Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1057Le pouvoir washingtonien, toutes têtes confondues, de la Maison Blanche au Congrès, a une façon bien à lui de proclamer l’urgence extrêmer de la situation et de manifester quelques signes de panique. Il s’agit de la fameuse “fiscal cliff”, ou “falaise fiscale”, au bord de laquelle s’ouvre, paraît-il, un abîme insondable dont on a largement eu le temps de sonder l’insondabilité depuis l’été 2011, lorsqu’on fixa les limites générales et modalités d’un accord boiteux pour éponger l’une ou l’autre gouttelette de l’insondable dette, – avec rendez-vous en décembre 2012 pour régler le plus pressant. Arrivé à deux pas du bord de la falaise, on négocia pour un accord inévitable, pour convenir finalement que cet accord n’était pas possible dans de telles conditions, nouvelles et imprévues, où l’un des négociateurs (le Speaker de la Chambre Boehner) représentant des troupes qu’on espérait fidèles (les républicains de la Chambre) se retrouvait privé de troupes, désavoué par les siens de la plus brutale des façons. Un pas de plus vers le bord de la falaise, et l’abîme certes, ayant été franchi, on partit en vacances… On en revient en quatrième vitesse de croisière, en se pressant lentement, pour ce qu’on nomme “les négociations de la dernière chance”. Il est possible qu’elles le soient, de la dernière chance, et il est possible qu’il n’y ait pas de négociations du tout et qu’on laisse passer cette chance…
Le Guardian de ce 27 décembre 2012 nous avise que BHO rentre de Hawaï, c’est-à-dire qu’il interrompt ses vacances. Le Congrès déclare qu’il reste ouvert aux négociations, naturellement. Le secrétaire au trésor Tim Geithner, l’homme de Wall Street, lui, s’alarme tout de même puisqu’il tient la caisse. Il parle de “mesures extraordinaires” si l’impasse au bord de la falaise subsiste. Le Guardian nous signale qu’un avertissement similaire avait été lancé par Geithner, en juillet 2011, avant l’accord au forceps du début août qui, comme on le constate, n’a rien résolu non plus… Il y a autour de tout cela, de ce catastrophique bouillon, comme une sorte d’indolence, du type “demain est un autre jour” ou bien “de toutes les façons, tout finit toujours par s’arranger dans America the Beautiful”.
«US Treasury secretary Tim Geithner warned on Wednesday he would have to take “extraordinary measures” to avoid a default on the US's legal obligations as the country is set to breach its $16.4tn (£10.16tn) debt limit. In a letter to Congress, Geithner said the debt ceiling would be reached on 31 December and that the Treasury could raise $200bn (£124bn) to fund government spending as a stopgap measure. But he warned that the current impasse over the fiscal cliff budget crisis meant it was uncertain how long that money would last.
»“Under normal circumstances, that amount of headroom would last approximately two months.” “However, given the significant uncertainty that now exists with regard to unresolved tax and spending policies for 2013, it is not possible to predict the effective duration of these measures,” Geithner warned. In the two-paragraph letter Geithner also warned that “the extent to which the upcoming tax filing season will be delayed as a result of these unresolved policy questions is also uncertain.” […]
»The Treasury secretary's warning comes as Barack Obama prepared to cut short his Christmas holiday in Hawaii, with the intention of returning to Washington in the hope of restarting the stalled budget talks…»
PressTV.com donne un reportage ce 27 décembre 2012 sur l’état d’esprit de la population, de plus en plus préoccupée par les performances de ses dirigeants. Depuis l’été 2011, jamais le public n’a douté une seconde que ces mêmes dirigeants, combinards et soucieux de leurs privilèges et de leurs bonnes places, ne s’entendraient pas pour éviter la chute dans l’abîme. Si l’on veut, cela faut partie des piètres débris de ce qu’il reste de l’American Dream, cette croyance dans l’habileté des combinards. Eh bien, même une telle confiance, méprisante et contrainte, s’érode… «According to a Gallup poll released on Wednesday, hopes of a fiscal-cliff deal by the end of the year dropped amongst Americans last week, with only 50 percent of Americans now expecting a resolution this year. The figure was down from 57 percent six days before.»
Cette troupe incertaine qu’on nomme en général, dans les dépêches rapides, “les économistes”, estime d’une façon assez entendue que l’absence d’un accord de la Saint-Sylvestre pour éviter la séquestration sur une somme de $1.500 milliards qui devrait être automatiquement économisée si aucun accord d’un rangement acceptable n’est trouvé, que cette absence fera retomber l’Amérique dans la récession type 2008-2009. C’est une estimation “officielle”, certes, car l’on se demande bien quelle impudence du jugement, appuyée sur des chiffres faussaires et sans signification, peut pousser à faire croire que l’Amérique, et le Système avec elle, sont sortis de cette crise de 2008-2009… Cette “crise” n’en est pas une, selon l’appréciation courante de la chose, puisqu’il ne s’agit que d’une étape dans la chute sans discontinuer de la crise terminale. Nous avons rappelé (le 24 décembre 2012) cette progression de la crise terminale, par la transformation de la forme et de la structure même des crises sectorielles qui évoluent pour mieux s’adapter à la puissance générale de la crise terminale :
«La description de cette année 2012 est donc, pour nous, la description d’un ensemble de crises, au départ sectorielles et qui perdent de plus en plus leurs identités, pour devenir elles-mêmes des crises indéfinies, des crises de désordre pur touchant tous les domaines et affectant profondément notre psychologie par où progresse la conscience du caractère finaliste et eschatologique de la crise générale. Nous avions déjà identifié cette évolution en août 2011, dans deux textes successifs, montrant la transformation de la crise en “crise férale”, ou “sauvage” (le 4 août 2011), puis en diagnostiquant que les crises elles-mêmes “étaient en crise” («Même les crises sont en crise», le 19 août 2011). L’évolution observée impliquait un passage du processus de déstructuration au processus de dissolution…»
Le 23 décembre 2012, Paul Craig Roberts (PCR) observait, sur son site, la fin de cette année 2012 comme un temps de rupture décisive, – ce qui serait, après tout, une confirmation que les Mayas n’avaient pas si mal vu… «As we enter into 2013, Western civilization, the product of thousands of years of striving, hangs in the balance. Degeneracy is everywhere before our eyes. As the West sinks into tyranny…»
Le même PCR avait annoncé, dans une émission télévisé du 20 décembre 2012, l’effondrement de l’Amérique, avec une de ces expressions très américanistes auxquelles il faut reconnaître la force à la fois du son, à la dire, et de l’image, à l’évoquer, – dans ce cas, dans le Big Time : «America Is Going To Crash Big Time». Pourtant PCR ne croit pas à la falaise fiscale ; il croit que la chose (l’accord) sera ficelée pour faire croire que ces dirigeants dirigent encore quelque chose, mais que l’on n’évitera pas, très vite les affreuses explosions de «[t]he Derivatives Tsunami and the Dollar Bubble». (Le 17 décembre 2012, toujours sur son site : «The “fiscal cliff” is another hoax designed to shift the attention of policymakers, the media, and the attentive public, if any, from huge problems to small ones.»)
Le 14 décembre 2012, sur PressTV.com, Danny Schechter développait, en la prenant à son compte, la thèse de PCR (Paul Craig Roberts l’avaient détaillée lors d’une émission de TV, quelques jours avant de publier son article). Il s’étonnait de lire si peu de commentaires et d’analyses de prospective concernant les catastrophes identifiées par PCR et, fort judicieusement, émettait l’hypothèse d’une psychologie terrifiée par cette situation extraordinairement funambulesque, comme si vous dansiez sur une fine couche de glace sur le point de craquer, et qu’en-dessous, en réalité, un volcan gronde, et la chose qui craque encore plus vite… «And now, as the fourth quarter of economic activity tapers down for the holidays, and companies close for the New Year, forecasters avoid making dire predictions for fear of being seen as alarmists or “doom and gloomers.” Many seem to fear that if they say things will get worse, the very act of saying it may make it happen…»
Danny Schechter terminait donc en pronostiquant la manipulation de la “falaise fiscale”, dans le but dérisoire de dissimuler le terrible ouragan qui se prépare… «A deal between the White House and the Republican dominated Congress will be reached… […] The “Fiscal Cliff” may then disappear as an issue but icebergs of economic volatility are still rushing our way.»
Pourtant, la “rébellion d’Amash” (voir Justin Raimondo, le 14 décembre 2012, sur la rébellion du député républicain Amash) s’est avérée un très sérieux et très inattendu obstacle, qui obligea Boehner à abandonner son “Plan B” et à concrétiser l’impasse entre la Chambre et le Président… Ce qui nous vaut l’actuelle agitation au bord de la “falaise”, effectivement avec ce climat un peu étrange, à la fois d’urgence et à la fois d’absence d’alarme, comme si la panique actuelle agitant Geithner et forçant Obama à revenir d’Hawaii ressemblait tout de même à un pique-nique, bien qu’au bord de l’abîme. (L’interruption des vacances d’Obama doit être appréciée, après tout, au fait assez peu ordinaire qu’il est parti en vacances comme d’habitude, dans cet instant crucial, ou présenté comme crucial.)
On ne sait qui a raison, et qui l’emportera, et ce qui sortira de cette crise au bord de la falaise. Les dirigeants washingtoniens nous ont suffisamment montré qu’ils savaient transformer les montages et les coutumes les plus assurées d’entente au sein du “parti unique” (démocrates-républicains) en déroute soudaine, où plus personne ne contrôle rien du tout, où naît et se précipite une “crise dans la crise” complètement imprévue et inattendue. Bref, cette atmosphère soudainement dramatique peut aussi bien être l’habituel climat des négociations poussées jusqu’à l’extrême dernier centimètre de la falaise, ou bien le signe effectivement que plus personne ne contrôle les choses. De toutes les façons, c’est-à-dire quel que soit le résultat de cet épisode, les perspectives sont évidemment noires comme l’encre et un crépuscule d’orage, les psychologies s’affaissent encore un peu plus sous le poids de l’anxiété, la confiance s’érode encore un peu plus devant tant de perspectives transformées en autant d’impasses… Quelles que soient les péripéties, les pas de deux et les habiletés devenues maladresses ou la croyance du contraire, la chute continue, vertigineuse.
Mis en ligne le 27 décembre 2012 à 09H25