Obama et le BMDE (I): prudence restrictive, – et une première escarmouche avec le CMI?

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On pourrait considérer que c’est le premier acte de politique extérieure et de sécurité visible et public, et voulu comme tel, du nouveau président US, et que cet acte montre une prudence que nous qualifierions de “restrictive” par rapport aux engagements maximalistes de l’administration GW Bush. L'hypothèse intéressante est que cette prudence, de “restrictive”, pourrait devenir “constructive“. Le 8 novembre, le porte-parole d’Obama a déclaré que le nouveau président ne s’était pas engagé à appuyer la poursuite du déploiement du système BMDE en Europe, au contraire de ce qu’avait déclaré le président polonais.

«U.S. President-elect Barack Obama has made “no commitment” to plans for a missile defense program in eastern Europe, despite a report on the Polish president's Web site, an Obama adviser said Saturday.

»Obama spoke to President Lech Kaczynski over the phone about continuing military and political cooperation between the two countries and possibly meeting in person soon, both sides said. Obama “had a good conversation with the Polish president and the Polish prime minister about the important U.S.-Poland alliance,” said Denis McDonough, Obama's senior foreign policy adviser.

»However, Kaczynski's office says on its Web site that during the same conversation, Obama told Kaczynski that he intends to continue plans for a missile shield in eastern Europe. Obama's adviser denied the report. “President Kaczynski raised missile defense, but President-elect Obama made no commitment on it. His position is as it was throughout the campaign: that he supports deploying a missile defense system when the technology is proved to be workable,” McDonough said.»

(L’annonce du président polonais était venue quelques heures avant celle de la mise au point de l'équipe Obama, celle-ci particulièrement rapide. Rapportée par AFP le 8 novembre également, elle disait: «“Barack Obama has underlined the importance of the strategic partnership between Poland and the United States, he expressed his hope of continuing the political and military cooperation between our two countries. He also said the anti-missile shield project would go ahead,” said a statement issued by Kaczynski after the two men spoke by telephone.»)

Cette prise de position très rapide d’Obama, il s’agit incontestablement d’une nouvelle significative, sinon importante. Significative sur deux points:

• Nous passons très rapidement, avec Obama, aux affaires sérieuses. Il semble bien que cette transition 2008, c'est bien plus qu'une transition. La question du BMDE est essentielle du point de vue extérieur, notamment pour les relations des USA avec les Russes, et intérieures, pour les relations d’Obama avec le complexe militaro-industriel (CMI).

• Cette première petite escarmouche (avec le CMI) a l’avantage de situer exactement le terrain où la présidence Obama va se jouer pour l’essentiel, notamment pour la liberté d’action qu’il pourra avoir s’il veut l’avoir, pour l’orientation que pourrait avoir l’action qu’il pourrait mener.

Il est manifeste que l’intervention du président Lech Kaczynski, qui est en contact direct et permanent avec les lobbyist US du CMI en activité en Europe, était préméditée, – par le Polonais autant que par ses correspondants US. (Kaczynski est un rescapé de l'équipe “dure”, avec son frère jumeau comme Premier ministre, qui s'est complètement engagée dans l'entreprise Bush/CMI en Europe avec les BMDE. Kaczynski est aujourd'hui solitaire à Varsovie et utilise ses pouvoirs pour tenter d'enclancher des mécanismes qui forcent le gouvernement du Premier ministre Tusk dans sa voie dure anti-russe et pro-US type Bush/CMI.) L'intervention de Kaczynski visait à impliquer Obama, avant même le début de sa présidence, dans la logique du BMDE, et, pour le CMI plus précisément, à impliquer Obama dans le vaste mouvement de dépenses militaires et d’engagements dans le même sens. La manœuvre n’a pas réussi et il faut en prendre acte pour notre entreprise d’appréciation de la présidence Obama. Ce premier acte a autant d’importance pour deux domaines, qui répondent aux deux points mentionnés plus haut, – car nous prenons le risque de considérer que l’argument avancé (savoir si la technologie des anti-missiles “marche”), s’il a sa valeur, est largement secondaire par rapport aux dimensions politiques extérieures et intérieures de l’affaire.

• Ce premier acte montre que les relations avec la Russie ont une réelle importance pour Obama. (Cela tend à confirmer, ou à renforcer dans tous les cas, l’idée déjà développée …). Les Russes ont annoncé qu’une rencontre Obama-Medvedev était en tête de liste dans les projets du nouveau président US, renforçant cette idée d’une volonté d’arrangement avec les Russes, notamment à partir du constat que les USA n’ont plus les moyens d’affronter la Russie en Europe, peut-être complété de l’observation plus vaste et plus intéressante qu’ils n’ont aucun intérêt réel dans cet affrontement, que c'est le contraire qui est vrai. Encore une fois, il nous semble qu’on aura plus d’indications sur cette question lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l’OTAN, où la question de l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN est à l’ordre du jour, – ou en marge de cette réunion, selon les réactions d'Obama si l'administration Bush conservait sa position maximaliste.

• Il montre aussi, plus indirectement mais tout aussi fermement à notre sens, qu’un des points majeurs de cette présidence qui s’esquisse déjà à traits forts, sera dans les rapports du nouveau président avec le CMI. Le BMDE est le système type développée pour les besoins du CMI, sans le moindre sens stratégique bien entendu (toute discussion à ce propos relève des mondanités de séminaire), et promu par un réseau serré dépendant des industries d’armement, des groupes idéologiques d’influence et de la bureaucratie du Pentagone. C’est un des terrains idéaux d’affrontement entre le CMI et un pouvoir politique qui voudrait aborder de front le Complexe. On verra ce qu’Obama en fera.

Cette idée que l’une des batailles principales, sinon la bataille principale d’un Obama qui se confirmerait “réformiste” (au contraire de la thèse d’un Obama faux masque de la poursuite de la politique courante du système) se fera contre le CMI est en train de se répandre. Signe important, elle devient “populaire”, c’est-à-dire qu’elle déborde le cadre des experts, voire des commentaires politiques au sens large. Par exemple, on la retrouve dans un commentaire du cinéaste US Oliver Stone (JFK, Nixon, W), qui est intéressant par la précision du propos et la précision du chiffre avancé comme l’hypothèse d’une mesure principale anti-CMI (réduction de 25% du budget du Pentagone), qui est justement, et ce ne peut être un hasard, le chiffre cité par le député démocrate Barney Frank.

Voici ce qu’écrit Stone dans l’Observer du 9 novembre, un texte un peu plus intéressant que les habituels platitudes incantatoires et “'multiculturally' correct” des différentes vedettes du cinéma, du show bizz et autres après la victoire d’Obama :

«Take your pick. We are spending close to a trillion dollars on our Pentagon budget. You spend a trillion dollars on that, but spend so little on the things that matter to the people who live in that national security state that all priorities go out of whack – you don't take care of your own family.

»Why can't this new President decide the agenda? Could he determine that maybe he would like to make healthcare reform or welfare or education his first priority? For Obama it would be very difficult to say, as a first point in his agenda, let's cut 25 per cent of the defence budget. If he insisted on reinvesting money in that way, it would shock the world; there would be such resistance to it. Special interests, lobbyists, corporate interests are so strong in this country; they haven't gone away. There's a hard-line security party in opposition, led by McCain and Bush, that's a frightening and daunting machine for Obama to go up against.

»As I put in my film ‘W’, we have bases in 120 countries. Despite our democratic intentions, we are a military empire. We don't call ourselves that, but we function as that. We have this enormous support structure of men and women overseas. It's a form of national employment, but it's a profoundly mendacious, dangerous, costly worldwide position to maintain, so similar to Winston Churchill's impossible dream during the Second World War of preserving the British Empire. Obama will have to decide: do we continue this debacle of empire?

»There is no doubt the job is enormous. It's equivalent to what Franklin D Roosevelt faced in 1932. There's that sense of a huge change in America. And I think the expectations are so high of him they become dangerous because they can lead our egos to the edge of disaster.

»The mood this weekend is similar to the dawn of Kennedy's Camelot. But perhaps it is more accurate to say that Obama has the potential to be a Roosevelt. I don't know that he can change things radically, but he can start to move things in another direction.

»He has talked about serious alternative energy research, climate control, co-operating with our allies, racial tolerance and diversity, education, reassessing security, changing the concept of the war on terror into something more manageable and real. He can do so much. Just changing the angle of perception a little bit in another direction, and educating a younger generation to think in a more humble way about our empire and its real goals, is an epochal choice still available to us.»


Mis en ligne le 10 novembre 2008 à 05H31