Oui ou non à la fin, est-il l’idiot du “global village” ?

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Oui ou non à la fin, est-il l’idiot du “global village” ?


21 août 2006 — C’est une situation extraordinaire, lorsqu’un consensus, comme on dit, est en formation autour du thème : “l’homme le plus puissant du monde est un imbécile achevé”. On commence à penser qu’une jument, à sa place, ferait mieux l’affaire (référence impériale, on s’en doute). Pendant ce temps, ceci expliquant en bonne partie cela, le monde sombre avec entêtement et zèle dans la folie et le désordre.

A Washington, la saison de la chasse est ouverte, avec un peu d’avance, dans une partie de chasse très inhabituelle. GW Bush est l’objectif. Désormais, les coups viennent de son camp. Il semble que l’émission de Joe Scarborough, un ancien député républicain devenu présentateur de MSNBC, sur le thème “Bush est-il un idiot ?”, a marqué les esprits. (Voyez sur notre Forum, en date du 17 août, notre lecteur Francis Lambrechts, citant une transcription de cette émission du 15 août.)

Peter Backer démarre son article du 19 août dans le Washington Post sur le sujet :

« For 10 minutes, the talk show host grilled his guests about whether “George Bush's mental weakness is damaging America's credibility at home and abroad.” For 10 minutes, the caption across the bottom of the television screen read, “IS BUSH AN ‘IDIOT’?”

» But the host was no liberal media elitist. It was Joe Scarborough, a former Republican congressman turned MSNBC political pundit. And his answer to the captioned question was hardly “no.” While other presidents have been called stupid, Scarborough said: “I think George Bush is in a league by himself. I don't think he has the intellectual depth as these other people.” »

Il faut reconnaître qu’il est assez rare de voir discuter dans une émission de télévision un sujet aussi trivial, aussi grossier, relevant des emportements d’une discussion de café. Il est encore plus rare de constater que cette émission n’est pour autant pas déplacée, qu’elle est justifiée chez MSNBC alors qu’en d’autres temps elle aurait trouvé sa place dans les pages de Mad ou de Charlie Hebdo. C’est une indication du climat qui est washingtonien, mais également international, — climat d’exaspération devant ce mystère primaire qu’est la position de cet homme, son attitude, sa politique, ses entêtements et ainsi de suite. (“Cet homme”, dito GW…)

L’article de Backer cite d’autres exemples d’exaspération, ou d’ironie découragée. (L’ironie découragée de George F. Will, commentateur archi-conservateur, dans un article où il écrit : « Foreign policy “realists” considered Middle East stability the goal. The realists' critics, who regard realism as reprehensibly unambitious, considered stability the problem. That problem has been solved. » ; la Maison-Blanche a fait diffuser un e-mail de 2.432 mots, — trois fois plus que l’article de Will — pour réfuter l’article de Will.)

L’extraordinaire entêtement de GW, sa fantastique alacrité à poursuivre mécaniquement l’idée péremptoire, au milieu du bain de sang, que tout va bien en Irak, qu’on est en train de gagner, qu’en Afghanistan idem, ses idées lunatiques sur le “new Middle East”, son élan enfantin pour nous engager sous la bannière de la guerre contre la terreur, etc., tout cela devient insupportable. Nous entrons dans une période de grande fatigue, la “fatigue GW”. Pourrons-nous supporter encore longtemps le président des Etats-Unis ? John Prescott ne le supporte plus et, entre nous, Blair est d’accord avec Prescott.

D’autres signes nous viennent de cette “fatigue GW”, de milieux bien différents de l’establishment, avec des accusations et des observations qui ne prennent plus de gants.

• Il y a le jugement de la juge Anna Diggs Taylor, ordonnant à la Maison-Blanche de cesser ses écoutes téléphoniques et autres (via la NSA) qu’elle estime complètement illégales. Dans les attendus publiés le 17 août, tout le monde a pu noter l’un d’entre eux, dévastateur, qui fait dire à Dan Froomkin, du Washington Post, le 18 août : « It's not just virulent Bush-haters who think the president has been acting like he's the king — increasingly, it's also the judicial branch. »… Car l’attendu dit ceci : « We must first note that the Office of the Chief Executive has itself been created, with its powers, by the Constitution. There are no hereditary Kings in America and no powers not created by the Constitution. So all “inherent powers” must derive from that Constitution. »

• Autre attaque, à signaler en passant pour mesurer cette détestation générale, venue dans ce cas d’un homme jusqu’ici considéré comme un très fidèle et reconnaissant soutien de GW Bush, — puisque Bush l’avait fait nommer après une belle bataille là où il se trouve, à la tête du Middle East Forum. (Dans The Jewish Week du 18 août.)

«  But the equally hawkish Daniel Pipes agrees with much of the critique.

» “The urgency with which Bush has pushed democratization has created a unique opportunity for the Islamists” who are everywhere the most organized and most ideologically coherent force “to take advantage,” said Pipes, director of the Philadelphia-based Middle East Forum.

» According to Pipes, Bush “has been a radical, almost a revolutionary on Middle East issues, starting with pre-emption in Iraq [and] replacing stability with democratization.

»  “Israelis were not eager for the Iraq war,” asserted Pipes, “and they’ve been watching as their most fervent enemies come to power. I agree, it’s a very mixed picture.” Pipes argued that Bush also compromised Israel’s security interests by becoming “the first president to call” for a Palestinian state “and the president who allowed Hamas to come to power.” »

Bush est-il une punition de Dieu?

Les hommes ont prévu beaucoup de choses pour se débarrasser d’un président ou d’un roi encombrant, — la folie notamment. Mais l’idiotie? Qu’est-ce que c’est qu’être “idiot”? Qui peut le définir? Et si seul Dieu pouvait trancher en la matière?

Le problème étrange des capacités de GW ne date pas d’aujourd’hui. Il a surgi à plusieurs reprises. (Par exemple, les sénateurs Lugar et Biden, s’inquiétant, en octobre 2003, de l’inexistence du Président en face des affaires irakiennes déjà en pleine déconfiture. Il s’agit d’une accusation mettant en cause la personne même mais au propos spécifique d’une politique.)

Cette fois, le problème a, dans son exposé, une tonalité bien particulière.

• C’est la personne même du Président qui est mise en cause, — la référence à une politique, quand il y en a une, n’étant là que pour sa vertu démonstratrice. Bush est-il un idiot? Bush se prend-il pour un président de droit divin, à l’instar d’un monarque absolu, montrant ainsi un inquiétant déséquilibre de la psychologie? (Ce n’est plus le “roi George”, qui était fou comme chacun sait, mais “le président qui se prenait pour le roi George”, roi fou comme chacun sait [référence à George III d’Angleterre, effectivement dérangé mentalement, qui perdit les colonies américaines pour le compte de l’Angleterre]). L’attaque (l’inquiétude) est psychologique beaucoup plus que politique ; l’attaque en substance concerne la psychologie de l’homme.

• Les attaques viennent en général d’un segment de la vie politique US qui, jusqu’ici, soutenait GW Bush d’une façon radicale, ou bien d’un segment de l’establishment qui n’a aucunement l’habitude de sacrifier à des arguments de libelle partisan et diffamatoire. Là aussi, c’est moins une question de politique que de malaise devant une attitude, un raisonnement (une absence de raisonnement), etc. L’attendu de la juge, qui devrait rester dans le strict champ de la loi et des débats pompeux ou léonins qu’elle autorise, esquisse sans vraiment s’en dissimuler une critique plus psychologique que politique, une critique au marteau avec les interrogations sur la psychologie qui vont avec. (La réponse de GW est, elle aussi, du domaine de la polémique pychologique, voire psychiatrique, puisque le doute est jeté presque sur la capacité de la perception de ses critiques, y compris celle de la juge : « Those who herald this decision [of the judge Anna Diggs Taylor] simply do not understand the nature of the world in which we live »).

L’inquiétude est du type de la référence au conte d’Andersen, — “le roi est nu” ; non seulement parce que GW peut sans doute être désormais qualifié d’idiot comme on découvre que le roi est nu, mais parce que l’idiot se trouve là où il est. Dans un monde plus ordonné, GW serait resté le fils de son père, mi-alcoolique mi-born-again, sauteur et faiseur de “coups” foireux, gaspilleur sans gloire de sa part d’héritage, — et finalement, là où il aurait dû rester, pas plus idiot qu’un autre. Première question angoissée : comment le système peut-il accoucher de cela? Comment peut-il permettre que cela se passe, qu’un GW se retrouve en “king George”?

Deuxième question, plus, beaucoup plus angoissée encore : GW est resté 5 ans et demi avant qu’on ne se pose ces questions ; il a été élu (par magouille, mais bah, ce n’est pas le premier), réélu (bien, quoique avec magouilles diverses, mais bah…) ; il a été acclamé, il a servi d’étendard ; il a dit le vrai (aussitôt après 9/11) pour toute une nation, — et quelle nation ! Et dans quelle occurrence tragique ! Pourtant, puisqu’il l’est aujourd’hui, il était déjà un idiot… Et si son idiotie caractérisait finalement tout un système, le système qui conduit cette énorme puissance américaniste? Si, par conséquent, il était juste et logique que GW soit là, contre tous les grognements, les irritations et les exaspérations qui secouent l’establishment? Si, finalement, GW n’était ni un accident ni un anachronisme, mais l’achèvement logique du système?

En plus, dites-vous bien qu’il est là pour deux ans encore… L’américanisme n’en a pas fini avec sa psychanalyse. Nous tenons la chandelle, en tremblant un peu.