Obama, ou “l’écrevisse raisonnable”

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D’une façon générale, BHO, le président du “Yes, we can”, commence à les exaspérer. Disons, comme dit Keith Olbermann, de MSNBC : «It was a great speech if you were on another planet for the last 57 days.» Les réactions au “grand” discours du président US sur son 9/11 à lui sont pour le moins grinçantes, sinon furieuses. «President Obama’s Oval Office speech Tuesday night on the Gulf oil disaster was a cowardly exercise in evasion and cover-up that could have been written by the publicity department of BP.» (Selon WSWS.org.)

HuffingtonPost, qui offre une couverture importante de la catastrophe et attendait beaucoup du discours, donne un long texte, ce 16 juin 2010, où nombre de réactions, toutes critiques ou défavorables, sont rapportées. En un mot, très modéré mais pourtant significatif : «Obama offered no immediate remedies for a frustrated nation…»

WSWS.org, qui assure également une couverture très fournie de la catastrophe depuis des semaines, fait une analyse serré du discours (le 16 juin 2010). Evidemment, la critique est systématique, trotskiste et prolétarienne, celle d’un homme représenté comme entièrement prisonnier du corporate power, et notamment de BP... (Alors que le thème principal du discours est “je ferai payer BP”, – HuffingtonPost commence son texte par : «Vowing to “make BP pay,” President Barack Obama accused the oil giant of “recklessness”…»)

• Sur Truthdig.com, Robert Scheer exprime réellement l’exaspération furieuse qu’on sent naître à l’égard et à l’encontre d’Obama, en général dans tous les segments de la gauche ou du centre gauche US (la droite étant définitivement contre lui au nom de toutes les accusations, des plus sérieuses aux plus farfelues). Titrant son article du 16 juin 2010 « Rape and Spillage», Scheer écrit, furieux :

«What’s with the president’s war analogy on the oil spill? It’s as if some alien force, “The Invasion of the Slippery Sludge,” suddenly attacked us. “Abroad, our brave men and women in uniform are taking the fight to al-Qaida,” President Barack Obama said Tuesday in his White House speech, “and tonight, I’ve returned from a trip to the Gulf Coast to speak with you about the battle we’re waging against an oil spill that is assaulting our shores and our citizens.”

»What nonsense. The oil was minding its own business until some multinational corporations, enabled by a dysfunctional government regulatory regime, decided to wage war on the ecological balance of the oceans by employing technology that they were not prepared to control. Cleaning up the oil spill mess we made by raping the environment to satiate our consumer gluttony is not a glorious battle against evil but rather obligatory penance for the profound error of our ways.»

Notre commentaire

@PAYANT C’est bien d’avoir le sens de la mesure, comme Obama le montre si souvent avec son caractère extrêmement contrôlé. Le problème est que ce sens de la mesure, il l’exprime dans ses rapports avec l’infamie que représente le système au sein et au cœur duquel il se trouve, et dont les actes catastrophiques commencent à peser de leur poids. Le résultat est toujours une demi-mesure qui se traduit, dans un premier temps, par la mise en évidence d’une opportunité par lui-même à la suite d'une critique du système, à laquelle il répond lui-même dans un deuxième temps d’une façon extrêmement décevante. C’est de cette façon qu’on alimente la frustration générale… Chose d’autant plus curieuse qu’on nous laisser régulièrement entendre qu’Obama ne cesse d’être “frustré” lui-même par ce qui se passe dans le Golfe du Mexique et alentour.

(...Un alentour qui l’est de moins en moins, s’étendant au rythme de la fuite de pétrole dont nous venons d’apprendre, – nième révision, toujours dans le même sens, des estimations officielles de la commission scientifique mise en place pour cela, – qu’elle se situe entre 35.000 et 60.000 barils par jour, après deux précédentes révisions, la semaine dernière, où l’on était passé d’une estimation de 12.000-19.000 barils/jour à une fourchette de 25.000-30.000 barils/jour, puis à une autre de 20.000-40.000 barils/jour.)

Pourquoi diable BHO a-t-il proclamé dramatiquement que la catastrophe du Golfe du Mexique était l’équivalent de 9/11, annonçant là-dessus un discours solennel à la nation, pour accoucher de cette souris maigrelette qui indispose tout le monde ? C’est une étrange stratégie, une “stratégie de l’écrevisse”, mais d’une écrevisse chapitrée, devenue raisonnable et symétrique, une écrevisse à la Obama, ne reculant pas plus qu’elle n’avance, – par conséquent un pas en avant (“c’est un nouveau 9/11 !”), un pas en arrière (son discours terne et plein de généralités creuses et sans intérêt). Par conséquent, BP est plus que jamais accusé par Obama d’être le méchant et ordre lui est intimé de réparer la casse, en même temps qu’Obama dissimule nombre des turpitudes de ce même BP et va jusqu’à utiliser les prévisions de BP pour annoncer la fin de la catastrophe, alors que tout le monde sait parfaitement qu’il s’agit de l’habituelle désinformation en action, et cela en même temps qu’Obama vient de nous annoncer pour la deuxième fois en trois semaines qu’il prenait définitivement les choses en main…

On s’essouffle à suivre le parcours torturé de cet homme, dans une affaire dont il sait parfaitement qu’on ne peut l’étouffer puisque le trou au fond du Golfe continue à cracher son pétrole, que cela se voit chaque heure davantage, que cela se mesure, que cela ne cesse de grossir, etc. La remarque de John McQuaid concernant l’absurdité de la politique de relations publiques de BP tendant à mentir, à dissimuler, à minimiser, etc., alors que les effets de la catastrophe sont trop visibles pour entrer dans cette rhétorique de tromperie minimaliste s’applique finalement encore plus à Obama, dont nous substituons dans la citation le nom à celui de BP : «The story is simply too big – geographically, environmentally, and historically – for it to have any appreciable effect other than to make [Obama] look bad.»

Depuis qu’il a annoncé qu’il s’agit d’un “nouveau 9/11”, cela suivi d’un discours solennel, Obama est en première ligne, ayant utilisé le système de la communication pour brutalement faire monter la tension et la puissance de la catastrophe dans les psychologies. Il voulait être “in charge” ? Il est “in charge”, et cela ne signifie en aucun cas de faire payer BP et rien d'autre, mais bien de lancer une gigantesque opération de sauvetage et de contrôle de la catastrophe, et d’ouvrir des perspectives radicales pour faire en sorte d’écarter cette sorte de catastrophe. Hier soir, Obama n’a offert ni l’un ni l’autre. Il s’est donc brusquement exposé, dans ce qu’on jugeait être un changement majeur de stratégie puisqu’il a dramatisé brusquement la catastrophe, mais pour finalement rester sur la même position minimaliste qu’il occupe depuis le début, évidemment insuffisante, frustrante et assez peu avisée, face à la catastrophe telle qu’il l’a dépeinte lui-même.

Obama est encore bien jeune et l’on peut craindre qu’il le restera. Il n’a pas compris le fondement du système de la communication qui est aujourd’hui l’un des deux principaux acteurs de la situation du monde, et l’un des deux principaux facteurs de l’exercice du pouvoir. Il n’a pas compris que l’on n’use pas impunément du système de la communication dans une affaire qu’on ne contrôle pas. Si l’on décide de faire de cette affaire un objet de communication, à juste titre ou pas peu importe, il est impératif de suivre la logique de communication qu’on a mise en route. On ne peut, trois jours après en avoir fait cet objet, le retirer de la logique du système de la communication pour le conformer à d’autres ambitions qui ne répondent à aucune stratégie politique cohérente.

A chacune de ces embardées d’“écrevisse raisonnable” où il fait un pas en avant suivi d’un pas en arrière, BHO se découvre un peu plus, se rend un peu plus vulnérable, perd un peu plus de ses soutiens naturels sans gagner quelque soutien que ce soit chez ses opposants. Hier, il a fait gros dans le genre, après sa dramatisation “type-9/11”. Il est donc possible qu’Obama, avec son discours d’hier, ait fortement avancé dans l'enchaînement du sort de sa présidence au sort de cette affaire, sans paraître un instant pouvoir figurer comme le “chevalier blanc” capable de lutter contre la marée noire.


Mis en ligne le 16 juin 2010 à 15H37