Otage ou prisonnier, — ou comment faire de l’argent, vite fait

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Voici comment il faut procéder. Vous contactez un de vos amis, Gardien de la Révolution en Iran. Ça se trouve facilement. Vous lui proposez honnêtement un marché “fifty-fifty”. Vous vous baladez, en Zodiac et en équipement de Marine britannique, entre Iran et Irak, plutôt vers l’Iran. Il vous capture. Le monde s’émeut. Vous passez à la TV, prisonnier détendu, cigarette au bec, disant que vous aviez franchi la ligne jaune et qu’il était normal qu’on vous arrête. L’U.S . Navy fait des manœuvres. GW dit que vous êtes un “otage” et que c’est une honte. Les Iraniens vous libèrent en grandes pompes, avec un costume et un sac de voyage gratuits (à conserver, pour votre comptabilité, rubrique “frais de déplacement”). Vous rentrez à Londres. On vous offre £150.000 à ITV pour une interview. Vous n’oubliez pas votre copain Gardien de la Révolution. Ça vous laisse tout de même £75.000 pour deux petites semaines de travail, en plus sous un climat presque estival.

Ainsi pourrions-nous calculer avec un brin de cynisme. Une partie de la presse londonienne et l’opinion publique ne l’entend pas, mais alors pas du tout de cette oreille. The Observer signale, ce matin, que la colère envahit l’opinion britannique courante. Il faut dire que, passer si lestement, de la tragédie humaine des otages emprisonnés, sur fond de guerre apocalyptique possible, bref tous les ingrédients de la tragédie, aux affaires vite faites, — tout cela a de quoi laisser un goût amer. C’est le cas.

En attendant, marins et Marines ex-prisonniers et ex-otages se portent bien.

«The sailors, who spent 13 days in captivity and at times feared for their lives, have been given permission by the Ministry of Defence to give exclusive interviews. The MoD justified lifting the ban on military personnel selling their stories while in service because of the “exceptional circumstances” involved.

»The former captives are expected to make around £250,000 between them. Faye Turney, the 26-year-old seawoman, is likely to get the most profitable deal. She is said to have sold her story for £150,000 in a joint contract with a newspaper and ITV.

»The development was criticised by politicians and relatives of victims killed in the Iraq war. Liam Fox, the shadow Defence Secretary, said: “One of the great things about our armed forces is their professionalism and dignity. Many people who shared the anxiety of the hostages' abduction will feel that selling their stories is somewhat undignified and falls below the very high standards we have come to expect from our service men and women.”

»Colonel Bob Stewart, a British commander of United Nations forces in Bosnia, told the Sunday Times that the MoD had turned a military disaster into a media circus. “The released hostages are behaving like reality TV stars,” he said. “I am appalled that the MoD is encouraging them to profit in this way.”

»Rose Gentle, whose son Gordon was killed by a bomb in Iraq, said: “This is wrong and I don't think it should be allowed by the MoD. None of the parents who have lost loved ones in Iraq have sold their stories.”»

Attendez un peu avant de continuer à tirer sur les pianistes. Qui les a faits ce qu’on les accuse d’être? Qui vante les vertus divines du marché et du profit? Qui a institué ce système où les pairies sont vendues aux soutiens d’un parti? Où la société dont un vice-président est actionnaire après en avoir été le président reçoit l’essentiel des contrats de reconstruction d’un pays qu’on semblerait avoir saccagé pour pouvoir exécuter les contrats prévus? Et ainsi de suite, dans le paradis anglo-saxon et hyper-libéralisé.

D’autre part, et puisque le soupçon est décidément comme le sparadrap indécollable du capitaine Haddock, on pourrait trouver un lien de cause à effet entre ces prisonniers souriants en Iran devenant soudain de malheureux otages enfin libérés, lisant leur compte-rendu devant la presse à Londres, — et cette autorisation étrange accordée en courrier express par le MoD.

Bref, tout baigne, y compris la confiance et l’honneur, dans l’univers de la vérité virtuelle. Mais la logique et le bon sens nous donnent le fin mot de l’énigme : cette époque hait le tragique qu’il y a dans l’homme. Un bon contrat ITV est le meilleur moyen d’achever de disperser ce qu’il pouvait y avoir de tragique dans cette aventure des prisonniers-otages. Ce n’est même pas de la tragi-comédie de moeurs mais de l’opéra-bouffe et rien de plus. L’opéra-bouffe, ça rapporte.


Mis en ligne le 8 avril 2007 à 16H08