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23 mars 2007 — L’ouverture des cieux transatlantiques jusqu’à l’intérieur des terres qui bordent l’Océan est un grand mythe du transport aérien, voire de l’aviation, et un mythe tout court du XXème siècle. L’un des très grands événements aéronautiques non-militaires du domaine, après la traversée de la Manche par Blériot (1909) et les débuts de l’épopée de l’Aérospatiale (1921-22), fut la traversée de l’Atlantique par Lindbergh (mai 1927). Par la suite, l’affirmation de la puissance US autant que la soi-disant ouverture des USA au monde, avec leur victoire de 1945, confirmèrent le caractère mythique de la ligne transatlantique en y ajoutant la dimension commerciale bien-aimée. C’était le temps où la TWA et ses Constellation, la PanAm avec ses Douglas DC-6 et DC7 mélangeaient habilement mythe et commerce.
A côté de cela, ou justement à cause de cela (de sa puissance évocatrice et, par conséquent, de sa puissance commerciale implicite), la ligne autant que les cieux des deux continents qu’elle reliait furent largement réglementés, limités, contrôlés, etc., — le contraire de l’“ouverture” proclamée. C’est ce carcan que prétend desserrer l’accord Open Skies dont il est question épisodiquement depuis la fin des années 1970 et la dérégulation entamée aux USA par l’administration Carter. L’accord actuel, signé hier entre UE et USA, conclut un cycle de 5 ans de négociations.
L’aspect très particulier et intéressant de l’accord est qu’il est parfaitement la caricature, voire l’antithèse d’un accord selon le bon sens. Comme c’est ce à quoi on est arrivé en 5 ans et que tout le monde a signé dans la plus complète mauvaise humeur, on en déduit que tout accord transatlantique fait aujourd’hui selon l’esprit qui prévaut (le besoin d’accords transatlantiques, le besoin de dérégulation, le besoin moral de transfigurer nos valeurs soi-disant humanitaires et soi-disant communes en soi-disant libre-échange) est un accord qui défie le bon sens et aggrave les humeurs et les choses. C’est le cas.
• D’une part, nous dit l’International Herald Tribune du 21 mars, personne n’est satisfait. L’article donne quelques explications et hypothèses techniques et commerciales auxquelles nous nous attacherons peu, citant simplement l’état d’esprit des différentes parties et, par conséquent, le “climat politique” de l’accord.
«European negotiators expressed satisfaction over the agreement as a first step but disappointment that they did not reach their most cherished goal: to allow European airlines and shareholders to control a much larger share of any U.S. airline than 25 percent, and vice versa.
»Britain is livid that there was a deal at all, because it could open London Heathrow Airport to competition from U.S. carriers that have no rights there now. However, the British bowed to the inevitable.
»All major players in the United States also dislike the plan to some extent, particularly labor unions.
»“We don't fully understand it yet,” said Edward Wytkind, executive director of the transportation trades department of the AFL-CIO, the labor federation.
»After being told by the U.S. government that union leaders would be consulted, Wytkind said the plan was revealed only a day before the official announcement. He said some of the vague language appeared to be “kind of a wink” that new trans-Atlantic rights would be sneaked in later, “and I find that highly improper.”
»Leaders of the Transportation Committees in Congress greeted agreement cautiously and said they might well try to kill it. Several members said they suspected that the accord had many backdoor ways to go much further with changes than Congress would like. The U.S. Transportation Department, like many officials in Europe, is disappointed that the plan was not more extensive and did not allow greater cross-Atlantic airline ownership.»
• Deuxièmement, nous dit Jeremy Warner de The Independent de ce jour, c’est un accord catastrophique pour le Royaume-Uni, le grand promoteur des “special relationships” et de l’engagement de l’Europe dans le giron US. (On a pu le deviner avec l’expression imagée et colorée de l’extrait repris ci-dessus : «Britain is livid.») L’intervention de Tony Blair auprès de Bush pour tenter de sauvegarder les intérêts UK a provoqué l’effet attendu, — rien sinon pire, — et soulevé les ricanements habituels. Warner est furieux au point qu’on croirait lire du de defensa:
«Ah, the special relationship, the thing that joins us English-speaking nations at the hip in an alliance of mutual understanding and shared Anglo-Saxon values against the wrong-headed and conflicting demands of the dastardly Europeans.
»I am pleased to say that it seems to have worked a treat with the “open skies” negotiations, where despite frantic calls by the Prime Minister to his old pal in the White House, George Bush, Britain has found itself completely isolated and almost wholly ignored in opposing the deal hammered out between the US and the European Union.
»Having been so comprehensively outmanoeuvred, the UK Transport Secretary, Douglas Alexander, had no option but to put as brave a face on it as possible yesterday. The goal remained full liberalisation, he insisted, not the one-sided mishmash which has now been enshrined.»
• Les perspectives, elles, sont celles de l’affrontement. Il est révélateur de lire ce titre du Financial Times au lendemain exactement d’un accord signé entre l’UE et les USA : «EU and US set for ‘open skies’ collision.» Et l’article de nous expliquer la philosophie de la chose :
«The European Union and the US were set on a collision course on Thursday night over the next stage of liberalising transatlantic aviation.
»Within hours of European transport ministers approving a first stage “open skies” deal with Washington, political leaders on each side of the Atlantic set out conflicting visions for the onerous second phase of negotiations.»
Et ainsi de suite…
Que dire de plus que ne dit courtement notre titre : une référence, certes. “Open Skies” rassemble, avec sa signature et à partir de sa signature en un temps très court, toutes les contradictions, tous les blocages et toutes les incapacités d’être de l’alliance transatlantique. L’éblouissement de nos temps étranges est qu’il n’y a rien de mieux qu’un accord essentiel pour mettre en évidence notre désaccord fondamental.
Accordons un prix de quasi-perfection à “Open Skies” : en plus d’être mauvais, mal accepté par ceux qui l’ont signé, provisoire et déjà contesté, il est orné de plusieurs cerises qui méritent la mention et justifient le prix.
• La première cerise sur le gâteau est la confirmation (une de plus) jusqu’à la perfection du rôle de “Gros-Jean comme devant” que tient désormais systématiquement le Royaume-Uni. Blair est en passe de réussir son pari : il est effectivement quelque chose d’essentiel entre l’Europe et les USA, mais plutôt qu’un pont nous dirions un paratonnerre (invention de Franklin, ce grand ami de la France). Les Anglais prennent désormais l’essentiel des coups que l’Amérique a l’habitude de donner à l’Europe. Les Anglais sont le paratonnerre qui attire sur lui les éclairs de la colère fatiguée et américaniste que vous savez.
• La seconde concerne les US, vieillis, usés, affaiblis et hystériques. Ils ont signé un accord que les Européens anti-américanistes jugent injuste, et particulièrement les Britanniques, — tiens, sont-ce des anti-américanistes ? — et pourtant ils sont furieux. Ils ne comprennent rien à l’accord qu’ils ont signé et ils le jugent injuste pour eux-mêmes. Il ne faudra pas un mois pour que le Congrès, contrôlé par les démocrates amis des syndicats, entre dans la danse.
• La troisième cerise est écologique et climatique. Comme on le sait, l’accord remplit de fureur les partisans de la lutte contre la crise du climat dont, curieusement, l’UE, signataire enthousiaste de l’accord, et les Britanniques, signataires style-“Tony Blair, Right or Wrong” de l’accord, sont les chevaliers blancs.
Et maintenant, si on parlait d’autre chose? Des anti-missiles US en Europe, par exemple?