Obama et la narrative des choses

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Steve Clemons, de The Washington Note, avait fait grand cas de l’article de Edward Luce, du Financial Times, sur le fonctionnement de l’équipe de la Maison-Blanche autour de Barack Obama. (Voir le 8 février 2010 et le 9 février 2010 sur ce site.)

Il y revient indirectement en commentant une interview (intervention parlée, en vidéo) par ce même Edward Luce de John Podesta, qui travailla à la Maison-Blanche pendant les deux mandats Clinton, terminant comme chef de cabinet du Président à partir de 1998; c’est lui, Podesta, qui dirigea “l’équipe de transition” d’Obama, entre novembre 2009 et janvier 2010. Clemons présente l’interview de Podesta le 15 février 2010 sur son site The Washington Note. Selon Podesta, Obama «has lost the narrative in the country» et pourrait connaître le même désastre électoral que Clinton connut en novembre 1994

«Podesta says that the White House has lost the narrative in the country and that this needs to be fixed. He said that this problem can't be fixed “by one speech once in a while.” More needs to be done. Podesta also says that politics in America today “sucks”.

»Here is Luce's intro and Podesta's comment about serious trouble ahead:

»“Barack Obama, US president, has lost control of the political narrative and needs to make more use of his cabinet in order to regain it, says John Podesta, the man who headed the president's transition team.

»”‘My friends in the White House would agree with this, that they lost the narrative,’ Mr Podesta said in an interview for View from DC, the Financial Times' video series from Washington. ‘Clearly that needs not one speech once in a while: it needs, I think, to be constantly reinforced. And not just by the president, but by his entire team… He's got a terrific cabinet. Use it. Get out into the country and use it.””

»“Mr Podesta, who was also a chief of staff to Bill Clinton, drew parallels with the former president's difficulties in his first two years, which culminated in the 1994 Republican takeover of Congress following the failure of healthcare reform.

»“When asked whether the failure of this latest attempt at healthcare reform would result in a similar electoral ‘massacre’ for the Democratic party at the mid-term elections in November, he said: ‘I subscribe to that view.’”»

Notre commentaire

@PAYANT Washington est encore assez loin, en temps politique compté, des élections du mid-term (novembre prochain) et Obama entre à peine dans sa deuxième année de mandat. Pourtant, le temps paraît étrangement court et, surtout, se dérouler très vite. Effectivement, dans le même temps l’on ressent Obama comme encore en train de s’installer dans ses fonctions et l’on parle déjà du “désastre” possible, sinon probable, qui va le priver des prérogatives principales et de l’autonomie de ses fonctions. En aucun cas, l’administration Clinton n’avait été paralysée avant même le désastre de novembre 1994, qui constitua tout de même une surprise politique, alors qu’Obama est déjà paralysé par la perspective du “possible, sinon probable” désastre.

Est-ce cela qu’on nomme “perdre le contrôle des choses”? Podesta parle d’une situation où Obama “lost the narrative in the country”, ce qui est une expression assez imprécise dans l’“empire de la communication” que sont les USA, où tout est essentiellement “narrative” (l’interprétation des événements sous forme d’“histoire”, voire de “fable”, ou bien est-ce une “histoire” ou une “fable” qui remplace simplement la perception des événements?). L’idée exprimée par Podesta pourrait signifier la même chose perçue de deux façons: “Obama a perdu l’attention centrale du pays”, ou bien “Obama a perdu l’influence spirituelle centrale sur le pays”. (Après tout, ces expressions un peu pompeuses figurent simplement l'influence de l'homme qui occupe la fonction suprême.) En aucun cas ce n’était la situation pour Bill Clinton au début de l’année 1994.

On en revient alors à une hypothèse, celle qui est toujours la même dans le cas de Barack Obama, qui reste, quoi qu’on fasse et qu’on écrive, une énigme, – même s’il s’agit éventuellement d’une “énigme vide”. Il y a d’abord la façon dont il est élu, homme déclenchant un courant de soutien exceptionnel mais, principalement, parce que les USA sont au cœur de la crise et donc ont besoin d’un tel candidat et d’une telle élection, – donc BHO élu non pour lui-même mais parce que la crise le désignait. Ensuite, son action: contre la crise, s’en remettant complètement à une équipe économique aujourd’hui complètement discréditée; semblant épouser l’esquisse de politiques nouvelles, au moins jusqu’à l’été 2009; puis, semblant abandonner cette orientation pour épouser les normes du système, donc semblant capituler; puis, confronté à l’événement (l’élection du Massachusetts du 19 janvier) qui semblerait symbolique du “désastre” qui l’attend en novembre prochain, et donc déjà prisonnier par avance de ce “désastre”, c’est-à-dire privé “des prérogatives principales et de l’autonomie de ses fonctions” qu’il n’a pourtant jamais exercées pleinement… Autrement dit: quand donc Obama a-t-il été vraiment président et quand a-t-il vraiment maîtrisé “the narrative in the country”, sinon pendant le court instant symbolique de son discours d’inauguration? La réponse est étrange, malgré la colossale somme de discours qu’il a accumulée: Obama n’a pas encore été vraiment président.

Bref, comment récupérer “the narrative in the country” d’ici novembre, pour empêcher le “désastre” qui semblerait déjà presque acquis, alors qu’il ne cesse de parler, sorte de moulin à discours, et qu’il n’a jamais maîtrisé cette “narrative”? Obama est bien un cas exceptionnel, ce qui est somme toute normal pour une situation qui ne l’est pas moins. Loin d’être “un homme du système”, une “marionnette” de ceci ou de cela, de Wall Street ou du Pentagone, – sauf l’hypothèse de la “marionnette de la crise”, – Obama semble rester en-dehors du système comme il est en-dehors de sa fonction. (On observe d’ailleurs combien cela correspond à un trait de son caractère, qui est une forte capacité au détachement des choses, à une grande distance entre les événements, même ceux qui le concernent, et lui-même.)

On souhaiterait ce “désastre” de novembre 2010 rien que pour voir comment cet homme étrange, peut-être secret ou peut-être “vide”, va en disposer. Clinton avait connu, après le désastre de novembre 1994, une terrible dépression qui fut dissimulée au public; et l’on parle, certes, d’une dépression au sens pathologique, qui fit qu’on dut le soigner, qu’il resta pendant plusieurs semaines incapable de remplir normalement ses fonctions. Puis, sorti de ce contrecoup, il choisit de s’orienter vers la politique extérieure, qu’il avait jusqu’alors négligée pour ses grands projets intérieurs. (C’est à cette époque, au milieu de l’année 1995, que les USA s’engagèrent massivement en ex-Yougoslavie.) Obama ne peut suivre ce schéma – on ne parle pas de la dépression nerveuse mais de la politique extérieure, – puisqu’il y est déjà engagé d’une façon très appuyée, sans pourtant y avoir imprimé la marque décisive qu’on attendait de lui pendant les six-huit premiers mois de son mandat.

L’énigme, vide ou pas, demeure. Mais la logique des situations que l’Histoire nous impose est après tout respectée: la situation et l’avenir immédiat des USA sont aussi énigmatiques et incertains que leur président. Obama ne contrôle pas la “narrative” de l’histoire en cours de son pays parce que plus personne ne peut vraiment énoncer une telle “narrative”. En fait de perte de contrôle, ce sont les USA qui ont perdu le contrôle d’eux-mêmes. Ce président-là leur va donc comme un gant.


Mis en ligne le 16 février 2010 à 05H44