Ouverture de la farce des antimissiles de l’OTAN

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Les dirigeants des pays de l’OTAN viennent de juste signer à Lisbonne, à peu près à la manière de robots à peu près bien huilés, à la place qu’il faut (leurs signatures), et pour les anti-missiles pour ce qui nous concerne, – que, déjà, très rapidement par conséquent, certaines réalités du marché apparaissent. Il faut reconnaître que les “précisions” ne se font pas attendre. Elles sont de deux ordres : les antimissiles de l’OTAN (appelons-les BMDE, pour poursuivre cette success story) seront évidemment infiniment plus cher que la plaisanterie des €150 millions qu’on demande à chaque pays (ou «inférieur à €200 millions», comme disait, par exemple de la fixation des choses, le secrétaire général de l’OTAN Rasmussen, le 10 mai dernier) ; d’autre part, ils ne marchent pas (du moins la version US, qui devrait être pour l’OTAN le choix automatique à privilégier).

Un article du Daily Telegraph du 24 novembre 2010 nous informe à ce sujet.

• A propos du coût du BMDE/OTAN (BMDE pour Ballistic Missile Defense Europe, en attendant un sigle rafraîchi au goût du jour), on sait que les USA ont fixé le coût d’un “système similaire” pour les USA à $58,01 milliards, ce qui conduit à calculer la part des pays membres de l’OTAN pour un tel système en €milliards et non en €millions. (Et l’on sait ce que valent les estimations du Pentagone : c’est toujours le camp de base pour entamer l’ascension des coûts.). Quelques précisions du quotidien londonien…

«European and US leaders agreed, at last week's Nato summit in Lisbon, to spend around £ 170 million on the system. But that sum, a Nato background document says, will only meet the cost of command-and-control networks which will link future national interceptor missile and radar sites to a separate Europe-based US system designed to protect its troops. […]

»“Individual European states will have to decide what national missile-defence assets they can afford,” a Nato official said, “we're only providing architecture it can be plugged in to.” David Betz, a defence expert at King's College, London, said he “did not expect European states to be willing to spend the kind of money we're taking about involves for the next decade or more.” “Its impossible to speculate on what the final costs will be,” Dr Betz said, “but I think the US figures offer a useful guide.”»

• Pour ce qui concerne les réelles capacités du système anti-missiles, quelques précisions de deux spécialistes indépendants. Les deux ont aussitôt été qualifiés de “Cassandre professionnels” par un robot, dit “officiel du Pentagone”, fermement appuyé sur les précédents rassurants du JSF et du KC-X pour ce qui est de l’efficacité de l’appréciation.

«George Lewis, a physicist at Cornell University, and Theodore Postol, a former advisor to the US navy who now works at the Massachusetts Institute of Technology, recently revealed that just two interceptor-missile tests had been conducted in realistic conditions – and both failed.

»The Pentagon, they wrote, changed the parameters for “all subsequent planned flight tests so that the missile defences would never again be tested against realistic conditions.” Iran, the scientists noted, appeared to have been taking steps to make its ballistic missiles harder to detect. Yousaf Ahmed Vahidi, its defence minister, recently said that fins had been removed from Iran's Qiam 1 ballistic missile, which decreases “decreases the possibility of it being [hit].” The US government rejects the criticism. A senior US diplomat who spoke to The Telegraph on the issue described the critics as "professional Cassandras." In November 2008, Lieutenant-General Henry A. Obering III, the then-director of the agency praised the accuracy of the interceptor missile systems, saying “not only can we hit a bullet with a bullet, we can hit a spot on the bullet with a bullet.”»

Notre commentaire

Qui a pu une seconde tenir pour acquis qu’un réseau antimissile de l’OTAN coûterait en 10 ans et pour solde de tous comptes, à chaque pays-membre, autour de €150 millions et pas grand’chose de plus ? Qui a pu ne pas s’apercevoir, si c’est le cas d’une ignorance de la chose, que ces €150 millions que demande l’OTAN à chacun de ses membres ne concernent que les systèmes de contrôle et de commandement, et pas le reste (la quincaillerie, l’infrastructure, les essais, les améliorations et upgrades et, évidemment, la litanie des dépassements de coûts) ? Les réponses à ces questions semblent être : tout le monde (tous les dirigeants politiques des pays membres de l’OTAN, qui ont signé à Lisbonne)… Effectivement, tout le monde semble croire ou se laisser croire à soi-même que l’argent évoqué par le document, répété à satiété par Rasmussen, suffira pour le réseau OTAN.

Les Américains semblent laisser entendre que leurs propres quincaillerie, qu’ils vont de toutes les façons fabriquer (tous les précédents montrent que les prévisions du Pentagone sont toujours rencontrées, chacun sait cela), serviront aussi à l’OTAN. On fait sembler de les croire dans ce sens, tandis que certains (les Français, par exemple) affirment haut et fort qu’il faudra plutôt choisir de la technologie européenne, – donc payer réellement la quincaillerie européenne. Là aussi et au contraire des pensées basses de la vulgaire volaille des membres trop alignés de l’OTAN, dans le sens d’une farouche affirmation d’“indépendance européenne” à défaut d’“indépendance nationale”, on fait semblant de croire que cette démarche sera conduite, à l’image du brillant président français, d’une façon “volontariste”. On fait également semblant de croire que les essais effectués du côté US ont bien fonctionné, contre l’évidence accumulé depuis des années, selon des informations jamais démenties montrant que la réalité est également à classer parmi les “Cassandre professionnels”. On fait également semblant de croire que le principe du système antimissile a déjà bien fonctionné, comme le montrent à profusion sinon à suffisance les exploits virtualistes des missiles Patriot en diverses occasions. (Voir ce qu’en pensait le ministre israélien Moshe Arens, à propos des performances des Patriot contre les antiques missiles Scud irakiens en 1991 [nos textes sur le sujet, du 21 avril 2003].)

“On fait semblant”, ou bien l’on n’en sait rien et, finalement, l’on s’en fout puisqu’il ne s’agissait que de signer, et que le sommet de Lisbonne et tout ce qui y fut décidé ont finalement l’importance qu’on sait, – quasiment nulle et, dans tous les cas, d’une couleur surréaliste. De toutes les façons, ces dirigeants politiques, avec leurs experts et bureaucrates en bandouillère, sont les gens les plus sous-informés qu’on puisse imaginer dans les matières où ils prennent des décisions. Le domaine de la quincaillerie militaire est exemplaire à ce sujet, comme le montrent les réactions à la fois enthousiastes et terrorisées, selon le côté où l’on est, qui ont suivi l’annonce de la possible “vente” de 20 JSF supplémentaires à Israël, – le JSF qui est ce fer à repasser volant furtivement et prisonnier de millions de lignes de code de logiciel, dont il apparaît de plus en plus évident qu’il n’atteindra jamais son statut opérationnel parce que le poids de ces millions de lignes de code accablera trop lourdement sa délicate architecture d'avion de combat le plus avancé du monde. Le système BMDE/OTAN est du même calibre ; il concerne un sujet d’actualité depuis 27 ans (discours de Reagan sur “la guerre des étoiles”, de mars 1983) qui a déjà englouti plus de €200 milliards, qui n’a jamais connu le moindre début de commencement d’application en termes de système opérationnel. L’idée de départ de la phase actuelle n’a rien de stratégique ni de cohérent puisqu’il s’est agi d’une sorte d’“initiative” officielle/officieuse de 2002, de la fraction neocon de l’administration Bush, dûment appuyée sinon mandatée par les industries de défense US (voir l’“arrière-plan historique” de la chose dans notre Note d’analyse du 21 septembre 2009).

La décision de Lisbonne sur les antimissiles, ou BMDE/OTAN, démarre donc dans le plus complet désordre, si l’on s’attache à la réalité. Ce désordre ne fera que s’amplifier. Les coûts ne vont cesser d’augmenter et c’est une facture en dizaines (nombreuses) de €milliards que les pays européens de l’OTAN, dont nombre d’entre eux seront d’ici là en faillite totale s’ils existent encore, auront à honorer. On peut fixer arbitrairement mais sagement à 80-90% la probabilité que, d’ici là également, – disons d’ici deux ou trois ans, –le propre programme BMD (Ballistic Missile Defense) des USA se trouvera dans un état d’agonie terminale, sans doute avec un Pentagone lui-même en faillite. Le programme BMDE/OTAN est utile, pour quelques semaines, pour assurer le statut de secrétaire général “historique” du Danois Rasmussen, à une époque où l’histoire selon les conceptions de nos dirigeants politiques ressemble à un immense bazar en période de “soldes avant liquidation”. Que les esprits qui craignent, avec des arguments valables pour un passé qui n’existe plus, la main mise de l’OTAN sur l’indépendance européenne, que ces esprits se rassurent. Tout cela, au regard de la crise générale qui nous emporte, n’a plus guère de signification ni d’existence, – ni l’OTAN, ni l’Europe, ni l’“indépendance” de n’importe qui par rapport à n’importe qui. La seule certitude est donc que le programme BMDE/OTAN suivra, encore plus rapidement et encore plus radicalement, nombre de programmes communs OTAN dont l’échec et la disparition dans l’oubli parsèment l’existence de cette organisation : il ne sera jamais réalisé. (Cela n'a d'ailleurs aucune importance, hormis les €milliards et $milliards dépensés en monnaie de singe, puisque cette chose, l'antimissile, ne sert à rien, elle n'a aucune utilité, elle n'a pas de raison d'être.)

Affirmer cela, non, plutôt l'annoncer sans la moindre hésitation (“il ne sera jamais réalisé”), ce n’est pas être pessimiste (pour les amateurs de l’OTAN) ni être optimiste (pour ceux qui craignent l’OTAN), ni être audacieux d'ailleurs, c’est être simplement informé des évidences du temps. C’est aussi, au moins, une certitude, et c’est la seule sorte de certitude que nous permet, aujourd’hui, la grande crise eschatologique dans laquelle s’effondre notre système.


Mis en ligne le 25 novembre 2010 à 06H58