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361Nous nous référerons dans ce texte de commentaire à la nouvelle du très prochain lancement du site OpenLeaks, que nous présentons au travers d’un texte de Threat Lecvel dans Ouverture Libre ce 17 décembre 2010. Nous nous demandons si la critique générale d’Assange et de sa méthode, faite au travers des commentaires laudatifs de OpenLeaks est justifié, notamment de la part de Stephen Aftergood, déjà cité (le 4 décembre 2010) et qui avait, tout en désapprouvant clairement la méthode, donné une bonne définition de l’action d’Assange (ou du soldat Manning en l’occurrence) :
«You know, this whole “cablegate” was intended as a provocation. Bradley Manning said it would give thousands of diplomats heart attacks. The system has been provoked. It is—you know, it is outrageous. It’s kind of disgusting. The question is, is it good politics? I don’t think so.»
Qui a raison entre les deux méthodes, la “provocation” de WikiLeaks avec des torrents de diffusion de documents, ou l'éventuel travail plus “ciblé”, plus professionnel de OpenLeaks ? (Il faut tout de même remarquer que WikiLeaks, – donc Assange, – avait envisagé les premiers cette option plus sophistiquée, selon les explications de Threat Level, et il n’avait pas trouvé le soutien financier nécessaire.) Dans notre analyse, nous écartons par choix délibéré, autant que par jugement selon ce que l’on sait, l’hypothèse du torpillage de WikiLeaks (complot) par des montages d’organisations concurrentes, pour pouvoir développer notre raisonnement d’abord ; aussi, parce que des gens comme Aftergood, qui dirige le site POGO, ont eux-mêmes des références dans le domaine des fuites qui embarrassent souvent le gouvernement US.
@PAYANT La différence entre les deux approches est de type méthodologique, mais elle recouvre une opposition de perceptions fondamentales. Encore une fois, c’est important à noter, cette opposition n’engage pas nécessairement OpenLeaks contre WikiLeaks, puisque WikiLeaks a tenté (en 2009) d’appliquer la méthode que prône OpenLeaks. Donc, l’appréciation critique doit être tenue raisonnablement éloignée de la polémique, des questions de personnes (notamment Assange), etc. Ce qui importe, dans ce cas, c’est d’observer les différences et les caractères de ces différences des deux méthodes, qu’elles aient été voulues ou pas, qu’elles soient ou qu’elles seront appliquées ou pas.
La méthode OpenLeaks, telle qu’elle est annoncée, et telle que le ratage de 2009 de WikiLeaks l’a inspirée, est une méthode beaucoup plus professionnelle, beaucoup plus précise, qui se réfère constamment au code déontologique de la profession de journaliste et à ses règles écrites et non écrites. Il s’agit de rechercher la cible bien identifiée, que sont les excès du gouvernement, ses mensonges, ses dissimulations, ses abus. Il faut épargner les gens, les éléments accessoires, les structures et les services non impliqués, etc. Il faut être sélectif, ce qui suppose implicitement 1) qu’il y a des parties bonnes et qui peuvent être récupérables dans le Système, et 2) que le Système peut être, par conséquent, réformable. Il faut d’ailleurs noter que, même parmi les soutiens d'Assange et de WikiLeaks, on trouve des démarches assez approchantes. C’est le cas, grosso modo, de Daniel Ellsberg, l’homme des Pentagon Papers ; ses conceptions recoupent certains aspects de celles d’Aftergood (et d’OpenLeaks) mais n’empêchent nullement un soutien d’Ellsberg pour Assange et WikiLeaks.
Le caractère opératoire de WikiLeaks, tel qu’il s’est imposé de lui-même à notre sens, après un contrôle initial et peut-être des intentions différentes, a très vite été fondé sur la notoriété (celle d’Assange et du reste), l’effet de choc des masses de documents, soit disponibles soit d’ores et déjà distribués, l’impression effectivement d’une “provocation” qui s’attaque au Système as a whole, sans discrimination, sans aspect sélectif, etc. Encore une fois, nous ne croyons pas qu’il se soit agi d’une stratégie délibérée, même si Assange a des thèses assez radicales à ce propos. Nous voulons dire par là qu’il n’y a certainement pas eu prévision des effets et des conséquences, et, notamment, à propos de la question essentielle qu’implique le fait que la troisième “livraison” (après celles de l’Afghanistan et de l’Irak) a provoqué ces réactions absolument énormes alors que les deux premières étaient restées dans les normes des réactions devant des fuites importantes. Les réactions actuelles impliquent que cette troisième opération, qui n’était pas prévue pour nécessairement obtenir ce résultat, a touché à vif la substance du Système et la substance du fonctionnement du système.
Il y a d’un côté une approche rationnelle (des approches rationnelles, si Assange partage certaines d’entre elles), d’autre part une dynamique qui, une fois lancée, s’avère incontrôlable dans ses effets les plus dévastateurs. Il est évident que nous privilégions dans notre analyse, à la fois comme choix de ce qui est préférable et comme constat de ce qui arrive effectivement, la deuxième option. C’est ce que nous désignons comme la formation d’un “système antiSystème”, avec lequel tout se passe comme si ce système agissait d’une façon autonome, peut-être avec ses propres buts. Nous ignorons ce qu’AlterLeaks apportera, comment WikiLeaks subsistera, si l’un et l’autre seront concurrents ou complémentaires, – sans mentionner les querelles de personnes qui ne doivent pas compter pour rien, – mais nous estimons que ces divers processus, dans leurs concurrences et leurs critiques éventuelles, dans leur coopération forcée par moments, conduisent à un désordre dans l’organisation, à une dispersion des efforts qui, en ôtant sa rationalité à l’attaque contre le Système, – ou en lui interdisant l'accès à cette rationalité, – permet à cette attaque de se déchaîner et d’attaquer le Système comme un bloc qu’il faut détruire… Comme Clemenceau disait de la Révolution, il doit être bien compris que “le Système est un bloc”.
Mis en ligne le 17 décembre 2010 à 09H18
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