Paléontologie du New York Times et autres...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Paléontologie du New York Times et autres...

20 octobre 2020 – Cela fit, dit-on, benoîtement scandale... C’est-à-dire : “scandale sans trop s’en scandaliser”, – car il s’agit, n’est-ce pas, du New York Times [NYT], et que nul, en France, et surtout à Paris, et surtout dans les salons, nul n’échappe à la dévotion, au zèle empressé et servile, que l’on doit à ce monument, – qui, pourtant, n’est pas si impressionnant, de taille veux-je dire, de grâce, d’allure et d’esprit, – mais, n’est-ce pas, ne dit-on pas : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » ?

Ouf, reprenons notre souffle.

Il s’agit des éditions du NYT où il était annoncé qu’un enseignant français avait été décapité au nom de la religion et de ses enfers. Ainsi le NYT titra-t-il, comme le rapporte un texte de Spoutnik-français à propos duquel les délateurs postmodernes n’oublient jamais de vous alerter sur ce fait qu’il s’agit d’un ‘média d’État’ (russe), comme s’il s’agissait d’une tare ignoble qui provoque aussitôt des malaises physiques peu ragoûtants, y compris à moi l’impassible amphitryon de dde.crisis :

« “French Police Shoot and Kill Man After a Fatal Knife Attack on the Street”, à savoir “La police française tue un homme après une attaque mortelle au couteau dans la rue”

Quelques commentaires ont accompagné cette façon d’habiller avec une grande élégance, du type-Park Avenue mâtinée-BLM (et “violences policières” par conséquent), de la part de la référence-conscience de notre ensemble-civilisationnel. (Un esprit insolent et indiscipliné appellerait bien cela de l’expression buissonnière dite “[LePétomane-civilisationnel”, pour qualifier le NYT et ses flancs gardes type Le Monde, qui défendent la liberté et la diversité rien qu’à l’odeur et fort peu à la musique, – “dommage, dommage”, conclut notre insolent-indiscipliné à l’odorat vigilant.)

Dans le même texte diffusé par l’ensemble “Spoutnik-français-‘média d’Etat’” (russe, méfiance requise), d’autres nous communiquent les sentiments qu’a fait naître en eux cette digne mission d’information menée à bien par le NYT, toujours avec ses belles manières, son enthousiasme pour les libertés du type midi-à-quatorze-heures à-gauche-toute en-sortant, et toutes ces sortes de choses qui sont si pleines d’humanité adaptable aux conditions actuelles, selon la mémoire, l’exercice de réécriture, la maîtrise négociée a sinistra e a sinistra della ragione, l’hystérie présentée suavement sous des couleurs aimables, la dénonciation décrite civiquement comme un des beaux-arts de la néo-postmodernité, et j’en passe et des bien pires, – mais il est dit également qu’ils ne passeront pas...

« “C’est ainsi que le New York Times, journal de gauche de plus en plus répugnant, a décrit la décapitation d’un enseignant en France qui a eu lieu hier», déplore pour sa part l’homme politique anglais Peter Whittle.
» La journaliste du Figaro Eugénie Bastié a exprimé le même avis, mettant en évidence “l’art du déni dans la presse multiculturaliste américaine”.
» Le quotidien américain a modifié son titre depuis, supprimant l’“attaque mortelle au couteau” pour évoquer la décapitation de la victime. Néanmoins, comme le précise Mme Bastié, le chapeau de l’article garde un angle particulier : “la victime a immédiatement été érigée en martyr de la liberté d’expression”. »

Ainsi en est-il du NYT, dont le destin ressemble au singe de la balade générale de notre civilisation, dans les restes de ses mémoires repentantes, et les ordures ménagères de ses réécritures de soi-même. Le NYT ne me fatigue même plus, d’autant que je ne le lis pas et ne l’ai jamais lu, ayant toujours en confiance accordé à l’Organe toutes les traits que sa fonction exige. Il y a, comme ça, des choses, qu’il est inutile de regarder, encore moins de lire, pour identification à coup sûr, là aussi à l’odeur.

Faut-il en dire tant et tant à propos de cet acte de décapitation qui a bouleversé fort justement et dans une très grande émotion Paris, la Ville-Lumière et la ville des Lumières, où la guillotine fut inventée, testée, développée et jugée d’une efficacité qu’on continue à honorer avec bonheur et à vanter comme l’on dirait de la République-Sainte ? Certes, il le faut, puisque l’horreur reste l’horreur, même lorsque trépassent les siècles et passent les Républiques. Citons alors une courte chronique dans Valeurs Actuelles d’Armand Benedetti, qui trouve les mots pour situer l’événement et quelques-unes des responsabilités, – à vrai dire et malgré la gloire incommensurable de notre civilisation bienveillante de la démocratie et des droits de l’homme, ces choses ne sont pas à notre honneur.

« Il y a l’émotion et la colère, puis les questions, et enfin l’atonie. Le cycle post-attentat est, hélas, toujours le même. Il reproduit inlassablement les mêmes figures. Les propos récents du Président de la République contre le “séparatisme islamiste”, sa réaction immédiate juste après la découverte du corps mutilé de Samuel Paty martelant que les islamistes “ne passeront pas” ne peuvent dissimuler derrière l’incantation, une forme de désarmement intellectuel et de fragilité politique. Ils condensent des années de déni et d’impuissance dont ce jeune Président est au demeurant le produit parmi d’autres. Macron le candidat est aujourd’hui rattrapé par Macron le Président qui n’a rien vu ou rien voulu voir venir lorsqu’il n’était qu’un candidat. A sa décharge, toute sa socialisation intellectuelle, à l’instar de nombre de responsables de sa génération, est comptable d’une idéologie d’accommodement aux communautarismes. Et c’est bien l’accommodement qui a accompagné en silence la montée au calvaire de cet enseignant dont le seul tort consiste à avoir accompli sa mission : l’accommodement tout d’abord de sa hiérarchie qui, en lieu et place d’un soutien sans ambiguïtés, a préféré tergiverser en recevant des parents accompagnés d’un militant islamiste largement signalé ; l’accommodement aussi de responsables politiques qui paraissent s’excuser de devoir lutter contre les ennemis de la République, à coup de “oui mais…”, sans compter ceux qui ouvertement pactisent avec ces [ennemis de la République] tout en n’hésitant pas à manifester au nom de la République chaque fois que le sang coule.
» La peur au ventre, le complexe en bandoulière, la mauvaise conscience en viatique, voire la tartufferie dans les veines pour certains, ainsi offrons-nous à nos adversaires le visage d’une “résistance” affaiblie, doutant parfois jusqu’à la légitimité de nos principes et de la force de notre histoire, profondément désunie sur le fond également comme l’a attesté la manifestation de ce 18 octobre, Place de la République, où au-delà de la mobilisation et de son inévitable effet cathartique se sont exprimées les lignes de fractures de l’archipel français entre les sincérités et l’inquiétude réelle, les sauvetages communicants des appareils politiques faillis ou compromis, les faiblesses et contradictions des responsables. Cette réaction du lendemain, rite obligé bien plus que mouvement spontané, sorte de mélange des émotions réelles des uns et des arrière-pensées récupératrices des autres, n’a pu occulter l’extrême confusion du moment. Elle rajoute même le malaise au malaise
. »

L’on pourrait remonter plus loin encore, comme ferait un dernier de cordée qui refait le chemin tracé par ses brillants devanciers, pour rappeler d’où viennent nos enfers, nos peines et nos misères qui nous ont tant battus... Vous savez, pensant à cette misère de notre “étrange époque” qui ne demande, comme d’un don du Ciel, qu’à disparaître comme si elle n’avait jamais existé, je repense à l’universalité également de ces vers de Péguy, – car, même sortis de l’écrin de la Nécropole Sacrée de Verdun pour laquelle ils ne furent pas écrits et à laquelle ils adressent le salut fraternel le plus grand de nature et de beauté, ils marquent par toute leur intensité poignante un signe indicible de grandeur à l'intention d'un monde qui n’a plus comme émotions possibles que la souffrance silencieuse et l’ironie de la dérision, – cela, Péguy, pour tenter de la rattraper, cette “étrange époque” :

« Mère, voici vos fils qui se sont tant battus,
» Qu’ils ne soient pas jugés sur leur seule misère... 
»

Je veux dire par là que l’acte infâme, pour qui sait lire l’histoire du monde autrement que dans l’enceinte barbelée de nos salons et de nos ‘plate-formes’ transformés en universités, cet acte infâme a lui aussi une histoire. Il est vrai que notre responsabilité y est engagée, dans une profondeur et une ampleur à mesure de la gloire et de la maîtrise morale, servie par la puissance de la technique, de notre civilisation. Ce ne sont pas les pleurnicheries, les trahisons et les servilités des moralistes installés dans la capitale, baignant dans la modernité et les droits des minorités, toujours à la recherche d’occupants pour collaborer, ce ne sont ces manifestations qui me sont insupportables d’indécence qui y changeront quoi que ce soit ; ces pleurnicheries, ces trahisons et ces servilités, constituent l’acte terminal de l’hybris et de l’arrogance dont nous dénonçons les méfaits soi-disant fondateurs sans en rien savoir des vertus qui ont été brulés sur les bûchers dans les flammes desquelles nous jetâmes nos traditions et nos ancêtres, et les entendements originaux, et les civilisations qui en furent les précipiteuses.

Aujourd’hui, notre histoire consiste à gémir à propos des infamies bien réelles et monstreuses que nous font subir ceux que nous sommes allés ‘civiliser’ à coups de bombes et de produits manufacturés, dès franchi le cap du millénaire d’une façon affichée et exaltée, après les avoir ‘libérés’, ou disons ‘décolonisés’ d’une ‘colonisation’ dont nous étions nous-mêmes les exécutants et que vouâmes aux gémonies à cette occasion. Ainsi y a -t-il deux ‘colonisations’ qui sont le fait de notre ‘civilisation’, et qui ont droit à des traitements si différents qu’on croirait des mondes étrangers ; à tous les travers et les vertus de la première qui ne manque ni des uns ni des autres, la seconde a ajouté dans une dose écrasante qui étouffe tout le reste l’hypocrisie cardinale de l’auto-flagellation, d’ailleurs aussi bien moderniste que d’origine très-chrétienne, qui est finalement la marque ultime de l’acte décisif de l’effondrement (voyez la GCES de la rubrique Glossaire.dde).

Et vous, les civilisateurs et colonisateurs de la postmodernité, ‘colonisation’ de la deuxième série, typiquement de notre “étrange époque”, vous savez bien je ne suis pas de votre monde et ne l’ai jamais été.

Alors, dans mon passé à moi où il m’est parfois arrivé de retrouver la Tradition sacrée, j’étais encore de France et d’Occident sans en rougir, et je pouvais sans le trahir poursuivre Péguy en son quatrain sublime :

« ...Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
» qui les a tant perdus et qu’ils ont tant aimée. »