Ode au chaos-vrai...

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Ode au chaos-vrai...

• Commentaire d’un commentaire... • A partir de l’événement de l’interdiction US de livrer des microprocesseurs à la Chine qui se révèle être une incitation à peine dissimulée, une provocation avec l’espoir que la Chine attaque Taïwan, Alexander Mercouris décortique cette forme d’esprit, cette psychologie qu’on ne peut attribuer qu’à une forme de barbarie enfantée par la modernité, et devenue folie pure avec l’effondrement de la modernité. • Face à cette volonté de chaos d’une psychologie devenue folle, seul le chaos né des événements peut agir.

On reprend ici un passage assez long et très intéressant d’une chronique d’Alexander Mercouris (du 21 octobre 2022). Plutôt que le rendre tel qu’il est dit par le commentateur, nous le présentons en segments commentés pour montrer l’évolution et la signification profonde de la pensée.  Si Mercouris prend un exemple précis (l’interdiction faite par les États-Unis de vendre ou de produire des microprocesseurs à et pour la Chine), c’est à toute la politique “de l’Ouest”, ou du bloc-BAO si l’on veut, qu’il s’adresse, et à un aspect psychologique précis de la politique US, – pour nous, la politiqueSystème.

Au reste, il commence ce passage qui nous intéresse par une analogie de circonstances similaires, montrant bien qu’il parle ici d’un “modèle”, on dirait presque “une série”,  bien plus que d’un accident ou d’un cas exceptionnel.

« De même que les sanctions occidentales n’ont pas fait s’effondrer l’économie russe, de même l’interdiction concernant les microprocesseurs en Chine ne fera pas s’effondrer l’économie chinoise... Au contraire, comme dans le cas russe, elle saura y pallier et développer une forte économie dans ce domaine... »

Ce n’est pourtant pas tant cette affirmation et cette prévision qui intéressent Mercouris, que l’argument qu’il a vu développé dans un certain nombre de commentaires et de textes d’analyses fanatiquement favorables à l’interdiction. Il s’agit de l’idée que l’absence de microprocesseurs serait catastrophique pour la Chine et devrait amener cette puissance, selon une thèse d’urgence économique et technologique, à attaquer Taïwan (gros producteur de microprocesseurs).

Comme c’est logique après ce qu’il a développé à propos des capacités chinoises dans la situation créée par l’interdiction, la réaction de Mercouris est extrêmement vive. Il dénonce fausseté, sinon la folie pure et simple (il cite le mot de “folie”) de l’argument, qui est exprimé avec une grande brutalité par ses avocats faits procureurs pour l’occasion. Mercouris ne cite aucun nom ni aucune publication mais il est évident qu’il fait allusion à la tendance neocon, très présente dans la presseSystème (comme dans le pouvoir du bloc-BAO), et qui s’est toujours exprimée avec une violence guerrière et une brutalité d’autant plus remarquable que l’on ne trouve, dans ces groupes extrémistes qui font florès, et comme faisait remarquer un de leur plus coriace adversaire (Tucker Carlson), « guère de héros de guerre ».

Mercouris, suite : « Je pense que l’argument est faux, complètement, follement faux, mais en fait il me conduit également à penser, en lisant ces articles, en lisant leurs arguments et en mesurant le ton sur lequel sont écrits ces commentaires que c’est bien ce que certains veulent voir survenir ; qu’il s’agit bien de l’idée que ces restrictions imposés aux Chinois sont en fait destinées à réellement provoquer une telle action de la part des Chinois... Et j’en viens à conclure qu’une partie de la pensée de ces gens qui suggèrent de tels développements est bel et bien de provoquer cette attaque de la Chine... »

Le raisonnement de Mercouris est intéressant notamment parce que sa forme d’esprit est celle d’un homme de raison et de mesure de la sorte qu’on trouve, ou qu’on devrait trouver dans la diplomatie. Sa position est certes beaucoup plus généralement favorable à Poutine et aux Russes, mais tout simplement parce que, une fois bien informé et nullement impressionné par la « pensée magique » (c’est une expression qu’il emploie) de la narrative, de la bienpensance,  du Camp-du-Bien, etc., il trouve de la raison et de la mesure dans la position de la Russie bien plus que dans celle de leurs adversaires.

De ce fait, sa critique de ce qu’il croit discerner comme un encouragement à l’agression par la provocation, qui est en fait l’application pour les affaires extérieures d’une méthode totalitaire, hitlérienne si l’on veut, évolue rapidement vers l’analyse psychologique de la catégorie de commentateurs qu’il met en cause, comme une sorte de pathologie. On trouve cela, notamment dans cette image que, “devant un obstacle et au lieu de le contourner, ils érigent un obstacle encore plus haut qui permet d’affirmer leur force” ; cette image implique certes le refus de “manœuvrer habilement” au profit de la brutalité pure (c’est l’essence même de notre concept de la “politiqueSystème”). Manifestement, ce comportement relève pour lui d’une pathologie de la psychologie et dépasse les limites rationnelles et de maîtrise de sa propre pensée dans l’engagement politique, – comme si l’on passait de la politique à la barbarie, – ce qui est, après tout et somme toute, à peu près le cas.

« En fait cette sorte de personnes, les neocons et associés, ont une forme de pensée qui fait que devant un obstacle, ils cherchent à dresser un obstacle encore plus grand plutôt que de le contourner. En fait, derrière leur provocation de la Chine en interdisant la vente de microprocesseurs, il y a réellement l’intention d’une provocation encore plus grande de pousser la Chine à une attaque de Taïwan. Ces gens ne peuvent concevoir de faire marche arrière... Puisque l’envoi de Pelosi n’a pas marché, essayons une autre provocation... En fait, ces gens veulent une confrontation entre la Chine et Taïwan, qui implique les États-Unis. C’est un comportement si hasardeux et outrecuidant qu’il est au-delà de ma compréhension. »

Il résume cette idée très psychologique, ou plutôt il l’actualise, en citant un de ses commentateurs favoris (Garland Nixon) lui expliquant ce qu’est l’“administration Biden”. L’idée est assez étonnante parce que parler d’une “administration Biden”, c’est parler d’un poulet sans tête qui continue à tourner en fonçant, sans regarder ni rien voir, puisque la tête est celle de Biden... Mais c’est justement là que nous voulons aller dans le constat : la tête de Biden ou l’absence de Biden, c’est la même chose, et la barbarie peut ainsi se déchaîner en toute “tranquillité-furieuse” (la barbarie est quelque chose qui fait de la fureur son “quotidien tranquille”, sans état d’âme, sans interrogation).

« Cela me rappelle une remarque privée que m’avait faite Garland Nixon concernant cette administration, me disant que c’est une administration extraordinairement dangereuse qui, à l’occasion de chaque risque d’une confrontation, en fait cherche cette confrontation [plutôt que de la considérer comme un risque], qui ne cherche absolument pas à écarter le risque de l’escalade, cherchant en fait, tout au contraire, à provoquer une escalade... »

Alors, tout cela étant posé, alors que faire ? Que faire car il est évident qu’une telle dynamique ne peut tenir bien longtemps, qu’il faut qu’il se passe quelque chose... Cette question est vertigineuse parce qu’elle constitue l’interrogation de la raison éclairée par l’intuition devant la folie enflammée par la “fureur magique”. (On trouve bien cela chez les neocons dont on sait la filiation du “passé faisons table rase” de la guillotine et de Trotski : la fascination exercée par la magie du “chaos créateur”, de la déconstructuration totale donnant naissance à un ordre parfait, égalitaire, etc.). Mercouris évoque bien la référence classique de l’“homme providentiel”, mais sans y croire une seule seconde

« Cela n’est pas tenable... Quelque part, à un moment quelconque, d’une certaine façon, quelque chose craquera... Il faudrait un homme politique d’envergure, aux USA, peut-être en France, pour faire changer cette orientation, mais cela semble bien improbable... »

... Et ainsi en arrive-t-il à une conclusion qui ne peut que nous satisfaire sans pour cela nous éclairer une seule seconde sur la prospective de cette crise, – ce qui est parfaitement notre pensée :

« ...et alors ce seront les événements eux-mêmes qui imposeront une solution... »

Nous en sommes donc à la conclusion avec une tentative d’évoquer quel(s) événement(s) pourra(ont) effectivement imposer une solution. Nous ne partageons pas nécessairement la réponse de Mercouris, non par désapprobation, mais par retenue bien tempérée, peut-être en donnant un plus grand crédit à l’intuition qu’à la raison dans ce mariage nécessaire entre une raison lavée de sa subversion moderniste  et l’intuition ; nous ne partageons pas nécessairement sa réponse mais nous n’écartons nullement la possibilité qu’elle soit juste.

Ce qui nous importe plus que tout, c’est qu’il termine par le constat de la nécessité du chaos-des-événements pour freiner et désintégrer cette barbarie du chaos-des-fous. Cela implique qu’il existe une sorte de “chaos-vrai”, imposé par des événements dont la généalogie, la progéniture et la production nous dépassent, et que lui seul détruira le misérable “chaos-barbare” des petits hommes, ultimes rejetons et avatars absolus de la modernité qui s’effondre : seul le chaos vaincra le chaos, rencontrant le principe tant de fois sollicité, aussi bien du “contre-feu” que du “faire-aïkido”.  

« Parlant d’événements, je pense à une crise économique, comme cette récession massive qu’annonce un économiste réputé comme Roubini... Non seulement une récession mais des phénomènes de pénurie énergétique, de pénurie alimentaire, provoquant un chaos non seulement économique mais politique que personne ne pourra contrôler... Et cela pourrait être la meilleure chose qui puisse arriver quand on voit les possibilités de ce qui peut arriver dans l’esprit de certains qui prétendent contrôler les choses, en Ukraine où ailleurs, ... ce chaos pourrait être bien la meilleure chose car il serait impossible de le maîtriser [pour imposer une confrontation]... »

 

Mis en ligne le 22 octobre 2022 à 17H00