Offensive préventive

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Offensive préventive


21 janvier 2003 — Hier a eu lieu, au Conseil de sécurité, une séance qui a ouvert ce qui sera sans aucun doute une rude bataille, peut-être encore plus rude que celle de l’automne dernier (entre la mi-septembre et le 8 novembre, jour du vote de la résolution 1441). Au centre de cette perspective, il y a la France, qui a effectué une première offensive (qui a surpris les Américains) pour bien fixer sa propre position d’opposition à toute guerre immédiate et prévenir une possible poussée US.

Cette position française prépondérante, c’est sans aucun doute la lecture des événements que font les Américains. Cela est symbolisé par le fait que le New York Times (NYT) fait la manchette de l’article traitant de cette question, sous le titre  : « France Warns U.S. It Will Not Back Early War on Iraq. » Les termes, en général, on été extrêmement fermes, avec la France évoquant la possibilité d’utiliser son veto si les Anglo-Américains insistent pour faire voter une résolution autorisant la guerre.

L’article du NYT est intéressant dans la mesure où il reflète bien les réactions américaines devant l’attitude de la France, avec plusieurs séquences.

• D’une part, il est fait état des garanties qu’aurait données la France dans des contacts de couloir. L’idée est présentée à plusieurs reprises dans l’article (par exemple  : « diplomats said that Mr. de Villepin had told Secretary of State Colin L. Powell in closed meetings that France would be more inclined to support war if United Nations weapons inspectors confirmed after another two months or so that Iraq was not willing to disarm peacefully »).

• On voit aisément qu’il y a une amorce de quiproquo dans ces contacts et ces garanties. Pour les Américains les plus “modérés” (tendance Powell), le soutien de la France est tout de même acquis sur le terme mais il faut laisser un peu de temps pour rendre la cause de la guerre plus crédible. Du côté français, le jeu est tout à fait ouvert et, s’il y a effectivement coopération et efficacité du côté des inspections, la guerre devient une option à rejeter.

• Par ailleurs, malgré ces contacts, les Américains ont été surpris par le ton et la fermeté des Français, et ils se sont trouvés réduits à la défensive, Powell devant improviser en hâte une réponse à l’intervention française (« Mr. Powell seemed to be caught off guard by the resistance, especially the French broadside. »).

Un point important, qui va peser dans le débat, est la proximité franco-allemande (avec en plus le fait que l’Allemagne succède à la France le 1er février, à la présidence du Conseil). Elle permet aux Français de s’appuyer sur un bloc de puissance qui ressemble de plus en plus à une “politique européenne”  ; elle permet aux Allemands, affaiblis par divers facteurs mais fixés dans une position d’opposition à la guerre, de se trouver renforcés et d’avoir les moyens d’éviter un isolement, voire l’humiliation de devoir capituler devant les pressions US à l’ONU lorsqu’ils seront président du Conseil. Les deux pays ont besoin l’un de l’autre et leur intérêt est de se soutenir mutuellement. Au niveau européen, cette circonstance constitue d’accroître l’isolement britannique.

[Le Times de Londres a effectivement cette approche, plus “britannique” et plus européenne, mais qui rend compte du même rapport de forces  : la France comme acteur central, cette fois avec l’Allemagne, aux dépens du Royaume-Uni  :


« During a Security Council summit meeting, France and Germany spoke strongly against an attack on Iraq as Britain and the United States struggled to muster support for the use of force. Russia and China also expressed strong reservations.

» France, a permament member of the Security Council, and Germany, which will chair the council from next month, appeared to be moving closer to a common policy that would thwart Britain’s desire for a second UN resolution authorising a war. »]


Une nouvelle bataille onusienne s’engage, où l’on retrouvera effectivement les mêmes principaux acteurs qu’à l’automne, mais dans des positions encore plus affirmées. Après leur brillante campagne de l’automne dernier, les Français sont désormais les leaders naturels de l’opposition aux USA. Ils en sont tout à fait conscients, comme on le voit au niveau de la tactique. Capitalisant sur cette position, ils ont pris l’offensive pour prévenir une poussée américaine, — en quelque sorte, une offensive préventive, mais plutôt de type soft, dans la manière française.


« Rather than waiting for the report on Monday, diplomats say, France decided to take a strong stand a week ahead of time in an effort to prevent the Bush administration from forcing the issue of Iraqi compliance in the Council at the end of this month, diplomats said. »


La grande question est surtout posée du côté de Washington  : que vont faire les super-faucons ? Laisseront-ils faire cette bataille qui prendra du temps, alors qu’on sait comme une évidence que le temps travaille pour les adversaires de la guerre, la France en premier ? L’emporteront-ils, forçant Powell à choisir l’épreuve de force à l’ONU, quitte à lancer une guerre unilatérale ?