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48219 novembre 2006 — L’évolution politique de GW Bush, essentiellement sur l’Irak, est aujourd’hui devenue un mystère intéressant, un mystère très washingtonien, — et, au bout du compte, un mystère cousu de fil blanc. Il est manifeste qu’il y a eu un virage serré de GW Bush aussitôt le résultat des élections connu. Mais ce virage fut-il voulu par le président ou lui fut-il imposé? La mise à pied de Rumsfeld et la nomination de Robert Gates jouent un rôle essentiel pour illustrer la réponse qu’on propose. L’interprétation apparaît aujourd’hui si assurée qu’on peut dire effectivement que le départ de Rumsfeld et la venue de Gates furent imposés à GW par le groupe Baker (appuyé par Bush-père) comme une condition préalable d’un arrangement basé sur le rapport du groupe sur l’Irak. GW Bush se trouva piégé dans une situation pressante et ne put que céder.
L’accueil fait à l’arrivée de Robert Gates renforce ce sentiment. Il a été marqué par une satisfaction convenue et unanime, présentant l’homme comme une recrue de choix pour l’administration GW et une recrue stabilisatrice, permettant l’évolution du président vers la position modérée et réaliste qui importe. C’est faire bien de l’honneur à un personnage si pâle et si complètement compromis dans les habituelles magouilles du système.
Nous citons ci-après nos sources internes :
«Gates had been a member of the Iraq Study Group and is a friend of Baker and Scowcroft. One Republican insider said Baker suggested Gates as Rumsfeld's replacement. Many lawmakers and experts, including Democrats, have welcomed the nomination, hailing Gates as an international realist. One former official who knows him well predicted Gates, an advocate of dialogue with Iran and North Korea, would influence U.S. policy not only on these issues, but on China, intelligence, the war on terrorism and Mideast peace. “I can easily imagine that Rice will see him as an ally, while Cheney (Rumsfeld's close pal) is diminished,” he said.»
La question qui se pose aujourd’hui de façon appuyée est de savoir si cette soumission de GW ne fut pas qu’une faiblesse temporaire. Certains commentateurs le suggèrent sur le plan théorique (l’évolution idéologique de GW) : «“Bush has said repeatedly that democracy is the long-term answer to our battle with Islam. He's the big neocon. And as far as I can tell, he's still the president,” said Danielle Pletka, vice president of the American Enterprise Institute, a neoconservative base. Arnold Kanter, undersecretary of state in the administration of former president George Bush, said: “The neocons are down but what remains to be seen is whether they are out, and whether the realists are embraced.”»
Cette évolution de GW, qui n’est finalement qu’une adaptation nécessairement temporaire à une situation vue elle-même comme temporaire, est largement soutenue et justifiée objectivement par la réalité de la situation washingtonienne.
Ce qui semblait au lendemain du 7 novembre un accord général sur un retrait des forces US de l’Irak selon les options du plan Baker/ISG est en train de se transformer très rapidement en un désordre général où les opinions s’affrontent au sein même des partis, — y compris du parti vainqueur des eéections. L’audition au Sénat (le 15 novembre) du général Abizaid, commandant du théâtre (Central Command) dont dépend l’Irak, est significative de ce point de vue. On y a vu autant la confirmation de l’incertitude et de l’irréalisme des positions bureaucratiques des militaires que celle des contradictions existant chez les hommes politiques. Plus que des positions partisanes, on doit parler d’une situation chaotique où il est difficile de trouver une véritable cohérence, sans parler de cohésion.
Inutile de détailler les diverses positions exprimées par les sénateurs durant l’audition. La description du climat chez les hommes politiques suffit à notre propos: concurrence, jalousies, manoeuvres et intérêts particuliers rendent compte d’une confusion plus intéressante et révélatrice que les affirmations conformistes, voire virtualistes du général.. La guerre en Irak est plus que jamais un enjeu de politique intérieure à Washington.
Cette introduction de l’article du New York Times sur cet aspect de l’audition suffit à fixer notre perception:
« For much of the first postelection hearing on the war in Iraq on Wednesday, the Republican side of the table was largely empty. But the room was still crowded — with competing agendas.
»There were three contenders for president, including the Democratic and the Republican titans for 2008 and the one from Indiana who is hoping to cast himself as the Democrats’ compromise candidate.
»There was the self-described “Independent Democrat — capital I, capital D,” who is at risk of bolting and taking his party’s new narrow majority with him. (Was that red tie a hint?) And there were the two parties, trying to bolster their positions on the war after an election that each side seemed to interpret in wildly different ways.»
Comment sortir de cet amoncellement de désordres divers et d’impuissances par manoeuvres auto-destructrices pour offrir une image cohérente de la situation? La réponse est simple: en donnant une image cohérente d’une situation caractérisée par le désordre et l’impuissance.
Tom Engelhardt fait le 16 novembre une longue et subtile analyse de la situation à Washington et, par conséquent, en Irak. Les conclusions qu’il en tire sont résumées par le sous-titre de son article: « No Exit? What It Means to ''Salvage U.S. Prestige'' in Iraq»
Cela signifie:
• La “stratégie de sortie” de l’Irak concoctée par l’équipe Baker/ISG pourrait se résumer à: “pas de sortie du tout”.
• Des plans de retrait progressif vont certainement être dressés. Ils s’accompagneront d’un regroupement des forces terrestres et d'une intensification majeure des attaques aériennes conduisant à des carnages (de civils) et des destructions supplémentaires. Le processus pourrait alimenter son contraire: carnages et destructions supplémentaires alimentant la guerre civile et l’hostilité aux USA, empêchant le désengagement US par simple réaffirmation constante des intérêts stratégiques (US) à cet accord, — cette obsession du contrôle d’une zone obstinément perçue comme essentielle à la position stratégique des USA.
• Engelhardt nous dit finalement que le remplacement des “utopistes” (neocons & compagnie) par les soi-disant “réalistes” ne change pas grand’chose.
«In the Vietnam era, President Richard M. Nixon went on a well-armed, years-long hunt for something he called “peace with honor.” Today, the catchword is finding an “exit strategy” that can “salvage U.S. prestige.” What we want, it seems, is peace with “dignity.” In Vietnam, there was no honor left, only horror. There is no American dignity to be found in Iraq either, only horror. In a Washington of suddenly lowered expectations, dignity is defined as hanging in there until an Iraqi government that can't even control its own Interior Ministry or the police in the capital gains “stability,” until the Sunni insurgency becomes a mild irritation, and until that American embassy, that eighth wonder of the world of security and comfort, becomes an eye-catching landmark on the capital's skyline.
»Imagine. That's all we want. That's our dignity. And for that dignity and the imagined imperial stability of the world, our top movers and shakers will proceed to monkey around for months creating and implementing plans that will only ensure further catastrophe (which, in turn, will but breed more rage, more terrorism that spreads disaster to the Middle East and actually lessens American power around the world).
»Now, the dreamers, the greatest gamblers in our history, are departing official Washington and the “realists” have hit the corridors of power that they always thought they owned. It wouldn't hurt if they opened their eyes. Even imperial defenders should face reality. Someday, it's something we'll all have to do. In the meantime, call in the Hellfire-missile-armed Predator drones.»
Cela fait une grosse décade que les Américains ont voté révolutionnairement, que les experts ont annoncé un changement majeur dans la politique étrangère des Etats-Unis, que le Rest Of the World s’est esclaffé bruyamment en annonçant la fin de la politique bushiste et le retour de notre si chère Amérique (“America is Back”, disait Reagan). L’Irak est, par définition, le test de la chose. Il faut rengainer nos enthousiasmes d’esprits trop enfiévrés.
Plus les réunions s’accumulent, plus les analyses et les propositions politiques s’échangent, plus il apparaît que les traits dominants de la situation washingtonienne sont plus que jamais le désordre et la paralysie qui s’ensuit… Car, entre l’un (le désordre) et l’autre (la paralysie), il y a autre chose, — notre vieux compère le virtualisme, qui claque comme un verrou sur la porte qui nous emprisonne.
Illustrons par deux exemples:
• Nancy Pelosi, la nouvelle et inédite (première femme à cette fonction prestigieuse) Speaker de la Chambre, vient d’être battue dans une importante bataille au sein de la représentation démocrate à la Chambre. Le désordre touche les partis eux-mêmes (à côté des démocrates indisciplinés, les républicains, disciplinés quand les temps étaient cléments, sont désormais, dans la tourmente, divisés et pleins de rancune vis-à-vis de leur direction).
• On voit par ailleurs comment William Pfaff définit à merveille l’extraordinaire situation de la première puissance mondiale complètement prisonnière du virtualisme où elle s’est engouffrée avec délice. Comment en sortir? (Comment s’échapper de cette prison?) Comme on disait d’Alcatraz: personne ne s’échappe du virtualisme…
“Que faire?”, disait Lénine en septembre 1917. Il trouva la réponse, comme l’on sait. Nous ne sommes plus dans cette histoire-là, où la tromperie n’était que propagande qui soumettait l’esprit et le jugement mais ne changeait pas la psychologie. Aujourd’hui, nos chaînes ne sont pas dans le Goulag, elles sont en nous-mêmes, au coeur même de l’instrument de notre pensée, pervertissant par en-dedans notre jugement du monde.
Pour cette raison, GW Bush, archi-battu, ridiculisé, traîné dans la dérision de la condamnation du public et de ses pairs, GW Bush reste pourtant le “gagnant” de cette étrange situation. A mesure que les jours passent, la commission ISG et le brillant James Baker s’embourbent un peu plus dans les marais washingtoniens où caquètent et complotent les divers centres de pouvoir, les vanités, les calculs, les illusions et les fausses représentations du monde. GW retrouve toute sa superbe, continue à caracoler dans l’univers (voir le sommet de l’APEC) en laissant derrière lui, comme sillage incontestable et reconnaissable entre mille, ses remarques stupides, son absence de nuance, son aimable grossièreté de jugement et sa fermeture complète à la réalité du monde.
L’Irak? “Stay the Course”, voilà la seule stratégie. Continuer à s’enfoncer, à s’enliser, à brûler et à tuer, tout en proclamant qu’il est impossible de continuer à s’enfoncer, à s’enliser, à brûler et à tuer. Continuer, pour notre compte, à observer l’inéluctable naufrage du faux-Empire; attendant sans impatience mais avec intérêt le prochain soubresaut de la réalité, comme accélérateur constant de cet événement qui est la tragique revanche de l’Histoire que le petit homme, ce “dernier homme” de Nietzsche, avait cru réduire et transformer à sa guise. Le Titanic sombre, enchaîné à ses chimères et à ses constructions délirantes et utopiques. Nous observons la chose.
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