Obama, l'OTAN et la Libye

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Les événements militaires en Libye sont aujourd’hui du domaine de la confusion et de l’incertitude, avec, par conséquent, la certitude de la chute rapide de Kadhafi qui prévalait au début des événements éventuellement remise en question. Il en résulte que la question d’une intervention plus ou moins appuyée et “plus ou moins” militaire de “la communauté internationale” est posée de façon plus pressante. Dans tous les cas, c’est ce que laisse voir le système de la communication qui relaie les martiales déclarations officielles, les bavardages, les “messages” implicites, les hésitations et les manœuvres, les analyses et les dévoilements de plans variés, beaucoup plus que la réalité ; celle-ci, la réalité, tient plutôt en ce que la perspective encore tout à fait théorique d’une intervention, sans savoir encore sous quelle forme, soulève d’énormes problèmes, rencontre de nombreuses réticences, en un mot sème le désordre plutôt que n’éveille la résolution au sein de cette même “communauté internationale”.

(Encore faut-il préciser que le terme “intervention” a jusqu’ici été contenu dans des normes minimalistes, excluant par exemple une composante terrestre sérieuse, et cantonnée plutôt dans les registres d’une aide aux anti-Kadhafi et d’une No Fly Zone. Le débat politique est plutôt du domaine de la communication,)

C’est principalement autour de la position des USA et du rôle éventuel de l’OTAN que circulent les spéculations à propos de l’hypothèse d’une intervention. Plusieurs nouvelles et commentaires rendent compte du tableau général effectivement confus et incertain, – exact reflet diplomatique et politique de la situation en Libye.

• A Washington, Obama prend une attitude un peu plus martiale, en redisant ce qu’il dit depuis quelques temps d’une façon un peu plus appuyée. Quelques mots là-dessus, de AP, repris par ABC.News le 7 mars 2011.

«The violence “perpetrated by the government in Libya is unacceptable,” President Barack Obama declared as he authorized $15 million in new humanitarian aid to assist and evacuate people fleeing the fighting. And he warned those still loyal to Gadhafi that they will be held to account for a violent crackdown that continued Monday with warplanes launching multiple airstrikes on opposition fighters seeking to advance on Tripoli. “I want to send a very clear message to those who are around Col. Gadhafi,” Obama told reporters in the Oval Office alongside Australian Prime Minister Julia Gillard, who is in Washington for meetings. “It is their choice to make how they operate moving forward. And they will be held accountable for whatever violence continues to take place.»

Cela ne donne pas un Obama plus à l’aise qu’à l’habitude, sur ce dossier comme dans d'autres, mais, au contraire, un Obama qu’on sent bousculé de tensions contradictoires. Incident typique : son refus de répondre à une seule question des journalistes assistant à sa déclaration, à la suite de sa rencontre avec la Première ministre australienne hier. Parmi d’autres, Matte Negrin, de Politico.com, exprime sa colère à l’encontre d’un président qui, pendant une minute, répond à une volée de question sur la Libye comme un robot, souriant par instant certes, par la répétition (5, 6 ou 7 fois ?) de la même formule, – «Thank you very much. Thank you very much, everybody»… Negrin, le 7 mars 2011 : «What’s the point of inviting reporters into the Oval Office if they can’t ask questions?»

• Pendant ce temps, l’option du No Fly Zone venue surtout des Britanniques et repoussée unanimement il y a une semaine, reprend quelque vigueur. Cette fois, les Français y sont sensibles, pourvu que toutes les précautions soient prises et que la chose se fasse dans le cadre de l’ONU… Le Guardian du 7 mars 2011 écrit : «…Britain and France made progress in drafting a resolution at the UN calling for a no-fly zone triggered by specific conditions, rather than timelines. Downing Street is hopeful that a resolution with clear triggers such as the bombing of civilians would not be subject to a Russian veto at the security council. […] The international shift towards support for a UN-endorsed no-fly zone has seen influential US senators such as John Kerry and John McCain backing the plan. There is growing concern that the rebels will be crushed unless they are given some practical military support, even if it is limited to disabling Libyan air control radar.»

• Puisqu’il est fait mention du soutien ou pas de la Russie à une No Fly Zone, on peut s’assurer par ailleurs que les Russes restent sur une position très ferme, et très classiquement russe mais néanmoins nuancée d’accommodements possibles, – selon l’agence Novosti, le 7 mars 2011 : «La Russie est hostile à toute intervention armée en Libye, a déclaré aux journalistes le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. “Nous ne considérons pas une intervention étrangère, surtout armée, comme un moyen permettant de régler la crise en Libye”, a-t-il affirmé. “Les Libyens doivent résoudre seuls leurs problèmes”, a ajouté le ministre. […] Selon M. Lavrov, les crimes commis contre les civils dans ce pays ne doivent pas rester impunis. “Nous soutenons les efforts de la communauté internationale visant à aider les victimes de ce qui se passe actuellement en Libye.”»

• Pour fermer la marche de cette revue très sélective des positions des uns et des autres, voici enfin l’OTAN… Comme souvent, “pas concernée mais très intéressée”. Selon le texte AP/ABC.News cité plus haut, «[a]s international humanitarian efforts stepped up, Obama said NATO was consulting about “a wide range of potential options, including potential military options, in response to the violence that continues to take place inside of Libya.” As a first step, NATO agreed on Monday to increase AWACs surveillance flights over Libya from 10 to 24 hours a day to give the alliance a better picture of both the humanitarian and military situations on the ground, U.S. Ambassador to NATO Ivo Daalder told reporters…»

Ce même lundi (hier), le secrétaire général de l’OTAN s’est empressé de confirmer, comme ce qui précède ne le suggère nullement, que l’OTAN n’a rien à voir avec ce conflit (selon Novosti, du 7 mars 2011) : «“L'OTAN n'envisage pas de s'ingérer dans la situation”, a-t-il [Rasmussen] déclaré aux journalistes à Bruxelles. Cependant, a souligné M. Rasmussen, étant une alliance défensive et une organisation appelée à garantir la sécurité, l'OTAN étudie divers scénarios d'évolution des événements.»

Notre commentaire

…Faire tourner des AWACS à distance utile de la Libye, 10 heures par jour, puis 24 heures par jour depuis dimanche, est-ce ou n’est-ce pas “s’ingérer” ? (Il s’agit bien des 18 E-3A AWACS de surveillance et de contrôle, acquis à la fin des années 1970, et seuls systèmes appartenant et dépendant en propre de l’alliance, – ils sont immatriculés au Luxembourg. Cela compris, il ne serait pas étonnant de découvrir que les gens du Pentagone, notamment par commandant en chef suprême (SACEUR) interposé, contrôle dans tous les sens du mot la flotte, à la fois au niveau technique et au niveau tactique des missions à accomplir.) Effectivement, poser cette question des AWACS et de l'ingérence revient à faire penser aux commentateurs et autres avides observateurs des innombrables complots américanistes-occidentalistes que l’OTAN pourrait être conduite à tenir le centre de la scène de l’affaire libyenne, et manoeuvre dans ce but. Cette idée s’accompagne en général de diverses descriptions de manœuvres tout aussi diverses, signifiant que les conditions sont en train d’être réunies pour une intervention qui aurait été dans l’esprit de tous depuis l’origine de cette affaire, évidemment avec l’OTAN en charge. Les précédents des “révolutions de couleur” et du Kosovo sont sollicités.

Nous avons beaucoup de mal à admettre l’évidence, qui est la perte de contrôle des événements. A cet égard également, à côté de l’analogie des révoltes, la période ressemble beaucoup du point de vue de la spéculation politique à celle de Gorbatchev (1985-1991), lorsque toutes les initiatives du Premier secrétaire du PC de l'URSS, tous les changements, les basculements, les “révolutions” dans les pays-satellites, etc., étaient considérés par certains comme faisant partie d’un maître plan du KGB pour faire croire à l’écroulement de l’URSS, – et quelle meilleure façon de faire croire à l’écroulement de l’URSS que de faire s’écrouler l’URSS ? Aujourd’hui encore, cette version des événements de 1985-1991 a ses partisans. Pour autant, l’Histoire a évolué de son côté, le plus souvent dans un sens que n’avait pas prévu le KGB, – ni la CIA d’ailleurs, ni le reste, bien entendu. Simplement, on observera que la Libye, avec son enlisement armé, ses bruits de guerre civile, ses appels vers l’extérieur, les divers plans et bruits d’intervention, a ramené effectivement l’attention et le commentaire vers des événements plus conventionnels, après ceux qui se sont déroulés de Tunisie au Bahrein et au Yemen. C’est plus que jamais le “faux-nez libyen”.

Dans cette phase, effectivement, l’OTAN ne peut faire que prétendre au premier rôle, comme courroie de transmission utile des USA et pour satisfaire ses propres ambitions de type systémique, qui s’accumulent aveuglément, selon une logique bureaucratique. Les USA ne peuvent faire autrement qu’évoquer une intervention et Obama de répondre aux journalistes «Thank you very much. Thank you very much…». On peut également évoquer Al Qaïda dans tous les sens qu’on veut, – et ainsi de suite, pour les hypothèses et les circonvolutions à l’intérieur de ces hypothèses, toutes convergents vers la possibilité d’une intervention devenant probabilité hypothétique, de façon à retrouver un schéma connu. L’OTAN, au moins, est utile pour accréditer cette sorte de scénario et de prospective.

La réalité, elle, est différente. Quelle que soit la tournure des événements en Libye et même si l’on accepte l’hypothèse maximaliste de la recherche d’une intervention, voire de la volonté d’intervenir, – hypothèse qui n’est substantivée par rien, sinon la nécessité d’une explication rationnelle où les USA figurent effectivement l’irrésistible superpuissance dont tant de commentateurs s’acharnent à faire survivre l’image contre toutes les évidences, – l’action de la fameuse “communauté internationale”, qu’elle soit otanienne (par l’OTAN) ou autre, ne peut être que restreinte. Les explications les plus simples suffisent à l’affaire, sans chercher des raisonnements plus complexes… Malgré la présence aux approches de la Libye du porte-avions USS Enterprise, les moyens font dramatiquement défaut ; au reste, une intervention normale selon les normes US requerrait non pas un mais au moins quatre porte-avions pour ce seul domaine, ce dont les USA ne disposent pas à moins de dégarnir d’autres fronts, – l’Afghanistan, notamment, – dans une invitation à profiter de cet affaiblissement temporaire. (Pour avoir une idée de la situation, il faut savoir que l’Enterprise devrait être déclassé depuis 5 ou 10 ans, selon les normes de l’U.S. Navy, et qu’il a été maintenu pour pouvoir disposer d’un effectif minimal.)

…La réalité peut d’ailleurs nous réserver des surprises, en expédiant la question de l’intervention en Libye au rayon des seconds rôles. En commentateur avisé des réalités stratégiques américanistes, l’institut Stratfor rappelle cette évidence en forme de lapalissade : «While the world's attention is still on Libya because of the fighting over there, the slow-simmering situation in the Persian Gulf is far more important ...» Et comme rien n’y est réglé, dans le Golfe, et comme tout peut encore y exploser, notamment en Arabie Saoudite, il est possible que nous nous retrouvions, dans deux ou trois semaines, à nouveau en train de courir derrière les événements, cherchant à élaborer de nouvelles explications pour une explosion nouvelle que tout le monde annonçait et qui nous aurait pourtant pris par surprise.


Mis en ligne le 8 mars 2011 à 14H21

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