…Oui, pourquoi pas 1939 ?

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Oui, pourquoi pas 1939 ?

9 août 2012 – Le 3 août 2012, nous terminions notre F&C sur une interrogation, suivant l’affirmation d’un grand chef militaire (le SACEUR de l’OTAN) selon laquelle «[n]ous sommes en 1914» : «…Il n’empêche que l’analogie historique de 1914 est intéressante pour un autre propos et nous y reviendrons. (Car pourquoi pas 1939 ? Après tout, on parle aussi bien de septembre ou octobre pour une attaque, et si 1914 c’est la guerre le 4 août, 1939 c’est la guerre le 1er septembre…)»

Nous faisons là une interprétation symbolique des références utilisées par les acteurs de la crise générale et terminale du Système, selon une approche intuitive de notre sujet. Dans le chaos continu du flot d’informations distordues et manipulées dans tous les sens, générées par l’abondance des narrative et l’action ambivalente (type-Janus) du système de la communication, le symbolisme historique est un biais intéressant pour atteindre à la vérité notamment psychologique de la situation ; parce qu’il est non manipulé par définition, parce qu’il est perçu en dehors du système de la communication et souvent exprimé d'une manière non élaboré et donc hors de cette influence. Nous allons donc poursuivre le texte cité par une observation plus en profondeur, à la fois psychologique et métahistorique, à propos de la Grande Guerre

(… Cela, malgré les gâteries de communication, d’un très grand attrait publicitaire : se référer à 1939, “du bon côté” bien entendu, c’est évoquer Munich, l’immonde et “indicible” Hitler avec tout ce qui va avec, et là contre, couronnés de l’anneau des saints et de la vertu démocratique, musclée et anglo-saxonne, Churchill, la croisade des américanistes-occidentalistes, l’Amérique, Glenn Miller et Hollywood, et ainsi de suite. [Pas de place pour les ruskofs, toute la place aux yankees : voir le 16 février 2003.] Au reste, on sait bien que, souvent ces dernières années, face aux Hitlers de service, que ce soit Milosevic, Saddam, le terrorisme islamiste, etc., c’est bien 1939, Munich & compagnie qui furent sollicités, jusqu’à la narrative exaltante des “islamo-fascistes”. Beaucoup plus juteux, beaucoup plus “vendable”… On se souviendra qu’en ses heures triomphantes, en 2002-2003, le bloc BAO, c’est-à-dire essentiellement les USA et alors sans la France à laquelle était revenue le sens de sa dignité séculaire, l’analogie pour la grande guerre à venir, – celle de l’Irak, à quoi succéderait en cascade la conquête de six autres pays, tout cela bouclé en 2006, – l’analogie était bien 1939, Churchill, la détestation des “Munichois” dont Chirac était chef de file et ainsi de suite. GW Bush avait fait installer un buste du grand homme à la Maison-Blanche et les neocons ne juraient que par Churchill-sanctifié… C’était 1939, vous dit-on, et l ‘héroïsme commençait à Munich ! (Et il s’y arrêtait, au fait.) Ce bouleversement du réflexe analogique et symbolique est une indication fondamentale, on le verra plus loin.)

On sait que la Grande Guerre est un des évènements fondamentaux de notre thèse métahistorique du “déchaînement de la Matière”. Nous avons décrit à plusieurs reprises, sous des angles différents, ces conceptions que nous avons de ce conflit, soit au travers de la bataille de Verdun (voir notamment le 11 juillet 2009), soit directement à propos de la Grande Guerre elle-même.

On trouvera, rassemblés en un texte placé dans la rubrique La grâce de l’Histoire, divers extraits de nos diverses publications sur le sujet, – Verdun & la Grande Guerre, – ce 9 août 2012. On verra, dans ces nombreux extraits, que notre approche fondamentale de la Grande Guerre peut être expliquée sur deux plans de cette façon.

• La cause fondamentale de la Grande Guerre ne peut pas renvoyer à des explications historique de type classique. C’est pourquoi “les causes” conjoncturelle de la grande Guerre, dans l’historiographie classique, sont très contestées et très diverses. Certains vont même jusqu’à juger l’événement inexplicable, absurde, etc. Pour nous, toutes les causes avancées, si elles existent, – et elles existent en général, certes, – sont insuffisantes pour engendrer la Grande Guerre ; en un sens, la Grande Guerre est un événement trop important, trop fondamental, pour être contenu dans toutes les causes historiques qui sont avancées ; la différence est de l’ordre de la substance : la Grande Guerre les contient mais comme des appendices accessoires, car l’essentiel est ailleurs… Nous interprétons cette situation dans les divers extraits proposés, notamment à l’image des quelques phrases ci-dessous, – et l’on comprend bien entendu que la force principale (démographique, industrielle, culturelle, militaire, conceptuelle enfin) qui produisait ce bouleversement “tellurique” précipitant le conflit et le rendant inévitable, et qui lui donnerait son aspect terrible, c’était l’Allemagne. Cette puissance, à cette époque équivalent et modèle européens de l’américanisme, était l'éxécutrice et le porte-drapeau de l’“idéal de puissance” perçu comme le moteur d'un courant métahistorique fondamental exprimant métapolitiquement le “déchaînement de la Matière”…

«La Grande Guerre a éclaté parce que la réalité géographique, ethnologique et psychologique de l’Europe était précipitée dans le déséquilibre, parce que la dynamique déterminée par ses composants et exprimée dans sa politique et son économie était devenue insupportable. L’Europe était entraînée dans une dynamique de déstructuration. […] Le phénomène de l’immédiat avant-guerre jusqu’à la Grande Guerre pourrait solliciter l’analogie de la catastrophe tellurique ; il ressemble à ce phénomène de la croûte terrestre qui se craquelle, se fend et éclate enfin sous la pression des forces du feu déchaînées par le cœur en fusion du monde…

La puissance même de cette explication que nous proposons explique que le principal sentiment de la principale structure mise en cause, – la France, certes, la nation structurante par excellence, – envisageait les bruits annonciateurs de conflit comme quelque chose d’inéluctable, comme une fatalité d’une force en mouvement qui contraignait tout le reste. Cette force-là ne pouvait être qu’allemande, explicitée d’ailleurs dans cette citation de cette lettre de Rathenau au chancelier von Bulow en 1909 : «Il y a un autre facteur important, auquel en Allemagne nous ne prêtons pas toujours attention : c'est l'impression que fait l'Allemagne vue du dehors ; on jette le regard sur cette chaudière européenne (“c'est moi qui souligne” [écrit von Bulow, en commentaire de la lettre de Rathenau]), on y voit, entourée de nations qui ne bougent plus, un peuple toujours au travail et capable d'une énorme expansion physique ; huit cent mille Allemands de plus chaque année ; à chaque lustre, un accroissement presque égal à la population des pays scandinaves ou de la Suisse ; et l'on se demande combien de temps la France, où se fait le vide, pourra résister à la pression atmosphérique de cette population.»

…Et l’on trouvera encore, dans les extraits proposés, les éléments qui faisaient de cette puissante “chaudière européenne” prête à exploser un facteur de bouleversement civilisationnel, s’adressant directement à la métahistoire. Une puissance industrielle et technologique en expansion inouïe (alors à l’image des USA), une idéologie expansionniste et dévorante (le pangermanisme), une culture progressiste de rupture, envisageant un monde complètement nouveau et une dissolution de tous les cadres anciens, – en un mot, la folle course d’une postmodernité avant l’heure, non plus conduite par le Progrès, mais entraînant le Progrès sur son aire.

• Par conséquent, la Grande Guerre ne pouvait être que ce phénomène dans l’ordre de l’affrontement né du “déchaînement de la Matière”, ou encore dans l’affrontement de la déstructuration contre les structures. Comme nous l’écrivons encore : «La Grande Guerre ne se définit ni ne se comprend par des idées parce qu’elle est d’abord matière, et matière en fureur. C’est une “guerre révolutionnaire” au sens que suggère Guglielmo Ferrero quand il analyse la campagne d’Italie de Bonaparte. […] Ce ne sont pas les idées qui fomentent les révolutions mais la destruction des structures existantes par la brutalité de la guerre qui rend possible, sinon facile, sinon évidente comme un tourbillon fou aspire dans le vide qu’il crée tout ce qu’il happe dans sa dynamique, la pénétration des idées révolutionnaires sous la forme du diktat du désordre bien plus encore que du conquérant ; c’est la puissance mécanique qui compte et crée l’illusion de l’ordre (qu’on le nomme “révolutionnaire”, “soviétique”, plus tard “libéral”, qu’importe les étiquettes qui sont justement ces idées entrées par effraction…) ; c’est la puissance des armes et du maniement de ces armes, la façon dont on réduit l’adversaire en détruisant physiquement les structures qu’il a fabriquées, et non la soi-disant “puissance” des idées ; c’est l’inverse de l’harmonie et donc de l’ordre.»

A cet égard, la Grande Guerre fut absolument terrifiante à cause de la disposition de progrès technologique décisifs (le canon, la mitrailleuse), qui allaient physiquement contribuer à fixer toutes les structures, et les détruire méthodiquement, à les déstructurer, à les dissoudre sous les coups de la mitraille. Et ce constat est bien que la description de cette bataille d’anéantissement, c’est aussi une parabole pour la psychologie, les mœurs, la politique, la culture, la communication et la civilisation, – qui, en cette occasion, acheva de se faire “contre-civilisation” après qu’on nous eut annoncé que, désormais, “les civilisations étaient mortelles”. Ainsi notre interprétation est-elle bien celle d’un affrontement titanesque entre les forces déstructurantes et les structures de la civilisation appuyées sur ce que l’on pouvait retrouver de la Tradition. L‘apparence est que les structures avaient tenu, au prix d’un héroïsme inouï, comme la bataille de Verdun en présente l’archétype, mais la réalité fut que l’épuisement de cette “victoire” ouvrit la voie à la guerre suivante et à ses folies idéologiques, et à l’invasion du monde par l’installation du Système à partir de son centre américaniste, à l’inversion des interprétations faisant des USA une puissance d’apaisement, de contrôle, une puissance structurante, – les USA, un comble !

La guerre de 1939 (1941 pour les USA, – on prend toujours son temps avant de sauver le monde) est au contraire une guerre au parcours connu par avance, que l’on vit venir de loin, qui en un sens ne réservait aucune surprise (sinon les péripéties stratégiques et tactiques). Nul ne doutait qu’il s’agirait d’une guerre gigantesque, évidemment de dimension mondiale, avec des moyens mécaniques et industriels colossaux, avec en action des idéologies extrêmes et dont la sauvagerie était avérée… Les instruments étaient connus, les buts recherchés par chacun étaient assurés, les perspectives imaginables et envisageables même si le parcours était terrible ; la victoire elle-même était appréhendée dans toutes ses dimensions, avec déjà l’après-guerre préparé par les vainqueurs dont la division antagoniste ne faisait aucun doute. Dès août 1940, selon le témoignage de Maurice Schuman, de Gaulle, qui avait compris tout cela, ne s’inquiètait plus de la guerre dont il embrassait aisément le schéma, mais de l’après-guerre ; ce pourquoi, ses principaux “adversaires” furent les Anglo-Saxons… Il y avait dans cette guerre une dimension idéologique implacable mais bien identifiée, et une dimension de communication à mesure, impliquant la propagande, la narrative, etc. Tout était écrit, y compris l’horreur absolue, déjà identifiée.

Dans la Quatrième Partie du Premier Livre de La grâce de l’Histoire (voir le 2 décembre 2010), nous définissons effectivement la Deuxième Guerre mondiale, qui fut si complètement américaniste bien que les USA n’aient nullement été, et de loin, le facteur décisif de la victoire qu’on en a fait, comme une sorte de film sorti des studios d’Hollywood, – c’est dire si les choses étaient connues d’avance… D’ailleurs, nous ne faisons qu’emprunter cette idée à un professeur américain qui en a fait une thèse, puis un livre  :

«Des studios du cinématographe, nous passons aisément à la réalité puisque la réalité est désormais celle qui sort des studios, et rien d’autre ne s’y peut comparer en vérité. Le professeur George H. Roeder Jr., qui est professeur “of liberal art”, dont l’image du cinématographe fait partie, et nullement historien, nous présente la Deuxième Guerre mondiale sous les traits d’une “guerre censurée”; mais bien au-delà de cet aspect somme toute conjoncturel, il nous instruit dans ses remarques introductives de ceci qui résume notre propos à merveille: “La Deuxième Guerre mondiale fut le premier film dans lequel chaque Américain pouvait avoir un rôle. [...] La Deuxième Guerre mondiale offrit à chaque citoyen [américain] le double rôle de spectateur et de participant.” George H. Roeder Jr. nous dit bien plus de la réelle substance de l’événement de la Deuxième Guerre mondiale, de sa puissance et de son influence sur la psychologie américaniste (et sur le renforcement de l’américanisation de la psychologie des Américains), dans cette façon ‘cinématographique’ de l’aborder… […] Il ne s’agit pas ici de signaler un à-côté, un aspect intéressant mais tout de même marginal de la perception du grand conflit, notamment chez les Américains mais également sur les terres extérieures. Au contraire, nous prétendons décrire la substance de la chose, telle qu’elle fut modelée par la communication. L’appréciation de George H. Roeder Jr., si elle paraît sortir du laboratoire original mais limité du spécialiste, concerne au contraire l’entièreté du phénomène. La politique générale, les appréciations des dirigeants de cette politique, du moins ceux qui sont acquis au système, montrent une transcription en des concepts ‘sérieux’ de cette façon de percevoir l’événement. Il s’agit d’une véritable mise en scène de l’Histoire dans laquelle croit entrer l’Amérique, alors que ce qu’elle fait est de tenter d’annexer l’Histoire pour la faire ‘traiter’ par les régiments de scénaristes de Hollywood ; pour un certain temps, quelques décennies au moins, on put considérer que le tour avait réussi, passe-passe certes, mais dans le cadre sérieux de l’industrie cinématographique. Dans tous les cas, il s’agit de convenir que la communication, là encore, constitue l’arme absolue de l’américanisme…»

Ainsi en fut-il, par conséquent, de la référence de 1939 qui accompagna les premières années de la séquence historique, devenue métahistorique actuelle, commencée en 2001-2003. 1939, au contraire de 1914 aujourd’hui, ce fut l’installation paroxystique de la narrative prévalant jusqu’à la crise de 2008, et qui a influé directement sur l’aspect faussaire des conditions influant directement sur la situation actuelle, notamment avec la sensation de la puissance triomphante et irrésistible du bloc BAO ; ce fut l’installation d’une narrative des idées, ou idéologies, qui sont autant de faux-nez pour habiller sur un mode pimpant le “déchaînement de la Matière”, – attendu que l’on sait bien que ce sont les “bonnes” idéologies qui triomphèrent et qui triomphent toujours. Cette période est définitivement dépassée, avec l’apparition des limites dramatiques de la puissance du bloc BAO, passant de la perspective faussaire du triomphe à celle de la chute. Ainsi le choix de l’analogie de 1914 («Nous sommes en 1914…»), au lieu de celle de 1939, est pour nous, au travers du symbolisme qu’il implique hors de toute manipulation et de toute élaboration, d’une signification psychologique et métahistorique puissante. Ceux qui la font, qui sont prétendument du camp du Bien, savent bien, au fond d’eux-mêmes, que ce choix révèle la fin de la narrative triomphante et la prise en compte de l’abîme profond où vont les précipiter la course folle qui nous emporte désormais.

Aspect fondamental de l'approche symbolique

Nous tenons donc que l’importance du symbole du choix de 1914 est considérable, par la valeur même de l’approche symbolique, d’une part ; dans la mesure, d’autre part, où toute autre approche, plus rationnelle, plus documentée, sur la possibilité d’un conflit majeur et ce que serait ce conflit, est absolument impossible aujourd’hui. Comme on l’a dit, tous les esprits, et particulièrement ceux qui sont réputés “les mieux informés”, sont submergés par des courants de communication contradictoires, faussaires, parcellaires, etc., en même temps qu’il sont souvent sinon en permanence soumis à des agressions contre leurs psychologies qui faussent absolument leur perception. Toute la politique qui en émane, les analyses et les prospectives qui en sont déduites, sont soumises à des déformations inouïes, qui disqualifient absolument le mode de pensée courant dans les directions politiques et alentour, dans les conditions actuelles.

La voie du symbolisme est alors très intéressante, dans la mesure où elle restitue l’accès, par une approche codifiée et une psychologie qui échappe de cette façon à l’autocensure, à des pensées profondes et encore insoumises à la pression faussaire générale, et donc restitue une certaine vérité de la situation. Par conséquent, le choix de l’analogie de 1914, au lieu de l’analogie de 1939, devient très significatif. Ce choix doit être envisagé avec précision et, justement, du point de vue d’un jugement très rationnel dans notre chef. Dans la situation présente, la raison doit être utilisée particulièrement pour apprécier des démarches habituellement disqualifiées parce que jugées irrationnelles, qui restent irrationnelles ou pas peu importe, mais qui acquièrent une grande vérité par rapport à la catastrophe faussaire qui frappe toutes les voies normales de communication, et l’information charriées par elles, vers nos directions politiques.

A partir de ces constats sur l’aspect symbolique du choix envisagé pour l’analogie historique, il importe de comprendre ce que recouvre, également en termes de symbole, la dimension historique, stratégique et opérationnelle de 1914 plutôt que celle de 1939, et l’état psychologique que révèle cette situation. C’est là que nous rejoignons l’interprétation que nous donnons de la Grande Guerre, en vérifiant de la sorte la vérité du symbole. Il est assuré que, dans tout esprit d’un militaire ou d’un soldat de carrière avec une certaine expérience historique, de même que dans l’esprit de tout idéologue, la date de 1914 renvoie à une situation d’incertitude, à un saut dans l’inconnu, à une évolution imprévue et inattendue des évènements guerriers, à une guerre ou à un événement assimilé dont les causes sont confuses, les buts imprécis, les perspectives incertaines et éventuellement extraordinaires sinon terrifiantes. On en conclura, en nous référant au rappel des circonstances dans années 2001-2003 jusque 2008, avec la rupture marquée par cette année, qu’il y a aussi un changement fondamental dans l’état d’esprit des acteurs militaires, stratèges, idéologues, etc., dans les domaines de la stratégie et de la forme de la guerre, et dans la perception du destin du Système par conséquent. Cela nous laisse un champ nouveau pour interpréter les conditions conflictuelles envisagées aujourd’hui, dans la structure crisique générale et le déchaînement des “chaînes crisiques”.

Cela nous conduit à observer d’une façon générale qu’il est totalement insuffisant, lorsqu’un grand chef militaire appartenant aux réseaux et aux forces du bloc BAO vous dit «Nous sommes en 1914…», de s’en tenir à l’hypothèse d’un conflit, fût-il général, ou mondial, à l’image de la Grande Guerre. L’hypothèse que nous devons développer, à partir de la référence inspiratrice de l’intuition haute qui nous conduit, est bien que ce constat de l’analogie de 1914 concerne le caractère du conflit de 1914 tel que nous avons tenté de la définir. Ce que nous annonce cette image («Nous sommes en 1914…») est la perspective très rapide, sinon d’ores et déjà en cours, d’une situation conflictuelle autour de l’immense question de la déstructuration du monde. Puisque nous avons défini la Grande Guerre comme le premier conflit moderne de déstructuration, avec forces déstructurantes et forces structurantes qui s’affrontent sous une forme nécessairement titanesque, c’est dans cette direction qu’il faut proposer une prospective. Cela serait donc une répétition de 1914, mais d’un 1914 qui n’a strictement rien à voir avec nos livres d’histoire si sages et si rassurants, avec l’interprétation historiographique courante, académique, idéologique, géostratégique, militaire (tactique et stratégique), etc. Nous parlons de 1914 comme d’un conflit où la dimension métaphysique présente dans la problématique de la déstructuration du monde constitue une explication fondamentale, et l’effet sur les psychologies par le phénomène de la communication relayant la puissance inouïe du conflit étant lui-même d’une puissance inouïe. La différence méthodologique par rapport à l’analogie de 1914 se trouverait dans la rapidité du processus, beaucoup plus élevée aujourd’hui où le système de la communication est devenue l’acteur majeur de la puissance et de l’interprétation de la puissance.

Nous disons donc que lorsqu’ils disent «Nous sommes en 1914…», ils nous disent qu’ils se trouvent face à l’inconnu le plus profond, le plus sombre et le plus crépusculaire, car eux-mêmes ne savent pas ce que nous savons, notamment à propos du Système dont ils sont les jouets. De même, – et en parlant pour notre compte dans ce cas, – qu’il est avéré qu’en 1914 nous ne savions pas vers où nous nous dirigions, avec cette précision essentielle que nous ne savions pas que nous ne savions pas, de même est-il avéré qu’aujourd’hui nous ne savons pas vers où nous nous nous dirigeons, “avec cette précision essentielle” que nous savons que nous ne savons pas. (Référence aux “unknown unknows” de Rumsfeld.) Certains verront dans cette différence un progrès ; c’est le cas si l’on se tient du côté de ceux qui veulent la destruction du Système, ce qui est manifestement dans le sens de notre propos. Par contre, du côté de ceux qui sont au service du Système, qui sont habitués à la nécessité de la connaissance prospective pour le contrôle de leur destinée artificielle et manipulée, se trouve dans cette “connaissance de l’inconnaissance de notre avenir très proche” la source d’une panique de la psychologie, d’un affaiblissement décisif de cette psychologie. Cet état psychologique est de la sorte qui ne pourra qu’accentuer la possibilité de réactions erronées, furieuses, catastrophiques pour le parti représenté. Notre cas est exactement contraire, nous qui faisons vertu de l’inconnaissance ; la connaissance par avance de notre inconnaissance ne peut en aucun cas nous troubler.

La seule certitude de notre intuition, qui tient à ce symbolisme du «Nous sommes en 1914…», est que l’affrontement qui se précipite sera nécessairement celui des forces déstructurantes contre les forces structurantes, comme ce fut le cas en 1914. Pour cette raison et nous arrêtant à un cas conjoncturel évident comme exemple de la situation que nous voulons présenter, nous privilégions cette analyse que le “conflit” du bloc BAO contre l’Iran, déjà commencé puisqu’on peut le faire remonter à 1980, est bien caractérisé par une constante démarche déstructurante (voir le 7 août 2012) : «Le résultat “politique” est effectivement une guerre constante menée par les USA, depuis 1979, contre l’Iran, mais “substantivée” elle-même hors de la notion de guerre au travers de l’extraction des objectifs de cette guerre du contexte structurant de l’Iran ; cela revient finalement à faire une “guerre”, sous diverses formes, contre l’entité structurée que constitue l’Iran souverain et légitime, mais par défaut, sans reconnaître en aucune façon l'existence même de l'Iran souverain et légitime, en tant qu'entité structurée. […] Dans la démarche-Système de l'américanisme, ce qui est le plus important c'est l'hostilité aux valeurs structurantes, bien plus que l'hostilité à l'Iran lui-même.»

A ce constat, nous ajouterons que les adversaires de cette “démarche-Système” (américaniste) opposent naturellement, au travers de divers modes d’action, une action structurantes par logique de situation, parce qu’ils s’adaptent et s’opposent aux poussées déstructurantes dont ils perçoivent évidemment qu’elles sont le fait d’un Système devenu fou en passant du mode de la surpuissance au mode de l’autodestruction. Ces adversaires sont très variables et n’ont aucune identification d’étiquette, de nationalité, d’idéologie ; c’en est de cette façon qu’on peut considérer que les Iraniens tiennent aujourd’hui, pour la séquence considérée, le même rôle qu’eurent en 1916 les soldats français de Verdun face à l’ouragan déstructurant de l’artillerie installée pour déstructurer et dissoudre littéralement cette bataille d’anéantissement. La seule nécessité est leur fonction antiSystème.

«Nous sommes en 1914…» : ce mot n’indique qu’une chose, que l’intensité de la bataille avec le Système est en train d’atteindre un de ces paroxysmes qui peut signaler qu’il s’agit de l’affrontement final. Nous trahirions tout notre travail et le fruit de notre intuition, en ne précisant pas que c’est notre opinion et qu’en cette matière le Système, l’enfant du “déchaînement de la Matière”, est déjà battu. La cause en est qu’il porte en lui-même sa propre mort, qui ne peut être comparé à la mort que nous pourrions rencontrer, parce que la mort du Système est quelque chose qui échappe au destin de la Tradition ; elle ne peut être que celle de l’anéantissement dans sa propre infamie, de la dissolution dans sa propre entropisation.