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1er août 2002 — Avec GW et avec les projets d'attaque de l'Irak, il faut se garder de parler de “tournant”, comme s'il y avait une route qu'on suivrait, quelque chose d'assez bien défini, tant cette affaire est caractérisée par le désordre et la confusion. Il n'empêche, on peut croire qu'on distingue des tendances. Depuis quatre, cinq jours, il y a des signes qui, après d'autres et apparaissant comme autant de confirmations, commencent à faire croire à une évolution des esprits.
Nous en donnons un aperçu rapide, qui ne peut prétendre être complet mais qui nous semble au moins significatif :
• La prolifération de “fuites”, donnant autant de “plans” d'attaque qu'il y a d'imaginations fertiles chez les planificateurs, procure finalement une impression étrange. Certains s'en font l'écho. Certes, il y a manipulation, désinformation, manoeuvres, etc, mais tout cela finit par conduire indirectement à un double constat qui exprime le contraire de la détermination : le constat que ces diverses tentatives de manipulation en viennent à se télescoper, à se manipuler elles-mêmes, et sombrent dans la confusion ; le constat que les luttes bureaucratiques à l'intérieur de l'administration, pour ou contre, pour tel plan et contre tel plan, sont si intenses qu'elles en viennent à créer une impuissance institutionnalisée.
• Puisqu'on est dans les “fuites” et dans les évaluations, il y a désormais celles qui concernent les coûts de la guerre. Cette guerre serait très chère et risquerait de déstabiliser l'économie US. Cela ne rassure pas.
• Une certaine évolution dans la presse. Par exemple, en quatre jours, le Washington Post a sorti trois articles détaillés qui sont autant de plaidoiries indirectes contre l'attaque. Il y a notamment l'article de Thomas E. Ricks du 28 juillet, exposant de façon significative les réticences des militaires ; et l'article du 31 juillet de Joby Warick, exposant qu'on n'a aucune preuve sérieuse de la présence d'“armes de destruction massive” chez Saddam.
• Il y a l'entrée en scène du Sénat. Après bien des hésitations, les sénateurs commencent à affirmer leurs doutes, leurs hésitations, etc. Il y a de la politique derrière tout cela, avec la lente réapparition des démocrates (le sénateur Biden, qui mène la Commission des Relations extérieures, qui commence des auditions) ; avec, aussi, le retour des parlementaires pour reprendre un peu de leurs prérogatives massacrées ces derniers mois. Il n'empêche, la cause de la prudence, voire du scepticisme devant une attaque en Irak, semble de plus en plus acceptée pour elle-même, et les intentions politiciennes n'empêchent pas qu'elle vaille elle-même pour ce qu'elle est.
• Les alliés ? Le soutien de Tony Blair, si déterminé à certains instants, nous paraît bien tactique à d'autres, — tout cela, en un mot, très britannique. Là où Britanniques et Américains s'entendent, c'est plutôt pour saboter les projets de guerre. Quant aux Français et aux Allemands, à qui on essaie parfois de faire dire plus qu'ils ne disent pas, Chirac et Schröder ont remis les points sur les i à l'issue de leur rencontre du 31 juillet.
Voilà, et on en passe (par exemple, l'hostilité des pays arabes, comme Tony Blair a pu le mesurer en recevant le roi de Jordanie ; ou bien, l'annonce d'élections en Turquie, qui vont fortement compliquer le soutien turc à une attaque, déjà très mesuré et plein d'arrière-pensées et cette fois confronté à une opinion publique hostile à cette attaque).
Cela ne veut pas dire qu'on pourrait annoncer que la cause est entendue. Le gouvernement GW, qui est faible et divisé, vit sur des effets d'annonce dont il est obligé de faire des politiques de crainte de “perdre la face”, — puisqu'il semble n'avoir effectivement que cela à défendre, la face. L'affaire irakienne est devenue une question de crédibilité et le gouvernement se battra pour défendre cette soi-disant vertu de gouvernement. La poussée favorable à la guerre existe toujours et, parallèlement aux événements qu'on a cités, on a continué à lire des articles annonçant et détaillant l'attaque.
Non, parlons de tendance. Aujourd'hui, il n'est plus hors de saison d'argumenter contre le projet d'attaque. Ce qui se passe est le contraire de ce qui se passa en 1990-91. En sept mois, Bush-Père et Baker rallièrent les uns et les autres, petit à petit, à leur projet de guerre. Aujourd'hui, petit à petit, les uns et les autres prennent leurs distances, ou prennent date éventuellement. Le temps ne travaille pas impeccablement pour les projets de guerre de l'administration. Tout cela exacerbe les tensions intérieures, les affrontements, — le contraire de ce qu'il faut pour préparer un tel conflit. Ce qui conduit enfin à ceci : si, effectivement, se conforme et se renforce cette “tendance” hostile à la guerre, ou même simplement hostile à une guerre trop rapide, si la guerre devient de plus en plus difficile à faire et de plus en plus éloignée, c'est au coeur de l'administration que va s'installer la crise, avec peut-être des tentatives de coup d'éclat (mais peut-on faire une telle guerre sur un coup d'éclat>N>?). Décidément, la crise semble être la substance même de ce gouvernement.
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