“Out of” Basra…

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Out of Basra…


3 septembre 2007 — Il s’agit bien de la G4G (Guerre de 4ème Génération), pourtant les effets politiques sont semblables à ceux que toute déroute militaire produit. Les Britanniques ont quitté le Palais de Basra (Bassora), dernier point qu’il tenait encore dans la ville: 500 hommes évacués vers le point d’appui de l’aéroport, pas de pertes, etc., — et, pourtant, la sensation d’une déroute sans précédent. La ville est maintenant aux mains des diverses factions, gangs, milices et “unités régulières” irakiennes diverses.

Patrick Cockburn, l’excellent reporteur de The Independent, décrit cette “déroute”. Aucun autre mot ne semble convenir à l’événement, qui est en termes militaires assez dérisoire comme on l’a vu ci-dessus. Mais la perception éclipse absolument la réalité opérationnelle et se charge de tout l’apparat politique de la crise irakienne, — l’absurdité stratégique et politique de cette guerre, le cimier de mensonges sur lequel elle a été décidée, planifiée et exécutée, son illégalité fondamentale, l’inadaptation opérationnelle des “libérateurs” devenus dans l’instant même où ils entrèrent en Irak des envahisseurs puis des occupants. Par rapport aux buts de la guerre, c’est une déroute complète : «In terms of establishing an orderly government in Basra and a decent life for its people the British failure has been absolute» (Cockburn). Les mots de Cockburn, dans son article d’aujourd’hui, font l’affaire.

»The withdrawal of British forces from Basra Palace, ahead of an expected full withdrawal from the city as early as next month, marks the beginning of the end of one of the most futile campaigns ever fought by the British Army.

»Ostensibly, the British will be handing over control of Basra to Iraqi security forces. In reality, British soldiers control very little in Basra, and the Iraqi security forces are largely run by the Shia militias.

»The British failure is almost total after four years of effort and the death of 168 personnel. “Basra's residents and militiamen view this not as an orderly withdrawal but rather as an ignominious defeat,” says a report by the Brussels-based International Crisis Group. “Today, the city is controlled by militias, seemingly more powerful and unconstrained than before”.»

Du point de vue stratégique, Basra est certes une déroute, — aucun autre mot n’est acceptable. L’événement symbolise une rupture stratégique jusqu’alors latente mais évidente entre USA et UK. Le Guardian commente la chose (aujourd’hui).

«Politically, it inevitably casts light on the conflicting strategic direction of Washington and London, so soon into the premiership of Gordon Brown. Though ministers will portray the transfer of 500 personnel to Basra airport as a relatively small movement, and emphasise that there is no intention of a total pullout for now, any sense of withdrawal is politically charged at a time when the Bush administration is seeking to justify its beleaguered policy of the “surge”.

»Withdrawal from the palace removes British troops from a situation they believe carries huge risks but serves no useful purpose. Kevan Jones, a Labour member of the Commons defence committee recently returned from Basra, described the delivery of supplies to the garrison at the palace as “nightly suicide missions”.

»Tim Ripley, an analyst with Jane's Defence Weekly, told Reuters that the departure from the palace “widens the difference in our approach from our American allies who are continuing with their surge operations. We are retreating, the Americans are on the offensive.”

»While George Bush will have to deal with the political fallout of Britain's decision, countering possible allusion to it by the Democrats in their increasingly intense assault on the White House strategy for Iraq, in Iraq itself it will fall to US military commanders to cope with the logistical implications.

Quelle dimension politique accorder à l’événement, enfin? Cette opération militaire sans envergure et sans réels problèmes (l’évacuation du Palais) cristallise des relations USA-UK fondamentalement détériorées par l’aventure irakienne. L’éditorial de The Independent fixe bien cette dimension, qui est l’achèvement parfaitement antinomique au but recherché par Tony Blair, le responsable historique de la débâcle. Parlant du brusque déchaînement de fureur anti-US des généraux britanniques, à commencer par Sir Mike (dont l’intervention a mis le feu aux poudres), The Independent écrit :

«The unseemly blame game over who lost Iraq – so reminiscent of those earlier anguished debates over who “lost” China, or Vietnam – has broken out in full. We must now expect more of the finger- pointing that General Sir Mike Jackson and retired Maj Gen Tim Cross have now begun, and which will no doubt prompt sharp retorts and counter-accusations from the other side of the Atlantic.

(…)

»Their observations, in that limited sense, therefore are almost uncontroversial. What is wholly unprecedented is that they should have spoken out in this way in public. No matter the stresses and strains to which the Anglo-American alliance was subjected in recent decades, especially over the Balkans in the 1990s when there were countless off-the record briefings by one side against the other, it is hard to recall a time since the Second World War when differences between London and Washington have been aired in so open a fashion.

»Along with devastating a country, the bungled invasion of Iraq appears to have done lasting damage to the so-called Special Relationship with the United States as well.»

Un cœur à prendre…

Ainsi soit-il, — et martelons bien ce jugement, qui marque un “moment de vérité”, une de ces choses si rares dans une époque de virtualisme triomphant: «…it is hard to recall a time since the Second World War when differences between London and Washington have been aired in so open a fashion. […] …the bungled invasion of Iraq appears to have done lasting damage to the so-called Special Relationship with the United States as well.»

Ainsi devrait-on commencer à mesurer la profondeur du gouffre qui s’est creusé, à l’occasion de l’équipée irakienne et de la politique extrémiste et hallucinée de Tony Blair, entre USA et UK. C’est effectivement dans cette sorte de “moment de vérité” que tout le potentiel politique accumulé de cette détérioration des relations paraît au grand jour. Brown et ses ministres, et la presse conservatrice pro-US plutôt discrète sur la déroute de Basra, ont beau et auront beau y faire lorsqu’ils tentent et tenteront de colmater la brèche béante ouverte dans les relations USA-UK. L’événement affreux est qu’il s’agit d’une humiliation sans précédent de la puissance militaire britannique, cet orgueil qui soutient la volonté nationale britannique depuis trois siècle. La futilité des circonstances du déclenchement de la guerre, l’aspect militairement dérisoire des opérations depuis la conquête du pays, les contradictions tactiques et stratégiques perçues jour après jour, rendent insupportable par contraste cette humiliation.

Le “moment de vérité” résume la vérité profonde des “special relationships»: une humiliation constante sans partage pour les Britanniques, avec une accélération exponentielle depuis 9/11 consécutive à un engagement pro-US de plus en prononcé des Britanniques (effectivement, ceci explique cela, — c’est de cette façon que fonctionne cette sorte d’arrangement) ; et tout cela, depuis près de deux tiers de siècle pour des avantages dont personne n’a jamais pu faire un décompte précis, et s’ils existent vraiment autre part que dans l’illusion qui accompagne, comme une étrange naïveté, la vanité qui est le côté déroutant de l’orgueil britannique. Cette vérité-là, tout comme la déroute, est très dure à accepter. Les fureurs tonitruantes des généraux qui se foutent désormais du tiers comme du quart du “devoir de réserve” mesurent le poids du fardeau.

Mais nous ne sommes quittes de rien. Au contraire, on peut être tenté de dire une fois de plus: tout commence. Cette prévision a été dite plusieurs fois, mais chaque fois avec un peu plus de poids car chaque fois le poids du fardeau s’alourdit. Peut-être atteint-elle cette fois, elle aussi, son “moment de vérité”, puisqu’effectivement il s’agit d’un tournant politique. “Tout commence”, c’est-à-dire la nécessité d’une réflexion de fond, et même de fond en comble, des Britanniques sur les relations spéciales entre USA et UK. Cette réflexion va être alimentée par une polémique générale que plus rien ni personne ne retient, et qui implique d’une part une sorte de “révolte des généraux” (décidément c’est la mode) à-la-britannique ; d’autre part, des échanges de plus en plus tendus entre USA et UK (voici le temps des “Pudding-eating surrender monkeys”), par le biais des médias, des interventions à des niveaux intermédiaires, etc. Il y a aura de quoi, dans ces polémiques, alimenter la réflexion.

• Polémique et réflexion sur l’engagement militaire, sur la stratégie britannique, sur la politique militaire en général, sur la politique vis-à-vis de la “guerre contre la terreur”, sur la coopération avec les USA si complètement privilégiée alors qu’existe l’alternative européenne (et surtout franco-britannique). Les événements en Irak (mais aussi en Afghanistan) se chargeront d’alimenter cela.

• Polémique et réflexion sur les relations “privilégiées” des Britanniques avec les USA. Le champ est vaste, qui forme le cadre politique du précédent domaine. Dans ce cas également, les événements courants exerceront une pression continue.

En un sens, et pour changer à peine de sujet pour notre conclusion, le moment est effectivement opportun pour les Français de tenter un rapprochement avec les Britanniques (bien plus qu’avec les USA, bien entendu). Comme on dit, il y pourrait y avoir bientôt “un cœur à prendre”.