre un président et le peuple” est “le réel pouvoir”. Cette formule populiste qui ne dit pas son nom est la formule évidente, la recette en temps de crise, quand la crise est si évidemment provoquée par les abus divers et variés d’une élite absolument irresponsable, à la tête d’un système dont la perversité avérée accroît toutes les raisons possibles de la colère populaire. Ainsi va la chose en théorie.

Reste la pratique. Nous avons souvent mis en évidence dans l’historique du “coup de force” de communication de Roosevelt, l’extraordinaire importance du choc, de la rupture que constitua son intervention du 5 mars 1933 (son entrée en fonction), précédée d’un long silence de sa part (quatre mois et demi entre son élection et le 5 mars), la période également marquée par une effrayante plongée dans la dépression au pire de sa situation. Ce qui fit la puissance de l’intervention de FDR encore grandie par l’effondrement des mois précédents, c’est l’effet de rupture, le choc de cette intervention dans le cours d’un effondrement catastrophique, semblant justement rompre ce cours. La description que fait Rees-Mogg, qui correspond évidemment à la réalité, est qu’Obama parle en même temps que la situation se dégrade, sans provoquer de mieux, mais, au contraire, en annonçant, d’ailleurs justement et honnêtement, que les choses vont encore aller de pire en pire avant de se redresser. Sa position dialectique est complètement différente, presque inverse, de celle de Roosevelt, et l’effet psychologique doit l’être également, – dans le mauvais sens pour Obama.

Il n’empêche… Ce que nous précise Rees-Mogg sur l’activisme d’Obama au niveau électronique est intéressant, – d’autant que cela rappelle bien sûr l’idée du “gorbatchévisme électronique”. Ces diverses indications, en plus de ce qu’on peut observer en général, nous montrent qu’Obama est effectivement de plus en plus engagé dans la voie rooseveltienne. Notre appréciation à ce point est que cela ne suffira pas à renverser une tendance de plus en plus noire. Les dernières prévisions, selon l’Observer le 7 décembre, font état de la possibilité terrible d’une perte d’un million d’emplois par mois dans les mois qui viennent, et cela à cause de dispositions prises par les entreprises aux USA, qui commencent à paniquer et à envisager des licenciements qui rejoignent effectivement les mêmes niveaux terribles de 1932-1933…

«But Graham Turner, of consultancy GFC Economics, says the rising cost of corporate debt is now flashing a red warning signal that far worse is to come over the next few months and job losses are heading for levels last seen in the 1930s Great Depression. Corporate bond yields have rocketed since the credit crisis began as investors flee risky assets in search of safe havens such as US Treasuries. That effectively means many firms are being forced to pay eye-watering interest rates to borrow funds.

»Turner says when the gap between the yield on high-risk company bonds and US Treasuries widens sharply, unemployment tends to shoot up - and current credit conditions are pointing to a doubling in the pace of layoffs, to more than a million workers a month, by spring. “The correlation is holding up all too well,” he said. “It's very disconcerting.” He added that the pace of layoffs already happening in the US “is indicative of panic”. During the 1970s oil crisis the panic was relatively short-lived, he says. “But the worry now is that this will just roll on and on.”»

On se trouve alors dans un autre cas de figure que celui de Roosevelt-1933. Il s’agit de la phase “agressive” de la dépression, celle où des sentiments d’urgence et de panique peuvent conduire les employeurs à des licenciements massifs, celle où la fracture est très nette entre employeurs et employés, où le sentiments du public, de la classe moyenne (des salariés) est plus à la colère qu’à l’atonie ou à l’amorphisme catastrophiques comme pendant l’hiver 1932-33. C’est-à-dire qu’un discours salvateur (avec un choc de rupture) pour relever les énergies, pour remettre les gens au travail (car cette perte de volonté vitale était bien le cas de la situation en 1932-1933), un discours comme celui de Roosevelt en mars 1933 et après, même si Obama parvenait à retrouver cette intensité, ne serait pas adéquat; en 1933, Roosevelt n’appela pas les gens à la révolte mais à une sorte de “réveil” de l’atonie catastrophique et désespérée où ils étaient plongés. Aujourd’hui et dans les mois qui viennent, ce qu’Obama risque de rencontrer, c’est la colère populaire montante face à un patronat qui licencie, après l’épisode des banques sauvées à coups de $trillions. S’il n’obtient pas très vite des résultats marquants, Obama risque de se retrouver face à un dilemme: soit poursuivre sa dialectique “rooseveltienne”, mais sans la tragédie de l’époque, à contre-pied si l’on veut puisque s’adressant à des sentiments qui n’existent pas, donc inefficacement, et risquant de perdre tout contact avec la population, avec les conséquences possibles qu’on imagine pour lui, pour son contrôle des choses; soit adapter son personnage “rooseveltien” à la situation, c'est-à-dire plus populiste, plus Raisins de la colère, mais avec une vraie colère, et ainsi évoluer on dirait presque naturellement, par la voie d'une montée aux extrêmes suivant celle du pays, vers l’“hypothèse Gorbatchev”


Mis en ligne le 8 décembre 2008 à 19H22