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9 juin 2008 — La campagne Obama versus McCain est ouverte. C’est, pour l’instant, un torrent de considérations à prétention historique, torrent sentimental et grandiloquent, à propos de ce candidat noir, ou Africain Américain (devra-t-on dire “Africain Américaniste”? C’est à lui de nous répondre); déchaînement plein de pompes et de circonstances, d’autant plus qu’Obama a de fortes chances de l’emporter. Nous en aurons notre lot en supplément, et encore plus, s’il l’emporte (début novembre) et, alors, à l’occasion de son inauguration (janvier 2009). C’est là l’écume des jours, et l’occasion pour la “presse officielle” de sembler avoir l’air original tout en prônant indirectement les immenses vertus retrouvées du système de l’américanisme. Il s’agit d’un exercice classique, dont nous aurions eu la version “féministe” si Hillary l’avait emporté. Ainsi, régulièrement, se donne-t-on, une façon de remonter un moral chancelant quant à notre vertu, – toujours la vertu.
(Bien entendu, la condition d’Africain Américain du candidat peut-être futur-président a son importance. Obama porte les espoirs de la minorité noire, et, sans doute, d’autres minorités. C’est une charge considérable, avec des potentialités explosives. Elément de plus pour apprécier le caractère complètement indéfinissable d’une candidature potentiellement déstabilisante, sans que le candidat lui-même s’en aperçoive nécessairement.)
Dans tous les cas, ce phénomène des réactions à la candidature Obama existe et l’on ne peut l’ignorer, ne serait-ce que pour apprécier, dans le sens de la réduction sans aucun doute, son importance réelle par rapport à ce qu’il décrit comme réalité profonde. Ce texte (7 juin 2008 sur Huffington Post) d’un Simon Jenkins qui se découvre en pro-Américain mesuré soudain exalté en rend bien compte, dans la mesure où il rend compte d’une attente fiévreuse que l’Amérique redevienne comme nous la rêvions avant (avant 9/11, avant GW, etc., comme si elle était alors différente, – chère illusion d’un passé enfui qui ne fut jamais). De même le texte témoigne-t-il indirectement de l’état pathétique de notre stature politique, nous qui sommes conduits à attendre, avec angoisse, avec fièvre, le vote US pour savoir ce que sera notre destin, puisque nous sommes devenus incapables d’assumer notre destin. Mais la chanson n’est pas nouvelle, car nous boîtons bas depuis que nous n’avons plus notre béquille américaniste, à cause de l’insupportable GW…
«It is hard for Americans to appreciate the sheer, bruising weariness of being a pro-American abroad this past decade, for reasons that need no enumerating. As a result it is impossible to exaggerate the impact that an Obama presidency would have. To every cry of hatred against America, to every antagonism, every complaint, every sneer, Barack Obama is an instant, one-man rebuttal.
»He has acquired the status of total image salve. His mere smile flashes round the world a promise of a new America. There is no point is protesting the implausibility of much of this, the danger of unrealistic hopes and unfulfillable dreams. It is plain fact. At this stage, image is all.»
Cela dit et écrit avec les soupirs qui importent, mais au moins Jenkins n’ignore-t-il pas que «[A]t this stage, image is all» – cela dit et écrit, nul ne devrait ignorer qu’Obama est là triomphalement mais par défaut; parce que le système est tellement épuisé qu’il n’arrive plus à produire des candidats standards (WASP, – White, Anglo-Saxon, Protestant) capables de tenir la route, que même ses favoris (Hillary) s’épuisent eux-mêmes dans leurs certitudes trop vite acquises. Le système est tellement épuisé qu’il n’arrive plus à contrôler ou à diriger l’enthousiasme de ses électeurs, avec comme conséquence le réel succès de foule et d’enthousiasme d’Obama.
Il ressort de cela que, sans doute peut-on dire “pour la première fois”, un homme est capable de l’emporter selon des circonstances extraordinaires, – non parce qu’il est Africain Américain mais parce qu’il est politiquement énigmatique. On a déjà fait quelques remarques à ce sujet. Il s’ensuit, derrière l’enthousiasme officiel, que règne un phénomène de suspicion généralisé dans l’establishment washingtonien. Nous estimons que c’est, pour l’instant, le principal caractère de la candidature d’Obama. Nous proposons à nos lecteurs une synthèse de notre appréciation, sous la forme de la mise en ligne de l’éditorial de notre édition du 10 juin 2008 de la Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie.
La désignation acquise de Barack Obama pour le parti démocrate ouvre une période de tension extraordinaire dans la vie politique intérieure des USA. Il est assez étrange d’écrire cela, comme s’il s’agissait d’une situation nouvelle, comme si la période qui vient de s’achever (depuis janvier et le début des “primaires”) n’avait pas été elle-même une “période de tension extraordinaire”. Disons alors qu’à une tension succède une autre. Mais le mouvement est manifestement d’un renforcement de la chose.
A mesure de cette succession de périodes de tension, les enjeux ne cessent de se dessiner plus clairement. Ils sont caractérisés, comme l’est la situation politique US elle-même, par une suspicion extraordinaire. L’enjeu principal est colossal: comment les USA vont-ils éventuellement changer de politique générale après la catastrophe irakienne et tout ce qui l’accompagne, ces circonstances finissant par créer une crise systémique menaçant l’ensemble? Mais cette question est prématurée, ou bien irréaliste. Elle pourrait s’énoncer autrement: les USA peuvent-ils changer de politique générale...?
La tension se concentre autour de la nomination de Barack Obama. Cette candidature est chargée d’une électricité formidable. Son poids symbolique (candidature d’un Noir, un Africain-Américain) est évident. Son incertitude politique ne l’est pas moins. Obama est-il un transfuge du système, qui chercherait à imposer des mesures révolutionnaires, ou bien un faire-valoir du système, prêt à poursuivre la politique en cours derrière un changement d’apparence? Ses adversaires comme ses partisans se posent cette même question, les uns et les autres n’ont aucune réponse, les uns et les autres entretiennent paradoxalement un même soupçon, – qui le soupçonnant d’une manoeuvre cachée, qui d’une abdication acceptée.
Chacun des partis avec leurs partisans exacerbés voit son élection comme un pari formidable et dangereux, comme une inconnue extraordinaire et absolument fragile. Dans tous les cas, Obama est perçu comme un “risque” politique fondamental. Nul ne doute pourtant qu’il sera élu, au-delà des calculs et des sondages, comme si l’hypothèse Obama, avec son potentiel déstabilisateur, représentait une sorte de fatalité. En décrivant ce qui n’est pour l’instant que perception, émotion et exacerbation psychologique, on décrit un climat en train de se mettre en place, qui, bientôt, va peser de tout son poids sur la campagne. C’est la tension dont il est question.
Tout désormais se joue, aux USA, en fonction de l’hypothèse Obama, alors que la campagne n’a pas encore commencé. Tous le scrutent, le décortiquent, le pressent, l’invectivent, l’interrogent, question après question. Le paradoxe ultime, – mais il n’étonnera personne, finalement, – est qu’Obama lui-même n’a sans doute pas les réponses. Au coeur de l’énigme politique qu’il constitue, sans doute Obama-candidat est-il une énigme pour lui-même.
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