On pend bas et très court

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On pend bas et très court

3 janvier 2007 — Nous vivons une époque qui invite à élaborer des théories de complots à n’en plus finir, tant les actes qui nous sont présentés sont d’une maladresse difficilement croyable s’ils ne sont pas expliqués de cette façon. La pendaison expéditive et naturellement inhumaine, grossière, maladroite, de Saddam Hussein ne déroge pas à la règle. Ce n’est pas pour autant que nous adhérons à une théorie d’un complot parce que nous avons une croyance sans fin en la thèse — peut-être thèse ultime du complot définitif — selon laquelle notre époque et notre système favorisent au-delà de tout la stupidité, la médiocrité, la cruauté et la grossièreté dans les actes des gouvernements étiquetés “démocratiques” et de leurs adjoints du domaine de l’information officielle. Mais nous comprenons que l’idée du complot puisse retenir l’attention.

Quant à l’existence du crime, elle ne fait aucun doute. Nous ne parlons pas de celui de Saddam, dont on nous rebat les oreilles depuis que l’Amérique a mis l’Irakien tout en haut sur la liste des “méchants”, comme si l’espèce humaine avait enfin identifié le Diable et son train ; nous parlons du crime imbécile et maladroit que fut sa pendaison.

La chose est si évidente qu’elle est proche de la caricature. On ne peut imaginer, après le procès grotesque qu’on sait, circonstances si complètement promises à provoquer une humeur de dégoût et un mouvement de condamnation que celles de l’exécution. Le régime irakien et ses parrains américanistes se sont acquis un peu plus la considération méprisante du reste du monde (the Rest Of the World). Lorsque d’autres précisions sont apportées, notamment sur son comportement lorsqu’il était en captivité, Saddam apparaît par comparaison comme un personnage digne et respectable. La transmutation du tyran en martyr a été réalisée presque sans coup férir, effet catastrophique as usual de la politique du virtualisme anglo-saxon.

• L’effet collatéral, du type “dommage” non contrôlé, est naturellement considérable. Une chronique dans le Guardian de Ghada Karmi, chercheur à l’Institute of Arab and Islamic Studies de l’université d’Exeter, donne une bonne idée de l’émotion critique soulevée par l’exécution, notamment dans le monde arabe. La chose est droitement écrite et montre une indignation justifiée.

«The spectacle of Saddam Hussein's execution, shown in pornographic detail to the whole world, was deeply shocking to those of us who respect propriety and human dignity. The vengeful Shia mob that was allowed to taunt the man's last moments, and the vicious executioners who released the trapdoor while he was saying his prayers, turned this scene of so-called Iraqi justice into a public lynching. One does not have to be any kind of Saddam sympathiser to be horrified that he should have been executed -— and, so obscenely, on the dawn of Islam's holy feast of Eid al-Adha, which flagrantly defies religious practice and was an affront to the Islamic world. […]

»For the Arab world, this has been a shameful, humiliating event that underlines its total surrender to western diktat. The execution was carried out under the auspices of a foreign occupying power, and with a clear western message: we give ourselves the right to invade a sovereign Arab state and remove its leader because he offends us; we think you Arabs are incapable of sorting out your own affairs in accordance with our interests, so we will do it for you.»

• Nous vous recommandons de lire la “table ronde” organisée par l’excellente Any Goodman, sur Democracy Now !, le 2 janvier. Divers sujets sont abordés par les invités, tous du plus grand intérêt, — l’aspect légal du procès et de l’exécution, le point de vue kurde avec notamment un excellent rappel du rôle complice des USA avec le régime de Saddam Hussein jusqu’à la guerre du Golfe de 1990-91, etc. On retiendra ici l’interprétation que donne le professeur Richard Falk (Professeur Emeritus de droit international à l’université de Princeton et professeur attaché à l’université de Californie, à Santa Barbara) de l’attitude des Etats-Unis dans cette affaire.

AMY GOODMAN: Well, talk about the timing and what it meant. And can you talk about the US role? I mean, [Saddam] was killed in Iraqi custody, though that only happened in the last hours before he was executed, the transfer.

RICHARD FALK: Yes, precisely. As far as we know— it is to some extent based on circumstantial evidence — the US orchestrated the whole process and was very intent on accelerating both the reaching of judgment and now the announcement of the process that culminated in this execution. The timing of the verdict seemed connected with the American November elections. The timing now seems clearly connected with both the hope to divert attention from passing the 3,000-death threshold, as well a s— and I think this is more important — creating a possibility for President Bush to contend that this is — that the United States is making progress in the Iraq war and that all that is required to achieve the goals that he has set some years ago is the patience of the American people and the support of Congress when he unfurls this new turn in American policy, which is expected to include the recommendation of — or the decision to send an additional 20,000 to 30,000 American troops to Iraq.

AMY GOODMAN: Now, the New York Times had a front-page piece yesterday, on January 1st, saying that the US felt that Iraq was rushing the execution. You’re making the opposite case in a piece you wrote, “The Flawed Execution of Saddam Hussein,” that the US was trying to speed it up.

RICHARD FALK: Well, yes. It may be that at the very last moment, because it became so clear that this was going to be a very ugly, ugly way of handling the execution, that there was an attempt to make it conform at least to Iraqi internal law, which had, as far as we know, required that no execution be carried out during an Islamic holiday, and the Saturday when Saddam Hussein was executed was the first day of the Eid holiday, which is the most sacred day in the Islamic liturgical calendar and a holiday that is supposedly dedicated to the ethical theme of forgiveness.

And beyond that, there was clearly the sense that the execution should be carried out in a manner that doesn't deepen the sense that this is an incident in internal sectarian strife within Iraq, rather than a matter of rendering justice. So I think the people in Iraq got very nervous. The American handlers of the policy surrounding Saddam Hussein got very nervous at the very last stage, when they saw what the Iraqi leadership planned to do with this event associated with the execution.

La surréaliste maladresse américaniste

Divers autres aspects parmi les réactions suivant l’exécution de Saddam et les conditions de cette exécution, y compris la diffusion de films clandestins de l’exécution, montrent le désordre complet de ces réactions, la rancœur et la colère marquant en général ces réactions. Un jugement pratique sur cet événement montre qu’il a constitué un “désastre de relations publiques” pour le gouvernement irakien et l’administration GW Bush. Rien ne peut plus nous étonner à cet égard.

L’exécution de Saddam Hussein a montré que l’incapacité des autorités américanistes à contrôler même les événements les plus complètement sous son contrôle théorique était sans fin et nous réservait encore des surprises. Cet événement — l’incapacité de contrôler l’événement de l’exécution — doit être apprécié dans le contexte plus large de la situation en Irak, du point de vue de l’action de la direction américaniste, telle qu’elle est rapportée dans un article important et révélateur publié par le New York Times le 2 janvier, sous le titre : «Chaos Overran Iraq Plan in ’06, Bush Team Says». L’article décrit en général l’échec constant et catastrophique de la direction US, son incapacité de type systémique à contrôler la situation en Irak tout au long de l’année 2006, et bien sûr l’incapacité de lui imposer son orientation stratégique. Il montre clairement la Maison-Blanche constamment distancée et prise à contre-pied par les événements, et constamment confrontée à l’irréalisme de son appréciation virtualiste de la réalité («This left the president and his advisers constantly lagging a step or two behind events on the ground. […] Over the past 12 months, as optimism collided with reality…»).

D’une façon générale également, la même interférence des conditions politiques et politiciennes générales à Washington est constatée tout au long de l’année 2006 dans les événements irakiens, tout comme elle l’est dans le cas de l’exécution de Saddam selon l’appréciation qu’en fait le professeur Falk. («This year [2006], decisions on a new strategy were clearly slowed by political calculations. Many of Mr. Bush’s advisers say their timetable for completing an Iraq review had been based in part on a judgment that for Mr. Bush to have voiced doubts about his strategy before the midterm elections in November would have been politically catastrophic.»)

Ces diverses appréciations nous conduisent à considérer l’événement du procès et de l’exécution de Saddam comme archétypique de la situation de désordre et du caractère incontrôlable pour les USA de la crise irakienne, aussi bien en Irak qu’à Washington. Il existe une atmosphère générale d’auto-désinformation, typique du caractère virtualiste de la situation, qui interdit tout espoir de la possibilité d’une reprise de contrôle de cette situation qui devrait évidemment passer d’abord par sa compréhension. Pour le cas de Saddam, personne en Occident, dans les sphères officielles et dans la presse MSM qui soutient ces sphères, n’a été capable d’apprécier la situation et le problème d’une façon qui puisse se rapprocher d’une certaine objectivité distanciée, donc d’une appréciation juste et réaliste de la situation. Le seul impératif de jugement et d’appréciation était que ce jugement et cette appréciation fussent conformes aux canons du conformisme occidental.

• La description propagandiste hystérique de Saddam par la presse officielle occidentale, particulièrement anglo-saxonne, particulièrement chez les commentateurs appointés et engagés dans le soutien de l’axe transatlantique Blair-Bush, interdit cette distance qui permet une approche mesurée et réaliste de la situation. Les journalistes anglo-saxons sont pour la plupart incapables de parler de Saddam hors des lieux communs grossiers tels que “le tyran”, “le boucher de Bagdad”, etc. Toute leur réflexion finit par se réduire à cette grossièreté vitupérante qui agit comme une infection du jugement. Le résultat est à mesure, — également grossier. La presse anglo-saxonne est aujourd’hui bien plus intoxiquée par sa propre propagande virtualiste que ne fut la presse officielle soviétique du temps de l’URSS.

• La position officielle, anglo-saxonne surtout, est caractérisée par un discours officiel extraordinairement détaché de la réalité et complètement virtualiste, — c’est-à-dire dans une situation où ceux qui disent cette irréalité y croient également. La pensée des acteurs de la direction anglo-saxonne est réduite à la fiction propagandiste qui leur est fournie en guise de manifestation du jugement. On mesure ce que cela signifie avec le cas Bush. La réaction de Bush à l’exécution («It’s a testament to the Iraqi people's resolve to move forward after decades of oppression, that despite his terrible crimes, Saddam Hussein received a fair trial. This would not have been possible without the Iraqi people’s determination to create a society governed by the rule of law.») — est ainsi décrite par le professeur Falk :

«I can hardly imagine a more Orwellian description of the actual trial. And to hear those words juxtaposed with the reality that we’ve been discussing this past hour suggests either the extreme detachment of President Bush from the notion of what a fair trial constitutes or a deliberate confusion of what happened with what the American people are being told happened by our leadership and, as Professor Collins suggested, by the most supposedly reliable mainstream media. So, it’s part of spinning an event in such a distorted and deformed manner as to really commit a kind of crime on the language itself and on the seriousness of the events that were taking place.»

L’exécution de Saddam se place dans la logique de son procès, et n’a rien à voir avec les agissements, la culpabilité possible, etc., du président irakien. C’est un événement qui se place dans la situation et la logique américanistes du conflit, et nullement dans la situation de l’histoire de l’Irak et de la nécessaire observation, compréhension (et éventuellement condamnation) des agissements de Saddam Hussein. (Le professeur Richard Falk observe, à propos de ce que le procès de Saddam Hussein aurait dû être et qu’il ne fut pas : « And that makes political, moral and legal sense, as the main purpose of such trials is not the punishment of the defendant, but, really, the political education of the society and the wider global public, in the hope that such an exposure of criminality will be a warning to the people and to future leaders of their accountability for crimes of state.»)

L’événement illustre le chaos irakien suscité par les USA, les erreurs et les incompréhensions des USA, et l’échec évident des USA dans cette crise, sans doute jusqu’à la catastrophe finale. Il n’a rien à voir avec l’appréciation historique qu’on devra faire plus tard du rôle et des actes de Saddam. Dans cet événement, Saddam n’a été qu’un comparse, un figurant même si c’est le premier. Le fait qu’il ait tenu dignement son rôle en montrant un comportement humain remarquable qui dépasse largement, en la ridiculisant pour son aspect sommaire, l’étiquette-“boucher de Bagdad” qui tient lieu d’analyse psychologique des Anglo-Saxons, n’a fait qu’accroître la mise en évidence de la pauvreté du scénario officiel et de la maladresse extraordinaire de son exécution. Littéralement, les Anglo-Saxons officiels n’y comprennent rien.

Le procès et l’exécution de Saddam ne règlent rien du cas Saddam, au regard de l’histoire, de la politique, etc. Par contre, ils confirment une fois de plus, comme dans une litanie sans fin, la catastrophe irakienne et l’extraordinaire, la surréaliste incompétence du système américaniste, — Washington et ses acolytes du moment dans le même sac.